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21/03/2025

“Je suis un prisonnier politique”
Lettre de Mahmoud Khalil depuis un centre de détention de l’ICE

Mahmoud Khalil, Jacobin, 20/3/2025
Traduit par Fausto Giudice
Tlaxcala  

Mahmoud Khalil, qui a été détenu et visé par une procédure d’expulsion par l’administration Trump pour avoir dénoncé les atrocités commises à Gaza, a dicté une lettre au public depuis sa cellule de détention en Louisiane. 
Je m’appelle Mahmoud Khalil et je suis un prisonnier politique. Je vous écris depuis un centre de détention en Louisiane où je me réveille dans le froid et passe de longues journées à témoigner des injustices silencieuses commises contre un grand nombre de personnes privées de la protection de la loi.

Qui a le droit d’avoir des droits ? Ce ne sont certainement pas les êtres humains entassés dans les cellules ici. Ce n’est pas l’homme sénégalais que j’ai rencontré et qui est privé de liberté depuis un an, sa situation juridique étant dans l’incertitude et sa famille outre-océan. Ce n’est pas le détenu de vingt et un ans que j’ai rencontré, qui a mis les pieds dans ce pays à l’âge de neuf ans, pour être ensuite expulsé sans même une audience.

La justice échappe aux contours des centres d’immigration de ce pays.

Le 8 mars, j’ai été arrêté par des agents du Département de la sécurité intérieure (DHS) qui ont refusé de me présenter un mandat et qui nous ont interpellés, ma femme et moi, alors que nous revenions d’un dîner. À présent, les images de cette nuit-là ont été rendues publiques. Avant que je ne sache ce qui se passait, les agents m’ont menotté et m’ont fait monter de force dans une voiture banalisée. À ce moment-là, ma seule préoccupation était la sécurité de Noor. Je ne savais pas si elle serait également emmenée, car les agents avaient menacé de l’arrêter pour ne pas m’avoir quitté. Le DHS ne m’a rien dit pendant des heures. Je ne connaissais pas la raison de mon arrestation ni si j’étais menacé d’expulsion immédiate. Au 26 Federal Plaza [à New York], j’ai dormi sur le sol froid. Tôt le matin, des agents m’ont transporté dans un autre centre à Elizabeth, dans le New Jersey. Là-bas, j’ai dormi par terre et on m’a refusé une couverture malgré ma demande.

Mon arrestation était une conséquence directe de l’exercice de mon droit à la liberté d’expression alors que je plaidais pour une Palestine libre et la fin du génocide à Gaza, qui a repris de plus belle lundi soir. Le cessez-le-feu de janvier étant désormais rompu, les parents à Gaza bercent à nouveau leurs enfants dans des linceuls trop petits et les familles sont obligées de choisir entre la faim et le déplacement ou les bombes. Il est de notre devoir moral de poursuivre la lutte pour leur liberté totale.

Je suis né dans un camp de réfugiés palestiniens en Syrie, dans une famille qui a été chassée de ses terres depuis la Nakba de 1948. J’ai passé ma jeunesse à proximité de ma patrie, mais loin d’elle. Mais être Palestinien est une expérience qui transcende les frontières. Je vois dans ma situation des similitudes avec le recours par Israël à la détention administrative - l’emprisonnement sans procès ni accusation - pour priver les Palestiniens de leurs droits. Je pense à notre ami Omar Khatib, qui a été incarcéré sans inculpation ni jugement par Israël alors qu’il rentrait chez lui après un voyage. Je pense au directeur de l’hôpital de Gaza et pédiatre Dr Hussam Abu Safiya, qui a été fait prisonnier par l’armée israélienne le 27 décembre et qui se trouve aujourd’hui dans un camp de torture israélien. Pour les Palestiniens, l’emprisonnement sans procédure régulière est monnaie courante.

L’administration Trump me prend pour cible dans le cadre d’une stratégie plus large visant à réprimer la dissidence. Les détenteurs de visas, les détenteurs de cartes vertes et les citoyens seront tous pris pour cible en raison de leurs convictions politiques. 

J’ai toujours pensé que mon devoir n’était pas seulement de me libérer de l’oppresseur, mais aussi de libérer mes oppresseurs de leur haine et de leur peur. Ma détention injuste est révélatrice du racisme anti-palestinien dont les administrations Biden et Trump ont fait preuve au cours des seize derniers mois, alors que les USA ont continué à fournir à Israël des armes pour tuer des Palestiniens et ont empêché toute intervention internationale. Pendant des décennies, le racisme anti-palestinien a motivé les efforts visant à étendre les lois et les pratiques usaméricaines utilisées pour réprimer violemment les Palestiniens, les Arabes usaméricains et d’autres communautés. C’est précisément pour cela que je suis pris pour cible.

Alors que j’attends des décisions juridiques qui mettent en jeu l’avenir de ma femme et de mon enfant, ceux qui ont permis que je sois pris pour cible restent confortablement installés à l’université de Columbia. Les présidents [Minouche] Shafik, [Katrina] Armstrong et la doyenne [Keren] Yarhi-Milo ont préparé le terrain pour que le gouvernement usaméricain me cible en sanctionnant arbitrairement des étudiants propalestiniens et en permettant que des campagnes virales de dénigrement - basées sur le racisme et la désinformation – continuent en toute impunité

Columbia m’a ciblé pour mon activisme, en créant un nouveau bureau disciplinaire autoritaire pour contourner les procédures régulières et faire taire les étudiants qui critiquent Israël. L’université Columbia a cédé aux pressions fédérales en divulguant les dossiers des étudiants au Congrès et en cédant aux dernières menaces de l’administration Trump. Mon arrestation, l’expulsion ou la suspension d’au moins vingt-deux étudiants de Columbia – dont certains ont été privés de leur diplôme de licence quelques semaines avant l’obtention de leur diplôme – et l’expulsion du président des SWC [Student Workers of Columbia] Grant Miner à la veille des négociations contractuelles en sont des exemples évidents.

Ma détention, si elle a un sens, témoigne de la force du mouvement étudiant pour faire évoluer l’opinion publique en faveur de la libération des Palestiniens. Les étudiants ont longtemps été à l’avant-garde du changement, menant la charge contre la guerre du Vietnam, se tenant en première ligne du mouvement des droits civiques et menant la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. Aujourd’hui encore, même si le public ne l’a pas encore pleinement compris, ce sont les étudiants qui nous guident vers la vérité et la justice.

L’administration Trump me prend pour cible dans le cadre d’une stratégie plus large visant à réprimer la dissidence. Les détenteurs de visas, les détenteurs de cartes vertes et les citoyens seront tous pris pour cible en raison de leurs convictions politiques. Dans les semaines à venir, les étudiants, les défenseurs des droits et les élus doivent s’unir pour défendre le droit de manifester pour la Palestine. Ce qui est en jeu, ce ne sont pas seulement nos voix, mais les libertés civiles fondamentales de tous.

Sachant parfaitement que ce moment transcende ma situation personnelle, j’espère néanmoins être libre d’assister à la naissance de mon premier enfant.


GIDEON LEVY
Les médias israéliens ont encore le culot de dissimuler les horreurs de Gaza, mais les montrer n'arrêterait pas la guerre

Gideon Levy, Haaretz, 21/3/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala 

À la liste des crimes, il faut ajouter, plus que jamais, ceux des médias israéliens. Israël viole sciemment et méchamment un accord international signé et lance une attaque sauvage et effrénée contre la bande de Gaza. Dans sa première attaque, Israël a tué plus de 400 Palestiniens, dont 174 enfants. 


Des Palestiniens transportent un corps sorti des décombres d'une maison familiale détruite par des frappes israéliennes, lundi à l'aube, dans la ville de Gaza. Photo Omar al-Qattaa/AFP

Israël reconnaît que cette fois-ci, les cibles ne sont pas des terroristes mais des civils - un crime de guerre explicite. Il s'agit de tuer pour tuer, dans le but de relancer la guerre et de préserver la coalition du Premier ministre Benjamin Netanyahou, bien après que le quota de vengeance et de punition pour l'attaque du 7 octobre 2023 a été atteint.

Rien de tout cela ne sera couvert par les médias israéliens : des corps mutilés chargés sur des charrettes tirées par des ânes, des camionnettes et des voitures particulières, ou portés à mains nues ; des adolescents creusant dans les décombres avec des marteaux et à mains nues, sans aucun équipement lourd, essayant désespérément de sauver les survivants et de récupérer les restes des morts ; des blessés gisant en sang sur les sols crasseux de ce qui était autrefois des hôpitaux ; des enfants en haillons à la recherche de leurs parents ; des parents en haillons transportant les corps de leurs enfants.

Des dizaines de milliers de Palestiniens se lancent à nouveau dans le voyage de leur vie - des marées humaines traînant sur leur dos les restes de leur monde, fuyant vers nulle part. Des voitures qui crachotent et des charrettes qui s'effondrent gémissent sous le poids des personnes déplacées et de leurs quelques biens ; des dizaines de milliers de réfugiés qui s'échappent pour la deuxième, troisième fois, et qui n'ont plus rien à fuir. 


Des Palestiniens quittent Beit Hanoun, dans le nord de la bande de Gaza, avec leurs biens, en direction de la ville de Gaza, suite aux ordres d'évacuation israéliens, mardi. Photo Bashar Taleb/AFP

Des amputés dans des fauteuils roulants de fortune se traînent dans le sable, tandis que des personnes âgées sont allongées sur des capots de voiture. Les familles qui ont perdu des êtres chers au cours des premiers combats perdent maintenant ce qui leur reste. La terreur des bombardements et la peur de la mort pèsent sur tous.

Rien de tout cela n'est apparu dans l'essentiel de la couverture médiatique israélienne de ces deux derniers jours. Seuls les otages et les dangers auxquels ils sont confrontés à Gaza ont été évoqués. L'inquiétude à leur égard est compréhensible et justifiée, mais plus de deux millions d'autres personnes vivent à Gaza. Qu'en est-il de ces personnes ? Leur vie est-elle sacrifiable simplement parce qu'ils ne sont pas israéliens ? Sont-ils tous des terroristes, même les enfants à naître des femmes enceintes qui fuient pour sauver leur vie ? Leur souffrance ne devrait-elle pas être rapportée ? Leur sort ne devrait-il pas être connu ?

Ce manquement au devoir, cette trahison criminelle des médias ne peuvent plus être pardonnés. Après le 7 octobre, alors que l'émotion était à son comble, on pouvait peut-être s'y attendre - même si, à l'époque, le vrai journalisme avait le devoir de rapporter toute la vérité. 


Des Palestiniens transportent des blessés à la suite d'une frappe israélienne, dans le nord de la bande de Gaza, mercredi. Photo Abd Elhkeem Khaled/Reuters

Mais qu'en est-il maintenant, alors que la plupart des médias sont mobilisés dans la lutte contre le gouvernement et en faveur des otages, et que même les commentateurs les plus établis et les plus conservateurs admettent que la reprise de la guerre sera désastreuse ? Les crimes de guerre sont-ils mentionnés dans les médias israéliens ? Gaza doit-elle encore être effacée de la vue ? Ce qui s'y passe doit-il être dissimulé, nié et supprimé ? Tout cela pour satisfaire et divertir, et éviter de bouleverser le public, Dieu nous en préserve ?

Si les médias israéliens avaient rempli leur rôle fondamental et montré la réalité de Gaza au cours des deux derniers jours, il est peu probable que le ciel soit tombé sur nos têtes ou que les opinions aient changé. L'enfant palestinien - l'orphelin, l'amputé - n'est pas encore né qui touchera le cœur du courant dominant israélien, qui trouve une justification et une légitimité à chaque injustice.


Des Israéliens observent Gaza depuis un point de vue situé près de la frontière entre Israël et Gaza, alors que les forces de défense israéliennes reprennent leurs frappes dans la bande de Gaza. Photo Amir Cohen/ Reuters

De nombreux Israéliens pensent que Gaza mérite tout cela, que personne n'y est vraiment innocent, que les Gazaouis sont responsables de leur propre sort. Mais le privilège de détourner le regard - et surtout de refuser de montrer - ne peut plus être toléré. Vous avez tué, vous avez détruit, vous avez expulsé, vous avez rasé, au moins montrez-le. D'où vient cette audace de dissimuler ? De ce refus effronté de regarder ?

Allez-y, célébrez devant chaque orphelin traumatisé de Gaza, réjouissez-vous devant chaque maison détruite, riez devant chaque père embrassant le corps de son fils mort, réjouissez-vous devant chaque amputé en fauteuil roulant, chantez vos chants de victoire. Mais au moins, montrez - et voyez - ce que nous avons fait. Montrez ce que nous continuons à leur faire.