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04/08/2024

GIDEON LEVY
Quand la catastrophe nous tombera dessus, rappelez-vous comment nous avons exulté quand Israël a tué un chef du Hamas et battu la Turquie aux Jeux olympiques

Gideon Levy, Haaretz, 3/8/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala  

C’était la fin d’une semaine joyeuse, comme nous n’en avions pas vu depuis dix mois. Mercredi, nous avons dégommé le chef du Hamas, Ismail Haniyeh, à Téhéran ; vendredi, nous avons blackboulé Kayra Özdemir aux Jeux olympiques de Paris. Nous avons pulvérisé Haniyeh avec une bombe, la judoka turque a été mise au tapis par ippon en 15 secondes.

Les deux abattages ont plus de points communs qu’il n’y paraît : ils ont tous deux suscité une immense vague de fierté et de joie nationales ; la chaîne de supermarchés Victory a même ouvert une table en l’honneur de la première mise à mort mais les deux actions étaient destinées exactement à cette raison. Les deux n’ont aucune raison d’être, si ce n’est l’honneur, la satisfaction, le plaisir et la fierté nationale. Il est agréable et réconfortant de savoir que nous avons dégommé un Hamasnik et une athlète turque.

Les politiciens sionistes ont rivalisé entre eux pour savoir qui se réjouirait le plus de ces deux actes : le leader de Yesh Atid, Yair Lapid, et le leader du parti travailliste, Yair Golan, ont été enthousiasmés par les deux. Le ministre des finances, Bezalel Smotrich, a fait le lien : « Cette victoire est ce que [le judoka] Peter Paltchik a fait ce soir contre son adversaire suisse et ce que [la judoka] Inbar Lanir a fait à ses adversaires en trois matches. Nous les avons vaincus et soumis ».

Le journaliste Shai Golden a exprimé l’esprit du temps avec encore plus de précision : « Raz Hershko. Guerrière israélienne. Nous avons les meilleures guerrières sur le tapis et sur le champ de bataille. Allez, allez, Israël ! Le peuple d’Israël vit ! » Vivre, à la fois sur le tatami et sur le champ de bataille.

Il est un peu injuste de comparer un sport dans lequel Israël réussit honorablement et légitimement avec les assassinats, dans lesquels Israël réussit de manière déshonorante et illégitime. Mais la comparaison s’impose quand on sait que tant d’Israéliens, probablement la majorité absolue, traitent les deux domaines de la même manière. Les médailles ne se gagnent qu’en sport, mais regardez comment les Israéliens s’attribuent aussi des médailles pour les assassinats.

« En deux assassinats à couper le souffle, Israël a restauré pendant six heures ce qu’il était autrefois : un pays qui peut éclipser les films hollywoodiens », a déclaré Ben Caspit avec une puérilité embarrassante. Ce sont nos meilleures heures, celles où nous tuons des gens, pour ne pas dire assassinons des gens, comme la mafia, comme les régimes louches. Nos plus belles heures sont lorsque la majeure partie du monde nous déteste au plus haut point.

Merci, Mossad, pour ces six belles heures que nous avons connues, comme les heures de judo aux Jeux olympiques, comme les exercices au sol de Simone Biles. Merci aux médias d’avoir blanchi ces assassins et leurs iniquités en leur chantant des chants de gloire. L’assassinat qui a profité à Israël n’est pas encore né.

Au cours des six heures dont a joui Caspit, Israël a tué deux de ses ennemis, l’un un militaire du Hezbollah, l’autre un homme d’État du Hamas. L’association des mots « homme d’État du Hamas » fait grincer les oreilles des Israéliens - ça n’existe pas dans les pages de la propagande - mais Haniyeh était le président du bureau politique du Hamas. Il est peu probable qu’il ait jamais tenu une arme, malgré le blanchiment d’Israël, et il est peu probable qu’il ait su à l’avance qu’il y aurait une attaque le 7 octobre.

Il ne s’agit pas de faire l’éloge de Haniyeh, ni de déplorer sa mort, mais un pays qui assassine l’homme avec lequel il négocie un cessez-le-feu et la libération des otages a franchi la limite de sa légitimité. Un pays qui le fait sur le sol iranien, le lendemain de la prestation de serment de son nouveau président, veut une guerre avec l’Iran. Un pays qui applaudit à cela est un pays stupide : il applaudit à des catastrophes qui risquent de lui retomber littéralement sur la tête.

Une bombe posée à l’avance dans la bonne chambre de la maison d’hôtes des gardiens de la révolution iranienne, voilà qui enflamme l’imagination. Si “Fauda” avait écrit un tel acte, on lui aurait reproché un manque de crédibilité extrême. C’est vraiment bien de savoir que nous sommes capables d’accomplir un tel exploit. Mais, bon sang, à quoi cela a-t-il servi ? Quel est l’avantage ? Nous verrons les dégâts dans les prochains jours. On le constate déjà dans les foyers, les supermarchés et les jardins d’enfants, angoissés par ce qui va suivre. Avant la catastrophe imminente, souvenez-vous de tous les hourras.

 

JEFFREY SACHS
Dix principes pour une paix perpétuelle au XXIe siècle

Les structures fondées sur les Nations Unies sont fragiles et ont besoin d’une mise à niveau urgente ; nous devrions prendre cela en considération lors du Sommet de l’avenir de l’ONU les 22 et 23 septembre prochains.

Jeffrey D. Sachs, Common Dreams, 24/7/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala  

L’année prochaine marquera le 230e anniversaire de l’essai célèbre d’Immanuel Kant, « Projet de paix perpétuelle » (1795). Le grand philosophe allemand a proposé un ensemble de principes directeurs pour parvenir à une paix perpétuelle entre les nations de son époque. Alors que nous nous démenons dans un monde en guerre, et de fait en grave danger d’Armageddon nucléaire, nous devrions nous appuyer sur l’approche de Kant pour notre temps. Un ensemble mis à jour de principes devrait être soumis au Sommet de l’avenir de l’ONU en septembre.

 

Kant était pleinement conscient que ses propositions se heurteraient au scepticisme des politiciens « pratiques » :

Le Politique pratique a coutume de témoigner au faiseur de théories autant de dédain qu’il a de complaisance pour lui-même. À ses yeux, ce dernier n’est qu’un pédant d’école, dont les idées creuses ne portent jamais préjudice à l’État, auquel il faut des principes déduits de l’expérience, qu’un joueur insignifiant, à qui il permet de faire, de suite tous ses coups, sans avoir besoin de prendre, dans sa sagesse, des mesures contre lui.

Néanmoins, comme l’a noté l’historien Mark Mazower dans son étude magistrale sur la gouvernance mondiale [Governing the World: The History of an Idea, 1815 to the Present, 2013], l’œuvre de Kant était un « texte qui allait ifluencer par intermittence des générations de penseurs sur le gouvernement mondial jusqu’à notre époque », aidant à jeter les bases des Nations Unies et du droit international sur les droits humains , la conduite de la guerre et le contrôle des armements.

Les propositions centrales de Kant tournaient autour de trois idées. Premièrement, il rejetait les armées permanentes. Celles-ci « menacent incessamment d’autres États par leur disponibilité à se montrer à tout moment prêtes pour la guerre. » En cela, Kant anticipait d’un siècle et demi l’avertissement célèbre du président américain Dwight D. Eisenhower sur les dangers du complexe militaro-industriel. Deuxièmement, Kant appelait à la non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays. En cela, Kant s’insurgeait contre le genre d’opérations secrètes auxquelles les USA ont recouru sans relâche pour renverser des gouvernements étrangers. Troisièmement, Kant appelait à une « fédération d’États libres », qui dans notre époque est devenue les Nations Unies, une « fédération » de 193 États engagés à opérer sous la Charte de l’ONU.

Kant plaçait de grands espoirs dans la forme républicaine, opposée au règne d’un seul, comme frein à la guerre. Kant estimait qu’un dirigeant unique céderait facilement à la tentation de la guerre :

(…) dans une constitution, où les sujets ne sont pas citoyens de l’État, c’est-à-dire qui n’est pas républicaine, une déclaration de guerre est la chose du monde la plus aisée à décider ; puisqu’elle ne coûte pas au chef, propriétaire t non pas membre de l’État, le moindre sacrifice de ses plaisirs de la table, de la chasse, de la campagne, de la cour etc. ; Il peut donc résoudre une guerre, comme une partie de plaisir, par les raisons les plus frivoles, et en abandonner avec indifférence la justification, qu’exige la bienséance, au corps diplomatique, qui sera toujours prêt à la faire.

En revanche, selon Kant :

... si le consentement de chaque citoyen est requis pour décider que la guerre doit être déclarée (et dans cette [constitution républicaine] il ne peut en être autrement), ils seraient naturellement très prudents pour décréter contre eux-mêmes toutes les calamités de la guerre.

Kant était beaucoup trop optimiste quant à la capacité de l’opinion publique à restreindre les actes de guerre. Les républiques athénienne et romaine étaient notoirement belliqueuses. La Grande-Bretagne était la démocratie de pointe du XIXe siècle, mais peut-être aussi sa puissance la plus belliqueuse. Depuis des décennies, les USA se sont engagés sans relâche dans des guerres choisies et des renversements violents de gouvernements étrangers.

Il y a au moins trois raisons pour lesquelles Kant s’est trompé à ce sujet. Premièrement, même dans les démocraties, le choix de lancer des guerres repose presque toujours sur un petit groupe d’élites qui sont en fait largement isolées de l’opinion publique. Deuxièmement, et tout aussi important, l’opinion publique est relativement facile à manipuler par la propagande pour susciter le soutien public à la guerre. Troisièmement, le public peut être tenu à l’écart à court terme des coûts élevés de la guerre en finançant la guerre par la dette plutôt que par l’impôt, et en s’appuyant sur des sous-traitants, des recrues payées et des combattants étrangers plutôt que sur la conscription.

Les idées centrales de Kant sur la paix perpétuelle ont contribué à faire évoluer le monde vers le droit international, les droits humains et la conduite décente en temps de guerre (comme les Conventions de Genève) au XXe Siècle. Pourtant, malgré les innovations dans les institutions mondiales, le monde reste terriblement éloigné de la paix. Selon l’Horloge de l’Apocalypse du Bulletin des scientifiques atomiques, nous sommes à 90 secondes de minuit, plus proches de la guerre nucléaire que jamais depuis l’introduction de l’horloge en 1947.

L’appareil mondial des Nations Unies et du droit international a sans doute empêché une troisième guerre mondiale à ce jour. Le Secrétaire général de l’ONU, U Thant, par exemple, a joué un rôle vital dans la résolution pacifique de la crise des missiles cubains de 1962. Pourtant, les structures fondées sur l’ONU sont fragiles et ont besoin d’une mise à niveau urgente.


Non-violence, de Carl Fredrik Reuterswärd, devant le siège de l’ONU à New-York

Pour cette raison, j’exhorte à formuler et adopter un nouvel ensemble de principes basés sur quatre réalités géopolitiques clés de notre époque.