Gideon
Levy, Haaretz, 19/9/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Nous l’avons
maintenant aussi par écrit, en milliers d’exemplaires explosifs : Israël veut
une guerre, une grande guerre. Il n’y a pas d’autre moyen de comprendre l’opération
de style hollywoodien qui a explosé au Liban que la transmission à l’ennemi d’un
message de bipeur déterminé, révélant les véritables intentions d’Israël. Un
millier d’explosions et 3 000 blessés sont une invitation à la guerre. Elle
viendra.
Kamal Sharaf
Hollywood
écrit déjà les scénarios, mais en réalité, contrairement aux films d’action et
de science-fiction, il y a un jour après. Quiconque est excité par l’explosion
d’un bipeur devrait aller au cinéma, car dans le monde réel, il faut déterminer
un objectif clair pour chaque action entreprise. Nous ne sommes pas aux Jeux
olympiques de la technologie, avec des médailles pour l’opération la plus
étonnante. Nous sommes au milieu de la guerre la plus criminelle et la plus superflue
dans laquelle Israël se soit jamais embarqué. Et il s’avère qu’il en veut une
autre.
Il est
inconcevable qu’après une année de guerre ratée à Gaza, qui n’a atteint aucun
objectif et n’a permis à Israël d’obtenir aucun résultat autre que l’assouvissement
d’une soif de vengeance, Israël en veuille une autre. Il est inconcevable qu’après
avoir payé et continuer à payer un prix aussi fatal à la suite de la guerre à
Gaza, Israël souhaite une nouvelle guerre. C’est inimaginable, mais c’est un
fait.
Tout comme
la guerre à Gaza, les explosions de bipeurs au Liban sont inutiles.
Félicitations aux planificateurs et aux exécutants, nous avons conquis Rafah et
fait exploser les bipeurs ; chapeau aux Forces de défense israéliennes et au
Mossad, et maintenant ?
Les
difficultés des habitants du nord se sont-elles améliorées depuis l’autre jour,
lorsque les bipeurs ont bourdonné puis explosé ? Israël est-il désormais plus
en sécurité ? Le sort des otages s’est-il amélioré ? Le statut d’Israël dans le
monde s’est-il amélioré ? La menace iranienne s’est-elle dissipée ? Y a-t-il eu
un seul changement positif à la suite de la dernière opération secrète, si ce n’est
le gonflement de l’ego de nos responsables de la sécurité ?
Tout comme
les glorieux assassinats qui n’ont jamais rien apporté, l’héroïsme des bipeurs
n’est rien d’autre qu’un gadget cinématographique. Hormis la bave versée dans
les studios de télévision par les personnes qui salivent devant chaque Arabe
mort ou blessé, la situation d’Israël le jour d’après est pire qu’elle ne l’était
le jour précédant cette opération héroïque, même si, en Israël, on distribue des
bonbons.
La guerre
dans le nord s’est rapprochée l’autre jour, à une vitesse alarmante. Ce sera la
guerre la plus évitable de l’histoire du pays. Elle pourrait également être le
plus grand bain de sang de l’histoire du pays. Lorsque le Hezbollah déclare
explicitement qu’il cessera de tirer dès qu’un accord de cessez-le-feu sera
signé avec le Hamas, et qu’Israël ne veut en aucun cas arrêter la guerre à
Gaza, il invite le Hezbollah à l’attaquer. Voilà à quoi ressemble une guerre choisie.
Si la guerre
à Gaza a aggravé la situation d’Israël par tous les moyens possibles, la guerre
dans le nord causera des dommages mille fois plus importants. Gaza pourrait n’être
que le prélude au désastre de la prochaine guerre : les victimes, les
destructions, l’hostilité dans le monde entier, l’horreur et la haine qui se
perpétuent pendant des générations pourraient créer une situation dans laquelle
les batailles horribles et coûteuses dans le quartier de Shuja'iyya, à Gaza,
nous manqueraient. Et c’est ce que nous voulons nous infliger, de nos propres
mains ?
Mais les
choses sont plus simples qu’il n’y paraît. Un cessez-le-feu à Gaza entraînera
un cessez-le-feu dans le nord. Nous pourrons alors parler d’un accord. Même s’il
n’est pas conclu, une réalité sans guerre dans le nord est préférable pour
Israël. Personne ne sait avec certitude à quoi nous ressemblerons après une
nouvelle guerre. Combien nous saignerons et combien nous serons battus avant de
gagner en apparence. Tout comme il aurait été préférable que la guerre de Gaza
n’éclate pas - il s’agissait manifestement d’une guerre choisie -, il serait
préférable que la guerre dans le nord n’ait pas lieu.
Il est
peut-être encore possible de l’empêcher (ce qui est beaucoup plus douteux après
l’explosion des bipeurs). Mais pour cela, Israël doit abandonner la croyance qu’il
peut tout résoudre par la force, par les armes, par l’explosion de bipeurs, par
les assassinats, par la guerre. Dans ma naïveté, j’ai cru qu’Israël avait
appris cette leçon à Gaza. Au lendemain de l’explosion des bipeurs, on peut
affirmer avec certitude et tristesse que ce n’est pas le cas. Loin de là.