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26/09/2022

RAMZY BAROUD
D’Exodus à Marvel : brève histoire de la justification des crimes de guerre israéliens par Hollywood

Ramzy Baroud, Middle East Monitor, 24/9/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

L'introduction d'une agente du Mossad israélien comme personnage du prochain film de Marvel dépasse les bornes, même du point de vue des normes morales médiocres d'Hollywood. Cependant, la super-héroïne israélienne, Sabra, doit être comprise dans le contexte de la progression logique de l'israélisation d'Hollywood, un phénomène étonnamment nouveau.

Sabra est un personnage relativement ancien, datant du comic Marvel The Incredible Hulk en 1980. Le 10 septembre, cependant, il a été annoncé que le personnage israélien serait inclus dans un prochain film de Marvel, Captain America : New World Order.

                                                 La nouvelle Sabra de Marvel...

  ...sera interprétée par l’actrice israélienne Shira Haas (Shtisel, Unorthodox) dans le film prévu pour 2024

Comme on pouvait s’y attendre, de nombreux militants pro-palestiniens aux USA et dans le monde sont furax. C'est une chose d'introduire un personnage israélien ordinaire dans le seul but de normaliser Israël, un État d'apartheid implacable, aux yeux du jeune public impressionnable de Marvel. Mais il est beaucoup plus sinistre de normaliser une agence de renseignement d'État, le Mossad, connue pour ses nombreux assassinats sanglants, sabotages et tortures.

En ajoutant Sabra à son casting de super-héros, Marvel Studios a montré son mépris total pour la campagne massive menée par des millions de fans à travers le monde qui, en 2017, ont protesté contre l'inclusion de l'ancienne soldate israélienne Gal Gadot en tant que Wonder Woman de Marvel. Gadot est une fervente partisane du gouvernement et de l'armée israéliens.

En réponse à cette info, beaucoup de personnes ont souligné à juste titre le parti pris inhérent à Hollywood, à commencer par le film Exodus d'Otto Preminger dans les années 1960, avec Paul Newman comme acteur principal. Le film fournissait une justification pseudo-historique de la colonisation de la Palestine par les sionistes. Depuis, Israël a été élevé, célébré et inclus dans un contexte toujours positif par Hollywood, tandis que les musulmans, les Arabes et les Palestiniens continuent d'être vilipendés.

Bien qu'Israël ait été représenté de manière positive par des cinéastes hollywoodiens, les Israéliens eux-mêmes ont été assez marginaux dans le processus de création de contenu. Jusqu'à récemment, la construction israélienne était principalement fabriquée pour le compte d'Israël, et non par Israël lui-même. « Les choses ont commencé à changer en 1997 », a écrit Brian Schaefer dans Moment Magazine. C'est alors que la division du divertissement de la Fédération de Los Angeles et l'Agence juive ont lancé le projet, la Master Class, qui : « Pendant près de 15 ans... a amené d'innombrables acteurs, réalisateurs, producteurs, agents, gestionnaires et cadres supérieurs des studios et des réseaux en Israël, en introduisant beaucoup d'entre eux dans le pays pour la première fois, et a enseigné aux Israéliens comment présenter leurs projets. »

L'endoctrinement des acteurs et cinéastes usaméricains à travers ces visites et l'introduction de nombreux acteurs et cinéastes israéliens à Hollywood ont donné des dividendes, conduisant à un changement majeur dans le récit sur Israël. Au lieu de simplement communiquer Israël à des publics usaméricains et internationaux en utilisant des références à la victimisation historique, à l'association positive ou même à l'humour, les Israéliens ont commencé à faire valoir leur cause directement à Hollywood. Et, à la différence du caractère bordélique des messages passés – bon Israël, méchants Arabes – les nouveaux messages sont beaucoup plus sophistiqués, adaptés autour d'idées spécifiques et conçus en pleine conscience de la politique de chaque époque.

Le film de Steven Spielberg Munich (2005) est sorti dans le contexte culturel de l'invasion usaméricaine de l'Irak dans le cadre de la soi-disant « guerre contre le terrorisme » de Washington, où les droits humains ont été violés à l'échelle mondiale. Munich était un récit "historique" sélectif des choix soi-disant difficiles qu'Israël, à savoir le Mossad, devait faire pour mener sa propre “guerre contre le terrorisme”. C'était l'époque où Tel-Aviv soulignait inlassablement son affinité avec Washington, maintenant que les deux pays étaient prétendument victimes des « extrémistes islamiques ».

À la différence de Munich, la populaire série télévisée Homeland n'était pas seulement un argumentaire pro-israélien qui justifiait les guerres et la violence israéliennes. La série elle-même, l'une des émissions islamophobes les plus racistes à la télévision, était entièrement calquée sur la série israélienne HaTufim. L'écrivain et réalisateur de la série israélienne, Gideon Raff, a été intégré dans la version usaméricaine, servant de producteur exécutif.

Le changement de propriétaire du récit peut sembler superficiel – car la propagande pro-israélienne d'Hollywood est remplacée par la propagande israélienne organique. Néanmoins, cela n’est pas le cas.

L'agenda pro-israélien du passé – la romantisation qui a suivi la création d'Israël en 1948 – n'a pas duré longtemps. La défaite des armées arabes par Israël en 1967 – grâce au soutien militaire massif des USA à Tel-Aviv – a remplacé l'image d'Israël naissant et vulnérable par celle de l'armée israélienne courageuse, capable de vaincre plusieurs armées ennemies à la fois. C'est alors que les soldats israéliens ont visité les collèges et les écoles usaméricaines, parlant de leur héroïsme sur le champ de bataille. L'invasion israélienne du Liban et les massacres qui ont suivi, comme ceux de Sabra et de Shatila, ont forcé à repenser les choses.

Tout au long des années 1980 et 1990, Israël a largement existé à Hollywood comme un exutoire comique, à partir de spectacles comme Friends, Frasier et, plus récemment, The Big Bang Theory. Les références à Israël sont souvent suivies de rires – un moyen intelligent et efficace de lier Israël à des associations positives et heureuses.

La « guerre contre le terrorisme », à partir de 2001, associée à la création du projet Master Class, a permis à Israël de revenir dans l'univers hollywoodien, non pas comme une référence occasionnelle, mais comme un élément de base, avec des séries israéliennes ou des productions conjointes USA-Israël, définissant un tout nouveau genre : celui des choix difficiles à faire pour lutter contre le terrorisme et finalement sauver le monde.

L'exploitation des femmes israéliennes sur les couvertures de magazines, par exemple, Maxim, était un tout autre business louche, visant un public différent. Les filles à moitié nues de l'armée israélienne ont réussi, dans l'esprit de beaucoup, à justifier la guerre par des images sexuelles. Ce genre est devenu particulièrement populaire après les guerres sanglantes d'Israël contre Gaza, qui ont fait des milliers de morts.

L'influence croissante d'Israël sur les films Marvel est une combinaison de tous ces éléments : la sexualisation de la femme soi-disant forte et autonomisée, la normalisation de ceux qui commettent des crimes israéliens – Gadot, la soldate, Sabra, l'agente du Mossad – et l'injection directe des priorités israéliennes dans la réalité usaméricaine quotidienne.

Il y a un côté positif à cela. Pendant des décennies, Israël s'est caché derrière de fausses notions historiques romantisées, faisant valoir son point de vue auprès des USaméricains et d'autres publics occidentaux, souvent indirectement. Les guerres à Gaza, la croissance exponentielle du mouvement palestinien de boycott et la prolifération des médias sociaux ont cependant forcé Israël à se cacher.

Le nouvel Israël hollywoodien est maintenant un guerrier, souvent contraint de faire des choix moraux difficiles, mais il est, comme son homologue usaméricain, en fin de compte une force pour le bien. La capacité d'Israël à maintenir cette image dépendra de plusieurs facteurs, notamment de la capacité des communautés propalestiniennes à contrer cette supercherie et cette hasbara [propagande, NdT].

ALFREDO SERRANO MANCILLA
Anatomie de la deuxième vague progressiste en Amérique latine

 Alfredo Serrano Mancilla, CELAG, 7/9/2022
Traduit par Rafael Tobar, édité par
Fausto Giudice, Tlaxcala


Alfredo Serrano Mancilla (La Línea de la Concepción, Al Andalous, 1975), “Andalou latinoaméricain”, est docteur en économie de l'Université autonome de Barcelone (UAB), en Catalogne. Il a effectué des séjours pré-doctoraux à Modène et Bologne (Italie) et à Québec et a été boursier postdoctorant à l'Université Laval (Québec). Il est spécialiste de l'économie publique, du développement et de l'économie mondiale. Il enseigne au niveau du troisième cycle et du doctorat dans des universités internationales. Auteur de livres tels que América Latina en disputa, El pensamiento económico de Hugo Chávez, ¡A Redistribuir ! Ecuador para Todos et Ahora es Cuándo Carajo. Chroniqueur sur Página 12, La Jornada, Público, Russia Today et Radio La Pizarra. Actuellement directeur exécutif du Centro Estratégico Latinoamericano de Geopolítica (CELAG). @alfreserramanci

Pour comprendre l’actuel phénomène de la vague progressiste en l’Amérique Latine, il ne suffit pas de faire de grandes classifications, il faut faire une analyse fine et détaillée et prendre en compte la complexité et les subtilités de chaque processus.

La généralisation est toujours une arme à double tranchant ; d'un côté, elle est utile car elle classifie et simplifie, mais d’un autre côté, elle est risquée car elle fait perdre la complexité et les subtilités.

L'expression « Deuxième vague progressiste» est née précisément de la volonté de trouver une catégorie unique qui puisse expliquer le fait que l'ensemble des processus politiques qui se sont déroulés en Amérique latine au cours des cinq dernières années (2017-2022) constitue un «tout».

Les victoires d'Andrés Manuel López Obrador au Mexique, d'Alberto Fernández en Argentine, de Luis Arce en Bolivie après le coup d'État de 2019, de Pedro Castillo au Pérou, de Gabriel Boric au Chili, de Xiomara Castro au Honduras et de Gustavo Petro en Colombie constituent sans aucun doute un nouveau phénomène géopolitique.

Ces nouveaux gouvernements ont pour point commun de freiner le néolibéralisme en vigueur dans chacun de leurs pays respectifs, mais aussi de se développer dans un temp historique différent de celui de la « Première vague progressiste », ce qui les différencie à leur tour de leurs prédécesseurs.

Toutefois, malgré certains traits caractéristiques communs, il serait erroné de les considérer comme un bloc monolithique et homogène.

Chaque ensemble spécifique est très différent des autres. L'histoire politique chilienne n'est pas comparable à celle du Mexique , ni celle de la Colombie à celle de la Bolivie.

Chaque processus a ses tensions, aussi bien internes qu'externes. Même le néolibéralisme n’agit pas de la même manière dans chaque pays.

Même la manière dont les élections sont gagnées est aussi différente.

Ce n'est pas la même chose d'obtenir une victoire au second tour avec la plus petite marge après avoir obtenu un faible 10 ou 12% des voix au premier tour (comme dans les cas de Castillo au Pérou et Boric au Chili), que de gagner au premier tour de manière écrasante (en l’occurrence, Luis Arce et Andrés Manuel López Obrador ont obtenu respectivement 46% et 33% des suffrages).

On ne peut pas non plus assimiler superficiellement le type de “front” qui constitue la base électorale et politique dans  chaque pays. Le degré d'hétérogénéité est très diversifié.

Le Pacte historique colombien n'a pas grand-chose à voir avec l’Accord d'Escazú chilien; ou le Morena (Mouvement de régénération nationale) mexicain avec la fragmentation politique complexe du Pérou; ou le Frente de Todos d'Argentine avec le MAS (Mouvement vers le Socialisme) de Bolivie.

Et enfin, il ne faut pas négliger les différences entre les dirigeants eux-mêmes, qui ont des biographies inégales, y compris en termes d'âge.

Certains ont connu la prison et d'autres les luttes universitaires ; certains viennent de la campagne et d'autres de la grande ville; il y a ceux qui ont déjà une expérience de la gestion publique et ceux qui n'avaient jamais gouverné auparavant.

Tout ce subtil mélange doit être pris en compte dans l'analyse de ce deuxième moment historique en Amérique latine, car cela nous aidera certainement à expliquer les possibles divergences qui pourraient apparaître dans les mois et les années à venir.

En d'autres termes, si l'un de ces processus vacille, comme cela a été le cas au Chili avec la défaite du référendum constitutionnel de 2022, nous devrions rejeter catégoriquement l’idée qu'immédiatement après vient la fin du cycle progressiste en Amérique Latine.

Ce serait à la fois injuste et inexact, car mon hypothèse de départ est que nous sommes face à un cycle davantage fragmenté, moins compact que le précédent et que ces gouvernements auront sûrement des parcours très différents les uns des autres.

Jusqu'à présent, ces gouvernements ont montré de grandes divergences dans la gestion de la politique étrangère, dans les questions économiques, dans la manière de communiquer, dans les horizons du possible, dans leur relation avec leurs opposants et avec leurs sympathisants, dans la façon dont ils gagnent de l'autorité, dans le temps qu’il leur faut pour prendre des décisions et, disons-le, également dans le degré de modération de leurs actions.

Comme pour la dynamique des fluides, il faut étudier chaque vague en profondeur et connaître ses propriétés et sa composition : son amplitude, sa montée, sa périodicité, son point culminant, sa courbe, sa chute et sa fréquence d’onde.

Parce que chaque vague n’est ni semblable à la précédente ni uniforme.