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21/08/2023

ANA IONOVA
L’autocritique de Xuxa, la Barbie brésilienne
Blanche, blonde, grande et mince : “ J’ai toujours été considérée comme un morceau de viande”

Ana Ionova, The New York Times, 15/8/2023
Jack Nicas a contribué au reportage à Rio de Janeiro.

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Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Xuxa [prononcer “Choucha”] était autrefois la plus grande star de la télévision brésilienne. Aujourd’hui, beaucoup se demandent si une femme blanche, blonde et mince était l’idole idéale pour un pays aussi diversifié.

Maria da Graça Xuxa Meneghel, 60 ans, connue sous le nom de “Xuxa”, chez elle à Rio de Janeiro ce mois-ci. Photo : Maria Magdalena Arrellaga pour le New York Times

Des millions de Brésilien·nes ont grandi en la regardant à la télévision. Ses spectacles faisaient salle comble dans les plus grands stades d’Amérique latine. Elle avait des films et des chansons à succès, ses propres poupées et son propre parc d’attractions.

Dans les années 1980 et 1990, Maria da Graça Xuxa Meneghel, connue universellement sous le nom de Xuxa était la plus grande star de la télévision brésilienne. Des générations d’enfants passaient leurs matinées à la regarder jouer, chanter et danser pendant des heures dans son émission de variétés extrêmement populaire.

« J’étais une poupée, une baby-sitter, une amie pour ces enfants », a déclaré Xuxa, 60 ans, lors d’une long entretien. « Une Barbie de l’époque ».

« Elle était venue dans une voiture rose. Moi, je suis venue dans un vaisseau spatial rose ».

Comme la célèbre poupée, Xuxa est mince, blonde, blanche et aux yeux bleus. Dans son émission pour enfants, elle portait souvent des minijupes et des cuissardes lorsqu’elle sortait d’un vaisseau spatial estampillé de lèvres rouges géantes. Et comme Barbie, elle est devenue une idole pour ses fans, qui ont grandi en voulant ressembler à Xuxa et à sa troupe de danseuses adolescentes toutes blanches, les “Paquitas”.

Mais aujourd’hui, le Brésil est en train de vivre une sorte de remise en question de la vraie Barbie, et Xuxa est au centre de cette remise en question, en partie grâce à une nouvelle série documentaire sur elle qui est devenue une sensation nationale et qui a relancé les débats sur la diversité, les normes de beauté et la sexualisation dans son spectacle [Le journaliste Bruno Ghetti, dans la Folha de S. Paulo, voit dans cette série de GloboPlay une tentative plutôt ratée de “vendre l’ex-symbole sexuel comme icone féministe”, NdT]

Beaucoup, y compris Xuxa elle-même, se demandent si l’idéal étroit qu’elle représentait a toujours été une force positive dans un pays où la population est majoritairement noire et où un débat national s’engage sur ce qui est considéré comme beau et qui a été effacé de la culture populaire.

« À l’époque, je ne voyais pas ça comme une erreur. Aujourd’hui, nous savons que c’est mal », dit Xuxa à propos de la norme de beauté qu’elle représentait pour la jeunesse brésilienne.


Xuxa dans Xou de Xuxa, son émission de télévision sur le réseau Globo dans les années 1980. Elle dit regretter aujourdhui les normes de beauté quelle représentait. Photo : 4Imagens/Getty Images

Sous son règne, qui a coïncidé avec l’expansion économique du Brésil, les taux de chirurgie plastique ont grimpé en flèche pour devenir les plus élevés au monde, et de nombreuses personnes sont passées sous le bistouri alors qu’elles n’étaient encore que des adolescentes. Mais le Brésil et ses sentinelles culturelles adoptent de nouvelles définitions de la beauté qui célèbrent les boucles naturelles, les corps galbés et les teintes de peau plus foncées.

L’absence de visages noirs dans les spectacles de Xuxa « a infligé de profondes blessures à de nombreuses femmes au Brésil », dit Luiza Brasil, qui a écrit un livre sur le racisme dans la culture, la mode et la beauté brésiliennes.

Dans la série, Xuxa attribuait en grande partie les problèmes de son émission à son patron de longue date et à la culture de l’époque. Mais dans l’interview qu’elle a accordée au New York Times, elle a assumé une plus grande responsabilité et a déploré la marque qu’elle a pu laisser sur les jeunes téléspectatrices qui ne lui ressemblent pas. « Mon Dieu, quel traumatisme j’ai mis dans la tête de certains enfants », dit-elle

« Ce n’est pas moi qui ai pris la décision. Mais je l’ai approuvée. Je l’ai signée ».

Tout le monde était fasciné par elle

Lorsque Xuxa, âgée de 23 ans, a obtenu sa propre émission nationale pour enfants en 1986, diffusée six matins par semaine, elle a connu un succès immédiat. Son émission réunissait quelque 200 enfants dans un décor coloré et endiablé, avec des numéros musicaux, des concours et des mascottes à taille humaine, comme un moustique nommé Dengue.

La télévision « était une petite boîte magique », dit Xuxa. « Je faisais partie de cette magie ».

En tant que vedette de Globo, la plus grande chaîne de télévision brésilienne, elle est devenue l’un des visages les plus connus du pays, surnommée “la reine des petits”.

« Il y avait beaucoup de gens qui regardaient la même chose », dit Clarice Greco, professeure à l’université Paulista qui étudie la culture pop brésilienne. « Xuxa est devenu une franchise ».

Elle s’est lancée dans la musique et le cinéma, vendant plus de 26 millions de disques et près de 30 millions de billets de cinéma, pulvérisant ainsi les records du box-office brésilien. Les enfants se sont empressés d’acheter les bandes dessinées, les tenues et les poupées de Xuxa, qui ressemblaient étrangement à une autre blonde en plastique.

Xuxa à la télévision dans les années 1980. Elle a été la plus grande star de la télévision brésilienne. Photo : 4Imagens/Getty Images

« Tout le monde était fasciné par elle », dit Ana Paula Guimarães, qui a battu des milliers d’autres filles pour devenir une Paquita.

Après avoir conquis le Brésil, Xuxa a appris l’espagnol et a commencé à enregistrer des spectacles à Buenos Aires et à Barcelone. Au début des années 1990, des dizaines de millions d’enfants regardent ses émissions en portugais et en espagnol. Un journal français l’a classée parmi les femmes les plus influentes du monde, aux côtés de Margaret Thatcher. Elle a eu une série d’amours célèbres, dont Pelé et John F. Kennedy Jr.

En 1993, Xuxa a tenté de créer une émission en anglais pour conquérir le marché usaméricain, mais elle dit que ses difficultés avec la langue et son emploi du temps chargé ont fait échouer le projet.

“Blanche, blonde, grande, longues jambes”


Alors qu’une grande partie de son public était composée de Noir·es et de métis·ses, Xuxa était une descendante d’immigrés italiens, polonais et allemands, ressemblant aux princesses et aux poupées qui inondaient la culture populaire dans les années 1980.

« Je suis arrivée - blanche, blonde, grande, avec de longues jambes. Je pense que c’est probablement la raison pour laquelle ça a très, très bien fonctionné ».

Tout le monde n’était pas fan. Certains se sont plaints que Xuxa était trop sexualisée pour être un modèle pour les enfants. Avant la télévision pour enfants, elle avait posé pour Playboy. Des universitaires et des militants noirs s’interrogeaient déjà sur le manque de diversité de l’émission une fois qu’elle est devenue un succès, notamment dans un article du New York Times de 1990.

Ces dernières années, l’internet a disséqué les pires moments de Xuxa, comme le fait de dire que ses téléspectateurs préféraient les Paquitas blondes, de porter une coiffe indigène et de dire à une fille qu’elle avait perdu un concours dans son émission parce qu’elle avait “mangé trop de frites”.

Xuxa se produisant au carnaval de Rio de Janeiro en 2004. Beaucoup, y compris Xuxa, se demandent si lidéal étroit quelle représentait a toujours été une force positive dans un pays dont la population est majoritairement noire. Photo : Vanderlei Almeida/Agence France-Presse - Getty Images

Xuxa dit qu’elle regrette ces commentaires, mais ajoute que le problème le plus important était celui des normes de l’époque. « Dans les années 1980, il était impossible de trouver un feuilleton où la femme de chambre n’était pas noire », adit-elle.

« Ce n’est pas la faute du spectacle Xuxa », ajoute-t-elle. « Ce qui est en cause, c’est tout ce qui nous a été transmis comme étant normal ».

Xuxa dit qu’elle était également soumise à des idéaux de beauté cruels. « Depuis toute petite, j’ai été considérée comme un morceau de viande », lance-t-elle. On lui a dit de perdre du poids, on l’a forcée à recourir à la chirurgie plastique et on lui a interdit de se couper les cheveux. « Une poupée doit avoir les cheveux longs », se souvient-elle.

Lorsqu’elle est devenue mère, elle s’est coupé les cheveux en signe de protestation. « Maintenant, je ne veux plus être une poupée », a-t-elle déclaré, arborant la coupe pixie platine qu’elle a depuis des années.

Xuxa ne s’est jamais considérée comme une féministe, mais elle est tout de même devenue un symbole de l’émancipation féminine. Dans son émission, qui était dirigée par une femme, elle disait aux filles qu’elles pouvaient tout accomplir. Elle a dirigé un empire de plusieurs millions de dollars tout en élevant sa fille en tant que mère célibataire. « Je n’ai jamais pensé à me marier, je n’ai jamais cherché mon Ken », explique-t-elle.

Pour Xuxa, les parallèles avec Barbie ne s’arrêtent pas là. « Nous étions deux gagnantes, deux femmes victorieuses à une époque où seuls les hommes pouvaient faire quelque chose. Je pense que c’est plus qu’une question de féminisme».

J’ai dû subir tout ça

Lorsque Xuxa est devenue célèbre, elle est devenue une activiste par accident.

Elle aimait les animaux et s’est donc exprimée sur les droits des animaux dans son émission. Elle a appris la langue des signes pour pouvoir communiquer avec les téléspectateurs sourds. Et vêtue de costumes évoquant la culture drag, elle est devenue une idole dans la communauté LGBTQ.

Aujourd’hui, après des décennies sous les feux de la rampe, elle dit mieux comprendre l’influence qu’elle exerce et s’efforce de faire progresser la représentation, la lutte contre le racisme et les normes de beauté.

« J’ai commencé par défendre des causes sans nécessairement savoir qu’il s’agissait de causes. Maintenant, j’ai vraiment envie de le faire ».

Xuxa chez elle avec deux de ses animaux de compagnie. Photo : Maria Magdalena Arrellaga pour le New York Times

La semaine dernière, lors d’un événement caritatif télévisé, Xuxa est montée sur une scène illuminée avec ses deux successeures blondes de la télévision brésilienne pour enfants. Les trois femmes ont entonné des chansons qu’elles ont enseignées à des millions de personnes dans leur enfance. Derrière elles, une douzaine de danseurs noirs tournoyaient et sautaient en cadence.

La performance semblait être une démonstration d’inclusion raciale. Mais sur la toile, les réactions ont été rapides, beaucoup interprétant la réunion comme une célébration du blanchiment de la culture pop brésilienne.

« Ces femmes sont toujours considérées comme l’idéal », commente Luiza Brasil, qui est noire. « Et nous sommes toujours en marge, loin de cette beauté blonde, blanche, presque enfantine, qui nous blesse et nous tourmente depuis si longtemps ».

Ces dernières années, la télévision brésilienne a fait des progrès en matière de diversité. Les rôles principaux des trois principaux feuilletons brésiliens sont tenus par des acteur·trices noir·es, et davantage de programmes d’information et de politique sont animés par des présentateur·trices noir·es.

Xuxa a déclaré que le débat sur son impact lui a appris beaucoup de choses sur elle-même et sur la société. « Nous n’apprenons à faire les choses correctement que lorsque nous voyons que nous sommes sur la mauvaise voie. Je pense donc qu’il m’a fallu traverser tout ça pour en arriver là ».

JOSÉ ANTONIO GONZÁLEZ ALCANTUD
La gauche marocaine et le Makhzen : indépendance et allégeance

José Antonio González Alcantud, Viento Sur nº 189, 17/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

José Antonio González Alcantud (Grenade, 1956), anthropologue et historien espagnol, est professeur d’anthropologie sociale à l’université de Grenade. Auteur entre autres de Historia colonial de Marruecos, 1894-1962 (2019) et Qué es el orientalismo. L’Orient imaginé dans la culture mondiale (2021).  Bio-bibliographie

Les observateurs extérieurs sont frappés par la mansuétude de la gauche marocaine à l’égard du régime politique actuel, autoritaire, policier et expansionniste, et en particulier à l’égard de son sommet, le Makhzen. Avant d’aborder les raisons de cette soumission de la gauche marocaine, il convient de s’interroger sur ce qu’est le Makhzen, une formulation singulière de l’État, spécifique au Maroc, avec des profils historiques propres.

Allah, El Watan, El Malik : Dieu, la Patrie, le Roi, devise officielle du royaume depuis 1962. Ici, au-dessus d’Agadir

Le Makhzen est souvent désigné dans la presse quotidienne comme un État parallèle, dans l’ombre, dont il est difficile d’interpréter les intentions ultimes. Le mot makhzen est accepté depuis des années par l’Académie royale de la langue espagnole, avec le sens littéral de “au Maroc, anciennement, gouvernement ou autorité suprême”. Mais on sent bien que cette définition n’est pas très claire, car la question n’est pas seulement historique, mais surtout politiquement actuelle.

En réalité, le Makhzen est littéralement le Dar El Makhzen, au sens de maison-entrepôt. C’est l’espace palatial et défensif où se trouve le siège du pouvoir, la sultaniya, du sultan lui-même - en réalité, ou au figuré, puisque de nombreux palais royaux sont vides de sa présence - qui remplit les fonctions de citadelle, en termes de construction, et de cour en termes de politique. Espace urbain séparé des médinas, siège des corporations d’artisans et de marchands, toujours ouvert à la fronde, au soulèvement. A Fès, par exemple, entre Fès El Jdid [Nouvelle Fès], où se trouve Dar El Makhzen, et aussi le mellah ou ghetto juif qui lui est annexé, et Fès El Bali [Vieille Fès], la médina, il y a une distance topographique et sociale : la première est l’espace fermé, le centre névralgique du pouvoir ; la seconde, la ville labyrinthique, mais ouverte, dans laquelle le visiteur peut déambuler à sa guise. Un exemple de dar-al-Makhzen historique dans la péninsule ibérique est l’Alhambra de Grenade, conçu par les Nasrides d’après leurs parents, les Marinides de Fès, au XVe siècle.

En plus d’être le siège du gouvernement, du sultan et des diwans, présidés par des vizirs, le makhzen historique a également servi de silo dans une économie de subsistance, un lieu pour fournir des ressources alimentaires à la population dans les années de mauvaises récoltes. La relation entre la ville-médina, avec ses élites urbaines, ses centres de culte et de savoir, et le Makhzen a été problématique tout au long de l’histoire. Le pouvoir des sultans exigeait pour être légitimé l’allégeance (bayâa) des habitants du bourg, et ces derniers étaient attentifs aux mouvements de la cour dans le complexe du Makhzen. La ritualité de la bayâa, rituel d’allégeance, renouvelle le pacte sacral entre la monarchie divine et ses sujets (Tozy, 2008:75-102). Cependant, le Makhzen n’était pas une structure despotique, comme on l’imagine parfois avec une mentalité orientaliste, mais plutôt un système clientéliste, à l’image du nôtre.

Ainsi, dans la structure du makhzen, une grande importance est accordée aux figures intermédiaires telles que le secrétaire privé du sultan, le hajib, qui est un élément fondamental de médiation entre le cercle intérieur du sultan et le reste des courtisans. Le makhzen fait partie d’une structure d’autorité socialement apprise, à travers l’assujettissement clientéliste, qui repose sur la dyade maître/disciple, de telle sorte qu’il s’agit d’un mécanisme d’acquiescement et de coercition qui pénètre tous les pores de la société (Hammoudi, 2007).

Le Makhzen a cependant subi des transformations. Mohammed V (1909-1961), le seul sultan alaouite à avoir réellement tenu tête à la puissance coloniale française, a aboli le titre de sultan après l’indépendance en 1956 dans une tentative de modernisation du Makhzen, le transformant en malik ou roi. Il a également supprimé les diwans et leurs vizirs, les remplaçant par des ministères et des ministres de style occidental. Mais il n’a pas renoncé au leadership religieux (amir al mu’minin, commandeur des croyants) (Waterbury, 1975) ni à l’allélgeance ou bayâa, fondamentaux dans la structure makhzénienne. Il n’a pas non plus supprimé un lieu essentiel des intrigues du palais, qui conditionnait l’héritage du trône : le harem. C’est ce qu’a fait plus tard son petit-fils, Mohammed VI, l’actuel roi depuis 1999.

Le Makhzen n’a pas non plus cessé d’évoluer en fonction de l’époque. En effet, après l’indépendance en 1956, les bases du Makhzen ont été modifiées en fonction du degré de collaboration avec le régime du protectorat. La question de parler l’arabe, le français ou seulement le tamazight (berbère) a été fondamentale dans la réorganisation. Les notables d’origine rurale, dont le pouvoir reposait presque exclusivement sur l’entretien de réseaux tribaux et clientélistes, furent remplacés par des fonctionnaires qui, tout en maintenant les mêmes relations hiérarchiques, les rendaient plus opaques au nom de la modernisation de l’État (Leveau, 1985 : 217-219).

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