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23/06/2023

AMIRA HASS
Pour expulser efficacement les envahisseurs palestiniens [!], un bon colon doit apprendre l’arabe

Amira Hass, Haaretz, 6/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Apprendre l'arabe parlé pour mieux chasser les agriculteurs et les bergers palestiniens de leurs terres. C'est la dernière mutation de la motivation des services de renseignement de sécurité pour l'étude de l'arabe en Israël. Tel est le message exprimé lors d'une conférence d'introduction à un cours en ligne d'arabe parlé, rédigé et promu par un homme de 28 ans, né aux USA, qui vit dans l'une des colonies de Cisjordanie en expansion constante, au nord de Ramallah.

Le concepteur du cours a invité trois “spécialistes du domaine”, comme il les appelle, à parler de l'importance de l'apprentissage de la langue : Mordechai Kedar (conférencier retraité de l'université Bar-Ilan et ancien officier du renseignement militaire), Ariel Osterreicher (ancien officier de liaison auprès du coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires, aujourd'hui assistant exécutif de l'attaché de défense d'Israël aux Philippines) et le premier orateur, Shabtay Kushelevsky, l'un des fondateurs de la milice connue sous le nom d'Hashomer Yosh (Yosh est un acronyme hébreu courant pour Judée et Samarie, les noms bibliques des régions de Cisjordanie ; il possède une ferme non autorisée dans le sud de la Cisjordanie). 

Shabtay, son chien juif et ses moutons juifs

 

Lors de la conférence Zoom, j'ai entendu parler de l'importance d'apprendre l'arabe du point de vue de la sécurité, du renseignement et de la sociologie régionale.

Les bénévoles de l'organisation font partie d'une machine bien huilée qui, avec l'encouragement et le soutien de l'État et des institutions chargées du maintien de l'ordre (les forces de défense israéliennes, la police israélienne et le ministère de la défense), est responsable des violences qui chassent les bergers et les agriculteurs palestiniens de leurs terres en Cisjordanie.

Lors de la conférence Zoom (à laquelle je me suis inscrite en utilisant mon nom complet et en payant pour trois participants), j'ai entendu parler de l'importance de l'apprentissage de l'arabe du point de vue de la sécurité, du renseignement et de la sociologie régionale. Le concepteur du cours m'a également parlé de l'importance de la mousse du café arabe et du fait que « beaucoup de gens ne savent pas à quel point la culture arabe et la langue arabe sont liées par un lien indéfectible » [ça alors, vraiment ? NdT].

Je n'ai pas entendu dire que l'arabe valait la peine d'être appris parce qu'il est riche et beau, une langue sémitique qui nous enseigne ses racines communes avec l'hébreu. Et il va sans dire que je n'ai pas entendu que c'était la langue des Palestiniens, les natifs de cette terre. Selon Kushelevsky, ils sont de toute façon des “envahisseurs”. Voici ce qu'il a dit lors de la conférence, édité si nécessaire pour des raisons de clarté et de style :

« Le judaïsme est la religion la plus agricole du monde : le calendrier tourne autour des événements agricoles. Hashomer Yosh est une organisation qui s'est donné pour mission d'aider les agriculteurs, en particulier les planteurs et les bergers, car en plus d'encourager toutes les formes d'agriculture juive et le retour au judaïsme, ils gardent également des territoires pour nous.

« En termes de droit, chaque agriculteur a des moutons qui vont aux pâturages. Nous avons un problème insensé dans tout le pays, pas seulement en Judée et en Samarie, et c'est l'invasion des terres. Chaque invasion de terre par les Arabes nécessite une sorte de hangar, et deux ans plus tard, vous avez un quartier entier que vous ne pouvez pas expulser. Si un agriculteur parvient à empêcher cette histoire de deux chèvres et d'un abri, il a empêché une invasion.

« La totalité de [la ville de] Bnei Brak, voisine de Tel-Aviv, représente [29 400 acres = 12 000 ha]. L'ensemble des colonies [juives] de Judée et de Samarie représente environ [260 000 acres= 105 000 ha]. Chaque ranch, quant à lui, occupe en moyenne [4 000 acres=1618 ha]. En d'autres termes, une seule famille contrôle la superficie d'une ville de taille moyenne, et aucune invasion [arabe] ne s'y produira. Quelque 200 ranchs d'une seule personne contrôlent environ [800 000 acres-323 000 ha].

"S'occuper des moutons est le travail le plus difficile au monde. N'importe quel enfant de 4 ans peut déplacer les moutons d'un endroit à l'autre. C'est ce qu'a fait Rachel [dans la Bible], qui a trouvé un mari. La région est magnifique, notre terre - étonnante : grottes, sources, ravins... mais vous êtes complètement seul. Tous nos ancêtres étaient des bergers. Moïse, le roi David, tous étaient des bergers.

« Les éleveurs de moutons possèdent les moutons, mais ils ne s'occupent pas nécessairement de la garde des troupeaux. Souvent, les éleveurs font appel à un berger, qui est un as et qui est en contact avec la nature, mais il ne reste que six mois, car c'est très monotone. Quelques-uns s'accrochent pendant un an. En Suisse, par contre, il faut être avec les moutons pendant trois ans pour devenir aide-berger.

« Le berger connaît le territoire. C'est-à-dire toutes les plantes du territoire et ce que chaque plante fait aux moutons. Par exemple, il est très sain pour les moutons de traverser une oliveraie [appartenant à des Palestiniens, comme l'expérience nous l'apprend]. Mais pas plus de 15 minutes, car la quantité devient alors toxique.

« Le berger connaît chaque ravin, chaque colline, chaque point d'eau. Il connaît aussi l'arabe parlé sur le terrain : Dieu soit loué, cette région se rétrécit et nous y entendons de plus en plus d'hébreu. Il y a dix ans, 70 % des moutons du pays, et pas seulement en Judée et en Samarie, étaient des moutons non juifs. Aujourd'hui, 60 % sont des moutons juifs. Ils occupent l'espace qu'ils sont censés occuper.

« Bien sûr, le berger connaît aussi la langue parlée dans les champs, le berger arabe qui crie quelque chose ou le clan que vous rencontrez en chemin. Si nous voulons nous emparer de la terre et la posséder, la connaissance de la langue est un élément important du rôle de propriétaire.

« Nous, à Hashomer Yosh, nous avançons sur le sujet des cours d'arabe pour les volontaires, afin qu'ils soient capables de s'orienter sur le terrain. Lorsqu'un berger [juif] rencontre un berger arabe et qu'il peut parler plus que l' « arabe des postes de contrôle » que nous connaissons tous grâce à notre service militaire, qu'il sait faire la différence entre les moutons et tout ce qui a trait à l'orientation sur le terrain, cela réduit considérablement les frictions. La dernière chose que nous voulons, ce sont des bagarres à coups de pierres. C'est la différence entre le ciel et la terre, être avec les moutons quand on connaît l'arabe et quand on ne le connaît pas. C'est encore plus important que de déplacer les moutons vers la gauche ou la droite. C'est ce qui préservera nos vies, les moutons et la terre ».

“Fascinant”, a commenté le concepteur du parcours en guise de remerciement à Kushelevsky.

 

GIDEON LEVY
Comparer des morts d’Israéliens et de Palestiniens

Gideon Levy, Haaretz, 22/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L'ambassadeur usaméricain en Israël, Tom Nides, a osé mardi, 30 jours avant la fin de son mandat, tweeter quelque chose de vrai. Il a mentionné dans un même souffle - difficile de croire à un tel courage - les victimes de l'attaque israélienne contre le camp de Jénine et les victimes de l'attaque palestinienne contre la colonie d'Eli en Cisjordanie.

Un soldat israélien réagit sur les lieux d'une attaque près de la colonie d'Eli, dans le nord de la Cisjordanie, mardi. Photo : AHMAD GHARABLI - AFP

 Le tollé en Israël a été immédiat. L'ambassadeur (israélien) Mike Herzog, que l'on n'entend pas beaucoup, a déclaré depuis Washington qu'“une condamnation équilibrée n'honore pas les victimes”. Le journal Yedioth Ahronoth a qualifié la déclaration de l'ambassadeur de “comparaison scandaleuse”, comme s'il s'agissait d'un fait plutôt que d'une position discutable, tandis que la droite hurlait comme à son habitude.

Le recul de l'ambassadeur n'a pas tardé. Le lendemain, Nides a dénoncé séparément le “meurtre insensé” commis à Eli, mettant fin au mélange interdit - en Israël - de ceux qui sont sacrés et de ceux qui sont impurs. À Jénine, il s'agissait de terroristes, dans la colonie d'Eli, il s'agissait d'âmes pures, c'est-à-dire de Juifs.

Nahman Shmuel Mordoff

Sedil Naghniyeh, 15 ans, se tenait sur la terrasse de sa maison dans le camp de réfugiés de Jénine avec son père Adnan pour observer ce qui se passait. Un soldat des FDI lui a tiré une balle dans la tête sous les yeux de son père et, mercredi, elle a succombé à ses blessures. Pourquoi l'ambassadeur des USA ne peut-il pas la mentionner dans le même souffle que le colon Nahman Shmuel Mordoff, qui avait deux ans de plus qu’elle et qui a été tué à Eli ? Son sang est-il plus rouge ? Le tuer est-il plus infâme ? De quelle manière ? Et pourquoi l'ambassadeur Herzog pense-t-il que la comparaison entre les deux ne rend pas hommage aux victimes ? Parce que le sang juif a été mélangé à d'autres sangs ? Sedil a été victime d'une attaque imprudente et incontrôlée des FDI. L'armée est convaincue qu'au cours de ses “rafles”, dont la plupart sont inutiles et illégitimes, elle est autorisée à commettre n'importe quel méfait, y compris à tirer sur tout ce qui bouge.

Sedil a été tuée au cours de la résistance des combattants du camp de Jénine contre l'invasion des FDI et de leur tentative de se protéger et de protéger leur camp contre les attaques israéliennes, qui consistent à arracher les gens à leurs maisons et à semer une terreur incessante dans le camp. Tout meurtre d'un Palestinien n'est pas légitime, même au cours d'une action militaire, même s'il s'agit d'une action des FDI, et toute résistance n'est pas illégitime.

Nahman a été victime d'une opération violente menée par des combattants palestiniens pour se venger des meurtres commis à Jénine et en guise de résistance contre la colonie d'Eli, le restaurant et la station-service qui ont été construits sur des terres palestiniennes spoliées.

Il serait préférable de ne pas couper les cheveux en quatre sur le plan éthique et de ne pas se demander quel meurtre était le plus infâme. Nous devrions plutôt affirmer que Sedil et Nahman ont été des victimes choquantes et inévitables d'une réalité intolérable, à laquelle il faut mettre fin.

Bien entendu, les Israéliens ne s'intéressaient qu'aux victimes israéliennes et ignoraient les sept victimes palestiniennes de Jénine, qui n'avaient ni nom, ni histoire, ni photo, ni visage humain. Ils étaient tous des “terroristes” et c'est tout. Dago, le chien des FDI qui a été blessé et hospitalisé à côté du sergent-major Y., a subi des procédures d'imagerie avancées, sa photo a été publiée et il a reçu plus d'attention que Sedil dans sa mort.

Bibi au chevet de Dago, l’héroïque chien juif de l’unité canine Oketz K-9 de l'armée d'occupation, au centre médical Rambam d’Haïfa, le 19 juin. Photo Kobi Gideon/Service de presse du houvernement israélien


Sedil et son père Adnan

Sedil était une jolie fille, née et élevée dans le camp de Jénine. Son père est le directeur de la maintenance du Théâtre de la liberté du camp. L'ancien directeur du théâtre, Jonathan Stanchek, un Israélien résidant actuellement en Suède, a pleuré Sedil mercredi. Sa famille avait été sa voisine proche pendant les dix années où lui et sa famille ont vécu dans le camp. Ce n'est que l'été dernier qu'il a accueilli Adnan dans sa ferme en Suède.

Stanchek dit qu'il n'a jamais entendu le père prononcer un mot de colère contre les Juifs ou les Israéliens, bien qu'ils aient détruit sa maison à trois reprises, que son frère ait été tué, que son fils soit en prison et que sa fille soit décédée mercredi. Sedil était une amie de Yasmin et Yemiro, les enfants Stanchek. Elle jouait au Lego avec Yasmin et s'occupait de Yemiro. Stanchek a écrit que Sedil était une fille merveilleuse. Parfois, quand elle jouait avec sa fille, les deux filles simulaient être assises dans un café - le genre de café qui n'existe pas dans le camp de Jénine et dont il est difficile de rêver.