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19/09/2023

JUAN PABLO CÁRDENAS S.
Chili : Kissinger, la droite indécrottable et la gauche boboriche

Juan Pablo Cárdenas S., Política y Utopía, 18/9/2023
Traduit par Fausto Giudice
, Tlaxcala

Cinquante ans après le coup d’État de septembre 1973, au-delà des justes hommages rendus au Chili et dans le monde à Salvador Allende, nous avons tous eu l’occasion d’observer la tension que cet anniversaire national et mondial produit toujours au sein de la droite.

Ricardo, El Mundo, 13/9/2023

Bien que les années passées nous apportent de plus en plus de preuves que le renversement a été conçu et organisé par Henry Kissinger et le gouvernement usaméricain sous Nixon, curieusement, ce fait a été ignoré par les actes officiels, bien que cette fois-ci il y ait eu des reconnaissances fortes de la part de Washington.

En particulier lorsque la Maison Blanche a dévoilé de nouveaux documents secrets concluants qui révélaient un certain nombre d’actions et de contributions en millions de la CIA visant à déstabiliser le gouvernement de l’Unité populaire afin d’installer Pinochet à la tête de notre pays à l’issue d’une opération criminelle et terroriste.

Bien entendu, les dirigeants chiliens actuels ne sont pas disposés à mettre l’accent sur  la responsabilité de l’impérialisme usaméricain dans des dizaines de coups d’État sur notre continent et dans le monde. Et encore moins d’exiger que les cerveaux usaméricains soient envoyés dans notre pays pour y être jugés en tant que séditieux et assassins.

Ce serait certainement trop demander que l’impunité ne prévale pas à cet égard, de sorte que les dirigeants usaméricains actuels et futurs bénéficient de l’immunité pour continuer à mener des opérations criminelles visant à renverser les gouvernements de toute tendance politique qui mettent en péril les intérêts usaméricains.

Avec le coup d’État de 1973, la puissance impériale a clairement indiqué que ses efforts ne se limitaient pas à la lutte contre les gouvernements de gauche, mais aussi contre tout régime qui propose des changements substantiels en faveur de la justice sociale susceptibles d’affecter ses investissements à l’étranger.

Il y a cinquante ans, un gouvernement démocratiquement élu a été renversé pour imposer un régime néolibéral qui a annulé les acquis démocratiques et sociaux, par exemple la nationalisation du cuivre et la réforme agraire.

Nous trouvons inacceptable que cette année, il n’y ait pas eu non plus de condamnation large et sévère des actions des USA. Cela s’explique par la complicité de la droite et des entités politiques qui ont promu le coup d’État.

Et maintenant, ce qui est encore pire, c’est le silence éhonté de la gauche néolibérale, c’est-à-dire de ces socialistes, démocrates-chrétiens et autres pour lesquels c’est un honneur de serrer la main du secrétaire d’État usaméricain lui-même, qui a atteint 100 ans d’existence sans reproche de la part de ceux qui ont observé et même subi dans leur propre chair les violations des droits humains également encouragées par Washington.

EVGENY MOROZOV
La machine à planifier : Le projet Cybersyn et les origines de la nation des Big Data
Naissance et mort du cybersocialisme dans le Chili d’Allende

Evgeny Morozov, The New Yorker, 6/10/2014
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Note du traducteur

Ce texte est le premier consacré par Evgeny Morozov au projet Cybersyn/Synco dans le Chili de l’Unité Populaire, une tentative futuriste de mettre en œuvre une planification socialiste cybernétique, dont bien des aspects ont été repris dans le neurocapitalisme du XXIème siècle, avec évidemment d’autres objectifs (le profit). Entretemps Morozov a creusé ce sujet et a publié en juillet dernier un podcast en 9 épisodes issu de deux ans d’enquête sur ce projet. On peut l’écouter (en anglais) sur https://the-santiago-boys.com/.

En juin 1972, Ángel Parra, le plus grand chanteur populaire du Chili, a écrit une chanson intitulée “Litanie pour un ordinateur et un enfant sur le point de naître”. Les ordinateurs sont comme des enfants, chantait-il, et les bureaucrates chiliens ne doivent pas les abandonner. Cette chanson avait été inspirée par la visite à Santiago d’un consultant britannique qui, avec sa barbe fournie et son physique costaud, rappelait à Parra le Père Noël - un Père Noël porteur d’un “cadeau caché, la cybernétique”.

Le consultant, Stafford Beer, avait été engagé par les principaux planificateurs du Chili pour aider à guider le pays sur ce que Salvador Allende, son dirigeant marxiste démocratiquement élu, appelait “la voie chilienne au socialisme”. Beer était l’un des principaux théoriciens de la cybernétique, une discipline née des efforts déployés au milieu du siècle dernier pour comprendre le rôle de la communication dans le contrôle des systèmes sociaux, biologiques et techniques. Le gouvernement chilien avait beaucoup à contrôler : Allende, entré en fonction en novembre 1970, avait rapidement nationalisé les principales industries du pays et promis la “participation des travailleurs” au processus de planification. La mission de Beer était de fournir un système d’information hypermoderne qui rendrait cela possible et ferait entrer le socialisme dans l’ère de l’informatique. Le système qu’il a conçu portait un nom de science-fiction étincelant : le projet Cybersyn (en espagnol Synco).

Dans le Chili d’Allende, une salle d’opérations futuriste devait faire entrer le socialisme dans l’ère de l’informatique. Illustration de Mattias Adolfsson

Beer était un sauveur improbable pour le socialisme. Il avait été cadre chez United Steel et avait travaillé comme directeur du développement pour l’International Publishing Corporation (à l’époque l’une des plus grandes sociétés de médias au monde), et il dirigeait un lucratif cabinet de conseil. Il menait une vie fastueuse, avec une Rolls-Royce et une grande maison dans le Surrey, équipée d’une cascade télécommandée dans la salle à manger et d’une mosaïque de verre dont le motif était basé sur la suite de Fibonacci. Pour convaincre les travailleurs que la cybernétique au service de l’économie planifiée pouvait offrir le meilleur du socialisme, il fallait les rassurer. Outre la musique folk, des fresques murales sur le thème de la cybernétique étaient prévues dans les usines, ainsi que des dessins animés et des films didactiques. La méfiance demeurait. Un titre de l’Observer de janvier 1973 annonçait : “Le Chili dirigé par ordinateur”, ce qui donnait une idée de l’accueil réservé au projet de Beer en Grande-Bretagne.