Gideon Levy, Haaretz, 16/3/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala
Il est impossible de ne pas envier la droite israélienne pour sa fuite en avant. Voici un rêve : le centre-gauche remporte les prochaines élections et forme un gouvernement qui inclut la gauche radicale, qui donne le ton. Le nouveau Premier ministre laisse ses partenaires extrémistes dicter sa politique : sans eux, il n'a pas de gouvernement. Le nouveau gouvernement entreprend immédiatement de changer le visage d'Israël, selon des plans élaborés à l'avance. Les lois du coup d'État judiciaire sont abrogées. Rien ne peut arrêter le train en marche si ce n'est la protestation de la droite, qui est incapable de l'arrêter.
La Knesset adopte des lois visant à séparer la religion de l'État. En l'espace de quelques semaines, les transports publics le jour du shabbat et les mariages civils sont rendus possibles. Les lois sur la cacheroute sont annulées, de même que les allocations spéciales aux yeshivas [écoles religieuses], qui sont désormais financées comme les écoles publiques. La question des demandeurs d'asile est examinée dans le but de naturaliser la plupart d'entre eux : invoquant leur importante contribution économique et sociétale, le gouvernement fixe un quota pour l'admission des réfugiés.
Dans le même temps, le gouvernement annonce qu'il lève le blocus de la bande de Gaza. Le premier ministre se dit prêt à rencontrer les dirigeants du Hamas. Marwan Barghouti est libéré de prison et Israël autorise l'Autorité palestinienne à organiser des élections présidentielles et législatives. La droite proteste, mais le gouvernement est déterminé. La phase 2, encore plus extrême et ambitieuse, commence.
Israël annonce que, dans cinq ans, de véritables élections générales seront organisées, pour la première fois de son histoire. Toute personne possédant des papiers israéliens, qu'ils soient bleus, oranges ou verts, peut participer : une personne, une voix, du Jourdain à la Méditerranée. La ligne verte disparaît, tout comme la loi du retour. Israël adopte une politique d'immigration comme celle de la plupart des pays, basée sur des quotas et des critères transparents et égaux. La construction des colonies est complètement arrêtée jusqu'à ce qu'une politique équitable de planification et de construction soit formulée pour la Cisjordanie.
Le nouveau gouvernement déclare la libération de milliers de prisonniers palestiniens et examine la possibilité de renouer des relations diplomatiques avec l'Iran en échange de la suspension du programme nucléaire. Israël change, sous les applaudissements du monde entier. La protestation de la droite retombe lentement, après avoir compris que le gouvernement n'a pas l'intention de reculer.
Il est inutile de continuer à rêver, puisque tout cela n'arrivera pas. La gauche et le centre ne seront jamais aussi déterminés : ils n'ont jamais su ce qu'ils voulaient, et surtout ils se sont toujours déplacés vers la droite avant chaque mesure qu'ils prenaient. Leur langage était toujours celui du compromis et du maintien du statu quo. La révolution était au-delà de leurs capacités et surtout de leurs réserves de courage. “Compromis territorial” ou “compromis fonctionnel” qui n'ont jamais abouti, ou “maintien du statu quo” vis-à-vis des Haredim [juifs orthodxes]. Des petits pas mesurés qui ne visaient qu'à maintenir la situation existante qui ne cessait de se dégrader.