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18/04/2022

FAUSTO GIUDICE
Rasmus Paludan : portrait d’un fouteur de merde

 FG, BastaYekfi, 18/4/2022

L’homme qui a mis le feu aux banlieues suédoises pendant le week-end de Pâques et en plein Ramadan gagne à être connu. Portrait express.

Rasmus Paludan, vu par Morten Ingemann

 Rasmus Paludan est né en 1982 en Sélande du nord d’une mère danoise et d’un père suédois, ce qui lui a permis il y a deux ans d’obtenir la nationalité suédoise en plus de la danoise et devrait lui ouvrir la voie comme candidat aux élections législatives de septembre prochain. Il n’aura sans doute pas plus de chance d’y être élu qu’au Danemark, où il a recueilli à peine quelques milliers de voix, mais cela devrait élargir sa surface d’influence sur les réseaux dits sociaux, où il s’étale, multipliant les provocations, mais sans rencontrer le succès escompté.

Rasmus a un petit frère gauchiste – qui a appelé dans une vidéo à ne pas voter pour lui en 2019 – et une petite sœur poétesse féministe, qui fait aussi de la musique électro. Il s’est marié à l’automne dernier avec une jeune femme de 21 ans, dont l’anonymat a été préservé et dont on sait seulement qu’elle a entretenu une liaison amoureuse depuis l’âge de 17 ans avec Peter Madsen, alias Raket-Madsen, l’inventeur de fusées et de sous-marins qui purge une peine de prison à vie pour le meurtre, précédé de viol, de la journaliste suédoise Kim Wall. Mariage de façade ? On l’ignore. En tout cas, cette nouvelle a mis un terme aux rumeurs insistant sur l’homosexualité de Rasmus, lequel fait par ailleurs l’objet d’une plainte d’une ONG de défense des enfants pour des échanges de propos sexuels avec des moins de 15 ans.

Rasmus a deux problèmes personnels : son cerveau et son surpoids.

En 2005, à 23 ans, il a eu un accident de voiture qui a provoqué une lésion cérébrale entraînant une perte de 25% de ses capacités et compromettant ses études de droit. Mais il a appris suffisamment de droit pour se faire une spécialité des plaintes et procès en tous genres, que ce soit contre l’auteur d’un message selon lequel Hitler n’avait pas fini le boulot pour débarrasser la terre des « pédés » ou contre son homonyme Rasmus Padulan Malver pour usage indu de son « nom intermédiaire » (Padulan) comme nom de famille. Mais il a perdu plus de procès qu’il n’en a gagné et a été condamné un nombre respectable de fois pour ses appels à la haine contre les musulmans.

C’est que Rasmus s’est spécialisé dans une activité particulière : il brûle publiquement des corans, souvent après les avoir enveloppés dans du bacon ou enduits de graisse de porc, aussi bien au Danemark qu’en Suède, et cela, sous protection policière, au nom du sacro-saint droit à la liberté d’expression. Pour cela, il a créé une start-up, qui se présente comme un parti politique mais relève plutôt de l’entreprise unipersonnelle : Stram Kurs ou Hard Line (Ligne dure). La philosophie de l’entreprise se résume à deux mots instagrammés : « ethnonationaliste et libertarien ». Bref, un croisé du XXIème siècle, qui veut nettoyer le Danemark de l’engeance musulmane avant que celle-ci finisse par prendre le pouvoir au terme du grand remplacement en cours.

SOPHIE PINKHAM
Volodymyr Zelensky : portrait d’un comique en président

Sophie Pinkham, The New York Review of Books, 30/5/2019
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Sophie Pinkham est l'auteure de Black Square : Adventures in Post-Soviet Ukraine. Elle travaille actuellement sur une histoire culturelle de la forêt russe.

Le 21 avril 2019 Volodymyr Zelensky, 41 ans, était élu président d’Ukraine au deuxième tour de l’élection par 73,2 % des voix. Cet acteur comique et showman qui a fait des études pour devenir avocat est devenu célèbre avec la série 'Serviteur du Peuple' et par sa participation à un show sur la chaîne de télé 1+1 de l’oligarque Ihor Kolomoisky. Propriétaire de la société de production Kvartal 95 qui l’a rendu millionnaire, Zelensky, avec 4,2 millions de followers sur Instagram en 2019 et 6 millions aujourd’hui, incarne parfaitement la mutation de la politique institutionnelle que l’on observe un peu partout : les électeurs votent comme ils « likent ». Depuis le 24 février, le « serviteur du peuple » joue un nouveau rôle, celui de « héros de la résistance à l’invasion ». Il m’a semblé intéressant de revenir sur ses débuts politiques en traduisant cet article paru en mai 2019, de la plume d’une chercheuse usaméricaine, spécialiste de la culture politique soviétique et post-soviétique.-FG

 Jouer dans une série télévisée est plus facile que de diriger un pays.

La série télévisée ukrainienne Serviteur du peuple, diffusée de 2015 à 2019 [on peut la voir sur Arte, NdT], raconte l'histoire de Vasyl Holoborodko, un professeur d'histoire dévoué d'une trentaine d'années qui vit avec ses parents. Son père est chauffeur de taxi, sa mère est neurologue et sa sœur est conductrice de train. Ce mélange de professions familiales serait surprenant dans un contexte usaméricain, mais il est parfaitement logique en Ukraine, où les médecins du secteur public appartiennent, dans le meilleur des cas, à la classe moyenne inférieure aux abois (Le salaire moyen d'un médecin ukrainien est d'environ 200 dollars par mois.). Vasyl est divorcé, avec un jeune fils : son mariage a été détruit par des soucis d'argent. Son père lui dit qu'il perd son temps en allant travailler, car les allocations de chômage sont plus importantes que le salaire d'un enseignant. La famille possède un appartement soviétique classique, offert à la grand-mère maternelle de Vasyl en reconnaissance de ses réalisations en tant qu'historienne ; il est situé dans une khrouchtchevka décrépite, l'un des nombreux complexes d'appartements bon marché qui ont poussé comme des champignons à la périphérie des villes soviétiques dans les années 1960.

 


Volodymyr Zelensky

 

Bien qu'il soit mal payé, Vasyl a une véritable passion pour son métier : il dort tard après avoir lu Plutarque et aime régaler quiconque veut bien l'écouter avec des conférences sur l'histoire. Dans un premier épisode, on le voit enseigner à ses élèves adolescents l'histoire de Mykhailo Hrushevsky, chef du parlement révolutionnaire de 1917-1918, pendant la douloureuse première période d'indépendance nationale de l'Ukraine. Avant que la leçon sur Hrushevsky ne soit terminée, un fonctionnaire de l'école arrive pour dire que la classe est annulée ; les élèves doivent assembler des isoloirs pour la prochaine élection présidentielle. Vasyl perd son sang-froid et l'un des élèves filme subrepticement sa diatribe pleine de jurons sur l'importance de l'histoire, contrairement à l'élection, qui n'est qu'une farce n'offrant aucun choix significatif et aucune issue à la corruption qui gangrène l'Ukraine.

La vidéo devient virale, une campagne de crowdfunding produit une valise pleine d'argent pour payer l'entrée de Vasyl dans la course, et avant de s’en rendre compte, il est le nouveau président de l'Ukraine. Dans une voiture noire en route pour son premier jour de travail, il s'accroche à la poignée au-dessus de la fenêtre, comme s'il était dans un tramway, et il s'inquiète de savoir quand il trouvera le temps de payer le prêt qu'il a contracté pour acheter un four à micro-ondes. Serviteur du peuple fourmille de détails de ce genre, juxtaposant les préoccupations financières de l'Ukrainien ordinaire aux privilèges absurdes dont jouit l'élite politique : le coach de Vasyl fait annuler le prêt et lui demande ensuite quel type de montre de luxe il préférerait. Les gens ordinaires qui sont tentés par l'attrait de la corruption sont traités avec une sympathie rigolarde par la série, tandis que les oligarques sont des méchants caricaturaux qui se gavent de caviar alors qu'ils complotent pour manipuler et exploiter les masses.

Regarder Serviteur du peuple aujourd'hui est une expérience étrange. En avril, Volodymyr Zelensky, l'acteur qui joue le rôle de Vasyl, a été élu président de l'Ukraine à l'arrachée, avec 73 % des voix. L'impopulaire président sortant, Petro Porochenko, élu en 2014 peu après les manifestations de Maidan qui ont chassé le président Viktor Ianoukovitch, n'a obtenu que 24 %. Le parti nouvellement fondé par Zelensky s'appelle Serviteur du peuple, et sa campagne était essentiellement un spin-off de son émission. Au début, cela ressemblait à une blague : Zelensky est un comédien professionnel, après tout, bien qu'il soit également un homme d'affaires prospère à la tête de ce qui a souvent été appelé un empire de la comédie. Comme Vasyl, il n'a aucune expérience politique préalable, mais il a des relations dont Vasyl n'aurait jamais pu rêver.