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02/05/2024

GIDEON LEVY
Les universités israéliennes sont vraiment mal placées pour donner des leçons sur les droits humains et la liberté aux Juifs usaméricains

Gideon Levy, Haaretz, 2/5/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Voilà un nouveau record d’hypocrisie et de manque de conscience de soi : les présidents des universités israéliennes ont publié une lettre [v. texte ci-dessous] dans laquelle ils se disent troublés par les manifestations de violence, d’antisémitisme et de sentiment anti-israélien sur les campus des USA, et ont entrepris d’aider les Juifs et les Israéliens à être admis dans les universités d’ici. En d’autres termes : venez à l’université d’Ariel. Sur cette terre volée, au cœur du district de l’apartheid, vous étudierez l’éducation civique, les droits humains et la liberté. À Ariel, comme dans toute université israélienne, vous verrez ce que sont la liberté et l’égalité. Ici, vous trouverez également un refuge pour les Juifs persécutés en Amérique, dans l’endroit le plus sûr au monde pour les Juifs : Ariel.


L’université d’Ariel dans la colonie d’Ariel, en Cisjordanie. Photo : Moti Milrod

Chers présidents, ceux qui vivent dans des maisons de verre ne devraient pas jeter de pierres. Si vous voulez offrir un refuge aux universitaires juifs des USA, vous n’avez pas grand-chose à leur offrir. Le jour le plus orageux sur le campus de Columbia est plus sûr pour les Juifs que sur le chemin de l’Université hébraïque [à Jérusalem, NdT]. Chaque étudiant arabe se sent moins à l’aise dans vos universités que les étudiants juifs à Columbia. On peut également douter de l’imminence du danger à Columbia.

« En tant qu’étudiante juive israélienne, je ne ressens aucune crainte ou menace pour ma sécurité personnell », a écrit Noa Orbach, étudiante à l’université Columbia, dans l’édition hébraïque de Haaretz du 26 avril. Israël aime exagérer les dangers qui guettent les Juifs dans le monde et s’y complaire. Cela conduit à l’alya, et c’est bon pour la fable d’Israël en tant que refuge. Non pas qu’il n’y ait pas d’antisémitisme dans le monde, mais si tout et n’importe quoi est antisémitisme, alors Israël décroche le gros lot.

Un peu de modestie ne vous fera pas de mal non plus, messieurs les présidents. Vos académies peuvent envier ce qui se passe aujourd’hui sur les campus usaméricains. Voilà à quoi ressemble un campus où l’on fait preuve de civisme et où l’on s’engage politiquement. Voilà à quoi ressemble un campus vivant, actif et rebelle, contrairement aux cimetières idéologiques des campus lugubres et ennuyeux d’Israël. Certes, la protestation anti-israélienne a débordé ici et là sur l’antisémitisme et la violence, même si c’est moins que ce qui est décrit dans Haaretz. Mais quand il s’agit de choisir entre un campus indifférent, rassasié et endormi et un campus turbulent, attentif et radical, le second est plus prometteur.

On ne peut que rêver ici d’un corps enseignant et d’étudiants militants comme aux USA. Eux seuls peuvent assurer la relève. Dans le désert des campus israéliens, aucune promesse sociale ou politique ne se développera.

Les étudiants usaméricains font preuve d’engagement et d’attention, même si leurs manifestations deviennent tumultueuses et dérapent. Il n’y a aucune chance que des manifestations contre une guerre sur un continent lointain éclatent dans une université israélienne. Un bon jour, des protestations éclateront ici pour protester contre le coût des frais de scolarité ou les conditions de vie des étudiants réservistes. Un jour encore meilleur, une poignée d’étudiants israélo-palestiniens se tiendront aux portes de l’université, marquant silencieusement le jour de la Nakba, avec des dizaines de policiers armés autour d’eux.

Les directeurs d’université cachent également la chasse aux sorcières dans leurs établissements, qui s’est intensifiée depuis le début de la guerre. Quelques jours après son déclenchement, le syndicat étudiant de l’université de Haïfa a déjà annoncé qu’il prendrait des mesures pour suspendre les étudiants qui oseraient exprimer leur soutien aux Palestiniens. « La liberté d’expression, à notre avis, est réduite à néant en ce moment », ont-ils écrit. C’est ainsi que le maccarthysme a commencé dans le monde universitaire, culminant avec la suspension et l’arrestation de la professeure Nadera Shalhoub-Kevorkian. L’esprit du temps, dont le monde universitaire est une partie importante, dans lequel un ingénieur israélien est licencié parce qu’il a cité des versets du Coran dans les médias sociaux (Haaretz, 30 avril), inquiète moins les présidents d’université que ce qui se passe en USAmérique.

Les protestations aux USA devraient interpeller et préoccuper Israël. Une partie de la protestation s’est transformée en haine contre Israël et en appel à le rayer de la carte. Comme toujours, nous devons aller à la racine du problème. Les étudiants usaméricains ont vu beaucoup plus d’horreurs de la terrible guerre à Gaza que leurs collègues israéliens complaisants. S’il n’y avait pas eu la guerre, ou l’occupation et l’apartheid, cette protestation n’aurait pas eu lieu.

Shadi Ghanim, The National, ÉAU, 1/5/2024

      Association des directeurs d'université, Israël (VERA)

Déclaration sur les manifestations violentes et l'antisémitisme sur les campus américains - avril 2024

Nous, présidents des universités de recherche en Israël, exprimons notre profonde inquiétude face à la récente flambée de violence, d'antisémitisme et de sentiments anti-israéliens dans de nombreuses grandes universités des États-Unis. Ces événements inquiétants sont souvent organisés et soutenus par des groupes palestiniens, y compris ceux qui sont reconnus comme des organisations terroristes. Cette évolution troublante a créé un climat dans lequel les étudiants et les enseignants israéliens et juifs se sentent obligés de cacher leur identité ou d'éviter complètement les campus par crainte de subir des dommages physiques.

Nous reconnaissons les efforts déployés par nos homologues dans ces établissements pour résoudre ces problèmes. Nous comprenons la complexité et les défis liés à la gestion des groupes incitant à la haine et reconnaissons que des situations extrêmes peuvent nécessiter des mesures allant au-delà des outils conventionnels à la disposition des administrations universitaires.

La liberté d'expression et le droit de manifester sont essentiels à la santé de toute démocratie et sont particulièrement cruciaux dans les milieux universitaires. Nous continuons à défendre l'importance de ces libertés, en particulier en ces temps difficiles. Toutefois, ces libertés n'incluent pas le droit de se livrer à la violence, de proférer des menaces à l'encontre de communautés ou d'appeler à la destruction de l'État d'Israël.

Nous apportons notre soutien aux étudiants et enseignants juifs et israéliens confrontés à ces circonstances difficiles. Nous ferons de notre mieux pour aider ceux d'entre eux qui souhaitent rejoindre les universités israéliennes et y trouver un foyer académique et personnel accueillant.


Arie Zaban, président de l'université Bar-Ilan ; président de l'association des directeurs d'université – VERA

Daniel Chamovitz, président de l'université Ben-Gurion du Néguev

Alon Chen, président de l'Institut des sciences Weizmann

Asher Cohen, Président de l'Université hébraïque de Jérusalem

Leo Corry, président de l'Open University

Ehud Grossman, Président de l'Université d'Ariel

Ariel Porat, président de l'université de Tel-Aviv

Ron Robin, président de l'université de Haïfa

Uri Sivan, Président du Technion-Israel Institute of Technology

Suède : l’activisme étudiant est une démarche porteuse d’espoir

Tribune, Sydsvenskan, 22/4/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les représentants du gouvernement suédois qualifient les protestataires d’antidémocratiques, d’incivilisés et de destructeurs. C’est un geste que de nombreux historiens et politologues reconnaissent comme une étape dans l’évolution vers le fascisme, écrivent cinquante enseignant·es et chercheur·ses de l’université de Lund.

Lorsque le Premier ministre Ulf Kristersson a récemment visité le Studentafton [Soirée étudiante, un forum de débat géré par des étudiants et universitaires, NdT] à Lund, les étudiants se sont levés en signe de protestation, écrivent les auteurs. Photo : Johan Nilsson/TT

 

« Quand Kristersson veut soutenir le génocide de Netanyahou, nous descendons dans la rue - ce ne sont pas nos mots ». Cette phrase a résonné entre les maisons lors des manifestations organisées en Scanie et dans le reste de la Suède au cours des derniers mois. Elle exprime la nécessité de protester contre le soutien du gouvernement suédois à la vision politique d’un premier ministre d’extrême droite qui, selon nous, consiste à expulser un peuple.

 

Jour après jour depuis six mois, les images de corps mutilés, de cadavres, de corps humiliés, de villes bombardées, d’hommes, de femmes et d’enfants terrifiés et affamés sont diffusées dans les médias. Que faut-il faire ? Quelle est l’attitude à adopter lorsque le gouvernement soutient ce que nous considérons comme un génocide en cours ?

 

Lors de la récente visite de M. Kristersson au Studentafton de Lund, les étudiants se sont levés en signe de protestation. Le présentateur a crié : « 33 000 personnes ont été assassinées à Gaza. 13 000 enfants ont été tués dans le génocide israélien, que toi, Ulf Kristersson, et ton gouvernement avez soutenu jusqu’au bout. Vous avez aidé Israël à affamer la population de Gaza. Vous êtes complices d’un génocide. 33 000 vies sur vos consciences ».

 

En réponse, M. Kristersson a exprimé son point de vue sur la manière de mener un dialogue démocratique. Nous ne devrions pas nous interrompre les uns les autres, a-t-il expliqué. Nous ne devrions pas avoir un « parlement de la rue ». Rasmus Törnblom, chef de file local du parti modéré à Lund, a déclaré que « l’on devrait s’interroger sur les opinions démocratiques de ceux qui choisissent de saboter la liberté d’expression et le dialogue démocratique de cette manière ». 


Ebba Busch en tenue de combat (un T-shirt de l’armée israélienne)

Lorsqu’Ebba Busch [présidente des Chrétiens-démocrates, vice-Première ministre et ministre de l’Industrie, des Entreprises et de l’Énergie, NdT]  a pris la parole à Göteborg le 10 avril, le public a crié « Du sang, du sang, du sang sur tes mains » pour protester contre le soutien du gouvernement à Israël. La réponse d’Ebba Busch était également axée sur la destruction : « Nous constatons qu’il y a encore quelques personnes qui ne veulent pas parler, qui ne veulent pas exiger des responsabilités, mais qui veulent simplement détruire ».

 

Les représentants du gouvernement qualifient les manifestants d’antidémocratiques, d’incivilisés et de destructeurs. C’est une démarche que de nombreux historiens et politologues reconnaissent comme un pas vers le fascisme. Ce n’est que récemment que le mouvement suédois de soutien à la Palestine a commencé à utiliser la tactique consistant à interrompre les discours publics des politicien·nes Auparavant, il avait lancé des pétitions, rédigé des articles et organisé des manifestations, des discussions et des débats. Le gouvernement a persisté dans sa position. Il faut donc trouver d’autres moyens de protester.

 

Lorsque les politicien·nes prétendent avoir des « conversations » avec les citoyen·nes, il est important d’analyser le rapport de forces. Il n’est pas possible de comparer la tribune dont disposent les politicien·nes pour s’exprimer avec les possibilités qu’ont les étudiant·es de se faire entendre. Les politicien·nes qui décrivent la relation comme égale font preuve soit d’une naïveté effrayante soit d’une tromperie délibérée. Les écoliers suédois apprennent que la désobéissance civile renforce la démocratie. C’est un écran de fumée que de qualifier d’antidémocratique le type d’engagement dont font preuve les étudiants.

 

L’ordre social que le gouvernement veut créer menace la démocratie au lieu de la nourrir. Les philosophes politiques, dans différents contextes historiques, ont depuis longtemps mis en garde contre ce phénomène. La démocratie suédoise, tant appréciée, est devenue une tradition stagnante plutôt que le processus dynamique qu’elle devrait être, un processus qui exige un engagement constant et une adaptation au présent.

 

L’attitude dominante consiste à considérer la démocratie comme un système automatique et éternel où la participation des citoyens se limite aux droits et devoirs politiques fondamentaux, tels que le vote et l’obéissance aux lois. Dans le même temps, les décisions gouvernementales sont influencées par les entreprises, l’inégalité des revenus s’accroît, les systèmes de protection sociale se détériorent et la classe moyenne semble indifférente.

 

L’un des principaux enjeux de l’éducation, et en particulier de l’enseignement universitaire, est de préparer les étudiant·es à devenir des citoyen·nes actif·ves dans une démocratie. Cela signifie que les universités du pays doivent enseigner des perspectives et des valeurs différentes et encourager les étudiants à imaginer et lutter pour un avenir plus équitable et plus juste. Pour les étudiants impliqués dans des mouvements sociaux, l’engagement politique peut servir de forme d’éducation informelle, importante pour contrer les politiques sociales néolibérales axées sur le marché.

 

Une éducation centrée sur la participation démocratique est nécessaire pour préparer les étudiant·es à faire face aux défis contemporains. Dans les universités suédoises, des étudiant·es ont été empêché·es de manifester – à diverses occasions - et de montrer leur solidarité avec la Palestine de diverses manières. Cette situation est préoccupante alors que c’est précisément l’action politique qui brille par son absence, à tous les niveaux de la société.

 

L’activisme, la mobilisation et la résistance des étudiants témoignent d’une aspiration pleine d’espoir à une forme plus profonde de démocratie. Les gens peuvent apprendre des pratiques démocratiques importantes, telles que la communication, la coopération, le dialogue, la recherche, l’empathie, la solidarité, la transparence et l’action collective. En luttant collectivement contre l’injustice et en créant les conditions de la prospérité, les habitudes nécessaires à la survie d’une démocratie peuvent se former.

 

Nous tenons à remercier tou·tes les étudiant·e qui s’engagent dans des questions complexes et controversées et qui défendent les conclusions qu’ils en tirent. Leur travail, leurs paroles et leur courage ont un impact dans le monde, dans les rues comme dans les salons. On ne saurait trop insister sur l’importance de cet aspect.

 Signataires

1.    Emma Eleonorasdotter, docteure en ethnologie
2.    Dalia Abdelhady, professeure associée et maître de conférences en sociologie
3.    David Bowling, doctorant en histoire des idées et des doctrines
4.    Karin Zackari, doctorante en études des droits humains
5.    Victor Pressfeldt, doctorant en histoire
6.    Shirley Chan, doctorante en bibliothéconomie et sciences de l’information
7.    Camila Borges, doctorante en bibliothéconomie et sciences de l’information
8.    Nina Gren, maîtresse de conférences en anthropologie sociale
9.    Norma Montessino, professeure associée et maîtresse de conférences en travail social
10.    Oliver Scharbrodt, professeur d’islamologie
11.    Lina Eklund, docteure en géographie physique
12.    Bruno Hamnell, docteur en histoire des idées et des sciences
13.    Rola El-Husseini, maîtresse de conférences en sciences politiques
14.    Anton Öhman, doctorant en histoire
15.    Falastin Salami, docteur en médecine
16.    Vasna Ramasar, maîtresse de conférences en géographie humaine
17.    Billy Jones, doctorant en ethnologie
18.    Diana Mulinari, professeure émérite d’études de genre
19.    Hanna Chahin, médecin et doctorante en oncologie pédiatrique moléculaire
20.    Phil Dodds, chercheur en musicologie
21.    Muriel Côte, maîtresse de conférences en géographie humaine
22.    Maria Andrea Nardi, maîtresse de conférences en géographie humaine et en géographie économique
23.    Carin Graminius, maîtresse de conférences en bibliothéconomie et sciences de l’information
24.    Jennifer Hinton, doctorante en économie durable
25.    Simon Halberg, doctorant en ethnologie
26.    Signe Leth Gammelgaard, doctorante en études littéraires
27.    Daisy Charlesworth, doctorante en géographie humaine
28.    Karin Jedeberg, doctorante en histoire
29.    Emma Shachat, doctorante en histoire de l’art
30.    Melissa García-Lamarca, maîtresse de conférences en sciences du développement durable
31.    Cecilia Andersson, maîtresse de conférences en bibliothéconomie et sciences de l’information
32.    Barbara Magahães Teixeira, doctorante en sciences politiques
33.    Aaron James Goldman, chercheur en philosophie de la religion
34.    Thomas Olsson, professeur assistant en musicologie
35.    Juan Samper, doctorant en sciences du développement durable
36.    Anna Pardo, psychologue et professeure adjointe de psychologie
37.    Josefine Löndorf Sarkez-Knudsen, doctorante en ethnologie
38.    Cansu Bostan, chercheuse en sociologie du droit
39.    Alexandra Nikoleris, doctorante en systèmes environnementaux et énergétiques
40.    Caroline Karlsson, doctorante en sciences politiques
41.    Alma Aspeborg, doctorante en ethnologie
42.    Andreas Malm, maître de conférences en écologie humaine
43.    Kristin Linderoth, chercheuse en histoire
44.    Mikael Mery Karlsson, doctorant en études de genre
45.    Maja Sager, maîtresse de conférences en études de genre
46.    Anna Lundberg, professeure de sociologie du droit
47.    Hebatalla Taha, maîtresse de conférences en sciences politiques
48.    Cristina Gratorp, doctorante en systèmes environnementaux et énergétiques
49.    Pinar Dinç, maîtresse de conférences en sciences politiques
50.    Neserin Ali, docteure en médecine