Gideon Levy, Haaretz, 7/1/2024
Traduit
par Fausto
Giudice, Tlaxcala
Israël n’est
pas entré en guerre pour commettre un génocide - cela ne fait aucun doute -
mais il le commet dans la pratique, même s’il n’en a pas l’intention [?].
Chaque jour qui passe dans cette guerre, avec ses centaines de morts, renforce
les soupçons qui pèsent sur Israël.
Emad Hajjaj
Quiconque voit la poursuite inutile
de la guerre et l’ampleur du massacre et de la destruction dans la bande de
Gaza, quiconque veut mettre fin à la souffrance inhumaine de plus de deux
millions d’êtres humains doit espérer, ne serait-ce qu’au fond de son cœur, que
la Cour internationale de Justice de La Haye prononcera une mesure provisoire
ordonnant la suspension des opérations militaires d’Israël dans la bande de
Gaza.
Il n’est pas facile pour un
Israélien de souhaiter une décision de justice contre son pays qui pourrait
également conduire à des mesures punitives à son encontre, mais y a-t-il un
autre moyen d’arrêter la guerre ?
Il n’est pas facile de savoir que
son État est
poursuivi par un État qui en sait long sur les régimes injustes et le mal,
et dont le dirigeant fondateur était un modèle moral pour le monde entier. Il n’est
pas facile d’être traduit devant le tribunal mondial par l’Afrique du Sud ; il
n’est pas facile d’être accusé d’un
génocide qui aurait
été commis par un État fondé sur les cendres du plus vaste génocide de l’histoire.
Il n’est plus possible d’ignorer
que des soupçons des pires crimes contre l’humanité et le droit international planent sur la
tête d’Israël. On ne parle
plus d’occupation, mais d’apartheid, de transfert involontaire de population, de nettoyage ethnique et de
génocide. Qu’y a-t-il de plus grave que cela ? Il semble qu’aujourd’hui, aucun
autre État ne puisse être accusé de toutes ces infractions.
Ces accusations ne peuvent être ni
écartées d’un revers de main, ni mises sur le compte de l’antisémitisme. Même
si certaines d’entre elles sont exagérées et même sans fondement [ ?], l’indifférence
avec laquelle elles sont accueillies ici - et, comme toujours, retournées
contre l’accusateur - pourrait être une bonne voie vers le déni et la
répression, mais pas pour laver le nom d’Israël, et encore moins pour la
réparation et la guérison du pays.
Plus de 20 000 morts
en trois mois, dont des
milliers d’enfants, et la destruction totale de quartiers entiers, ne peuvent
que faire naître des soupçons de génocide. Les propos invraisemblables tenus
par d’importantes personnalités israéliennes sur la nécessité de nettoyer la bande de Gaza
de ses
habitants, voire de les détruire, font peser le soupçon d’une volonté d’épuration
ethnique. Israël mérite d’être jugé pour les deux.
Israël n’est pas entré en guerre
pour commettre un génocide - cela ne fait aucun doute - mais il le commet dans
la pratique, même s’il n’en a pas l’intention [ ?]. Chaque jour qui passe
dans cette guerre, avec ses centaines de morts, renforce le soupçon. À La Haye, il faudra prouver l’intention, et
il est possible qu’elle ne soit pas prouvée. Cela disculpera-t-il Israël ?
Les soupçons de projets de
nettoyage ethnique, qui ne seront pas discutés à La Haye pour l’instant, sont
plus fondés. Ici, l’intention est ouverte et déclarée. La ligne de défense d’Israël,
selon laquelle ses ministres les plus importants ne représentent pas le
gouvernement, est ridicule. Il est douteux que quelqu’un la prenne au sérieux.
Si le partisan du transfert Bezalel
Smotrich ne représente pas le gouvernement, que fait-il en son sein ? Si
Benjamin Netanyahou n’a pas licencié Itamar Ben-Gvir, en quoi le premier
ministre est-il irréprochable ?
Mais c’est l’atmosphère générale en
Israël qui devrait nous inquiéter encore plus que ce qui se passe à La Haye. L’air
du temps indique qu’il est largement légitime de commettre des crimes de
guerre. Le nettoyage ethnique de Gaza, puis de la Cisjordanie, fait déjà l’objet
d’un débat. Le massacre des habitants de Gaza n’est même pas un thème dans le
discours israélien.
Le problème de Gaza a été créé par
Israël en 1948, lorsqu’il a expulsé des centaines de milliers de personnes vers
ce territoire dans le cadre de ce qui était certainement un nettoyage ethnique
complet du sud d’Israël : demandez à Yigal Allon. Israël n’en a
jamais accepté la responsabilité.
Aujourd’hui, des membres du cabinet
demandent que le travail soit terminé dans la bande de Gaza également. La
manière écœurante dont la question du “jour d’après” est abordée - l’essentiel
étant qu’Israël décide de quoi et qui se trouve à Gaza - montre seulement que l’esprit
de 1948 n’est pas mort. C’est ce qu’Israël a fait à l’époque et c’est ce qu’il
veut refaire.
La Cour
internationale de justice décidera si cela suffit pour une condamnation pour
génocide ou autres crimes de guerre. Du point de vue de la conscience, la
réponse a déjà été donnée.
Le Palais de la Paix, siège de la Cour internationale de Justice (CIJ) à La
Haye, 2013. Photo AP