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02/12/2022

ANTONIO MAZZEO
Les USA et Israël s’exercent à une guerre aérienne contre l’Iran

Antonio Mazzeo , Pagine Esteri, 30/11/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Essais de guerre nucléaire anti-Iran. L'un des plus grands exercices aériens jamais réalisés conjointement par les forces armées des États-Unis d'Amérique et d'Israël a débuté dans le ciel de la Méditerranée orientale, mardi 29 novembre. Jusqu'au jeudi 1er décembre, des chasseurs-bombardiers usaméricains et israéliens vont simuler une attaque contre des centrales iraniennes.

"Des chasseurs et des avions ravitailleurs en vol de l'armée de l'air israélienne (IAF) et de l'armée de l'air américaine participeront à l'exercice et simuleront différents scénarios pour faire face aux menaces régionales", explique le service de presse de l'armée de l'air de Tel Aviv dans une note.

 C'est le Jerusalem Post qui révèle le véritable objectif de ces wargames. "Avec la montée des tensions autour du programme nucléaire iranien et les hostilités dans la région, Israël et la République islamique se menacent mutuellement, et les hauts responsables des deux pays affirment que leurs forces armées respectives sont capables de riposter à leurs adversaires", écrit le journal. Face à une attaque de plus en plus prévisible contre les infrastructures nucléaires iraniennes, les autorités israéliennes ont lancé un programme ambitieux et coûteux de renforcement de leurs forces aériennes et maritimes : 58 milliards de shekels (environ 16,29 milliards d'euros) ont été alloués pour le budget de la défense 2023, dont 3,2 milliards sont spécifiquement destinés à la lutte contre Téhéran.

 Selon les médias usaméricains, la décision d'organiser cet exercice aérien a été prise le 23 novembre à l'occasion de la visite aux USA du chef des forces armées israéliennes, le général Aviv Kochavi. "Le chef militaire israélien ainsi que le chef d'état-major américain, le général Mark Milley, et le commandant du CENTCOM (Central Command), le général Michael Kurilla, envisagent de mener un exercice d'entraînement conjoint dans les semaines à venir afin de former les militaires en prévision d'un éventuel conflit avec l'Iran et ses alliés au Moyen-Orient", a annoncé Fox News Digital à l'issue du sommet.

 Pendant sa mission sur le sol usaméricain, le général Aviv Kochavi a également été l'invité du conseiller à la sécurité nationale du président Biden, Jake Sullivan, et du directeur de la Central Intelligence Agency (CIA), William J. Burns. Au Naval Forces Command de Norfolk (Virginie), le chef des forces armées israéliennes a été accompagné de hauts responsables de l'US Navy à bord d'un sous-marin nucléaire et d'un porte-avions pour "en apprendre davantage sur leurs capacités opérationnelles", comme l'a indiqué l'US Navy. Kochavi a conclu sa tournée en participant à un exercice de "préparation" à la crise au quartier général du CENTCOM à Tampa, en Floride, où il a reçu la médaille du service militaire méritoire "pour avoir contribué à approfondir le partenariat stratégique entre les États-Unis d'Amérique et Israël".

 "Afin d'améliorer nos capacités à relever les défis dans la région, l'activité conjointe avec le CENTCOM va se développer de manière significative à l'avenir", a déclaré le général Kohavi avant de rentrer en Israël. "Dans le même temps, les forces armées israéliennes continueront à agir à un rythme accéléré contre l'enracinement du régime iranien dans la région."

 "L'Iran subit de nombreuses pressions économiques, militaires et internes et, d'autre part, continue à promouvoir son programme nucléaire", a ajouté Kohavi. "Avec le général Mark Milley, nous sommes d'accord : nous sommes à un moment critique et le temps exige d'accélérer les plans opérationnels et de coopération contre l'Iran et ses alliés terroristes régionaux."

 L'escalade dangereuse de l'affrontement entre Washington et Tel Aviv et Téhéran trouve une confirmation dans d'autres déclarations officielles récentes. Une semaine avant le voyage du général Kohavi, c'est le général Michael Kurilla, commandant du CENTCOM, qui s'était rendu dans le nord d'Israël pour assister à la livraison de trois nouveaux chasseurs-bombardiers "furtifs" F-35 par la holding militaro-industrielle Lochkeed Martin, après avoir escorté deux bombardiers stratégiques B-52 de l'US Air Force dans l'océan Atlantique et en Méditerranée. "Nous opérons ensemble sur tous les fronts pour recueillir des données de renseignement, neutraliser les menaces et nous préparer à divers scénarios dans une ou plusieurs arènes, en développant des capacités militaires contre l'Iran et d'autres menaces au Moyen-Orient", ont déclaré les généraux Kohavi et Kurilla.

 Le 22 novembre, les forces navales usaméricaines et le commandement de la Ve flotte stationnés à Manama, au Bahreïn, ont publié un communiqué de presse accusant l'Iran d'une attaque aérienne par drone contre un pétrolier battant pavillon libérien, le 15 novembre, dans les eaux du nord de la mer d'Oman. "Un laboratoire de la marine américaine à Bahreïn a confirmé le lien avec l'Iran : deux techniciens en bombes et explosifs sont montés à bord du navire à moteur Pacific Zircon le lendemain de l'attaque pour évaluer les dégâts et recueillir des fragments de l'aéronef sans pilote en vue d'une analyse médico-légale", écrit le commandement usaméricain. "Le laboratoire a déterminé que le drone qui a frappé le pétrolier était un Shahed-136, correspondant à un modèle historique d'utilisation croissante d'une capacité létale directement par l'Iran ou ses alliés au Moyen-Orient. L'Iran a fourni des drones aériens aux Houthis au Yémen et ceux-ci ont été utilisés contre l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ces dernières années. En outre, la plate-forme Shahed-136 est la même que les drones que l'Iran a fournis à la Russie pour les utiliser contre l'Ukraine".

 Les propos du vice-amiral Brad Cooper, commandant des forces navales usaméricaines du Central Command et de la Ve flotte, sont encore plus tranchants : "L'attaque iranienne contre un navire commercial transitant dans les eaux internationales était délibérée, flagrante et dangereuse, et a mis la vie de l'équipage en grave danger, déstabilisant ainsi la sécurité maritime au Moyen-Orient".

 Par coïncidence, deux jours avant la publication du communiqué de presse sur la prétendue frappe "iranienne" contre le Pacific Zircon, une délégation des forces armées israéliennes, dirigée par le conseiller à la sécurité nationale Eyal Hulata, a été reçue par le commandement des forces navales usaméricaines à Bahreïn. Le vice-amiral Brad Cooper et le coordinateur du Conseil national de sécurité des USA pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord, Brett McGurk, ont accueilli les Israéliens. "La délégation a visité le quartier général de la Cinquième Flotte pour discuter des futures possibilités de coopération dans la région et s'informer des efforts en cours pour renforcer les partenariats maritimes régionaux et intégrer les nouvelles technologies", rapporte le Commandement de Manama. "L'automne dernier, le Pentagone a repositionné Israël de la zone relevant du commandement américain en Europe et du commandement central opérant dans la région pour renforcer la coopération militaire navale principalement en mer Rouge."

 À Bahreïn, la délégation israélienne a également rencontré des membres de la Task Force 59, l'unité d'élite de la marine usaméricaine créée en 2021 pour contribuer au développement de nouveaux systèmes de drones navals et sous-marins et de technologies d'IA (intelligence artificielle) pour la Ve  flotte. "La task force a présenté aux invités les résultats des collaborations initiées avec l'industrie privée, les universités et les partenaires régionaux pour améliorer la visibilité au-dessus, en dessous et sur la mer", explique l'US Navy. Maintenant, avec le maxi exercice aérien israélo-usaméricain, les menaces nucléaires dans le ciel de la Méditerranée et du golfe Arabo-Persique deviennent visibles.      

 

 

SHANY LITTMAN
Les musées israéliens ont peur de parler de la Nakba : la famille d’artistes Abu Shakra entre dans l’histoire

Pour la première fois, un musée israélien consacre la quasi-totalité de son espace d’exposition à une exposition d’art palestinien. Les artistes, tous membres de la famille Abu Shakra, veulent parler d’un sujet tabou...

Shany Littman, Haaretz, 2/12/2022 
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

La date est le 31 octobre, la veille des élections israéliennes. Au rond-point situé à l’entrée d’Oum el Fahm , deux femmes tiennent des pancartes invitant les habitants à se rendre aux urnes le lendemain pour voter. Quatre énormes panneaux d’affichage surplombent l’intersection, chacun portant le portrait d’un candidat différent de la liste du parti Balad, et un cinquième panneau d’affichage prédit les quatre sièges de la Knesset que le parti va remporter, assurant ainsi sa place dans la prochaine Knesset. Mais nous savons maintenant comment cela a tourné. (Balad n’a pas dépassé le seuil de voix nécessaire (3,25%) pour entrer au parlement).

Karim Abu Shakra admet qu’il n’a pas l’intention de voter. En fait, depuis 40 ans, il n’a jamais mis les pieds dans un isoloir. La grande et belle galerie où il présente ses peintures aux collectionneurs et aux conservateurs intéressés par son travail est située dans le quartier en haut de la colline, à côté de son studio et de la maison qu’il partage avec sa femme et leurs quatre enfants. De grandes peintures à l’huile sont accrochées aux murs. Certaines sont des autoportraits très expressifs, d’autres des peintures de fleurs et de plantes - des cyclamens dans un pot de fleurs, un oiseau perché sur un chardon, et de nombreux cactus aux formes et aux couleurs variées. Accrochée près de la porte, une photographie encadrée en noir et blanc de son oncle, l’artiste Asim Abu Shakra, décédé d’un cancer en 1990, à l’âge de 28 ans. Karim n’avait que 8 ans à l’époque, mais peu de temps après, il est devenu évident qu’il était destiné à poursuivre le chemin de son oncle talentueux. « C’est mon professeur. Il m’a pris la main et m’a dit : "Continue" », dit Karim.

GIDEON LEVY
David Grossman gagne des prix, mais il n'est pas le véritable héros de la gauche israélienne

Gideon Levy, Haaretz, 1/12/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Chaleureuses félicitations à David Grossman. Le roi des Pays-Bas vient de lui décerner le prestigieux prix Erasmus au palais royal. L'un des membres du comité du prix a expliqué que Grossman a reçu le prix, entre autres raisons, pour « avoir osé écrire sur des sujets politiques controversés tels que les territoires occupés et la vie de la minorité palestinienne en Israël ». Chacun de ces mots est vrai. Le merveilleux auteur ne s'est jamais éloigné des « sujets controversés ». Mais Grossman a toujours pris soin de se battre pour des positions dans les limites du sionisme. C'est sa conviction et son droit.

Le roi néerlandais Willem-Alexander, à gauche, et l'écrivain israélien David Grossman au Palais royal d'Amsterdam, mardi

Grossman a probablement payé un prix pour ses positions modérées, mais il est douteux qu'il ait fallu beaucoup de courage pour les énoncer. Dans notre camp, comme on dit, il est permis et même souhaitable de dire "deux États", "juif et démocratique" et "un leadership creux". Grossman est un présentateur éloquent et impressionnant de ces positions, en Israël et dans le monde, ayant exposé les dures conditions dans les territoires dès 1987, dans son livre “Le vent jaune”. Il est implacable dans sa campagne. Après la mort d'Amos Oz, Grossman reste le seul chef spirituel de la gauche sioniste. Au Palais royal, aux Pays-Bas, on pense probablement comme Grossman que l'occupation est mauvaise et qu'il faut faire la paix.

Le journaliste Israel Frey l'année dernière. Photo : Moti Milrod

Pendant que Grossman serrait la main du roi, un autre écrivain, moins célèbre et moins brillant, était convoqué pour être interrogé par la police. Le journaliste Israel Frey a été convoqué pour un interrogatoire après avoir fait l'éloge, sur Twitter, d'un terroriste qui a été arrêté en septembre dernier à Jaffa, car le terroriste n'avait souhaité frapper que des soldats, et non des civils. « Regardez quel héros il est. Il a fait tout le chemin de Naplouse à Tel Aviv, et même si tous les Israéliens qui l'entourent participent d'une manière ou d'une autre à l'oppression, à l'écrasement et au meurtre de son propre peuple - il a quand même cherché des cibles légitimes et a évité de blesser des innocents. Dans un monde juste, il aurait reçu une médaille », peut-on lire dans le tweet.

Frey a été licencié de son poste à DemocraTV, la chaîne de télévision gaucho-sioniste par excellence, et a ensuite été convoqué pour être interrogé par la police. Il a déjà payé un prix pour sa déclaration que personne dans la gauche sioniste n'a jamais payé. Si l'épreuve du courage consiste à payer un prix personnel, Frey est un héros.

Frey ne sera pas invité au palais royal des Pays-Bas et ne recevra aucun prix pour avoir « osé écrire sur des sujets politiques controversés ». Il est au-delà des limites, et son opinion est rejetée au-delà de la barrière, au point de l'incriminer. Les personnes décentes et honnêtes devraient avoir du mal à réfuter les affirmations de Frey. Mais dans la réalité ultra-nationaliste, propagandiste et rapace dans laquelle nous vivons, il n'y a pas de place pour une telle intégrité. Il est plus facile de le renvoyer d'un lieu de travail éclairé et progressiste à ses propres yeux, tout en l'accusant d’apologie de la terreur.

Dans un environnement où la "terreur" est tout ce que font les Palestiniens et la "légitime défense" tout ce que font les Israéliens ; dans un endroit où le meurtre d'enfants et de jeunes par dizaines et par centaines, dont deux frères rien que cette semaine, n'est pas considéré comme de la terreur, mais où il est illégitime, en toutes circonstances, de faire du mal à des colons violents et accapareurs de terres ou à des soldats de l'armée d'occupation, il est inutile d'essayer d'expliquer pourquoi la position de Frey est correcte. Nous allons quand même essayer : Il n'y a pas de gauche sans égalité, et l'égalité doit inclure le droit des deux peuples, et pas seulement d'un seul, à s'engager dans la résistance et l'auto-défense. Les Israéliens ne sont pas les seuls à avoir le droit de tuer tout en qualifiant les tueurs de héros.

Il est facile de revêtir un manteau antiviolence moralisateur - nous nous opposons à la violence - tout en considérant les paroles de Frey comme une incitation à la violence. « Je veux voir tous les terroristes morts », selon les mots du commissaire de police Yaakov Shabtai, n'est pas une incitation à la violence, puisque rien n'est plus fluide que la définition d'un Palestinien comme terroriste. « Mort aux terroristes » n'est pas non plus une apologie de la violece. Mais exprimer son étonnement face à un Palestinien qui s'est abstenu de blesser des civils, ne cherchant que des soldats comme cible, ça l’est.

La période à venir sera difficile pour quiconque souhaite faire des déclarations véritablement courageuses. On peut supposer que Grossman continuera à parler de deux États et de la fin de l'occupation, et à récolter davantage de prix. Frey pourrait finir en prison. Y a-t-il un doute quant à savoir lequel des deux a le plus de courage ?