المقالات بلغتها الأصلية Originaux Originals Originales

28/05/2023

ANNAMARIA RIVERA
Produire de la viande

Annamaria Rivera, Comune-Info, 25/5/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Pour aborder, même brièvement, un thème tel que celui que je propose, je pense qu’il convient de commencer par le concept de réification. En résumé, on peut dire qu’il s’agit d’une posture, d’une disposition, d’une pratique sociale routinière qui nous incite à traiter les sujets autres que nous-mêmes non pas d’une manière conforme à leurs qualités d’êtres sensibles, mais comme des objets inertes, voire comme des choses ou des marchandises.

Une autre ligne de pensée que j’ai essayé de rendre opérante est celle que l’on pourrait trivialement appeler animaliste : il s’agit en fait d’une réflexion sur la continuité des processus de domination et de réification. La dialectique négative proposée par Theodor W. Adorno, selon laquelle le moi de l’humain est produit par la négation active de l’autre-que-soi, liée à la domination sur la nature, ne concerne pas seulement le rapport hommes/femmes et nous/les /autres, mais aussi celui entre humains et animaux.

Dans le cas des animaux, la marchandisation est en effet totale, au point que les industries qui exploitent les non-humains « ne parlent plus seulement de reproduction mais de production de l’animal : comme si les animaux n’étaient qu’une matière corporelle qu’il appartient au travail humain de former, d’instrumentaliser et de reproduire », ainsi que de tuer (Melanie Bujok, 2008, Materialità corporea, “materiale-corpo”. Pensieri sullappropriazione del corpo di animali e donne ; orig. Körperliche Materialität, „Körper-Material“-Einige Gedanken zur Bemächtigung des Körpers von Tieren und Frauen, 2005).

 

Si abschlachten (“abattre, massacrer” : cf. Schlachter, boucher) était le verbe utilisé par les bouchers nazis pour nommer le massacre des prisonniers dans les camps, planifié et réalisé selon une stricte logique industrielle, aujourd’hui, élever, torturer et abattre des animaux s’appelle “produire de la viande”.

 

Pour subvertir ce modèle, il faut d’abord en montrer la partialité : bien qu’il se soit répandu dans des domaines disparates, il est issu d’une petite fraction de la pensée philosophique - l’occidentale moderne - qui tend à penser en termes de polarités opposées le rapport entre nature et culture, qui sépare, culturellement et moralement, les humains des non-humains, qui établit une fracture irrémédiable entre les sujets humains et les objets animaux, déniant à ces derniers la qualité de sujets, précisément, dotés de sensibilités, de biographies, de mondes, de cultures et d’histoires.


 Cette fraction de la pensée a produit une ontologie très particulière qui, à son tour, a généré une cosmologie et une éthique parmi d’autres. Pour bien comprendre son arbitraire, sa spécificité et donc sa non-universalité, il suffit de considérer que ce modèle dualiste n’a pas de sens pour la plupart des traditions culturelles non occidentales. Parmi celles-ci, nombreuses sont celles qui ont fait de la continuité entre les êtres vivants le paradigme constitutif de leurs ontologies et de leurs cosmologies.

 

La réification des non-humains s’est transformée en marchandisation massive avec les élevages intensifs et les abattoirs automatisés des sociétés industrielles-capitalistes : des structures de concentration, pourrait-on dire, qui, en favorisant le “saut d’espèce”, représentent, entre autres, l’une des causes de la dernière pandémie, comme de bien d’autres qui l’ont précédée.

 

Il suffit de mentionner le SRAS (“syndrome respiratoire aigu sévère”), qui s’est répandu entre 2002 et 2003, également causé par un coronavirus. Mais il ne faut pas oublier que l’Ebola, le sida, la grippe aviaire sont également d’origine zoonotique.

 

Tout cela est dialectiquement lié aux processus rapides et de plus en plus répandus de déforestation, d’urbanisation, d’industrialisation, voire d’agriculture, qui enlèvent progressivement des portions d’habitat aux animaux dits sauvages. Ceux-ci, s’ils survivent, ne peuvent que s’approcher des installations humaines et donc aussi des animaux dits “d’élevage”, parmi les plus vulnérables car immunologiquement déprimés en raison des conditions et des traitements extrêmes auxquels ils sont soumis : entre autres, l’administration de doses anormales d’antibiotiques, sans parler des pratiques de véritable torture.

 

Dans Homo sapiens et mucca pazza. Antropologia del rapporto con il mondo animale (Homo sapiens et vache folle. Anthropologie du rapport avec le monde animal), un livre que j’ai édité, publié par la maison d’édition Dedalo en 2000, et pourtant tragiquement d’actualité, j’ai écrit, entre autres, que ceux qui achètent, par exemple, « de la viande de veau ignorent ou veulent ignorer que la clarté de cette chair devenue viande est obtenue en forçant le veau à vivre sa courte vie dans l’immobilité absolue, bourré de toutes sortes de médicaments qui font vieillir rapidement ses organes, et emprisonné dans des espaces étroits et sombres".

 

Ce volume, auquel ont participé, outre moi-même, Mondher Kilani, Roberto Marchesini et Luisella Battaglia, était, en particulier dans le cas de ma contribution, largement inspiré par le grand anthropologue Philippe Descola (Par-delà nature et culture, Gallimard 2005), même s’il ne manquait pas de références explicites à d’autres penseurs importants tels que Jacques Derrida (L’animal  que  donc je suis, Galilée 2006).

 

Si les raisons de la propension à manger de la “viande” sont à chercher avant tout du côté du marché et des intérêts de l’industrie de l’élevage, il ne faut pas négliger l’importance de la raison symbolique : dès 1992, Derrida dans Points de suspension (Galilée, 1992) avait esquissé la figure d’une subjectivité “phallogocentrique de la viande”, propre au sujet masculin, détenteur du logos et, précisément, carnivore. À cela s’ajoute la manipulation cruelle des êtres vivants que constituent les expériences de transgénèse, de clonage, etc.

 

Avec les animaux de laboratoire, le cycle maudit atteint son paroxysme. Il n’est donc pas exagéré d’établir une analogie avec les pratiques nazies consistant à réduire les corps humains à l’état de mannequins, d’instruments, de cobayes pour la réalisation d’atroces expériences soi-disant “scientifiques”.

 

Et pourtant, au plus fort de la crise pandémique, la dernière en date, alors que la prise de conscience de la centralité de la question de notre relation perverse avec les écosystèmes et les non-humains aurait dû être largement partagée, a fortiori par les universitaires, voilà que certains d’entre eux se sont laissé aller à des déclarations déconcertantes. Je fais allusion au virologue Roberto Burioni qui, à la télévision, a souhaité que “nos amis à quatre pattes” puissent également contracter le Covid-19 car cela « nous donnera un avantage considérable dans l’expérimentation des vaccins ».

 

Pourtant, il est bien connu que le modèle des expériences sur les non-humains est non seulement inacceptable d’un point de vue éthique, mais qu’il est aujourd’hui si coûteux et dépassé qu’il rend très improbable la création de médicaments et de vaccins efficaces. Cela ne concerne pas seulement le sort des non-humains. Une idéologie et des pratiques similaires conduisent au sacrifice sélectif des humains, les plus vulnérables, les plus exposés, les plus précaires et/ou les plus altérisés, comme nous l’avons également vu lors de la récente pandémie.

 

Depuis près de trente ans, c’est-à-dire depuis que j’ai commencé à intégrer ce qu’on appelle improprement la “question animale” (ou la “question non humaine”) dans mes recherches, et donc dans des essais et des articles, la pensée et les travaux de Philippe Descola me sont devenus indispensables, au point que je le cite très fréquemment : extrêmement utiles, l’un et l’autre, pour montrer - comme il l’écrit lui-même dans Par-delà nature et culture - que « l’opposition entre la nature et la culture ne possède pas l’universalité qu’on lui prête».

 

«  Mener à bien une telle entreprise », ajoute-t-il «  exige que l’anthropologie se défasse de son dualisme constitutif et devienne pleinement moniste ».

 

C’est d’ailleurs grâce à ses recherches et à sa réflexion que j’ai trouvé le courage de mener plus d’une décennie d’enquêtes de terrain à Essaouira : une ville du sud-ouest du Maroc, exemplaire par son histoire de mixité, notamment par la longue cohabitation entre arabo-musulmans et juifs, sans parler d’autres minorités, mais aussi par la cohabitation dense et profonde entre les humains et certaines catégories de non-humains.

Ma recherche - comme je l’ai dit - inspirée de ce qu’on appelle aujourd’hui, un peu improprement, « l’ethnographie multi-espèces », qui a ensuite, dans mon cas, pris la forme d’un essai, publié par Dedalo en 2016 : La città dei gatti. Antropologia animalista di Essaouira (La ville des chats. Anthropologie animaliste d’Essaouira).

Dans cet essai, le thème de la convivialité interspécifique joue un rôle important : avec les chats, les mouettes et même les chiens. Je dis “même” parce que ces derniers ont longtemps été considérés, du côté musulman, comme des êtres impurs, comme on le sait. Il faut cependant préciser que cette distinction entre animaux purs et impurs n’est pas du tout propre au seul monde musulman. Et actuellement, à Essaouira notamment, les chiens sont également accueillis, protégés et intégrés dans le monde des humains.

 

Un autre aspect mérite d’être souligné : à Essaouira, les personnes qui prennent soin d’animaux libres comme les mouettes, les chats et même les chiens sont aussi, voire surtout, les personnes les plus démunies, qui pratiquent une éthique commune de la compassion et de la solidarité, élargie au-delà de l’“espèce” humaine. En s’adonnant au “luxe” du sens et du don, de l’affection et de l’attention les plus gratuites, elles échappent à la raison économique et utilitariste qui les a condamnés. Ils brisent ainsi la chaîne de la dépendance obligatoire à l’égard du besoin à laquelle la société les a liées et dont elle les imagine esclaves.


 

Toujours à propos de la convivialité interspécifique, il convient d’ajouter qu’elle a été pour moi non seulement un objet d’observation, mais aussi et surtout une expérience relationnelle personnelle : directe et durable. En effet, selon mon expérience de terrain, l’animalité, si elle ne permet pas de placer le non-humain dans le rôle classique de “l’informateur ”, le place cependant dans celui d’acteur et de témoin d’un contexte qui favorise les rencontres, les relations, voire les amitiés transpécifiques durables. Tout cela, j’ai pu l’expérimenter personnellement, notamment avec quelques mouettes et chats, auxquels me lie une amitié fidèle et constante depuis plusieurs années.

 

Pour conclure avec une dernière citation de Descola : « Bien des sociétés dites « primitives » […] n’ont jamais songé que les frontières de l’humanité s’arrêtaient aux portes de l’espèce humaine, elles qui n’hésitent pas à inviter dans le concert de leur vie sociale les plus modestes plantes, les plus insignifiants des animaux. »

 

“Humains, la vraie peste, c'est vous”

 

 


GIDEON LEVY
Il ne reste que deux options pour Israël : une nouvelle Nakba ou un État pour deux peuples

Gideon Levy, Haaretz, 28/5/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L'une des plus grandes réussites de Benjamin Netanyahou est d'avoir définitivement balayé de la table la solution des deux États. En outre, au cours de ses années au poste de premier ministre, il est parvenu à faire disparaître l'ensemble de la question palestinienne de l'agenda public.

Illustration : Marina Grachanik

En Israël et à l'étranger, plus personne ne s'y intéresse, si ce n'est pour la forme, du moins pour l'instant. Aux yeux de la droite, il s'agit d'une formidable réussite. Aux yeux de toute autre personne, il s'agit d'une évolution désastreuse, l'indifférence à son égard étant encore plus désastreuse.

Netanyahou ne nous laisse que deux solutions à long terme, et pas plus : une seconde Nakba ou un État démocratique entre le Jourdain et la mer Méditerranée. Toute autre solution est insoutenable et n'est qu'une illusion, comme toutes celles qui l'ont précédée, destinée à gagner du temps pour consolider l'occupation. Non pas qu'il y ait beaucoup plus à consolider : l'occupation est profonde, consolidée, forte et irréversible. Mais si l'on peut la consolider encore plus, pourquoi pas ? Le retrait de la question de l'ordre du jour permettra de déclarer officiellement la mort de la solution à deux États, des décennies après qu'elle est morte de facto.

Netanyahou souhaitait supprimer tout débat sur l'existence de deux États, et il y est parvenu sans difficulté. Il n'est pas étonnant que les deux parties sachent parfaitement qu'aucune solution sérieuse et globale n'a été proposée depuis que les premiers colons ont occupé le Park Hotel à Hébron en 1968. En tout état de cause, il n'y a pas de place entre le Jourdain et la Méditerranée pour deux véritables États-nations, dotés de tous les attributs d'un État indépendant, y compris d'une armée. Il y a tout au plus de la place, dans les bons jours, pour une superpuissance régionale juive et un État palestinien fantoche. Il faut respecter les personnes qui se battent encore pour deux États dans leurs prévisions, leurs plans, leurs tableaux et leurs cartes, mais aucune base de données ne peut changer le fait flagrant qu'aucun véritable État palestinien ne sera établi ici. Sans lui, il n'y a pas de solution à deux États.

En tuant cette solution, Netanyahou ne nous laisse que deux solutions possibles. La grande majorité des Israéliens, y compris Netanyahou lui-même, comptent sur la perpétuation de l'apartheid pour l'éternité. Ostensiblement, cela semble être le scénario le plus raisonnable. Mais la montée en puissance de la droite israélienne et l'esprit de résistance des Palestiniens, qui ne s'est pas complètement dissipé, ne permettront pas que cette situation perdure éternellement. L'apartheid est une solution provisoire, peut-être à long terme - il est en place depuis plus de 50 ans et peut persister pendant encore 50 ans - mais sa fin viendra. Comment cela se passera-t-il ? Il n'y a que deux scénarios possibles. L'un est privilégié par l'extrême droite et, malheureusement, peut-être par la quasi-totalité des Israéliens : une seconde Nakba. Si les choses se précipitent et qu'Israël doit choisir entre un État démocratique pour deux peuples et une expulsion massive de Palestiniens afin de maintenir l'existence d'un État juif, le choix sera clair pour la quasi-totalité des Juifs israéliens. À partir du moment où la solution de deux États a été écartée, ils n'ont plus eu d'autre choix.

C'est une bonne chose que la solution des deux États ait été retirée de l'ordre du jour, étant donné que l'implication stérile actuelle dans ce domaine n'a fait que causer des dégâts. Il s'agissait d'une solution prête à l'emploi, nous l'adopterons donc au moment opportun. Cela a consolé le monde et les camps de gauche et du centre en Israël, tout en ignorant les centaines de milliers de colons violents qui exercent un pouvoir politique important et qui ont donné le coup de grâce à cette solution il y a longtemps. Dans une Cisjordanie dépourvue de Juifs, cette solution avait quelques chances ténues, mais pas dans une région où les colons règnent en maîtres. Le problème, c'est que les cinq millions de Palestiniens qui vivent entre le Jourdain et la Méditerranée ne vont nulle part entre-temps.

Le jour viendra, même si ce n'est que dans un avenir lointain, où l'on nous braquera un pistolet sur la tempe : une deuxième Nakba, avec l'expulsion des Arabes israéliens [Palestiniens de 1948], ou un seul État démocratique, avec un premier ministre ou un ministre de la Défense palestinien, une armée commune, deux drapeaux, deux hymnes et deux langues. Il n'y a pas d'autre solution que celles-ci. Laquelle choisirez-vous ?

 

 

 

GREG GRANDIN
Henry Kissinger, criminal de guerra, sigue libre a los 100 años

Greg Grandin, The Nation, 15/5/2023
Traducido por María Piedad Ossaba, Tlaxcala/La Pluma

Greg Grandin (1962), miembro del consejo editorial de The Nation, es historiador usamericano, profesor de Historia en la Universidad de Yale y autor de numerosos libros. Entre ellos destacan Kissinger's Shadow: The Long Reach of America's Most Controversial Statesman (Metropolitan Books, 2015) y The End of the Myth: From the Frontier to the Border Wall in the Mind of America (Metropolitan Books, 2019), que ganó el Premio Pulitzer 2020 de No Ficción General.

Ahora sabemos mucho sobre los crímenes que cometió mientras estaba en cargo, desde ayudar a Nixon a desbaratar las conversaciones de paz de París y prolongar la guerra de Vietnam, hasta dar luz verde a la invasión de Camboya y al golpe de Pinochet en Chile. Pero sabemos poco de las cuatro décadas que pasó en Kissinger Associates.

Henry Kissinger debería haber caído con los demás: Haldeman, Ehrlichman, Mitchell, Dean [los plomeros del Watergate, NdlT] y Nixon. Sus huellas estaban por todas partes en el Watergate. Sin embargo, sobrevivió, en gran parte jugando con la prensa.


Ilustración de Steve Brodner

Hasta 1968, Kissinger había sido republicano con Nelson Rockefeller, aunque también fue asesor del Departamento de Estado en la administración Johnson. Según los periodistas Marvin y Bernard Kalb, Kissinger quedó estupefacto por la derrota de Richard Nixon ante Rockefeller en las primarias. “Lloró”, escribieron. Kissinger pensaba que Nixon era “el más peligroso de todos los hombres que se presentaban para ser Presidente”.

Kissinger pronto abrió una puerta trasera al entorno de Nixon, ofreciéndose a utilizar sus contactos en la Casa Blanca de Johnson para filtrar información sobre las conversaciones de paz con Vietnam del Norte. Siendo aún profesor en Harvard, trató directamente con el asesor de política exterior de Nixon, Richard V. Allen. Allen, quien, en una entrevista concedida al Miller Center de la Universidad de Virginia, dijo que Kissinger, “por iniciativa propia”, se ofreció a pasar información que había recibido de un ayudante que participaba en las conversaciones de paz. Allen describió a Kissinger como una persona que actuaba con mucha discreción, llamándole desde teléfonos públicos y hablando en alemán para informarle de lo que había ocurrido durante las conversaciones.

A finales de octubre, Kissinger dijo a la campaña de Nixon: “Están descorchando champán en París”. Pocas horas después, el presidente Johnson suspendió los bombardeos. Un acuerdo de paz podría haber dado ventaja a Hubert Humphrey, que se acercaba a Nixon en las encuestas. Los ayudantes de Nixon reaccionaron rápidamente incitando a los survietnamitas a echar por tierra las conversaciones.

A través de escuchas telefónicas e interceptaciones, el presidente Johnson se enteró de que la campaña de Nixon estaba diciendo a los survietnamitas que “aguantaran hasta después de las elecciones”. Si la Casa Blanca hubiera hecho pública esta información, la indignación podría haber inclinado las elecciones a favor de Humphrey. Pero Johnson dudó. “Es traición”, dijo, citado en el excelente libro de Ken Hughes Chasing Shadows: The Nixon Tapes, the Chennault Affair, and the Origins of Watergate. “Eso sacudiría al mundo”.

Johnson guardó silencio. Nixon ganó. La guerra continuó.

Esta sorpresa de octubre desencadenó una serie de acontecimientos que llevarían a la caída de Nixon.

Kissinger, que había sido nombrado Consejero de Seguridad Nacional, aconsejó a Nixon que ordenara el bombardeo de Camboya para presionar a Hanoi a volver a la mesa de negociaciones. Nixon y Kissinger estaban dispuestos a todo para reanudar las conversaciones que habían ayudado a sabotear, y su desesperación se manifestó en ferocidad. Uno de los colaboradores de Kissinger recuerda que la palabra “salvaje” se utilizó repetidamente en las discusiones sobre el quehacer (en el Sudeste Asiático.

El bombardeo de Camboya (un país con el que USA no estaba en guerra), que acabaría desintegrando el país y provocando el ascenso de los Jemeres Rojos, era ilegal. Así que tuvo que hacerse en secreto. La presión para mantenerlo en secreto llevó a la paranoia dentro de la administración, lo que a su vez llevó a Kissinger y Nixon a pedir a J. Edgar Hoover [jefe del FBI] que interviniera los teléfonos de los funcionarios de la administración. La filtración de los Papeles del Pentágono de Daniel Ellsberg sembró el pánico en Kissinger. Temía que Ellsberg, al tener acceso a los documentos, pudiera saber también lo que Kissinger tramaba en Camboya.

El lunes 14 de junio de 1971, al día siguiente de que el New York Times publicara su primer artículo sobre los Papeles del Pentágono, Kissinger explotó gritando: “Esto destruirá totalmente la credibilidad americana para siempre...Destruirá nuestra capacidad de dirigir la política exterior con confianza... Ningún gobierno extranjero volverá a confiar en nosotros”.

“Sin el empuje de Henry”, escribe John Ehrlichman en sus memorias, Witness to Power, “el Presidente y el resto de nosotros podríamos haber llegado a la conclusión de que los documentos eran problema de Lyndon Johnson, no nuestro”. Kissinger “avivó la llama de Richard Nixon”.

¿Por qué? Kissinger acababa de iniciar negociaciones con China para restablecer relaciones y temía que el escándalo saboteara estas conversaciones.

Para avivar los rencores de Nixon, retrató a Ellsberg como un hombre inteligente, subversivo, promiscuo, perverso y privilegiado: “Se casó con una chica muy rica”, le dijo Kissinger a Nixon.

“Empezaron a excitarse mutuamente”, recuerda Bob Haldeman (citado en la biografía de Kissinger escrita por Walter Isaacson), “hasta que ambos entraron en un estado de frenesí”.

Un artista del subterfugio: aunque el Watergate fue tanto obra suya como de Nixon, Kissinger salió indemne gracias a sus admiradores en los medios de comunicación. Aquí, con Lê Đc Th, líder del FNL de Vietnam del Sur, con quien ganó el Premio Nobel de la Paz en 1973. Lê Đc Th rechazó el premio, y Mister K. nunca fue a recibirlo (Foto Michel Lipchitz / AP)

Si Ellsberg salía indemne, Kissinger le dijo a Nixon: “Esto demostrará que es usted débil, señor Presidente”, lo que impulsó a Nixon a crear los Plomeros, la unidad clandestina que llevó a cabo escuchas telefónicas y robos, incluso en la sede del Comité Nacional Demócrata en el complejo Watergate.

Seymour Hersh, Bob Woodward y Carl Bernstein publicaron artículos acusando a Kissinger de estar detrás de la primera serie de escuchas telefónicas ilegales establecidas por la Casa Blanca en la primavera de 1969 para mantener en secreto los bombardeos de Camboya.

Al aterrizar en Austria de camino a Oriente Medio en junio de 1974 y descubrir que la prensa había publicado más artículos y editoriales poco halagadores sobre él, Kissinger celebró una improvisada conferencia de prensa y amenazó con dimitir. Según todos los indicios, se trataba de una maniobra. “Cuando se escriba la histori”, dijo, aparentemente al borde de las lágrimas, “puede que se recuerde que se salvaron algunas vidas y que algunas madres pueden dormir más tranquilas, pero eso se lo dejo a la historia. Lo que no dejaré para la historia es una discusión sobre mi honor público”.

La maniobra funcionó. Parecía “totalmente auténtico”, afirmó la revista New York Magazine. Como si retrocedieran ante su propia denuncia implacable de los crímenes de Nixon, los periodistas y locutores se unieron en torno a Kissinger. Mientras el resto de la Casa Blanca resultaba ser un puñado de matones de pacotilla, Kissinger seguía siendo alguien en quien USA podía creer. “Estábamos medio convencidos de que nada superaba las capacidades de este hombre extraordinario”, declaró Ted Koppel, de ABC News, en un documental de 1974, en el que describía a Kissinger como “el hombre más admirado de Estados Unidos”. Era, añadía Koppel, “el mejor activo que jamás hemos tenido”.

Ahora sabemos mucho más sobre los otros crímenes de Kissinger y el inmenso sufrimiento que causó durante los años en que ocupó cargos públicos. Dio luz verde a golpes de Estado y permitió genocidios. Dijo a los dictadores que mataran y torturaran rápidamente, vendió a los kurdos y dirigió la chapucera operación de secuestro del general chileno René Schneider (con la esperanza de descarrilar la toma de posesión del presidente Salvador Allende), que acabó con el asesinato de Schneider. Después de Vietnam, centró su atención en Oriente Próximo, dejando la región sumida en el caos y allanando el camino a las crisis que siguen afligiendo a la humanidad.

Sin embargo, poco sabemos de lo que ocurrió después, durante sus cuatro décadas de trabajo con Kissinger Associates. La “lista de clientes” de la empresa ha sido uno de los documentos más buscados en Washington al menos desde 1989, cuando el senador Jesse Helms pidió sin éxito verla antes de considerar la confirmación de Lawrence Eagleburger (un protegido de Kissinger y empleado de Kissinger Associates) como vicesecretario de Estado. Kissinger dimitió posteriormente como presidente de la Comisión del 11-S antes que someter la lista al escrutinio público.

Kissinger Associates fue uno de los primeros actores de la ola de privatizaciones que siguió al final de la Guerra Fría en la antigua Unión Soviética, Europa del Este y América Latina, contribuyendo a crear una nueva clase oligárquica internacional. Kissinger había utilizado los contactos que había hecho como funcionario para fundar uno de los negocios más lucrativos del mundo. Después, tras liberarse de la metedura de pata del Watergate, utilizó su reputación de sabio de la política exterior para influir en el debate público, presumiblemente en beneficio de sus clientes. Kissinger fue un firme partidario de las dos guerras del Golfo y colaboró estrechamente con el Presidente Clinton para que el Congreso aprobara el TLCAN.

La empresa también ha aprovechado las políticas establecidas por Kissinger. En 1975, como Secretario de Estado, Kissinger ayudó a Unión Carbide a instalar su planta química en Bhopal, trabajando con el gobierno indio y obteniendo financiación usamericana. Tras la catástrofe causada por la fuga química de la planta en 1984, Kissinger Associates representó a Unión Carbide, negociando un mísero acuerdo amistoso para las víctimas de la fuga, que causó casi 4.000 muertes inmediatas y expuso a medio millón más a gases tóxicos.

Hace unos años, la donación de Kissinger de sus documentos públicos a Yale causó un gran revuelo. Pero nunca conoceremos la mayor parte de las actividades de su empresa en Rusia, China, India, Oriente Medio y otros lugares. Se llevará esos secretos a la tumba. [¿Así que no es inmortal?, NdlT]