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17/06/2022

HAIDAR EID
Écrire notre propre histoire : note de lecture de The Stone House, de Yara Hawari

Haidar Eid, Mondoweiss, 16/6/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

"The Stone House" de Yara Hawari est l'histoire d'un traumatisme palestinien sans fin, enraciné dans la Nakba. Mais c'est aussi un témoignage de fermeté, de résistance et,  j'ose le dire, d'espoir.

Bâtiments dépeuplés dans le village de Lifta, à l'ouest de Jérusalem, le 6 mars 2022. Le village de Lifta, qui se trouve juste à l'extérieur de Jérusalem, est abandonné depuis que l'armée israélienne a chassé les derniers de ses habitants palestiniens en 1948. Photo : Wajed Nobani/APA Images

THE STONE HOUSE
par Yara Hawari
96 pages. Hajar Press, 12,50 £.

Il se trouve que je donnais mes derniers cours de critique littéraire, où je discutais avec mes étudiants de termes littéraires tels que le réalisme et la question de savoir si la littérature peut le transcender et aller «  au-delà du réalisme « , pour ainsi dire, lorsque j'ai commencé à lire la " novella "[roman court] de Yara Hawari, The Stone House. Mais s'agit-il d'une novella, c'est-à-dire d'un genre littéraire qui fictionnalise la réalité ? Il est rare que je finisse de lire une fiction d'une traite, mais ce livre était une exception.

Dans mon autre cours sur le genre, nous lisons des textes palestiniens et sud-africains, de Ghassan Kanafani et Njabulo Ndebele, où nous discutons de l'histoire du point de vue du colonisé et de la manière dont elle offre une alternative à l'histoire officielle, c'est-à-dire à la version plus dominante du colonisateur. Nous comparons ensuite l'histoire de la Palestine et de l'Afrique du Sud et concluons que l'apartheid et le sionisme ont tous deux créé un récit historique dominant qui cherche à éliminer tous les autres récits.

C'est pourquoi j'ai trouvé la (non-)fiction de Yara étonnante ! Écrit/narré du point de vue de trois "personnages" représentant trois générations de Palestiniens des années 1920 et 1930, puis de 1948 (la génération de la Nakba) et enfin de 1968, après la Naksa, lorsque toute la Palestine historique est tombée aux mains des troupes sionistes.  Le centre de la nouvelle, étant une histoire palestinienne, est bien sûr la Nakba et son impact sur le père, la grand-mère et l'arrière-grand-mère de Yara, racontée sur un ton mélancolique. En fait, étant moi-même Palestinien, je dirais certainement que c'est l'histoire de ma propre famille qui m'a été racontée par ma mère et ma grand-mère sous la forme de hekaya, de contes, notre forme d'histoire orale qui a maintenu notre récit en vie malgré toutes les tentatives des puissances plus hégémoniques de l'effacer. Dans la nouvelle de Yara, elle est parfois racontée de manière directe, et parfois sous forme de flux de conscience, personnel et collectif.

Mahmoud, le père de Yara, se voit consacrer le premier chapitre pour nous faire part de l'impact direct de la Nakba sur sa vie, même s'il est né quelques années après. Mahmoud est un citoyen palestinien de seconde classe en Israël, vivant sous le coup des lois racistes d'Israël, un "absent présent", un rappel constant du péché originel d'Israël, à savoir le nettoyage ethnique de la Palestine, et il doit en payer le prix fort.

Le deuxième chapitre est raconté par sa mère, Dheeba, une femme bédouine courageuse et éloquente, mariée à un fellah (agriculteur/paysan) et qui doit faire face à ce fait en plus d'être Palestinienne. Bien que Dheeba soit analphabète, le social et le politique sont abordés de manière fascinante à travers sa conscience.

Le troisième chapitre est consacré à Hamda, l'arrière-grand-mère de Yara, qui nous ramène au début du siècle, lorsque la Palestine était d'abord sous occupation ottomane, puis sous le colonialisme britannique, naïvement bien accueilli par les Palestiniens sur la base d'une fausse promesse de liberté.

Ce qui relie les trois personnages, et le reste du peuple palestinien, c'est la Nakba. Edward Said l'a très bien exprimé dans After the Last Sky, où il voit une ligne entre la vie personnelle de chaque Palestinien et la Nakba. Le thème de presque tous les écrits de Ghassan Kanafani tourne autour de cet événement horrible. La plupart des poèmes de Mahmoud Darwish portent sur l'identité palestinienne après la Nakba. Et Handala de Naji Al Ali est le fils de la Nakba. Le livre de Yara ne fait pas exception.

... [Mahmoud] a découvert que les récits de la Catastrophe se posaient lourdement et douloureusement dans son esprit. Il pouvait les imaginer de manière très vive, avec angoisse, comme s'il s'agissait de ses propres souvenirs. Ils éclipsaient le présent et brouillaient les distinctions dans le temps et entre les générations.

Comme si Yara décrivait mes propres sentiments !

C'est l'histoire de hekayas personnelles, d'un traumatisme sans fin, dont le centre est la Nakba. Mais en même temps, c'est une exposition de Sumud/résistance, muqawama/résistance, Thaakera/mémoire, Hawiyya/identité et... j'ose dire, d'ESPOIR !

C'est pourquoi j'ai décidé de conclure cette note par une citation de Patrice Lumumba, le premier Premier ministre démocratiquement élu de la République démocratique du Congo. :

   « Un jour, l’histoire aura son mot à dire, mais ce ne sera pas l'histoire qu'on enseigne à l’ONU, à Washington, Paris ou Bruxelles [ou Tel Aviv], mais l'histoire qu’on enseignera dans le pays libéré du colonialisme et de ses marionnettes.

    L'Afrique [la Palestine] écrira sa propre histoire et ce sera une histoire de gloire et de dignité ».

 

 

 

GIDEON LEVY
A.B. Yehoshua, le visionnaire de l'État unifié

Gideon Levy, Haaretz, 17/6/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

A.B. Yehoshua était le visionnaire de l'État unifié. Ce n'est pas un hasard si cette pierre angulaire de sa pensée a été laissée de côté dans les nombreux éloges funèbres prononcés à son sujet depuis sa mort, mardi. Yehoshua était le seul de sa génération et de son statut à avoir osé franchir le Rubicon. Il n'a pas terminé la traversée, et peut-être ne l'aurait-il jamais fait, car la route était encore longue ; mais il a osé commencer à y marcher. Contrairement à son cher ami Amos Oz, et à la gauche sioniste en général, Yehoshua a eu l'audace d'admettre l'échec de la solution à deux États et de reconnaître publiquement sa futilité.

A.B. Yehoshua. Photo : Rafaela Fahn Schoffman

 Le reste de ses amis de gauche ont continué et continuent de s'enliser dans cette solution pour apaiser leurs consciences. Voici la solution. Tout ce que nous avons à faire, c'est de la retirer de l'étagère. Mais l'étagère n'existe pas, la solution n'existe pas, et elle n'a probablement jamais existé. En s'enfonçant dans leur faux rêve, ils ne font que nous éloigner de toute solution et renforcer l'occupation. La plupart d'entre eux se mentent également à eux-mêmes, car au fond de leur cœur, ils savent, bien sûr, qu'il n'y aura jamais deux véritables États entre le Jourdain et la mer Méditerranée. Yehoshua était presque le seul à le reconnaître. C'était son caractère unique, c'était sa grandeur.

Le début a été très différent. En lisant l'entretien que j'ai eu avec lui lors de notre première rencontre, chez lui à Haïfa, il y a 35 ans cet été (publié dans le magazine Haaretz, le 15 mai 1987), lorsque son livre  L’année des cinq saisons a été publié, il dépeint une personne totalement différente, le porte-parole de la gauche sioniste à son pire. Yehoshua compare l'ascension du Likoud au gouvernement de l'époque à la nuit où la guerre du Kippour a éclaté : « une odeur de sang, quelqu'un est blessé, quelqu'un est déchiré... comme si des parachutistes égyptiens débarquaient dans le [col] de Mitla... comme si des pilotes égyptiens bombardaient les aérodromes israéliens... le monde s'est écroulé ». Le jeune Yehoshua voyait le changement de gouvernement lors d'élections légitimes et démocratiques comme la fin du monde, la fin de son monde.

Il les détestait vraiment, et il n'hésitait pas à le dire : « J'étais au sommet de ma haine pour les Likoudniks. Je me braquais totalement quand je les voyais ». Déjà à l'époque, il était l'un des chefs spirituels du camp éclairé, le camp qui, aujourd'hui encore, récite le mantra « juif et démocratique ». Aujourd'hui encore, ce camp est certain qu'il existe un gouffre énorme entre les électeurs inférieurs du Likoud et son auguste élévation, et que le retour du Likoud au gouvernement sonne la fin de la civilisation. Yehoshua a également été sevré de cette idée. Benny Ziffer a écrit mercredi dans Haaretz que Yehoshua voulait encore rencontrer Benjamin Netanyahou avant de mourir.

Il va sans dire qu'en 1987, Yehoshua parlait encore de « séparation d’avec les Palestiniens » et de la « vision à deux États », comme tout le monde dans ce camp à l’époque. C'était fascinant de voir le processus après cela : graduel, mesuré, pour que cela ne fasse pas trop mal. En décembre 2016, Yehoshua a proposé de donner la citoyenneté israélienne à 100 000 Palestiniens vivant dans la zone C. Toujours deux États, mais il voulait « réduire le niveau de malfaisance ». Deux ans plus tard est venu le moment décisif : Dans deux articles du Haaretz (les 12 et 16 avril 2018), il déclare le divorce. Le plan pour mettre fin à l'apartheid : le moment était venu de dire adieu à la vision des deux États.

Les conclusions inévitables qu'il a laissées à ceux qui viennent après lui. Il n'était plus assez fort pour passer à la phase suivante, la séparation inévitable d’avec le sionisme. Si le temps de la séparation de la vision à deux États était venu, il fallait aussi se séparer soit de l'État juif soit de l'État démocratique. Il est impossible d'avoir les deux. Qu'a choisi Yehoshua ? À la fin de ses articles phares de 2018, il a écrit : « Ce qui est en danger maintenant, ce n'est pas l'identité juive et sioniste d'Israël, mais son humanité - et l'humanité des Palestiniens qui sont sous notre domination ». L'homme qui avait consacré ses prouesses intellectuelles à la question de l'identité juive, qui nous a rappelé à tous que le peuple juif n'avait pas imaginé immigrer ici pendant les siècles au cours desquels il aurait pu le faire, et préféré la nostalgie et les lamentations, a trouvé quelque chose de plus important que l'identité juive et sioniste : l'humanité. Au revoir, cher ami, et merci pour toutes ces conversations.

 Livres de A. B. Yehoshua en français