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09/09/2025

GIDEON LEVY
Les libéraux israéliens horrifiés à l’idée que le prochain chef du Shin Bet puisse les traiter comme des Palestiniens

Gideon Levy, Haaretz, 7/9/2025
Traduit par Tlaxcala

Alerte dans le camp libéral : le général de division David Zini est sur le point d’être nommé à la tête du service de sécurité intérieure, le Shin Bet. Un portrait exemplaire et digne d’éloges de Zini vient d’être publié dans le supplément week-end de Haaretz par Hilo Glazer [lire en français].


Le général David Zini à Jérusalem en 2023. Photo : Sraya Diamant

Les descriptions qu’on y trouve sont véritablement glaçantes : un fils messianique délirant d’un père messianique, à la tête du service secret. À ses yeux, les Palestiniens sont « les ennemis du Saint béni soit-Il », la guerre contre eux est éternelle, et son éducation va de la doctrine de Baruch Goldstein [l’auteur du massacre des fidèles musulmans à Hébron en 1994] à celle du rabbin ultra-nationaliste et homophobe Zvi Thau. Terrifiant !

La personnalité, les positions et tout le parcours de Zini sont effectivement inquiétants. Quand une religion obscurantiste sert de moteur, et que l’armée et le Shin Bet en sont les instruments, le résultat est alarmant. Le mélange d’une foi religieuse brûlante et d’une arrogance ultranationaliste délirante engendre un fascisme débridé ; des gens comme Zini sont prêts à tout au nom de ces deux forces.

Mais l’effroi provient surtout des craintes quant à ce que Zini fera à la « démocratie » israélienne. En d’autres termes, et de façon moins politiquement correcte : ce qu’il fera à nous, les Juifs de ce pays.

Il est possible que ceux qui s’alarment aient raison et que Zini dépasse effectivement les limites du Shin Bet dans ses opérations contre la population juive. Pour lui, la loyauté envers le Premier ministre prime sur la loyauté envers la loi, et le système judiciaire est une dictature.

Peut-être assisterons-nous au retour des jours sombres du jeune État, quand le Shin Bet posait des micros dans les sièges des partis. Mais n’est-il pas logique que précisément quelqu’un comme Zini prenne la tête d’un organisme aussi corrompu moralement — même si, pour l’instant, les seules victimes de cette pourriture sont les Palestiniens ?

Ce que le Shin Bet inflige aux Palestiniens ne préoccupe pas vraiment les libéraux. Même sans le terrible Zini, le Shin Bet a agi avec cruauté. Avec des dizaines de détenus palestiniens morts rien que ces deux dernières années, certains lors d’interrogatoires brutaux, il est difficile d’imaginer ce que Zini pourrait faire de pire. Extorquer encore plus de malades palestiniens atteints de cancer ou d’homosexuels ? Arracher des ongles plutôt que de battre à mort ?

Le camp libéral voudrait qu’un végane dirige l’abattoir, et voilà qu’on leur impose un boucher sous stéroïdes. Ce n’est vraiment pas « gentil ». Mais la mission même du Shin Bet est de consolider l’occupation, l’apartheid, l’expulsion et la « judaïsation », par les interrogatoires, les enlèvements de masse (qu’on appelle ici des « détentions »), l’extorsion et les assassinats. Qui mieux que Zini pourrait remplir cette mission ?

Il est désagréable pour les libéraux de voir le Shin Bet d’une démocratie dirigé par un fasciste déclaré. Zini ternit leur image de « nos meilleurs garçons ». Cela pourrait éveiller chez eux le soupçon que le Shin Bet est en réalité une organisation antidémocratique. Zini empêchera le camp libéral de se complaire dans l’image de la seule démocratie de la région.

Un colon religieux extrémiste à la tête de la Securitate éclairée ? Nadav Argaman et Ronen Bar étaient tellement plus « beaux ». Ils étaient libéraux, comme nous. Mais ils ont infligé aux Palestiniens exactement ce que Zini fera. Peut-être que c’est Zini, enfin, qui suscitera une protestation publique contre le mode d’action du Shin Bet ?

Nos beaux et bons enfants et frères détruisent actuellement Gaza. Bezalel, le frère animé de valeurs de Zini, contribue de ses propres mains et de ses bulldozers à cette démolition massive. L’épouse de Zini, Naomi, pense que détruire des maisons à Gaza est une mitsva, un devoir religieux, et que la guerre à Gaza est une « renaissance nationale ». Cela paraît horrible, mais aucun véritable choc devant la destruction n’a été documenté en Israël ; il ne faut simplement pas le faire comme une mitsva, comme si cela changeait quoi que ce soit.

Le frère du conducteur de bulldozer à Gaza va être nommé chef du Shin Bet, avec pour objectif de poursuivre le nettoyage ethnique et le génocide en Cisjordanie également. Personne n’est plus qualifié.

Mais la dystopie de Zini est déjà parmi nous depuis longtemps. Quand elle se manifeste sans kippa, sans récitation de phrases religieuses ou sans accomplissement de mitsvot bizarres, elle est accueillie avec indifférence en Israël. Le ministre de la Défense se vante de la démolition d’un immeuble de grande hauteur à Gaza et menace d’ouvrir les portes de l’enfer ; au mieux, il apparaît comme un personnage pathétique dans une émission satirique télévisée. Peut-être que lorsque ce sera fait au nom de Dieu, nous finirons par nous réveiller et nous y opposer.

En attendant, nous sommes tous des Zini, avec ou sans la composante messianique.

CAROLINE DUPUY
« Tout le monde a perdu » : comment un programme de migration sioniste a privé le Maroc de sa florissante communauté juive

Caroline DupuyMiddle East Eye, 3/8/2025
Traduit par SOLIDMAR

Dans les années 1960, plus de la moitié des Juifs marocains ont quitté le pays avec la promesse d’un avenir meilleur en Israël. Middle East Eye a parlé à ceux qui ont choisi de rester dans le royaume d’Afrique du Nord.


18 mai 2022 : un membre de la communauté juive prie lors de la Hiloula des Tsadikim, le pèlerinage sur les tombes des saints et des rabbins célèbres, au cimetière juif de Meknès, Maroc, érigé en 1682 et restauré récemment dans le cadre d'un programme de réhabilitation de plus de 160 cimetières juifs du Maroc  voulu par le roi Mohammed VI en 2010. Photo Fadel Senna/AFP

Ce n’est pas un secret : de nombreux Juifs ont quitté le Maroc pour Israël dans les années 1960, dans le cadre d’un programme sioniste officiellement connu sous le nom d’Opération Yakhin.

Conçue par le Mossad et menée par l’Agence juive, cette opération clandestine visait à accroître la population juive de l’État récemment proclamé en y transférant des Juifs depuis le Maroc. D’autres opérations similaires ont eu lieu aux quatre coins du monde à la même époque.

Entre 1961 et 1964, près de 97 000 Juifs, soit 54,6 % de la communauté du royaume, auraient quitté le Maroc. Avant l’opération, environ 225 000 Juifs vivaient dans ce pays d’Afrique du Nord.

Aujourd’hui, quelque 160 000 Juifs d’origine marocaine vivraient en Israël, formant le deuxième plus grand groupe d’immigrés après les Juifs issus des ex-républiques soviétiques.

L’aspect le plus méconnu de cette période est incarné par la communauté juive marocaine qui est restée — ou qui est revenue d’Israël après y avoir migré et vécu quelques années. Ils constituent les quelque 2 000 Juifs qui vivent encore aujourd’hui dans le pays — la plus grande communauté juive subsistante en Afrique du Nord.

L’écrivain juif marocain Jacob Cohen décrit cette communauté jadis florissante comme « une espèce rare ».

Né en 1944 à Meknès, Cohen fait partie du petit groupe qui est resté au Maroc pendant l’exode massif. Il a vu sa communauté disparaître sous ses yeux.

« J’étais convaincu que nous devions partir, que les Juifs marocains n’avaient pas d’avenir au Maroc. C’est le grand succès des organisations sionistes présentes au Maroc », a-t-il confié à Middle East Eye.

Une chose était claire, dit-il : « Il n’y avait pas d’antisémitisme manifeste ; les quelques Juifs qui vivaient au Maroc n’avaient pas de problèmes. Mais il y avait ce sentiment généralisé que l’avenir n’était plus là, sinon pour eux-mêmes, du moins pour leurs enfants. »

« Ce fut une tragédie »

Selon diverses sources universitaires, l’Opération Yakhin s’appuyait sur un accord entre le Premier ministre israélien David Ben Gourion et le défunt roi du Maroc Hassan II.

Pour compenser le Maroc de la perte de membres de sa communauté, Israël aurait accepté de verser 500 000 dollars, plus 100 dollars par émigrant pour les 50 000 premiers Juifs marocains partis, et 250 dollars pour chaque émigrant supplémentaire. La société new-yorkaise Hebrew Immigrant Aid Society aurait contribué à hauteur de 50 millions de dollars à Yakhin.

Fanny Mergui, 80 ans, de Casablanca, faisait partie des milliers de personnes parties en 1961. Elle se souvient de la façon dont les mouvements de jeunesse israéliens sont venus au Maroc pour convaincre les Juifs de partir et, pour ceux comme elle qui avaient le « bon profil », de rejoindre le mouvement.

« [Ils disaient que] le Maroc était indépendant [de la colonisation française depuis 1956], et que nous avions notre propre pays [Israël], que nous n’avions plus aucune raison de rester au Maroc », dit-elle à MEE.

Elle a commencé à fréquenter les clubs de jeunesse créés par l’Agence juive, branche opérationnelle de l’Organisation sioniste mondiale chargée de promouvoir l’immigration juive vers Israël, dès l’âge de 10 ans. Ces clubs diffusaient la propagande sioniste auprès des jeunes.

« Je vivais au rythme de la culture israélienne — la patrie, les chants des pionniers, le socialisme, la liberté, l’émancipation, la fraternité », dit-elle.

La propagande fonctionnait, et depuis sa maison dans le quartier historique, Mergui était aux premières loges pour voir l’opération se dérouler.

« Ils envoyaient des bus entiers de villages vers Casablanca, et j’ai passé mon enfance à regarder ces gens partir. Il suffisait de traverser la rue et on se retrouvait là où les bateaux accostaient, juste sous nos yeux. »

Mergui décrit l’état d’esprit des départs comme une « sorte de psychose du départ ».

« J’ai vu toutes ces personnes quitter la médina — grands-mères, grands-pères, jeunes et vieux, avec leurs marmites à couscous, paniers, épices, tous en larmes. C’était une tragédie. Les gens ne partaient pas le cœur joyeux », se souvient-elle.

Les Juifs étaient parfaitement intégrés à la société marocaine majoritairement musulmane, à laquelle ils appartenaient depuis plus de 2 000 ans.

« Les Marocains musulmans ne nous attaquaient pas, ils ne nous disaient pas de partir, bien au contraire », confie-t-elle.

Mais à l’époque, dit Mergui, le mouvement sioniste et le projet migratoire promettaient la « modernité » et l’accès à un nouveau monde.

« Quand je suis partie, dans mon esprit, et pour beaucoup de Juifs marocains, Israël avait toujours existé. Nous ne pensions pas aller dans un pays qui venait juste de naître. Pour nous, c’était la Terre sainte. C’était notre pays. C’était la terre de la Bible », dit-elle.

« Nous rentrions chez nous, tout simplement. Nous ne comprenions pas ce qui se passait réellement. Il m’a fallu toute une vie pour comprendre ce qui était arrivé à ma communauté », ajoute-t-elle.

Retour au Maroc

Une source anonyme bien informée a confié à MEE qu’en plus du voyage gratuit vers Israël, les migrants se voyaient offrir un logement permanent.

Cependant, une fois en Israël, les Juifs marocains, comme d’autres immigrés venus des pays arabes, ont découvert une réalité bien différente de ce que le mouvement sioniste leur avait décrit.

En Israël, les Marocains furent les premiers à former ce qu’on appelait les « quartiers arabes », explique Mergui, qu’elle décrit comme « des zones complètement désolées ».

« Si vous vouliez un toit, il fallait le construire vous-même », ajoute-t-elle, précisant que les Juifs arabes étaient les plus pauvres parmi les communautés arrivantes.


Les bâtiments restants du quartier Moghrabi (maghrébin/marocain) dans la vieille ville de Jérusalem, le 12 juin 1967, après leur démolition par Israël afin d'agrandir l'espace devant le Mur occidental. Photo Ilan Bruner/Bureau de presse du gouvernement israélien/AFP

Le racisme entre communautés et les inégalités étaient aussi un problème.

« C’était une idéologie coloniale. Les Juifs européens, qui furent les premiers à s’installer en Palestine depuis la Russie dans les années 1880, se considéraient comme supérieurs à nous et nous ne pouvions jamais être que des citoyens de seconde zone. »

Il n’a pas fallu longtemps aux nouveaux immigrés pour contester cette situation.

« Les Juifs marocains sont descendus dans la rue avec des portraits du roi Mohammed V, en disant : “Nous voulons rentrer chez nous”, mais ce n’était pas possible ; c’était un voyage sans retour », explique Mergui. Bien que Mohammed V soit décédé en 1961, les manifestants brandissaient son image car le défunt roi était connu pour avoir protégé les Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsqu’il avait refusé de livrer les Juifs marocains au régime nazi.

Le retour au Maroc n’était pas une option facilement accessible pour la plupart des Juifs marocains. L’opération étant clandestine, ils n’avaient pas de documents de voyage légitimes et leur situation de passeport dépendait des accords conclus avec le Maroc, explique-t-elle.

Après la guerre israélo-arabe de 1967, Mergui elle-même souhaita revenir au Maroc et en eut l’occasion en devenant responsable du club de jeunesse sioniste qui recrutait des membres pour le mouvement.

« J’étais folle de joie, non pas parce que j’allais travailler pour le mouvement sioniste, mais parce qu’ils me donnaient la possibilité de remettre en question ce départ précipité du Maroc. »

Israël n’était pas son foyer. « J’étais immergée dans une culture étrangère, que j’appréciais bien sûr — j’ai beaucoup appris, je ne le nie pas. Je me suis politisée. J’ai rencontré des jeunes venus du monde entier », dit-elle.

Alors qu’elle considérait autrefois le sionisme « comme tout autre mouvement colonial ayant besoin de s’implanter », tout a changé pour elle après 1967 et l’occupation par Israël des territoires palestiniens.

« J’ai commencé à réaliser que c’était ça le véritable problème et à comprendre ce qui se passait réellement. J’ai complètement renoncé à vivre en Israël. »

Avant de retourner au Maroc, Mergui étudia à l’Université de Vincennes, à Paris, où elle se familiarisa avec l’histoire de la Palestine.

« Cela a façonné mon parcours académique et politique, et ma conscience s’est éveillée. »

Durant son séjour en France, Mergui s’engagea en politique, militant à la fois pour les Black Panthers israéliens, un groupe réclamant la justice sociale pour les Juifs séfarades et mizrahim en Israël, et pour la cause palestinienne.

« Au bord de l’extinction »

L’opinion publique marocaine soutient ouvertement la cause palestinienne et s’oppose à l’accord de normalisation signé avec Israël en 2020 — et les Juifs du royaume semblent partager une perspective similaire.

La plupart des Juifs marocains gardent un profil politique discret ; cependant, de nombreux membres de la communauté condamnent les actions israéliennes. Rabat est la ville natale de figures propalestiniennes renommées d’origine juive marocaine, comme Sion Assidon, membre fondateur du mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) au Maroc.

Cependant, la politique moyen-orientale n’est pas la seule raison pour laquelle les Juifs du pays ont décidé de rester — ou de revenir.

Haim Crespin, né dans la ville septentrionale de Ksar el-Kébir en 1957, décrit sa décision de rester dans le royaume comme « non motivée politiquement ».

Il était enfant lors de l’exode massif.

« Mon père était commerçant, et nous avions une bonne vie ici. J’ai aussi ouvert mon restaurant il y a 25 ans. La raison pour laquelle chaque Juif reste au Maroc n’est pas toujours liée à des aspects politiques », a-t-il dit à MEE.

Le restaurateur, qui vit aujourd’hui à Rabat, défend le choix de sa famille de rester malgré certaines difficultés qu’il ne considère pas comme propres au Maroc.

Alors que certains Juifs interrogés par MEE disent percevoir une hausse de l’antisémitisme dans le royaume, il n’existe pas de données fiables sur la question. En tout cas, ce n’est pas suffisant pour pousser les gens à partir, estime Crespin. « Les gens bougent à cause de la peur, mais cela arrive partout dans le monde, alors pourquoi partir ? »

Cohen, en revanche, se montre pessimiste quant au destin de la communauté juive du Maroc, que l’écrivain dit être « au bord de l’extinction ».

Lui-même a décidé de partir pour la France après avoir rencontré, dit-il, « certains problèmes personnels » lorsqu’il travaillait comme maître-assistant à Casablanca, ce qui l’a amené à penser que « les Juifs marocains avaient généralement raison de ne pas considérer la société marocaine comme suffisamment tolérante et égalitaire pour offrir aux Juifs les postes qu’ils méritaient ».

Cependant, il reconnaît que le royaume a fait des efforts pour préserver l’identité juive historique du pays.

En 1997, la Fondation du patrimoine culturel judéo-marocain a créé à Casablanca le premier musée juif du monde arabe, encore actif aujourd’hui. La fondation a également préservé plus de 167 cimetières et sanctuaires juifs à travers le royaume.

En 2011, la nouvelle constitution marocaine a reconnu l’identité hébraïque comme partie intégrante de l’identité marocaine, et en 2020, le roi Mohammed VI a approuvé l’introduction de l’enseignement de l’histoire et de la culture juives dans les écoles primaires. Un conseiller juif marocain influent du roi, André Azoulay, a joué un rôle clé pour souligner l’importance de cette reconnaissance officielle.

« Tout est fait pour la protéger, la soutenir et la préserver. Mais sa fin semble inévitable, et même si elle survit, ce sera sous une forme réduite à sa plus simple expression », estime Cohen.

« Rien ne peut s’opposer à ce verdict de l’histoire », ajoute-t-il, soulignant les pertes majeures entraînées par l’Opération Yakhin.

« Du côté marocain, tout le monde a perdu. Le pays a perdu une communauté potentielle d’un à deux millions de personnes qui auraient pu contribuer à son développement, sa diversité et son harmonie.

Du côté juif, ce fut l’éradication irréversible d’une civilisation qui avait mis 15 siècles à se former et à s’épanouir. »

En décrivant la période migratoire, Mergui aime utiliser la métaphore des gens fuyant un bâtiment en flammes.

« La communauté juive marocaine était complètement perdue. Elle ne savait pas ce qu’il allait advenir d’elle, c’était comme être dans une maison en feu, et les gens s’enfuyaient », dit-elle.

« Alors, que faire ? Eh bien, on court, comme tout le monde. »

JUDY MALTZ
Alors que des réservistes israéliens appellent à mettre fin à la guerre de Gaza, ces Juifs de la diaspora sont enthousiastes à l’idée de se battre

Judy Maltz, Haaretz, 9/9/2025
Traduit par Tlaxcala

La semaine dernière, 350 jeunes hommes et femmes juifs, volontaires pour le service militaire en Israël, ont reçu un accueil triomphal à Tel-Aviv. Le lourd bilan humain de la guerre qui fait rage depuis le 7 octobre ne les a pas dissuadés, affirment-ils. Bien au contraire.

Mardi dernier, 350 réservistes israéliens ont annoncé qu’ils refuseraient de servir si on les appelait à participer à la conquête de Gaza Ville. Lors d’une conférence de presse à Tel-Aviv, des représentants du groupe ont décrit cette nouvelle phase de la guerre – approuvée par le cabinet de sécurité malgré l’opposition des plus hauts responsables sécuritaires du pays – comme une « étape politique, cynique et dangereuse » qui mettrait en péril la vie des otages, des soldats israéliens et des civils innocents à Gaza.


Familles et nouvelles recrues lors de la cérémonie d’accueil de Garin Tzabar à Tel-Aviv la semaine dernière. Photo Noam Feiner

Deux jours plus tard – à l’autre bout de la ville, mais comme dans un univers parallèle – des responsables israéliens ont organisé un accueil triomphal pour 350 Juifs de la diaspora qui n’avaient aucune obligation de servir dans l’armée ni de participer à cette guerre de plus en plus impopulaire à Gaza. Pourtant, ils ont choisi de quitter famille et amis – précisément en ce moment – pour se porter volontaires au service militaire dans un pays lointain en guerre.

Lors d’une conférence de presse à Tel-Aviv mardi dernier, 350 réservistes israéliens ont signé une déclaration contre la conquête de Gaza Ville, promettant : « Nous ne viendrons pas ». Photo Tomer Appelbaum

À en juger par l’ambiance lors de cette cérémonie, ils sont remarquablement enthousiastes.

Âgés pour la plupart de la fin de l’adolescence ou du début de la vingtaine, ces jeunes hommes et femmes participent au programme Garin Tzabar [« Graine de sabra »], qui amène chaque année des centaines de volontaires dans les Forces de défense d’Israël (FDI). Ce programme fournit à ces « soldats seuls » des services d’orientation dans leurs pays d’origine, ainsi que des cours d’hébreu et un logement une fois arrivés en Israël. Ils arrivent en plusieurs vagues organisées au cours de l’année, la plus importante étant celle de l’été.

À tout moment, environ 3 500 soldats venus de l’étranger servent dans les FDI, dont plus d’un tiers par l’intermédiaire de Garin Tzabar.

La cérémonie de bienvenue de cette année, organisée dans un grand auditorium de l’université de Tel-Aviv, portait le titre « La Tkuma, c’est maaintenant» – Tkuma étant le mot hébreu pour « renaissance » (le Premier ministre Benjamin Netanyahou appelle souvent la guerre qui a suivi l’attaque du Hamas du 7 octobre « la guerre de la Tkuma »).


Participants de Garin Tzabar lors de la cérémonie d’accueil à l’université de Tel-Aviv mardi dernier. Photo Noam Feiner

Parmi les 900 soldats israéliens tués depuis le 7 octobre, six étaient des participants de Garin Tzabar (deux autres étaient conseillers du programme). Parmi eux, Omer Neutra, un soldat seul tué le 7 octobre dont le corps est toujours retenu par le Hamas. Parmi les otages libérés, Edan Alexander, originaire du New Jersey, faisait également partie de Garin Tzabar. Citoyen usaméricain, il doit sa libération après 584 jours de captivité à l’intervention directe du président Donald Trump.

Pour les Juifs de la diaspora qui considèrent souvent le service dans les FDI comme une sorte d’année sabbatique prolongée, les expériences de ces soldats seuls ont révélé la véritable signification de la guerre. Mais loin d’entamer leur enthousiasme, ces épreuves semblent avoir eu l’effet inverse. En effet, depuis le 7 octobre, la participation à Garin Tzabar a fortement augmenté. En août 2023, à peine deux mois avant l’attaque du Hamas, 230 soldats seuls étaient arrivés via ce programme. En août 2024, ils étaient 320, et en août 2025, 350. Au total, le nombre de participants de la cohorte d’été – la plus importante de l’année, et donc le meilleur indicateur des tendances – a augmenté de 40 %.

« Nous voyons clairement une motivation accrue », déclare Hait Gilad, nouveau directeur général de Tzofim Olami, le mouvement international des scouts israéliens qui gère Garin Tzabar.

Saul Rurka, entrepreneur britanno-israélien dans la high-tech et le social, qui soutient divers projets de protection sociale pour les soldats seuls, partage cette impression.

« Cette année, quand je leur demande – et je pose toujours cette question – ce qui les a poussés à venir en Israël et à rejoindre les FDI, la réponse est : ‘le 7’. Cela a secoué beaucoup de jeunes qui n’étaient pas vraiment connectés au judaïsme et qui disent maintenant vouloir protéger leur peuple et leur pays. »

L’endroit où il faut être

C’était assurément le cas pour ce nouveau groupe de futurs soldats des FDI, qui doivent commencer leur service en novembre, et qui assistaient à la cérémonie de la semaine dernière.

« J’ai toujours aimé Israël, et après le 7 octobre, j’ai senti que c’était l’endroit où je voulais être. J’ai donc décidé de m’installer ici et de devenir soldate seule », a déclaré Yehudit Quigley, 18 ans, de la région de Washington, D.C.

Eden-Li Chajmovic, fille d’Israéliens originaire de l’Ohio, vivait dans un kibboutz à la frontière de Gaza le 7 octobre 2023, où elle allait au lycée. « Après l’attaque du Hamas, j’ai dû retourner aux USA pour finir le lycée, mais cela n’a fait que renforcer mon envie d’être ici », explique la jeune femme de 18 ans. « Je connaissais des gens qui ont été tués, y compris des camarades de classe, et je voulais revenir protéger le pays. »

Michelle Shkolnekov, 19 ans, d’Allemagne, a elle aussi passé la majeure partie de son lycée en Israël. « J’ai ressenti un lien profond avec Israël et j’ai voulu donner quelque chose en retour au pays », explique-t-elle pour justifier sa décision de s’enrôler.

Interrogée sur la peur d’être soldate dans un pays en guerre, Shkolnekov répond : « Nous avons tous certaines craintes, mais en dehors d’Israël, même s’il n’y a pas de bombes ni de roquettes, il y a la haine et l’antisémitisme. Donc, aussi étrange que cela paraisse, je me sens beaucoup plus libre ici. »

Ces sentiments sont partagés par Daniel Gurt, 18 ans, de Russie : « Toute ma vie, j’ai attendu de venir en Israël et de rejoindre l’armée. »

Aucun de ces futurs soldats n’a déclaré avoir eu des doutes après le 7 octobre.

« Une nouvelle famille »

Alors qu’ils prennent place dans l’auditorium, les futurs soldats des FDI répondent par des applaudissements nourris au « Bienvenue à la maison » lancé depuis la scène.

Le ministre de l’Alya et de l’Intégration, Ofir Sofer – membre du parti d’extrême droite Sionisme religieux – ouvre la série de discours officiels en félicitant les participants rayonnants, les qualifiant de « meilleure jeunesse juive, qui choisit de venir en Israël en cette heure difficile – accomplissant l’acte le plus sioniste qui soit ».

Un groupe de soldats seuls en uniforme rejoint un rappeur sur scène, tandis que des images du massacre du 7 octobre défilent à l’écran. Lisa et Andrew, un couple britannique qui se présente comme « les fiers parents de Theo », un participant de Garin Tzabar présent dans l’auditoire, prennent la parole au nom des familles.

« Nous sommes convaincus que nous confions nos enfants à une nouvelle famille ici », déclare la mère, exprimant sa certitude que cette nouvelle cohorte de soldats seuls « servira Eretz Israël avec courage ».

Dans un défilé rappelant la parade des nations aux Jeux olympiques, la cérémonie s’achève par la marche de dizaines de participants de Garin Tzabar à travers l’auditorium, chacun portant le drapeau de son pays natal au rythme de chansons hébraïques entraînantes.

« Un vrai sentiment d’urgence »

Bien que les USAméricains constituent le groupe le plus important, la cohorte de cet été compte aussi des participants venus d’Australie, du Canada, de Russie, d’Ukraine, de France, de Grande-Bretagne, d’Allemagne, du Danemark et de Hollande.

Fondé il y a plus de 30 ans, Garin Tzabar visait à l’origine les enfants d’expatriés israéliens vivant aux USA. Au fil des années, cependant, le programme a attiré de plus en plus de Juifs de la diaspora sans lien familial direct avec Israël, beaucoup étant motivés après avoir participé à des voyages organisés par Birthright en Israël. Aujourd’hui, les enfants d’Israéliens ne représentent plus qu’environ la moitié des participants.

Ces dernières années, le nombre de participants orthodoxes a également fortement augmenté, et cette année, pour la première fois, Garin Tzabar a mis en place un programme spécial pour les jeunes filles religieuses désireuses de combiner service militaire et études religieuses. Cette semaine a aussi marqué l’inauguration d’un dortoir inédit pour les participants affiliés aux mouvements conservateur et réformé. Le site est situé au kibboutz Hanaton, dans le nord d’Israël, qui abrite une importante congrégation égalitaire.

Dans une étude universitaire publiée il y a quelques années, le Dr Lior Yohanani, sociologue politique à l’Institut israélien de la démocratie, a exploré les motivations des enfants d’Israéliens aux USA devenus soldats seuls. Il affirme ne pas être surpris que la participation à Garin Tzabar ait fortement augmenté depuis le 7 octobre.

« Je ne m’attendais pas à autre chose », dit-il. « Il y a aujourd’hui beaucoup de sentiments antisémites et anti-israéliens, et sans vouloir paraître cynique, cela est utilisé pour recruter ces jeunes. »

« C’est aussi vraiment la première fois depuis de nombreuses années qu’il y a un véritable sentiment d’urgence dans le pays, et donc ces jeunes ressentent qu’il y a un vrai sens à ce qu’ils font. »


Le PDG de l’Agence juive, Yehuda Setton (à droite), avec le ministre de l’Alya et de l’Intégration, Ofir Sofer, et le président du Mouvement des scouts hébreux en Israël, Raz Pearl. Photo Noam Feiner

Howard Zaretzky faisait partie d’un petit groupe de parents venus en Israël pour assister à la cérémonie d’accueil. Il s’est décrit comme « extatique, exalté et fier » qu’un deuxième de ses six enfants se soit porté volontaire pour servir dans les FDI.

Interrogé sur son inquiétude de voir son fils servir si loin de chez lui dans une guerre dangereuse, ce New-Yorkais jovial a répondu : « Pas du tout. Il est entre de bonnes mains. J’encourage son petit frère, qui est en première au lycée, à faire de même. Si je pouvais, je partirais avec lui. Mais je suis trop vieux – ils ne voudront pas de moi. »