Gideon
Levy, Haaretz,
7/5/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Voilà à quoi ressemble un discours incendiaire : les médias et
les réseaux sociaux sont inondés d'appels à assassiner le leader d'un mouvement
politique - même s'il s'agit d'un mouvement religieux, extrémiste et violent -
dans une quête sanguinaire de vengeance. C'est aussi à cela que ressemble un
chœur rauque uniforme : du Meretz de gauche (Uri Zaki) aux kahanistes, des
journalistes Amnon Abramovich (TV Channel 12) à Ben Caspit (Maariv), chacun
d'entre eux appelle à l'élimination du chef du Hamas Yahya Sinwar. Un État, une
voix.
Yahya Sinwar
Ils rivalisent pour
trouver l'épithète appropriée et digne de lui, crapule ou ordure. Oh, quels
patriotes ! Si seulement c'était possible, le lapider en place publique
attirerait des multitudes aux festivités. La nation se contentera au moins de
provoquer sa mort par tout autre moyen. C'est la seule réponse que l'État d'Israël,
emmené par les médias incendiaires, peut offrir à la suite d'attaques
terroristes.
La dernière en date était
particulièrement horrible elle ea été perpétré à la hache. Mais le meurtre à la
hache est-il vraiment plus cruel que tout autre type de meurtre ? La hache est
emblématique de la faiblesse de quelqu'un qui pourrait rêver de tuer en avion
au milieu de la nuit. Mais il n'avait pas d'avion, ni même de canon.
Évidemment, le meurtre à
la hache est barbare, mais en quoi est-il différent du meurtre d'une jeune
fille de 19 ans voyageant innocemment en taxi avant d'être abattue par un
soldat ? En quoi, dans l'intention ? Le soldat n'avait-il pas l'intention de
tuer en tirant à balles réelles sur un taxi rempli de femmes à Jénine ? Quelle
autre intention avait-il ?
De telles questions se
posent après chaque attaque terroriste, tout comme la réaction instinctive
d'Israël, qui se répète d'une manière qui ne peut que conduire au désespoir.
N'oubliant rien et n'apprenant rien, combien de fois l'assassinat sera-t-il
proposé comme solution, alors que toutes les fois précédentes, il n'a servi à
rien, causant dans la plupart des cas encore plus de dégâts.
Même si l'on met de côté
la question de la légalité ou de la moralité d'un État exécutant des personnes
sans procès, il reste la question de son efficacité, qui n'a jamais été
prouvée.
On peut aussi, d'une
certaine manière, ignorer l'image répugnante et pathétique des médias, qui se
sont presque unanimement lancés dans une campagne, demandant plus
d'assassinats, plus d'invasions, plus de conquêtes.
On ne peut oublier qu'en
Israël, les assassinats sont aussi une affaire politique. Ce ne sont pas
seulement les cibles qui sont politiques - des personnes qui, dans des États
respectueux de la loi, ne sont pas des cibles légitimes - les meurtres
proprement dits sont politiques. Ils sont destinés à satisfaire des besoins et
des objectifs politiques, en montrant au public que « quelque chose est
fait ». Une solution instantanée.
Il est douteux qu'il
existe un domaine dans lequel les médias israéliens soient aussi unifiés et
influents, exprimant le désir obscène des masses, poussant à mener des attaques
violentes de vengeance. « Faut-il éliminer Sinwar ? », demandait une
légende sur les fils d'actualité en début de semaine, comme s'il s'agissait
d'une émission de télé-réalité. Des meurtres à la demande. Le grand nombre de
ces meurtres a masqué l'atmosphère illégitime dans laquelle se déroule la
conversation sur la réponse à apporter à ces attaques.
Sinwar n'est pas le pire
des ennemis. Son successeur sera pire. Sinwar ne sera pas non plus le premier
Yahya du Hamas qu'Israël élimine en vain. L'élimination de Yahya Ayyash, son
prédécesseur, n'a rien donné d'autre à Israël qu'une vague d'attentats-suicides
au cours desquels 60 Israéliens ont été tués.
Réduire le problème posé
par les attaques terroristes à un seul dirigeant est une façon lâche d'éviter
de s'attaquer aux véritables problèmes. Comme si la terreur ne découlait pas du
blocus, de l'occupation, de la brutalité des policiers à la mosquée al-Aqsa, de
la violence des colons et du meurtre d'innocents en Cisjordanie. Comme si la
terreur était personnifiée par Sinwar, seulement Sinwar. Si la terreur est
Sinwar, tuons-le, et le calme reviendra.
Si la terreur est liée à
l'échange de prisonniers contre Shalit, dans lequel Sinwar a été libéré après
23 ans de prison, alors il y a une solution facile. Pas de libération de
prisonniers, seulement des assassinats, la « dissuasion », et la paix
sera rétablie. Israël a essayé cela mille et une fois sans succès. Cela ne
marchera pas non plus maintenant.
Évidemment, nous ne pouvons pas rester
silencieux face à la terreur. Au contraire, nous devons en parler. Avec le
Sinwar vivant. Lui parler, directement ou indirectement, de la levée du blocus.
Lui parler des droits dont son peuple a été privé, de sa dignité bafouée. Nous
n'avons jamais, mais jamais, essayé de le faire sérieusement.