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03/06/2023

LUIS E. SABINI FERNÁNDEZ
Est-ce que critiquer l’État d’Israël, c’est de l’antisémitisme ?
Argentine : Wolff contre Pietragalla

Luis E. Sabini Fernández, uy.press, 1/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Depuis que l’IHRA a redéfini l’antisémitisme non plus comme un rejet de la judéité en soi, mais comme un rejet de l’israélité, le monde a connu une vague d’accusations d’antisémitisme d’une ampleur sans précédent.


Carlos Latuff

En Argentine, la dernière péripétie en date de cette vague a été la plainte judiciaire de Waldo Wolff contre Horacio Pietragalla. Il s’agit respectivement du secrétaire aux Affaires publiques de la ville autonome de Buenos Aires [membre de la coalition macriste Cambiemos]  et du secrétaire aux Droits humains  du gouvernement Fernández-Kirchner [Frente de Todos, péroniste], et la plainte a été déposée en ce même mois de mai 2023.

Wolff (à g.) et Pietragalla

Nous craignons que, bien que l’IHRA doive être considérée comme connue urbi et orbi, il vaille la peine de décrire ce qui se cache derrière ce sigle, qui, nous l’imaginons, ne sera connu que d’une poignée de personnes.

L’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste est une organisation fondée en 1998. Un retard considérable, si l’on considère qu’elle invoque ce qui s’est passé pendant l’ère nazie, plus d’un demi-siècle auparavant.

Il est également remarquable de constater que la “solution finale” mise en œuvre par les nazis en 1942 a été “socialisée” sous le nom d’“Holocauste”, non pas en 1945, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, comme on pourrait l’imaginer, mais lorsque Hollywood a produit un matériel cinématographique qui a sensibilisé les foules. En 1978, avec la série Holocauste[1]. Deux aspects de la question ont été médiatisés : un univers concentrationnaire avec la mort comme protagoniste et sa désignation même.

Pourquoi a-t-il fallu plus de trois décennies pour généraliser une désignation dont “les faits historiques présentés” nous laissent penser qu’elle était immédiate ?

Et pourquoi a-t-il fallu attendre au total plus d’un demi-siècle (1945-1998) pour mettre en place une institution se référant à un événement aussi clair ?

On ne va pas croire que c’est par manque de moyens financiers ou de soutien médiatique. Si l’on a pu constater quelque chose lors des procès de Nuremberg en 1945 (pas le congrès nazi de 1935 dans la même ville, mais ceux du tribunal mis en place par les puissances victorieuses à la fin de la Seconde Guerre mondiale), c’est que tout a été orchestré sans difficulté et que sa structure administrative était tenue par des juifs. Ce qui amena des membres de l’armée usaméricaine, à remarquer, lors des sessions du procès, qu’une telle entreprise, bien que louable et compréhensible, nuisait à la crédibilité des instances du procès et qu’il aurait été préférable de laisser certains domaines couverts par du personnel d’origine différente afin de donner plus de respectabilité à ce qui avait été réalisé.

De 1945 à une bonne partie des années 1970, la vision des vicissitudes vécues par les juifs, les Rroms, les homosexuels, les socialistes, les chrétiens, les communistes et les anarchistes sous le Troisième Reich a fait l’objet de diverses descriptions, dont l’une était l’Holocauste.[2] Après la Seconde Guerre mondiale, l’un des qualificatifs les plus utilisés, pour tenter d’être à la hauteur de l’ampleur des dégâts, fut celui de génocide.

Au-delà des descriptions de ce qui s’est passé pendant le Reich nazi et dans ses camps de concentration, l’IHRA innove en élargissant la notion d’antisémitisme à Israël.

Il convient de revoir la caractérisation de l’antisémitisme par l’IHRA :

-             L’antisémitisme est une certaine perception des Juifs qui peut s’exprimer par la haine des Juifs ;

-             les manifestations physiques et rhétoriques de l’antisémitisme sont dirigées contre des personnes juives ou non juives et/ou leurs biens ;

-             Les manifestations peuvent inclure des attaques contre l’État d’Israël conçu comme une collectivité juive ;

-             sur le pouvoir des Juifs en tant que collectivité, par exemple, mais pas exclusivement, le mythe de la conspiration juive mondiale ou le contrôle des médias par les Juifs ;

-             de reprocher aux Juifs en tant que peuple ou à Israël en tant qu’État d’avoir inventé ou exagéré l’Holocauste ;

-             accuser les citoyens juifs d’être plus loyaux envers Israël, ou envers les priorités supposées des Juifs du monde entier, qu’envers les intérêts de leur propre pays ;

-             établir des comparaisons entre la politique actuelle d’Israël et celle des nazis ;

-             tenir les Juifs pour responsables des actions de l’État d’Israël.

Il s’agit là d’une longue énumération, certainement incomplète, de ce que l’IHRA entend dénoncer comme étant “antisémite”. Il s’agit d’un mélange qui n’aide certainement pas à clarifier les zones opaques ou les zones de conflit.

Il dénonce le fait que l’État d’Israël soit conçu comme “une collectivité juive”. Qu’est-ce qu’il est censé être d’autre : un État laïque, une association commerciale ?

Il rejette le fait que les Juifs soient considérés comme un collectif dans les médias. Mais il est clair que les trolls israéliens du journalisme travaillent ensemble.

Après un massacre de grande ampleur[3] dans la bande de Gaza par les militaires israéliens qui ont eu la sincérité ou la stupidité de la baptiser “Opération Plomb Durci” (2008-2009), ils ont presque immédiatement frappé les médias de masse avec un nouveau style d’argumentation, organisé par The Israel Project. Le Global Language Dictionary, qui s’ouvre sur “un glossaire de mots qui marchent”  (A GLOSSARY OF WORDS THAT WORK).

Il s’agit clairement d’une conception militaire de la confrontation, même si, dans cet exemple, elle s’exerce par le biais des dictionnaires (et des mots).

Dans le décalogue des interdictions que nous avons transcrit, il est nié qu’il puisse y avoir des Juifs qui soient plus loyaux envers Israël qu’envers leur pays d’origine. Qu’on le veuille ou non, il s’agit d’un phénomène assez répandu et on ne comprend pas son déni, alors qu’il s’agit même d’affaires judiciaires très médiatisées. [4]

Nous ne comprenons pas non plus d’où vient l’impossibilité de comparer des croyances racistes ou des politiques qui privilégient une ethnie par rapport à d’autres dans une société donnée, comme dans le cas d’Israël.

L’un des commandements du “décalogue” interdit de considérer que les Juifs sont responsables “des actions de l’État d’Israël”. Seront-ils donc responsables des actions du Danemark, du Sénégal ou de la Bolivie ? Et en Israël, qui sera responsable - les chiites, les bouddhistes, les catholiques, les libres penseurs ?

En bref : nous ne comprenons pas les intentions de l’IHRA. Et ce qu’elle veut et ce que nous comprenons est de mauvais augure. Une audace politique sans précédent : la politique comme impunité. Et le remplacement de l’analyse et de la critique politiques par une liste d’“interdits de penser”.

Wolff accuse Pietragalla « [...] d’avoir affirmé que l’existence d’Israël est un processus colonisateur et raciste après avoir participé officiellement à une exposition photographique rappelant la “Nakba”, l’exode massif des Palestiniens qui a suivi la création de l’État israélien ».

Wolff soutient-il qu’Israël n’ait pas eu de processus colonisateur et raciste ? Qu’est-ce que les aliyas, par exemple, et l’obligation d’intégrer les kibboutzim exclusivement avec des Juifs ? Comment cela s’appelle-t-il en espagnol ? J’ai l’impression que Pietragalla connaît mieux notre langue.

Wolff a affirmé que les déclarations du ministre « sont dirigées contre les institutions des communautés et sont donc considérées comme antisémites ». Ici, celui qui semble ne pas comprendre l’espagnol ou ignorer les causalités est l’auteur de cette approche, ou celui qui la transcrit. Nous ne comprenons pas pourquoi certaines institutions seraient “antisémites”.

Aux difficultés linguistiques du dernier défi de Wolff s’ajoute notre malaise face à sa gestion du temps : il affirme que l’on ne peut accepter ce qu’il considère comme une excuse : la sympathie de Pietragalla pour “une commémoration tardive”.

Ça veut dire quoi, commémoration tardive ?  La Nakba fait référence à la date à laquelle Israël a généralisé son Plan Dalet (15 mai 1948). Un plan à feu et à sang, qui a fait des milliers de morts et des centaines de milliers de déplacés. Pour Wolff, « il n’est pas nécessaire d’affirmer que l’existence d’Israël est un processus colonisateur et raciste » pour s’emparer par la force du territoire palestinien.

Il n’est pas nécessaire d’argumenter... parce que c’est faux ? ou parce que c’est gênant ? Et si Israël n’était pas un État colonialiste et raciste (concepts pratiquement interchangeables), comment et pourquoi la Nakba aurait-elle eu lieu ?

Wolff ne demande pas grand-chose. Il pense pouvoir détecter un kirchnérisme anti-israélien caché (peut-être exprimé alors, dans les années 1940, sous forme de péronisme) parce que l’Argentine n’a pas soutenu le rapport de l’ONU sur la question palestinienne en 1948... et qu’elle l’a fait... en 1949. D’autre part, l’Argentine “péroniste” a accueilli sur son territoire un important contingent de Juifs déplacés ou persécutés en Europe (rappelons que l’Argentine était, avant la montée du sionisme, le siège de nombreux Juifs déplacés des pays pays européens).

Bien qu’en 1948 la plupart des États dits latino-américains aient approuvé le rapport majoritaire des Nations unies, plusieurs l’ont fait, comme l’Argentine l’année suivante, la Colombie, le Chili, le Mexique, le Honduras et le Salvador, sans qu’aucune agression anti-israélienne manifeste n’ait été constatée.

En résumé, ce qui met Wolff mal à l’aise, c’est que Pietragalla se réfère à des aspects factuels et incontestables comme le fait colonial et son frère siamois, le racisme, et ne s’en tienne pas à ce à quoi le gouvernement argentin a souscrit ;[5] la reconnaissance de la définition de l’“antisémitisme” que l’Etat d’Israël et ses alliés les plus proches diffusent partout depuis quelques années, qui consiste à nier nombre des critiques “sensibles” faites à l’Etat d’Israël, de son histoire, de ses fondements, de ses budgets.

La DAIA avait également critiqué Pietragalla, pour exactement la même raison, et Wolff reprend cette remise en cause, « pour avoir criminalisé l’Etat d’Israël et délégitimé son droit à l’existence ».

Mais au-delà des épithètes et des qualifications, il est sain de s’en tenir aux faits historiques, et ceux-ci nous apprennent que les sionistes se sont emparés après une opération militaire de la quasi-totalité du territoire palestinien, ce qui ne coïncide même pas avec le découpage entrevu par l’ONU, qui était déjà très favorable à un futur État israélien, prévoyant 53% d’un territoire habité par une minorité juive. Le plan Dalet a porté la superficie du futur État juif à 78 % de la Palestine historique. En d’autres termes, le plan sioniste n’a pas tenu compte de l’offre de l’ONU et a fait “sa propre récolte” manu militari. Basé sur la souffrance des juifs aux mains du nazisme, le plan sioniste n’a pas tenu compte de l’offre de l’ONU. Les Palestiniens - musulmans, chrétiens et, au début, même juifs - se sont demandé, ainsi qu’aux “autorités” de l’ONU, pourquoi les Palestiniens devaient payer pour les “pots cassés” des conflits d’autres peuples.

Il n’y a pas eu de réponse.

Ce qui existait, en revanche, c’était la procédure “coutumière” entre vainqueurs et vaincus, et en particulier entre les peuples de seigneurs et les peuples auxquels la puissance planétaire n’accordait pas d’entité, de personnalité, de maturité. A cet égard, il est très instructif de lire les arguments des progressistes de l’ONU à la fin des années 1940 sur ce conflit.

Jorge García Granados, ambassadeur du Guatemala auprès de l’ONU et nommé juriste principal pour traiter le différend, écrit : « Les Arabes soutiennent que la Palestine a été cédée à la partie intéressée : la population du pays selon eux. Mais l’article 1 du traité de Lausanne établit la renonciation turque [... sans aucune référence aux habitants] ».

L’équipe juridique de l’ONU administrait les “biens en déshérence” que la défaite de la Turquie (et de l’Allemagne et de l’Autriche) après la Première Guerre mondiale avait laissés “libres”.

Et García Granados ne trouve aucun passage du traité entre vainqueurs et vaincus dans lequel il est établi [...] « qu’ils [les Palestiniens] sont une partie intéressée ». Et le juriste précis d’en appeler aux: « [...] principes généraux [selon lesquels] seuls les États souverains peuvent être des sujets en droit international ». [6] Il est donc clair que les Palestiniens, malgré leur lutte pour l’indépendance, leur lutte pour l’émancipation (locale ou panarabe) peuvent être ignorés. Car le droit international donne force de loi aux Etats déjà constitués (qui ne l’ont pas perdue en étant vaincus). Bref, c’est le Royaume-Uni, qui vient de céder un territoire à l’armée israélienne, ou les USA avec leur déploiement géopolitique transcontinental, qui décident.

C’est ça l’histoire. Avec des lacunes, inévitablement, mais sans interdits préalables.

Notes

[1] Basée sur un roman de Gerald Green, la mini-série “Holocauste”, réalisée par Marvin Chomsky, a été diffusée à la télévision US en avril 1978. Elle a connu un grand succès auprès du public, ce qui a incité l télévision argentine à l'acheter. Sa diffusion, annoncée pour la fin de l'année 1978, n’a eu lieu qu'en décembre 1981.[NdT]

[2]   Une appellation erronée s'il en est, puisque bibliquement, l'holocauste était l'offrande d'animaux sacrifiés par les rabbins à leur dieu.

[3]  Je fais référence aux opérations militaires d'artillerie et de bombardement dans les villes et quartiers civils palestiniens peuplés, qui ont entraîné le massacre de centaines d'enfants, par exemple, et de civils en général. Ampleur : des milliers d'êtres humains tués.

[4]  Affaire Pollard, USA, 1998. Ce n’était ni la première ni la dernière.

[5]  Le gouvernement argentin a adopté la définition de l'antisémitisme de l'IHRA en 2020, assimilant ainsi l'antisionisme à l'antisémitisme.

[6]   "Justification" dans Así nació Israel, Biblioteca Oriente, Buenos Aires, 1949.

ALEJANDRO ALEGRÍA
Les USA demandent au Mexique des consultations sur le maïs transgénique dans le cadre l’Accord Canada-Mexique-USA

Alejandro Alegría, La Jornada, 2/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Mexico- Le gouvernement usaméricain a demandé des consultations sur le règlement des différends avec le Mexique dans le cadre du T-MEC [Accord Canada–USA–Mexique , signé en 1994] en raison de l’interdiction par le gouvernement mexicain des importations de maïs génétiquement modifié et de l’utilisation du glyphosate.

 

MAÏS TRANSGÉNIQUE : "Ils me discriminent"
Jerge, La Jornada

Le Bureau du représentant américain au commerce (United States Trade Representative, USTR) a indiqué que sa directrice, Katherine Tai, avait fait cette nouvelle demande au titre du chapitre 31 de l’accord commercial, après l’expiration, le 7 avril, du délai fixé pour la première demande au titre du chapitre 9.

Le ministère mexicain de l’économie (SE) a confirmé la demande et a assuré qu’il défendrait la position du Mexique avec “des données et des preuves solides”.

Alors que Tai a déclaré que les USA restaient préoccupés par le fait que « les politiques biotechnologiques du Mexique ne sont pas fondées sur la science et menacent d’interrompre les exportations américaines », le gouvernement mexicain a déclaré que l’utilisation exclusive de maïs natif pour la masa [pâte de farine de maïs] et les tortillas « n’a pas d’impact ni d’intérêt commercial » pour son partenaire commercial, étant donné que le pays produit deux fois plus de maïs blanc qu’il n’en utilise pour ces produits.

Les nouvelles consultations font également référence à l’interdiction d’utiliser du maïs biotechnologique dans tous les produits destinés à la consommation humaine et à l’alimentation animale, établie par le décret du 13 février.


À ce sujet, le SE a déclaré que si le décret propose que l’industrie et le secteur de l’alimentation animale passent de l’utilisation de maïs génétiquement modifié à celle de maïs non génétiquement modifié, cela n’entraînera pas de restrictions commerciales, comme l’affirme l’ USTR.

Il a précisé que la transition sera progressive et qu’elle renforcera la productivité des campagnes mexicaines sans pour autant négliger les engagements internationaux pris.

Les consultations portent également sur le rejet de demandes d’autorisation pour l’importation et la vente de certains produits biotechnologiques.

La Commission fédérale de protection contre les risques sanitaires, a déclaré le SE, est en mesure d’autoriser de nouvelles semences de maïs biotechnologique et de réévaluer les refus antérieurs. « Le maïs importé des USA est complémentaire et destiné à un usage industriel et à l’alimentation animale », poursuit-il.

Cette demande intervient un jour après que 62 législateurs de la Chambre des représentants US ont demandé à l’USTR de mettre en place un groupe spécial pour résoudre les problèmes de non-conformité, étant donné que deux mois se sont écoulés sans qu’aucun progrès n’ait été réalisé.

Selon l’USTR, les mesures prises par le Mexique « semblent être incompatibles avec plusieurs des obligations qui lui incombent en vertu des chapitres sur les mesures sanitaires et phytosanitaires et sur l’accès aux marchés du T-MEC ».

Mme Tai a noté que les politiques mexicaines en matière de biotechnologie entravent l’innovation agricole qui aide les agriculteurs usaméricains à lutter contre le changement climatique [discours bien connu, NdT].

« Nous sommes fondamentalement en désaccord avec la position adoptée par le Mexique sur les biotechnologies, dont l’innocuité est prouvée depuis des décennies. Par cette action, nous exerçons les droits que nous confère le T-MEC », a déclaré Tom Vilsack, secrétaire d’État US à l’Agriculture.

Le SE a réitéré l’engagement du Mexique à favoriser un dialogue constructif afin de clarifier les préoccupations des USA et de parvenir à un accord mutuellement satisfaisant, et a promis que seules des considérations commerciales entreraient en ligne de compte.

L’USTR a également déclaré qu’il continuerait à travailler avec le gouvernement mexicain pour veiller à ce que les consommateurs aient accès à des « produits alimentaires et agricoles sûrs et abordables » [et vive Bayer/Monsanto, Dow, Syngenta, Dupont/Pioneer & Co., NdT].


 

GIANFRANCO LACCONE
Italie : une unanimité parlementaire déconcertante en faveur des aliments transgéniques
Il faut les arrêter !

  Gianfranco Laccone, Climateaid.it, 1/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les Commissions VIII et IX (Agriculture et Environnement) du Sénat italien ont approuvé à l'unanimité, dans une manœuvre sournoise classique, un amendement au décret “sécheresse” (Projet de loi 660) qui introduit la possibilité d'essais expérimentaux dans le domaine agricole, visant à expérimenter des plantes obtenues avec des techniques génomiques de nouvelle génération [NGT en anglais]. Celles-ci, de manière moins évidente et traumatisante que les OGM jusqu'à présent, introduisent dans la plante des éléments d'ADN provenant de plantes de la même espèce ou d'autres espèces, capables de modifier son comportement. Le financement correspondant de 60 millions d'euros sur la période triennale 2023-25, inclus dans la même loi et destiné à l'élimination du matériel végétal produit, démontre l'intention d'avancer rapidement dans cette direction ainsi que le caractère pas trop “inoffensif” pour l'environnement de cette expérimentation, combinée au désir d'inciter les maires à accorder des autorisations, en leur garantissant un remboursement généreux des frais d'élimination.

 

 

Pour éviter que l'on dise que ce financement n'a rien à voir avec la sécheresse, à l'article 9 bis, paragraphe 1, le mot est introduit dans le texte avec une référence générique aux finalités, suivie des définitions :  « Afin de permettre la réalisation urgente d'activités de recherche, de vérification et de surveillance, sur des sites expérimentaux autorisés, à l'appui de productions végétales capables de répondre de manière adéquate à la pénurie d'eau et en présence de stress environnementaux et biotiques d'une intensité particulière, la dissémination volontaire dans l'environnement, à des fins scientifiques et expérimentales, d'organismes produits au moyen de techniques d'évolution assistée telles que la cisgénèse et la mutagénèse dirigée est autorisée, conformément aux dispositions du présent article et dans le respect du principe de précaution et de la législation de l'Union européenne applicable en la matière. La cisgénèse désigne les techniques génomiques visant à insérer, sans modification, du matériel génétique appartenant à un organisme donneur de la même espèce que le receveur, ou appartenant à une espèce apparentée sexuellement compatible, comme indiqué par l'Autorité européenne de sécurité des aliments et la Commission européenne. La mutagenèse dirigée désigne les techniques génomiques visant à modifier l'ADN d'un organisme sans introduire de matériel génétique étranger à l'organisme, appelées SDN-1 et SDN-2 par l'Autorité européenne de sécurité des aliments et la Commission européenne ». L'acronyme NBT, utilisé au niveau international, signifie New Breeding Techniques, et comprend toutes les techniques de correction ciblée du génome, également connues sous le nom d'édition du génome ; ces techniques ont maintenant été nommées TEA (Tecniche di Evoluzione Assistita) en italien, affirmant que le changement de terme peut démontrer leur plus grande “naturalité”. 


 

L'épisode est grave pour plusieurs raisons : pour l'unanimité des forces politiques, qui montre que la protection de l'environnement et la sécurité alimentaire sont considérées par nos parlementaires comme une affaire à résoudre, avec une grande témérité, par un artifice législatif ; pour la confiance que les dirigeants des entités publiques montrent dans les résultats possibles de la recherche, pensant encore une fois à tort - comme par le passé - que la chasse aux brevets et à la propriété du génome ne sont qu'un problème technologique et non une affaire énorme sur la peau des populations de la planète ; pour l'excès de confiance dans la possibilité de progrès de la recherche, renouvelant à travers les TEA le mythe de la pierre philosophale, sûrs que cette fois-ci il ne s'agit pas d'un mythe. Comme le rappelle à juste titre le communiqué de toutes les associations environnementales, de producteurs et de consommateurs, dont beaucoup se sont regroupées à l’enseigne “Changeons l'agriculture”, le vote unanime des commissions renforce un modèle de production intensive basé sur l'illusion que seule la technologie peut résoudre les problèmes de la crise environnementale d’origine anthropogéniques. En réalité, on renforcerait le pouvoir de contrôle des multinationales, des détenteurs de brevets et des entreprises agroindustrielles sur les chaînes agroalimentaires, au détriment des agriculteurs et des citoyens.

 

L'ACU demande la suppression immédiate de l’amendement inutile et nuisible au texte du projet de loi 660, censé soutenir l'agriculture en temps de crise.

 

Alors qu'à l'étranger la discussion implique de nombreux secteurs de la société et que les arguments sont approfondis, ici le sujet lui-même est obscurci et détourné par les motivations d'urgence habituelles (il faut lutter contre la sécheresse), jouant sur le malentendu du “nouveau” comme synonyme d'inoffensif, contrairement aux OGM précédents.  Mais l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne dans l'affaire C-528/16, déjà en 2018, a assimilé à toutes fins utiles les NBT/TEA aux OGM, en soumettant l'expérimentation aux mêmes conditions que les OGM, c'est-à-dire qu'elle n'est possible qu'en respectant certains critères.  Une partie de ces critères sont déjà présents dans la loi sur les semences de 2001 - et sont toujours en vigueur - et concernent l'information sur les champs expérimentaux et l'évaluation des risques pour l'agro-biodiversité, les systèmes agraires et les chaînes agro-alimentaires. La tentative subreptice de la loi de considérer l'expérimentation comme respectant le principe de précaution va à l'encontre de la nécessité d'une information transparente et publique sur l'activité, non pas pendant mais avant qu'elle ne soit réalisée.   En substance, il s'agit d'un coup d'État d'une poignée d'inconnus qui entend balayer des décennies de discussions sur les OGM qui, dans l'UE, ont abouti à l'inclusion du principe de précaution dans les traités. Dans notre pays, les variétés locales ont donc été favorisées, ce qui a certainement été l'un des facteurs de l'affirmation du “Made in Italy”, du maintien d'une production qui, autrement, aurait été retirée du marché et du développement généralisé de la culture biologique. Les méthodes de culture moins technologiques, telles que l'agriculture biologique, sont aujourd'hui rentables, évitent de polluer davantage et favorisent la réhabilitation des terres, et sont en mesure de donner une personnalité et une image au “Made in Italy”. Mais il semble que la pensée dominante des organisations agricoles majoritaires soit de sauver leurs chaînes d'approvisionnement et, avec elles, le système de marché qui est aujourd'hui en crise.

 

Comme l'ont montré les inondations en Romagne, le système le plus avancé d'agriculture de marché est très vulnérable au changement climatique et la lutte contre la sécheresse ne trouvera pas de sitôt un réconfort dans la recherche sur le génome. Depuis le début des années 1980, la recherche sur le génome espère trouver un élément d'ADN à transférer pour rendre toutes les variétés de plantes possibles résistantes au stress hydrique, à commencer par le riz, sans y parvenir jusqu'à présent. Mais il y a là une contradiction interne insurmontable, que tant le monde de la recherche que les parlementaires qui l'ont votée si superficiellement ne prennent pas en compte : c'est le marché. Le même marché qui pousse à financer des recherches coûteuses et à arracher les connaissances agricoles des mains des agriculteurs rendra les inventions introduites inutiles. Parce que les cultures à hauts revenus sont irriguées, parce que les plantes produisent plus si elles sont irriguées, et parce qu'il est plus facile de cultiver des plantes nées dans des climats de savane et des variétés de céréales plus rustiques et anciennes que les variétés actuelles, que d'acheter (très cher) du blé issu de la recherche sur les variétés transgéniques. Les anciens OGM ont échoué sur le marché pour des raisons économiques et pas tellement pour des questions génétiques ; ces dernières étaient importantes en raison de la perte de biodiversité qui s'est produite et des mutations induites, des faits qu'il faut empêcher de continuer à expérimenter dans le dos des populations de la planète. L'unanimité obtenue lors du vote en faveur de des TEA ne fait que montrer la distance qui existe désormais entre la vie des gens et celle des hommes/femmes politiques italien·nes. On dit que ce vote contribuera à soutenir les produits fabriqués en Italie : j'aimerais que l'on m'explique comment et pourquoi. Ce que je vois tous les jours quand je vais au marché local, c'est la foule (en constante augmentation) devant les étals de légumes de rebut, ceux qui sont vendus aujourd'hui pour 1,5/2 euros, alors qu'il y a encore trois mois, ils coûtaient moins d'un euro le kg. Et dans les supermarchés, je vois les offres du jour s'épuiser rapidement, au détriment des produits certifiés et plus chers.

 

Les Italiens mangent de plus en plus ce qu'ils peuvent acheter avec les faibles revenus dont ils disposent, et il faudrait pousser la recherche pour trouver des systèmes de culture moins coûteux et moins polluants, capables d'améliorer l'alimentation de masse et, à travers elle, la santé de la population.