L’ancien président des Philippines Rodrigo Duterte (2016-2022), âgé de 79 ans, a été arrêté mardi 11 mars après avoir atterri à l’aéroport de Manille, en application d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) transmis par Interpol pour sa guerre meurtrière contre la drogue. Au moins 6 252 Philippins accusés d’être des trafiquants de drogue, selon les chiffres officiels, ont été tués par la police lors d’“incidents armés” possiblement assimilés à des exécutions extrajudiciaires durant son mandat [d’autres sources estiment le nombre de victimes à 30 000]. Ci-dessous un reportage sur un membre du premier escadron de la mort créé par Duterte lorsqu'il était maire de Davao City.-FG
Edgar Matobato affirme avoir tué encore et encore pour l’ancien président philippin Rodrigo Duterte. Aujourd’hui, il tente de rester en vie pour témoigner.
Hannah Beech & Jes Aznar (photos), The New
York Times,
5/1/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Hannah Beech est une
journaliste du Times basée à Bangkok qui couvre l’Asie depuis plus de 25 ans.
Elle se concentre sur les articles de fond et d’investigation. En savoir plus sur Hannah Beech
Hannah Beech et Jes Aznar ont passé
plus d’un an à enquêter sur l’escadron de la mort lié à l’ancien président
Rodrigo Duterte.
Selon le tueur à gages, il existe
de nombreuses façons de tuer.
Une ficelle nouée entre deux
bâtons étrangle par une torsion des poignets. Une lame de boucher, longue et
fine, tranche le cœur.
Edgar Matobato dit avoir donné un
homme à manger à un crocodile, mais seulement une fois. La plupart du temps, il
mettait fin à la vie des gens avec une arme de confiance : son pistolet Colt
M1911 de calibre 45.
« Pendant près de 24 ans, j’ai
tué et éliminé de nombreux corps », a dit M. Matobato à propos de son
passage dans un escadron de la mort à Davao City, dans le sud des Philippines. « J’essaie
de me souvenir, mais je ne peux pas me souvenir de tout le monde ».
« Je suis désolé »,
a-t-il ajouté.
Nous étions assis dans la cuisine
extérieure du refuge secret de M. Matobato aux Philippines. Une pluie
torrentielle faisait ruisseler l’eau dans la pièce. Les moustiques ont suivi.
Il en a écrasé un, dont le corps suintait le sang d’un autre.
M. Matobato se cachait. Il le
fait depuis une décennie, depuis qu’il a avoué ses crimes et révélé qui avait
ordonné l’effusion de sang : Rodrigo Duterte, le maire de Davao City, qui est
ensuite devenu président des Philippines.
Edgar Matobato prenant son café du matin
dans l’enceinte d’une église où lui et sa femme se sont cachés pendant des
années.
M.
Matobato montre comment il étranglait une victime lorsqu’il était l’homme de
main de Rodrigo Duterte.
M. Matobato, aujourd’hui âgé de
65 ans, affirme avoir tué plus de 50 personnes pour celui qu’il appelait “Superman”.
Il recevait de la mairie un salaire d’un peu plus de 100 dollars par mois et
des enveloppes d’argent liquide pour les coups réussis. Il cachait rarement son
identité lorsqu’il kidnappait et tuait, dit-il, car le fait de travailler pour
le maire lui donnait l’impunité.
M. Matobato savait que le fait de
briser l’omertà de ce que l’on a appelé l’escadron de la mort de Davao faisait
de lui un homme marqué. Il a reçu l’asile de prêtres et de politiciens, qui
espéraient que ses aveux pourraient être utilisés pour demander un jour des
comptes à son ancien patron.
Lorsque je l’ai rencontré pour la première fois l’année dernière, M. Matobato attendait que la Cour pénale internationale (C.P.I.) le prenne comme témoin dans le cadre de son enquête visant à déterminer si M. Duterte a commis des crimes contre l’humanité. En 2018, des procureurs internationaux ont commencé à enquêter sur Duterte, qui a été président de 2016 à 2022, pour avoir supervisé des exécutions extrajudiciaires, dans la ville de Davao et plus tard dans l’ensemble des Philippines, qu’il a justifiées dans le cadre d’une campagne de maintien de l’ordre contre les drogues illégales et d’autres maux de la société. Il n’existe pas de décompte exact du nombre de victimes de sa guerre contre la drogue - une vague d’assassinats qui a touché bien plus que des trafiquants de drogue et des petits délinquants - mais les estimations les plus basses font état de 20 000 personnes.