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03/05/2024

FRANCO ‘BIFO’ BERARDI
La fin d’Israël
Lire Amos Oz en temps de génocide

Lisons Amos Oz pour comprendre le monstrueux paradoxe d’Israël, l’État-nation par lequel les Euro-USAméricains ont mis les Juifs en danger de mort.

 Franco “Bifo” Berardi, il disertore, 4/4/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Plus les jours passent, plus Israël avance dans sa campagne d’extermination, plus il s’isole du reste du monde, plus je comprends que le pogrom du 7 octobre*, bien qu’étant, comme un pogrom ne peut que l’être, une action atroce moralement inacceptable, a été un acte politique capable de changer la direction du processus historique. La conséquence immédiate de cet acte a été le déclenchement d’un véritable génocide contre la population de Gaza, mais le génocide se poursuivait de manière rampante depuis 75 ans, dans les territoires occupés, au Liban, en Syrie.

Mais à moyen terme, je crois que l’État colonialiste d’Israël, de plus en plus ouvertement nazi dans son fonctionnement, ne survivra pas longtemps.

Lorsque le contexte est profondément immoral, l’action ne peut être éthiquement acceptable pour être efficace. C’est l’horreur de l’histoire, à laquelle nous ne pouvons échapper qu’en désertant l’histoire.

L’occupation de la terre palestinienne par un avant-poste de l’impérialisme occidental appelé Israël est une condition d’immoralité absolue. Dans ce contexte, aucune action efficace n’est possible si ce n’est immorale.

Je pense que nous nous rendrons bientôt compte qu’Israël n’a rien à voir avec l’histoire du monde juif, qu’il en est même la négation. C’est pourquoi le spectacle génocidaire provoqué par le pogrom du 7 octobre a enclenché une dynamique destinée à faire s’écrouler l’État colonialiste.

La majorité des citoyens de cet État soutient le génocide, cent mille colons ont été armés par l’État colonial pour continuer à étendre l’occupation et l’extermination dans les territoires, et Israël jouit d’une supériorité techno-militaire incontestable.

Néanmoins, la dynamique qui se développe actuellement crée une condition de guerre totale que l’État israélien ne pourra pas soutenir longtemps.

Pour expliquer ce que je veux dire, je cède la parole à celui qui est probablement l’un des plus grands écrivains juifs du XXe siècle, Amos Oz, qui explique d’abord quelle contribution la culture juive a apportée au monde.

« Mon oncle était un Européen conscient à une époque où personne en Europe ne se sentait européen, à part les membres de ma famille et d’autres Juifs comme eux. Tous les autres étaient des patriotes panslaves, pangermaniques ou simplement lituaniens, bulgares, irlandais ou slovaques. Dans les années 1920 et 1930, les seuls Européens étaient les Juifs. Mon père avait l’habitude de dire : en Tchécoslovaquie, il y a trois nationalités, les Tchèques, les Slovaques et les Tchécoslovaques, c’est-à-dire les Juifs. En Yougoslavie, il y a les Serbes, les Croates, les Slovènes et les Monténégrins, mais une poignée de Yougoslaves y vivent aussi, et même avec Staline, il y a les Russes, les Ukrainiens, les Ouzbeks, les Tchétchènes et les Cathares, mais parmi eux, vivent aussi nos frères, membres du peuple soviétique... Aujourd’hui, l’Europe est complètement différente, elle est pleine d’Européens, d’un mur à l’autre. D’ailleurs, l’écriture sur les murs a également changé du tout au tout : lorsque mon père était enfant à Vilna [Vilno/Vilnius], il était écrit sur tous les murs d’Europe : « Juifs, rentrez chez vous, en Palestine ». Cinquante ans ont passé et mon père est revenu pour un voyage en Europe où les murs lui criaient : « Juifs, sortez de Palestine ». (Une histoire d’amour et de ténèbres, version italienne, Feltrinelli, 2004, 86-87).

La culture juive est le fondement de l’universalisme rationaliste, du droit et même de l’internationalisme ouvrier. Lorsque le nationalisme européen, surtout allemand et polonais, mais aussi français et italien, s’est déchaîné contre le corps étranger qu’était la culture universaliste et internationaliste des Juifs, de nombreux Juifs européens ont dû fuir l’Europe pour se réfugier en Palestine, dans les années où le rêve sioniste semblait pouvoir se réaliser dans des conditions pacifiques. Parmi eux, les parents de l’écrivain.

« Bien sûr, nous savions à quel point la vie était dure en Israël : nous savions qu’il faisait très chaud, qu’il y avait des déserts et des marécages, du chômage et des Arabes pauvres dans les villages, mais nous voyions sur la grande carte accrochée dans la salle de classe qu’il n’y avait pas beaucoup d’Arabes sur la terre d’Israël, peut-être en tout un demi-million à l’époque, certainement moins d’un million, et nous étions certains qu’il y avait assez de place pour quelques millions de Juifs, que les Arabes seraient probablement excités contre nous comme les petites gens en Pologne, mais on pouvait leur expliquer qu’ils ne pourraient que bénéficier de nous, économiquement, sanitairement, culturellement et pour tout le reste. Nous pensions qu’en peu de temps - quelques années seulement - les Juifs seraient majoritaires en Israël - et que nous montrerions alors au monde entier comment se comporter de manière exemplaire avec une minorité. C’est ce que nous aurions fait avec les Arabes : nous, qui avions toujours été une minorité opprimée, aurions traité notre minorité arabe avec honnêteté et justice, avec générosité, et nous aurions construit la patrie ensemble, nous aurions tout partagé avec eux, et nous n’en aurions absolument jamais fait des chats. Quel beau rêve ! » (page 240)

C’était le rêve d’une époque où existait une conscience solidaire, égalitaire et internationaliste. Mais la construction de l’État d’Israël contredit complètement cette aspiration, comme Hanna Arendt s’en est rendue compte dès la fin des années 1940 lorsqu’elle a déclaré que le projet de création d’un État sioniste était « un coup mortel porté aux groupes juifs de Palestine qui ont inlassablement plaidé pour la nécessité d’une compréhension entre Arabes et Juifs ».

Après l’Holocauste, après avoir assassiné six millions de Juifs, les peuples européens ont semblé satisfaits lorsque les Juifs ont décidé de partir vers un territoire contrôlé par les Britanniques.

« On peut peut-être se consoler en se disant que si les Arabes ne veulent pas de nous ici, les peuples d’Europe, eux, n’ont pas la moindre envie de nous voir revenir pour repeupler l’Europe. Et le pouvoir des Européens est de toute façon plus fort que celui des Arabes, si bien qu’il y a une certaine probabilité qu’ils nous laissent ici de toute façon, qu’ils forcent les Arabes à digérer ce que ‘l’Europe essaie de vomir’ » (402).

Les Européens ont vomi la communauté juive, dit Amos Oz, ils ont d’abord exterminé puis expulsé ce qui était pourtant la communauté la plus profondément européenne, parce qu’elle incarnait de la manière la plus accomplie les valeurs des Lumières, du rationalisme et du droit, alors que le nationalisme prévalait en Europe. C’est précisément parce que les Juifs n’avaient aucune relation ancestrale avec la terre européenne que leur européanisme était fondé sur la raison et le droit, et non sur l’identité ethnique.

Le sionisme est donc une trahison de la vocation universaliste de la culture juive moderne. Mais pas seulement : le sionisme était aussi l’identification des victimes avec le bourreau nazi, la tentative d’affirmer la nation juive (horrible oxymore) par les mêmes moyens que ceux par lesquels la nation germanique (et européenne) avait exterminé la communauté non nationale des Juifs.

Cet enchevêtrement a maintenant - je crois - atteint son point de crise final. Il se peut que la conjoncture à venir soit encore plus tragique que ce que nous avons vu jusqu’à présent. Mais l’État d’Israël, instrument de la domination euro-usaméricaine sur le Moyen-Orient (et sur le pétrole), ne manquera pas d’exploser bientôt.  

NdT

*Qualifier l’opération Toufan Al Aqsa de « pogrom » me semble relever du non-sens et même du contresens, concession de l’auteur à la doxa occidentale dominante, qui ne fait qu’amplifier la hasbara israélienne. Rappelons que pogrom (« dévastation » en russe) a désigné les émeutes contre des quartiers et des établissements juifs dans l’ancien Empire russe et en Roumanie, entre 1880 et 1920, au cours desquelles une populace, tolérée, encouragée et même encadrée par des milices paramilitaires (les « Cent-Noirs ») et/ou par la police secrète (l’Okhrana), se déchaînait contre les minorités juives désarmées. Le 7 octobre 2023 a, en revanche, vu une force militaire régulière (dotée d’un commandement, d’uniformes et de règles d’engagement) venue d’un territoire soumis à un siège militaire depuis 17 ans attaquer des bases militaires et des kibboutz paramilitaires hébergeant des hommes et des femmes armé·es chargé·es de surveille ce territoire. Il appartiendra à la justice internationale de déterminer si les dommages collatéraux de cette opération relèvent de crimes de guerre, à défaut d’être des « pogroms », une catégorie qui n’a aucune définition juridique. On peut en revanche parler de pogroms pour qualifier certaines attaques de colons juifs armés contre des habitants palestiniens désarmés en Cisjordanie, par exemple à Huwara en février 2023. [FG]

Guerre contre Gaza : le chirurgien palestinien Adnan al-Bursh torturé à mort dans une prison israélienne

Adnan al-Bursh était un chirurgien palestinien et le chef du service de médecine orthopédique de l’hôpital al-Shifa.

Rédaction MEE, 2/5/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Adnan al-Bursh a été arrêté par les forces israéliennes en décembre de l’année dernière (X)

Adnan al-Bursh, chirurgien palestinien et professeur de médecine orthopédique, a été tué sous la torture alors qu’il était détenu par Israël, selon une déclaration de la Société des prisonniers palestiniens.

Dans ce qui a été qualifié d’ « assassinat délibéré », Bursh, 50 ans, est mort dans la prison israélienne d’Ofer, en Cisjordanie occupée, le 19 avril, selon la Commission palestinienne des affaires civiles, et son corps n’a toujours pas été rendu à sa famille.

Un autre détenu, Ismail Abdul Bari Khader, 33 ans, est également décédé en détention, selon la déclaration commune, et son corps a été remis le 2 mai en même temps que 64 autresprisonniers (vivants).

« Les deux victimes sont mortes des suites de tortures et de crimes commis à l’encontre de détenus gazaouis », indique la déclaration.

Al-Bursh était le chef du service de médecine orthopédique de l’hôpital al-Shifa de la ville de Gaza et avait été arrêté en décembre, à peu près au moment où il aurait été blessé par un bombardement israélien à l’hôpital indonésien dans le nord de la bande de Gaza.

Jusqu’à son arrestation, Bursh se rendait régulièrement dans différents hôpitaux de la bande de Gaza pour soigner des patients et, au moment de son arrestation, il travaillait à l’hôpital al-Awda. Plusieurs membres du personnel médical et des patients ont également été arrêtés en même temps que Bursh. 

Francesca Albanese, rapporteuse spéciael des Nations unies sur les territoires palestiniens occupés, s’est déclarée aujourd’hui « extrêmement alarmée » par la mort de cet éminent médecin.

« J’exhorte la communauté diplomatique à prendre des mesures concrètes pour protéger les Palestiniens. Aucun Palestinien n’est en sécurité sous l’occupation israélienne aujourd’hui », a-t-elle écrit dans une déclaration sur X.

Des groupes médicaux, dont l’Organisation mondiale de la santé, ont demandé à plusieurs reprises que cessent les attaques contre le personnel soignant de Gaza. Selon une estimation, plus de 200 soignant·es ont été tué·es à ce jour dans le conflit de Gaza.

Le ministère palestinien de la Santé a déclaré que la mort de M. Bursh portait à 496 le nombre de travailleurs du secteur médical tués par Israël depuis le 7 octobre, date à laquelle la guerre a éclaté. Il a ajouté que 1 500 autres travailleur·ses avaient été blessé·es et 309 arrêté·es.

La guerre d’Israël contre l’enclave de Gaza a tué plus de 34 000 Palestiniens, dont la plupart étaient des femmes et des enfants, rasé des quartiers résidentiels entiers et pris pour cible d’autres infrastructures civiles, notamment des écoles, des hôpitaux, des mosquées et des églises.

Sans précédent

Au terme de six mois de détention administrative renouvelable en avril, Israël a libéré des dizaines de prisonniers palestiniens de plusieurs prisons - des personnes qui avaient été arrêtées à la suite du déclenchement de la guerre contre Gaza le 7 octobre.

Les mauvais traitements subis par les prisonniers sont révélateurs de ce que les groupes de défense des droits ont qualifié de niveau d’abus sans précédent dans les prisons israéliennes, comme l’a rapporté Middle East Eye à la fin du mois dernier.

Les associations de prisonniers palestiniens affirment que l’armée israélienne a arrêté plus de 8 000 Palestiniens en Cisjordanie depuis le 7 octobre, dont 280 femmes et au moins 540 enfants.

Les groupes de défense des droits ont fait état de mauvais traitements généralisés, et l’Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNWRA) a publié la semaine dernière un rapport décrivant, entre autres, des détenus à qui l’on a uriné dessus et que l’on a obligés à se comporter comme des animaux, ainsi que des enfants attaqués par des chiens.

Le traitement des prisonniers palestiniens ayant fait l’objet d’un black-out total, les groupes de défense des droits se sont appuyés sur les témoignages des personnes libérées pour documenter les mauvais traitements qui leur ont été infligés.

Les témoignages des prisonniers palestiniens ont horrifié leurs familles et les familles de ceux qui ont des proches encore en prison.

On estime qu’au moins 18 prisonniers palestiniens sont morts depuis le 7 octobre.