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25/01/2024

ÁLVARO ENRIGUE
La découverte de l’Europe par les Amérindiens
Recension du livre “On Savage Shores”, de Caroline Dodds Pennock

Álvaro Enrigue, The New York Review of Books, 18/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala


 

Álvaro Enrigue (Guadalajara, Jalisco, 1969) est un écrivain et professeur mexicain. Il vit à New York et enseigne à l’université Hofstra. Auteur de cinq romans, 3 recueils de récits et d’un essai. Trois de ses romans ont été traduits en français : Vies perpendiculaires, Mort Subite et Hypothermie.

 Un nouveau livre étudie la vie des centaines de milliers d’indigènes américains qui ont été amenés ou ont voyagé en Europe au XVIe siècle, une histoire qui est au cœur du début de la mondialisation.

 

Ouvrage recensé :
On Savage Shores: How Indigenous Americans Discovered Europe (Sur les rivages sauvages : Comment les autochtones américains ont découvert l’Europe)
par Caroline Dodds Pennock
Weidenfeld & Nicolson (UK), Knopf (USA), 302 p., Hardcover £16.82 Paperback £10.11

Le village “brésilien” de Rouen, extrait du livre de fête intitulé « C’est la deduction du sumptueux ordre plaisantz spectacles et magnifiques théâtres dressés et exhibés par les citoiens de Rouen, ville métropolitaine du pays de Normandie ; A la Sacrée Majesté du Treschristian Roy de France, Henry second leur souverain Seigneur, Et à Tresillustre dame, ma Dame Katharine de Medicis, La Royne son épouse, lors de leur triumphant ioyeulx & nouvel aduenement en icelleville, Qui fut es iours de Mercredy & ieudy premier & second iours d’octobre Mil cinq cens cinquante […] ». Source : INHA

 

En 1560, Paquiquineo, un jeune homme Kiskiack ou Paspahegh de la région de la baie de Chesapeake [nord-est des actuels USA, NdT], est invité à bord d’un navire espagnol qui explore la côte de l’Amérique du Nord. Le capitaine du bateau pensait que Paquiquineo, fils d’un chef, serait utile aux forces espagnoles lorsqu’elles décideraient de conquérir la région, il l’a donc kidnappé et l’a emmené à Madrid. Paquiquineo, qui apprend rapidement la langue, se révèle être un politicien habile. Lors de sa rencontre avec le roi Philippe II, il explique qu’il ne veut pas servir de médiateur à l’Espagne ni adopter sa religion.

Pour la Couronne espagnole, la royauté était la royauté, quelle que fût son origine ethnique. Philippe a respecté les souhaits de Paquiquineo et, en 1562, il a ordonné qu’un navire se rendant en Nouvelle-Espagne - aujourd’hui le Mexique - le prenne à bord, étant entendu que le passager serait amené sur ce qui est aujourd’hui la côte médio-atlantique des USA au cas où un bateau irait vers le nord.

Après son arrivée à Mexico, Paquiquineo tombe gravement malade et demande à être baptisé, juste au cas où. Il reçoit le nom chrétien Luis de Velasco en l’honneur du vice-roi de la Nouvelle-Espagne. En tant qu’aristocrate, il a droit au titre de “don”, qu’il utilisera pendant quelques années.

Paquiquineo est en convalescence au monastère dominicain. Après sa guérison, le frère Pedro de Feria, supérieur contesté de l’ordre en Nouvelle-Espagne, décide de l’y maintenir plus ou moins par la force, dans l’espoir d’obtenir un avantage sur les Franciscains, les deux groupes de frères se positionnant pour le contrôle religieux des terres non conquises au nord. (Le conflit entre les deux ordres se poursuivit pendant quatre ans, jusqu’à ce que le roi Philippe le résolve en confiant aux Jésuites l’autorité spirituelle sur la terre natale de Paquiquineo).

Pendant son long séjour à Mexico (l’ancienne Tenochtitlan), Paquiquineo a appris le nahuatl, la langue des Mexica, le nom correct du peuple appelé plus tard Aztèques, et a fait suffisamment de connaissances pour comprendre le moment politique tumultueux que traversait la ville. En 1521, après sa reddition, l’empereur Cuauhtemoc avait accepté une capitulation - dont aucune copie n’a survécu - en vertu de laquelle les Mexica seraient exemptés d’impôts s’ils restaient à Tenochtitlan, si l’administration impériale continuait à fonctionner et si une ville espagnole y était construite, au lieu de dissoudre la capitale vaincue, comme c’était la coutume en Méso-Amérique. Dans les années 1560, la Couronne espagnole a rompu le pacte, déclenchant une rébellion qui s’est soldée par la répression brutale de la population locale et le châtiment de ses dirigeants. Paquiquineo a vu tout cela et en a pris note en silence.

Après avoir passé quatre ans à Cuba, Paquiquineo a été envoyé en 1570 en Virginie dans le cadre d’une mission jésuite, en tant que traducteur officiel. Une ville espagnole fut établie pacifiquement près de ce qui est aujourd’hui la rivière James. Puis, après le départ des bateaux qui avaient transporté les missionnaires, Paquiquineo prit la tête d’une rébellion au cours de laquelle tous les Européens, à l’exception d’un seul, furent tués et la ville rasée. Lorsque Philippe II apprit la nouvelle, il annula toutes les explorations futures de ce qui est aujourd’hui la côte est des USA. Si même le converti catholique Don Luis de Velasco pouvait agir de manière aussi perfide et brutale, cela signifiait qu’une occupation réussie coûterait trop de vies espagnoles.

La médiéviste espagnole Carmen Benito-Vessels a qualifié l’histoire de Paquiquineo - récemment relatée dans le livre de Camilla Townsend, Fifth Sun : A New History of the Aztecs (2019)- d’histoire d’un personnage historique cherchant désespérément un romancier. Elle a raison, et l’on pourrait même affirmer que si les premiers présidents des USA n’étaient pas des catholiques hispanophones, c’est en grande partie parce que les Britanniques ont fini par tirer parti de la réflexion stratégique et du comportement courageux de Paquiquineo.

Dans On Savage Shores : How Indigenous Americans Discovered Europe, l’historienne anglaise Caroline Dodds Pennock ne s’étend pas sur les récits existants de la vie de Paquiquineo, peut-être parce qu’il est déjà connu de ceux qui connaissent l’histoire de l’Amérique du Nord au début de l’ère moderne. Elle le suit cependant dans les archives espagnoles, où elle trouve des listes de ses dépenses pendant la période qu’il a passée à la cour de Madrid : vêtements européens de qualité, coupes de cheveux, billets de théâtre, et même des aumônes pour les pauvres. ((Étant donné qu'il était considéré comme un diplomate, il avait des obligations sociales). Selon le traité de Tordesillas de 1494, il était un sujet du roi d’Espagne, et les nouvelles lois de 1542 l’ont placé sous la protection directe du roi - bien qu’il ne l’ait sûrement pas su lorsqu’il a été capturé - et c’est donc la Couronne espagnole qui a payé toutes ses factures.

En lisant le livre de Dodds Pennock, on découvre que l’expérience de Paquiquineo n’est pas unique. Son cas est bien connu parce qu’il a laissé des traces dans les archives, mais des centaines de milliers d’autres indigènes se sont rendus en Europe au cours du XVIe siècle. Leurs vies et leurs contributions sont essentielles pour comprendre les débuts de la mondialisation, qui, pour le meilleur et pour le pire, a contribué à créer le monde moderne.

La grande majorité des autochtones américains en Europe y ont été amenés en tant qu’esclaves. Bien que les nouvelles lois stipulent sans équivoque que les “naturels”, comme on appelait les personnes originaires des Amériques, ne peuvent être réduits en esclavage, Dodds Pennock juge crédible l’estimation selon laquelle il y avait 650 000 esclaves américains rien qu’en Espagne. Nombre de ces captifs sont morts en servitude, mais certains ont intenté des procès et obtenu non seulement leur liberté, mais aussi des billets de retour et une compensation pour le travail fourni contre leur gré.

D’autres se sont rendus en Europe en tant qu’avocats, artistes ou conjoints et se sont établis dans les cours royales, religieuses et juridiques. Des représentants des nations indigènes ont traversé l’Atlantique avec des frères comme Bartolomé de las Casas, qui se sont rangés à leurs côtés pour dénoncer les abus commis par les Européens lors de l’occupation des terres indigènes. Beaucoup ont aidé à négocier le processus de colonisation et à défendre leurs communautés devant les tribunaux. Des spécialistes culturels sont venus enseigner aux Européens : s’il est intuitif de planter une tomate et d’en faire une sauce, il est moins évident de fabriquer du chocolat à partir de fèves de cacao. Des hommes et des femmes - acrobates, musiciens, dompteurs d’animaux - ont fait étalage de leurs capacités spectaculaires et sont restés en Europe simplement parce que personne ne les a ramenés chez eux une fois la tournée terminée. Ils se sont mariés, ont eu des enfants et ont été enterrés dans des cimetières où ils ne sont toujours pas commémorés en tant qu’agents précoces de la mondialisation.

عندما أنشد المئات من الشبّان العرب ”الهاتيكفا“ في الكيبوتسات الصهيونية

عندما أنشد المئات من الشبّان العرب ”الهاتيكفا“ في الكيبوتسات الصهيونية 
في تحقيقٍ نُشر في “هآرتس” الشهر الماضي، نتعرّف على “الشبيبة العربيّة الطلائعيّة”، التابعة لمنظمة الشبيبة الصهيونيّة “هشومير هتسعير”. يعيد التحقيق سرد وقائع التجربة على لسان من عايشها، ويبيّن موقعها من الاستيطان الطلائعيّ والمشروع الصهيونيّ
ترجمة: مهند عناتي

GIDEON LEVY
La Gaza que j’aimais ne sera plus jamais la même

Gideon Levy, Haaretz, 24/1/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Un courriel en anglais : « Je m’appelle Yuval Caspi et je suis la fille du Dr Yosef Caspi. Vous avez écrit un article sur mon père. J’espère que vous pourrez m’aider à le retrouver et à connaître la date de sa publication. » Je n’avais aucune idée de ce à quoi cela faisait référence. Les archives de Haaretz l’ont trouvé : le 14 juillet 1995, il y a 30 ans, j’ai accompagné le Dr Caspi lors d’une visite à l’hôpital pour enfants Nasser de Khan Younèss.


Enterrement de Palestiniens tués lors d’une frappe israélienne, dans l’enceinte de l’hôpital Nasser, car les Palestiniens ne peuvent pas se rendre au cimetière en raison de l’opération terrestre israélienne, à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, lundi 22/1/2024. Photo : Ahmed Zakot / Reuters

Caspi, ancien médecin d’une unité d’élite des FDI et directeur du service de chirurgie pédiatrique de l’hôpital Soroka à l’époque, s’était porté volontaire pour traiter des patients cardiaques pédiatriques à Gaza. Il transférait certains de ces jeunes patients à Soroka pour y être soignés, lorsqu’il était en mesure d’obtenir les dons nécessaires.

La recherche de l’article oublié depuis longtemps a également été comme un voyage dans une machine à remonter le temps vers une réalité tout aussi oubliée. Aujourd’hui, l’hôpital Nasser est au centre des combats à Khan Younès. Les blessés et les morts y sont transportés quotidiennement par dizaines et par centaines.

Dans cette guerre, ce n’est plus un hôpital pour enfants. Difficile de dire si l’on peut encore parler d’hôpital, alors que des personnes meurent à même le sol, sans médicaments, et que le bâtiment est encerclé par l’armée israélienne. Le directeur de l’hôpital, le Dr Nahed Abu Taima, a déclaré cette semaine à Radio A-Shams : « Nous sommes pris dans une catastrophe ».

Il ne reste rien de ce qu’on trouvait à l’époque, dans les jours d’espoir de 1995. Le Dr Caspi ne vit plus ici non plus. Sa fille m’a dit qu’il avait déménagé aux USA peu de temps après, loin de Soroka et de Nasser. Il a aujourd’hui 71 ans.

Quant à Hani Al Hatum, il devrait avoir 40 ans aujourd’hui, s’il est encore en vie. Au cours de l’été 1995, Al Hatum a été admis à l’hôpital Nasser en raison d’une malformation congénitale de la valve cardiaque. Il avait une expression triste et des lèvres bleues. Sa tension artérielle menaçait de faire éclater les vaisseaux sanguins de son cerveau. Mohammed Batash était un patient plus jeune. Il n’était qu’un bébé à l’époque. Il devrait avoir 29 ans aujourd’hui. A-t-il survécu ? Il avait besoin d’une transplantation cardiaque. Les chances qu’il en reçoive une ne sont pas très grandes.

Farid Tartur, du camp de réfugiés de Bureij, n’est probablement plus en vie. Sa maison n’est sûrement plus debout. En 1995, il est venu à l’hôpital avec son bébé Yasser, qui avait un besoin urgent d’une greffe de moelle osseuse. Il avait entendu dire qu’il y avait un médecin israélien à l’hôpital et pensait qu’il pourrait peut-être sauver son fils. Il n’avait pas d’autre moyen de le sauver. Le père et le fils sont-ils encore en vie ? J’en doute fort.

Les enfants et les bébés de l’été 1995 sont aujourd’hui des combattants du Hamas. Quelles autres possibilités et opportunités avaient-ils dans la vie ? Ils sont nés sous l’occupation et ont grandi sous le blocus, sans aucune chance. Peut-être se battent-ils en ce moment même contre l’armée qui a envahi les restes de leur terre après que leurs camarades ont commis le massacre dans le sud d’Israël, ou peut-être fouillent-ils dans les décombres de ce qui reste de leurs maisons.

Depuis le début de la guerre, je n’ai pas osé téléphoner à qui que ce soit à Gaza. Je craignais qu’aucun des membres de mon petit cercle d’amis et de connaissances ne soit encore en vie. Et s’ils l’étaient, que leur dirais-je ? De s’accrocher ? D’être forts ? Dans le meilleur des cas, ils sont tous déracinés et n’ont plus rien à se mettre sous la dent.

Je pense souvent à eux. Y a-t-il une chance que Munir et Sa’id, deux chauffeurs de taxi dévoués et chers à mon cœur, soient encore en vie ? Munir, originaire de Beit Lahiya, s’est récemment remis d’une attaque cérébrale. La dernière fois que nous nous sommes parlé, il m’a demandé d’essayer de lui obtenir un permis de travail en Israël, malgré sa paralysie partielle. Il a suggéré qu’il travaille comme traducteur pour les ouvriers [gazaouis travaillant en Israël, NdT]. Je n’ai pas eu de nouvelles de Sa’id depuis longtemps.

J’ai adoré Gaza. Chaque visite était une expérience unique. Les Gazaouis sont différents des Palestiniens de Cisjordanie. Jusqu’à il y a 16 ans, c’était une communauté très chaleureuse, compatissante, courageuse, avec un sentiment de solidarité et, bien sûr, familière avec la souffrance. Pendant toutes les années où j’ai visité Gaza, je n’ai pas rencontré un seul “sauvage” ou “monstre”.

 Je n’ai aucune idée de ce que les 16 années de blocus lui ont fait subir. Aujourd’hui, la guerre est en train de la tuer pour de bon. Il n’est pas difficile de deviner ce qui poussera à Gaza en sa mémoire.

Quand les Pieds Nickelés se mélangent les pédales, ça tue leurs propres soldats

 FG, 25/1/2024

Mercredi 24 janvier à 11 h 15, un avion militaire russe Ilyouchine-76 provenant de l’aéroport militaire de Tchkalovksiï , près de Moscou, a explosé et s’est écrasé près du village de Iablonovo, à 70 km au nord-est de Belgorod, en Russie. Il transportait 65 prisonniers de guerre ukrainiens, 3 militaires russes et six membres d’équipage, qui ont tous été pulvérisés. Un deuxième avion transportant 80 prisonniers a alors fait demi-tour. Les prisonniers devaient faire l’objet d’un échange à la frontière russo-ukrainienne, située à 35 km de Belgorod.

Cette information donnée par le ministère russe de la Défense n’a été ni confirmée ni infirmée par son homologue ukrainien. Le renseignement militaire français l’a cependant confirmée.

L’avion a été frappé par un deux missiles ukrainiens, soit des Patriot PAC-3 de fabrication US (Raytheon) d’une portée de 160 km, soit Iris T-SLM de fabrication allemande (Diehl BGT Defence) d’une portée de 45 km.

Un Patriot coûte entre 3,5 et 4 millions d’€, un Iris seulement 400 000 €. Mais qui paie ça ? Pas les héroïques combattants ukrainiens, mais les contribuables des USA et de l’UE. L’aide militaire des USA a dépassé 4 milliards de dollars, celle de l’UE 2 milliards d’€. Depuis la première guerre du Golfe, de la guerre d’Irak à celle du Yémen, ce ne serait pas la première fois que des missiles Patriot font des dégâts dans le propre camp des lanceurs : leur fiabilité, estimée à 10% il y a 30 ans, aurait atteint 90% selon leurs propagandistes, une « information » à prendre évidemment avec des pincettes.

Dans le livre des records de pieds nickelés, l’armée ukrainienne prend donc la première place devant l’armée la plus morale du monde, Tsahal, célèbre pour avoir abattu 3 des siens alors qu’ils agitaient des drapeaux blancs ou pour avoir fait sauter 21 réservistes avec leurs propres explosifs dans le sud de Gaza.

Questions pour un champion : 1°-Ce genre de « bavure » entre-t-il dans la catégorie des crimes de guerre ? 2°- Qui doit en être tenu pour responsable ? Le fabricant ? Le fournisseur ? L’utilisateur ? Qui devra indemniser les familles des victimes ?

« Autant de récits,
Autant de questions.
 »

B. Brecht, Questions d’un ouvrier qui lit