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17/04/2023

Charleville-Mézières, Ardennes, Douce France en Macronie : Madame la procureure ouvre une enquête pour outrage au Roi
On se croirait en 1788...

L'info


Réforme des retraites : après l’incendie de la marionnette à l’effigie d’un roi à Charleville-Mézières, la procureure ouvre une enquête

Ce jeudi, près de 200 manifestants avaient quitté le cortège pour rallier la place Ducale où une marionnette avait été brûlée.

Jeudi soir, Magali Josse, la procureure de la République de Charleville-Mézières annonçait l’ouverture d’une enquête : « À l’occasion des manifestations de ce jour, un mannequin à l’effigie d’un Roi de France représentant symboliquement le président de la République a été incendié. Une enquête judiciaire est ouverte du chef d’outrages à personne dépositaire de l’autorité publique. » La magistrate a rappelé les peines encourues : un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende.

La réponse 

Tout allait si bien !
Communiqué au sujet d’un pantin brûlé

Tout allait si bien, et c’est avec effroi que nous avons appris les tragiques événements qui ont eu lieu ce jeudi 6 avril 2023 en notre belle et sainte ville de Charleville-Mézières. Par voie de presse, nous avons pu lire que lors de la manifestation contre la Réforme des retraites, des individus (cents, deux cents ?) avaient eu l’incroyable toupet de quitter le parcours décidé par les directions syndicales et validé par Monseigneur le Préfet. Un si beau parcours, répété pour la troisième fois, qui avait permis jusqu’ici aux manifestant·es de se promener gaiement au milieu des champs et sur l’autoroute : là où personne ne les entend ni ne les voit protester. La fin du parcours était rêvée : nos valeureuses forces de l’ordre les accueillaient comme on attend des sangliers d’élevage lors d’une battue de chasse. La police pouvait ainsi gazer indistinctement jeunes et enfants, vieux et vieilles, chiens et chats ; et arrêter arbitrairement qui bon lui semblait. Soit-elle bénie, et rebénie.

À ce jour, en France, 76% des arrestations liées au mouvement social contre la Réforme des retraites ont été classées sans suite. L’Immaculée République peut enfin se passer de justifier trois-quarts des privations de liberté qu’elle décerne. À titre d’exemple : ce jeudi 6 avril, à Charleville-Mézières, 3 des 4 personnes arrêtées seront même jugées pour « attroupement » en septembre ! Rendez-vous compte ! Qui sont ces barbares qui osent s’attrouper lors d’une manifestation ? On vous le demande !!! Mais rassurons-nous, ce jour-là, la police a également réussi à estropier quelques manifestant·es, qui ont donné en offrande leur corps vulnérable à la force virile de nos agents de la paix. Des éclats de grenades désencerclantes ont joué leur rôle dissuasif en venant se loger dans la chair de personnes qui n’avaient rien fait de mal. Une victoire !

Nous répétons donc la question : qui sont ces individus qui ont osé quitter le parcours syndical au lieu d’aller rencontrer amoureusement nos illustres CRS ? Nous louons l’intelligence tactique de la procureure, qui a eu la sagesse d’ouvrir une enquête pour « Outrage à personne dépositaire de l’autorité publique ». Car non contents de s’égayer dans ce qu’ils appellent une « manifestation spontanée », ces voyous de la pire espèce ont eu l’affront de mettre le feu à un pantin, coiffé d’une couronne de galette des rois. En outre, une fanfare les accompagnait, et on a même pu entendre des chants comme « La Semaine sanglante », écrite par un certain « Jean-Baptiste Clément » (qui renvoie, on le sait, à un nom de rue de notre belle et sainte ville, et non à un personnage central de la Commune de Paris).

D’après le Sacro-Ministère Public, le personnage de papier mis au bûcher était censé représenter « symboliquement » Monsieur le Président de la République (nous insistons sur la gravité de ce point : « symboliquement »). L’acte infâme a été réalisé devant la mairie de la grande et grandiose Place Ducale, avec une banderole qui titrait « La violence, c’est eux ». Qui est ce « eux » ? La Police ? L’État ? La Justice ? Nous n’osons y croire, mais l’enquête le dira. De surcroît, cette action a été menée en pleine période de carnaval, une fête traditionnelle et sacrée qui, rappelons-le, consiste à défiler avec des masques de Mickey Mouse en mangeant de la barbe à papa. Brûler symboliquement un dépositaire, jamais de mémoire d’humain une telle mascarade n’avait été observée, un tel renversement des valeurs ! Charleville-Mézières, fief des arts de la marionnettes au rayonnement international ne peut tolérer de tels agissements. Les marionnettes, on le sait, c’est pour rapporter de l’argent à nos commerçant·es, pas pour faire de la politique !

Le pouvoir en place ne tient que par sa brutalité, et on s’en félicite ! Nous espérons que la justice achèvera son éternelle mission en jugeant sévèrement toutes celles et ceux qui s’attroupent ou se moquent de notre Bon Président, jusqu’ici si bienveillant, et défendant si férocement les besoins du peuple. On peut en juger par le ruissellement des richesses qu’il a permis dans nos chères Ardennes, où tout le monde met la clim’ en plus du chauffage tellement l’argent coule à flots. Nous renouvelons notre fidélité à son mandat : d’un côté, moins de profs, moins de soignant·es, moins de services publics, et de l’autre côté plus de police, plus de police, et plus de police.
Si on ne peut plus manifester sans se faire mutiler ou asphyxier, si on ne peut plus déambuler pacifiquement en cramant des pantins de papier, si on ne peut plus bloquer son lieu de travail ou d’études, nous savons, chères autorités, que vous gardez sauve notre liberté fondamentale de nous exprimer, de manifester notre désaccord et de nous opposer à la tyrannie. Pour la suite du mouvement, nous vous demandons donc, s’il vous plaît, la distribution gratuite d’un violon par foyer, pour que nous puissions pisser rageusement dedans en pensant tendrement à votre infinie bonté. Peut-être jugerez-vous que cela offensera les luthier·es et leurs familles. Nous vous serions alors gré de nous communiquer les modalités par lesquelles les opposant·es au gouvernement peuvent exprimer leurs colères, dans le respect de l’ordre républicain, de nos gentils patrons et de la divine Droite – et donc sans gêner personne.

 AD/HOK– Collectif Interluttes des Ardennes

فهرست ۶۷۶ تن جانباختگان – اعتراضات به کشته شدن مهسا امینی در بازداشت گشت ارشاد

  فهرست 676 تن جانباختگان 5 آوریل 2023.



AMEER MAKHOUL
Comment l’Aïd et Noël m’ont aidé à survivre à une décennie de prison israélienne

Ameer Makhoul, Middle East Eye, 16/4/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Ameer Makhoul (1958) est un écrivain et militant palestinien de Haïfa, qui a été directeur général de l’Union des associations arabes (Ittijah) et président du Comité populaire de défense des libertés - Haut Comité de suivi des Palestiniens de 1948. Il a purgé une peine de prison de 9 ans de de 2010 à 2019, après avoir plaidé coupable d’espionnage au profit du Hezbollah (s’il avait plaidé non coupable, il aurait écopé d’une peine de prison à perpétuité). FB

À l’occasion de la Journée des prisonniers palestiniens, un militant palestinien et ancien prisonnier politique raconte son séjour dans une prison israélienne, où il a formé une communauté avec ses codétenus.

Comme des milliers de Palestiniens victimes d’arrestations et

de détentions arbitraires par les forces d’occupation, j’ai été incarcéré dans une prison israélienne pendant près de dix ans. Alors que les Palestiniens célèbrent la Journée des prisonniers palestiniens le 17 avril, je me remémore mon calvaire qui a commencé le 6 mai 2010.

J’ai été arrêté lors d’un raid effectué avant l’aube par des policiers armés qui ont pris d’assaut ma maison après avoir sauté par-dessus ma clôture et pratiquement défoncé la porte d’entrée. Dès qu’ils sont entrés, ils m’ont séparé de ma femme et de mes deux filles. J’ai été entouré par plusieurs agents de sécurité, dont certains ont dévoilé leur visage tandis que d’autres se sont cachés derrière des masques. À ce moment-là, je suis devenu prisonnier dans ma propre maison.

Un agent du Shin Bet (service de sécurité israélien) de Haïfa, Barak (surnommé “Birko”), m’a adressé un sourire menaçant et m’a dit : « Je t’ai dit, il y a des mois, lorsque je t’ai convoqué pour un interrogatoire, que je viendrais bientôt t’arracher à ton lit et t’enfermer en prison pour longtemps. Et que je le ferais en souriant ».

Et c’est ce qui s’est passé. Les trois juges du tribunal de district de Haïfa ont tenu la promesse qu’ils avaient faite au Shin Bet. Et lorsque l’un des juges a été promu à la Cour suprême, les médias israéliens ont souligné ses “réalisations” - dont mon affaire, que le juge en chef a présidée et pour laquelle il m’a infligé une peine de neuf ans.

Torture physique et mentale

Je dirais que les trois premières semaines de ma détention ont été les plus difficiles. 

Les tortures que j’ai subies dans les salles d’interrogatoire du quartier général du Shin Bet ne m’ont pas seulement marqué physiquement, elles étaient aussi destinées à briser mon esprit.

Le Shin Bet appelle cette étape des interrogatoires “le vide”, une technique de torture qui vise à aspirer l’âme des prisonniers en les soumettant à une douleur physique si insupportable qu’elle les détruit psychologiquement.

Les conditions d’enfermement sont également considérées comme de la torture par le droit international. Les cellules du Shin Bet étaient trop exiguës et trop étroites pour ma taille et les murs étaient rugueux, avec des saillies pointues, ce qui rendait impossible de les toucher et encore moins de s’y appuyer. Les murs nus, le faible éclairage et l’odeur fétide ont contribué à la torture mentale.

Le matelas était aussi putride que la cellule - mince et posé à plat sur le sol froid - avec une couverture mais pas d’oreiller, ce qui m’obligeait à reposer ma tête sur l’une de mes chaussures, qui au moins avait une odeur familière.

Le climatiseur était constamment réglé sur des températures très basses, de sorte que les moments où l’on me transportait vers les salles d’interrogatoire - les yeux bandés, les mains et les pieds entravés en montant un long escalier - étaient les seuls moments où mon corps ne frissonnait pas à cause du froid intense.

Pendant ce temps, dans la salle d’interrogatoire, ils utilisaient contre moi le “Shabeh”, une méthode de torture connue en Occident sous le nom de "chaise palestinienne" après que les forces d’occupation usaméricaines l’eurent utilisée de manière tristement notoire sur des détenus irakiens à la prison d’Abou Ghraib. J’ai été contraint de m’asseoir sur une petite chaise d’ enfant, fixée au sol de la pièce - face à l’interrogateur -, les mains et les pieds liés, incapable du moindre mouvement.

Les agents m’ont retiré la veste en cuir que je portais au moment de mon arrestation, en me disant que je n’avais pas le droit de m’habiller mieux qu’eux. Ils utilisaient l’air glacial pour me torturer, en faisant tourner le climatiseur au-dessus de ma tête et de mon dos, jusqu’à ce que j’aie l’impression de disparaître ou de m’engourdir. À ce moment-là, mon corps et mon esprit se désagrègeaient ensemble, me laissant avec une douleur atroce.

Dans les cellules d’interrogatoire, le temps n’a pas de sens. Il n’y a ni soleil, ni obscurité, ni fenêtre, ni clé pour la lourde porte métallique, de sorte que le prisonnier vole un minuscule rayon de lumière dans la fente de la serrure. Le jour et la nuit n’ont pas de sens sous terre. La lumière est constamment tamisée, à dessein.

Pas de “clients” chrétiens

Un jour, j’ai demandé au gardien de prison un livre à lire. Après avoir interrogé les enquêteurs, il m’a répondu qu’aucun livre n’était autorisé, à l’exception des livres sacrés. C’est donc ce que j’ai demandé. Après avoir consulté à nouveau les enquêteurs, il m’a dit qu’il n’y avait que le Coran. Je l’ai immédiatement demandé. Il est reparti pour demander la permission avant de revenir et de dire : « Tu n’es pas musulman, donc tu n’as pas le droit d’avoir le Coran ». J’ai donc demandé la Bible. Le garde a fait son chemin habituel vers les enquêteurs, revenant peut-être une demi-heure plus tard (car j’avais perdu toute notion du temps). Il m’a dit : « Il n’y a pas d’exemplaires de la Bible : Nous n’avons pas de clients chrétiens ».

Vingt-deux jours plus tard, j’ai été transféré à la prison israélienne de Gilboa, une prison de haute sécurité située à Bisan, une ville située dans le nord-est de la Palestine occupée.

Les procédures pénitentiaires habituelles prévoyaient un interrogatoire immédiat et forcé avec l’officier de renseignement dès mon arrivée. On m’a ensuite donné une combinaison de prison, qui n’était même pas à ma taille.

J’ai été placé dans la première section de la prison, qui était à l’époque réservée aux prisonniers de Jérusalem et d’autres régions de la Palestine de 1948. Une fois que je suis entré dans l’unité et que la porte s’est refermée derrière moi, tous les prisonniers se sont précipités pour me saluer, m’embrassant l’un après l’autre - une tradition parmi les prisonniers.

Passer des cellules d’isolement du Shin Bet à la prison générale, c’était comme revenir à la maison, même si ce n’était pas la maison familiale. Avec mes codétenus, j’ai commencé à ressentir le besoin de donner un sens à ma vie individuelle et collective en détention.

Une fois, dans la cellule numéro 9, section 1 de la prison de Gilboa, supervisée par le prisonnier Maher Younis - qui a été libéré en janvier de cette année après 40 ans d’emprisonnement - je me suis porté volontaire pour préparer le déjeuner ou le dîner. Tout en préparant la mujadara, un plat de lentilles et de riz que je maîtrise bien, j’ai haché et fait frire les quatre oignons que j’ai trouvés dans la cellule. Lorsque j’ai eu fini de cuisiner, j’étais fier de moi et de mon repas, mais j’ai réalisé quelques minutes plus tard, à ma grande horreur, que j’avais provoqué une crise alimentaire en utilisant tous les oignons d’un coup, alors qu’ils étaient censés durer encore une demi-semaine pour les huit prisonniers du bloc.

Au fil des jours, les paroles du garde du Shin Bet ont continué à me hanter. Que voulait-il dire par « nous n’avons pas de clients chrétiens » ? Pourquoi ne s’est-il pas contenté de dire qu’il n’y a pas de Bible, plutôt que de mentionner l’absence de chrétiens ? Rien n’arrive par hasard avec le Shin Bet.

Les interrogateurs sont formés pour affaiblir le “client”, selon leurs propres termes, en soulignant que vous êtes seul, qu’il n’y a personne avec vous, qu’il n’y a personne comme vous, que vous êtes un étranger pour les prisonniers parce que vous êtes chrétien et que vous passerez donc votre peine de prison à l’écart des autres prisonniers.

Jours fériés en cage

On peut voir une scène étrange pendant les jours de fête en prison : des prisonniers se réjouissent dans la cour entourée de hauts murs, le drapeau israélien au centre, et un toit fait de grilles de fer qui découpent le ciel en petits carrés, comme s’il s’agissait des pièces d’un puzzle à assembler pour compléter la scène. En zoom arrière, les prisonniers célèbrent les fêtes dans une grande cage.

Les fêtes musulmanes de l’Aïd al-Fitr et de l’Aïd al-Adha sont célébrées collectivement, et les préparatifs commencent quelques jours avant la date, avec le talent de faire des gâteaux à partir de ce qui est disponible à l’économat - faisant preuve d’hospitalité envers les 120 prisonniers de l’unité - et de nettoyer la cour et les cellules avec de l’eau et du savon. La fête commençait à 6 heures du matin, mais à 7 heures, elle était déjà terminée. En tant qu’événement social, la fête commençait par une sortie des prisonniers dans la cour de la prison, où ils se serraient la main, s’embrassaient et formulaient des vœux de libération tels que « l’année prochaine à la maison », « l’Aïd prochain avec vos proches », et « la liberté est proche ».

Le barbier rase la tête de tous les prisonniers un jour ou deux avant la cérémonie, et chaque prisonnier porte sa plus belle tenue et toute eau de Cologne disponible ou passée en contrebande - à condition qu’elle soit de bonne qualité. Certains prisonniers âgés ont gardé des eaux de Cologne pendant plus de dix ans, lorsque leur famille pouvait encore les leur apporter.

Enfin, une fois que tous les prisonniers sont arrivés dans la cour, la prière et le prêche de l’Aïd commencent.

Pendant ce temps, les geôliers observent, enregistrent et s’assurent que le prêche ne s’écarte pas du texte que les prisonniers ont présenté à l’administration auparavant - sous le prétexte de prévenir l’incitation à la violence. Les prisonniers, cependant, ne prêtent aucune attention aux geôliers. Ensuite, ils se rassemblent en un grand cercle pour les salutations de l’Aïd - se serrer la main, s’embrasser et se féliciter mutuellement.

Ensuite, c’est l’heure des rafraîchissements préparés par les prisonniers ou achetés à la cantine, et c’est ainsi que les rituels prennent fin. Pendant ce temps, les prisonniers peuvent se rendre visite dans les cellules, et il est parfois possible d’organiser des visites entre les prisonniers des différentes unités si les geôliers le permettent. Les factions politiques organisent également des délégations de leurs membres pour échanger des visites et présenter des vœux officiels de fête.

Lorsque les visites sont terminées, les prisonniers retournent dans leurs cellules et la fête est finie.

Je participais à tout l’événement en allant dans la cour et en offrant mes salutations. Lorsque je passais devant le prisonnier Nader Sadaka, nous commencions à rire, car je suis un chrétien de Haïfa et Nader appartient à une secte samaritaine juive de Naplouse. Il purge une peine de prison à vie pour son rôle dans la seconde Intifada.

Lorsque tous les prisonniers se réunissent, la joie est au rendez-vous. Mais Noël, c’est différent - aucun autre prisonnier ne fête Noël à part moi. Un jour, j’ai écrit à ma famille : « Avant la prison, je souhaitais que les fêtes durent des jours, mais ici, je souhaite qu’elles passent aussi vite que la lumière ou qu’elles n’aient pas lieu du tout ». Les fêtes sont une période de bonheur, mais en prison, elles me remplissaient de tristesse.

J’étais le seul chrétien, même si parfois nous étions deux, et le cercle de Noël n’avait donc aucun sens. La veille de Noël, je ne pensais qu’à ma famille : ma femme, Janan, et mes deux filles, Hind et Huda.

Je me demandais ce que chacune pensait : le sentiment de solitude de ma femme, comment elles allaient passer les fêtes et comment je pouvais leur dire qu’elles étaient belles et bien habillées.

J’ai pensé au fait que je ne serais pas là pour préparer le dîner de Noël ou le petit-déjeuner du lendemain matin - des choses que je maîtrise et que j’aime faire. Mais surtout, comment serrer chacune d’elles dans mes bras ? Tout cela n’était possible que dans mon imagination. Néanmoins, je me souviendrais du message délibéré du garde du Shin Bet, qui m’avait dit ne pas avoir de “clients” chrétiens, et j’ai donc décidé de fêter Noël.

Je suis originaire du village d’Al-Boqai’a en Galilée occidentale, un vieux village datant de quelques milliers d’années. Ses habitants étaient pour la plupart des Druzes, ainsi que des chrétiens, des musulmans et des juifs (juifs arabes) qui se considéraient comme des Palestiniens.

Les habitants du village avaient l’habitude de célébrer toutes les fêtes et de se rendre visite à chaque fois. Cette familiarité et cette solidarité entre les gens sont profondément enracinées dans la Palestine et la culture de son peuple.

Pour moi, la tradition de Noël signifiait s’abstenir de sortir faire de l’exercice tôt le matin, ce que j’ai fait tout au long de ma détention, et porter les vêtements les plus élégants - relativement parlant, car la prison interdit les chemises, les ceintures, les vestes épaisses, les blouses avec des calottes et met son nez dans le choix des chaussures.

Contrairement aux fêtes musulmanes qui ont lieu collectivement le matin, le jour de Noël, à midi et sans notification préalable, des dizaines de codétenus de toutes les factions politiques palestiniennes venaient dans ma cellule (qui peut accueillir environ huit personnes), pour transmettre leurs vœux avec des cadeaux qu’ils achetaient à la cantine et des cartes postales avec des vœux, conçues par le l’artiste créatif détenu Samer Miteb, de Jérusalem, qui avait été condamné à 24 ans de prison.

Puis, au milieu de la foule, de jeunes hommes commençaient à faire monter le son des chansons arabes d’un vieux magnétophone avec des écouteurs bricolés par les prisonniers, pour faire de la place à la piste de chant et de danse, célébrant Noël et me célébrant, élevant l’esprit et apportant de la joie à la population.

Un prisonnier possédait deux bougies de contrebande qu’il gardait depuis 12 ans. Mon ami Bashar Khateb a allumé les bougies de 12 ans pendant une minute, puis les a soufflées, les gardant pour une autre occasion joyeuse.

Nous sommes tous des Palestiniens

En 2017, l’administration pénitentiaire israélienne a démantelé ce qu’elle appelait la section des Arabes de Jérusalem et des Palestiniens de 1948, et j’ai été transféré dans la section de Naplouse. Il y a une histoire derrière le nom des sections et la répartition des prisonniers.

Pendant cinq décennies, les prisonniers ont été détenus dans des prisons sans appartenance géographique. À la suite des accords d’Oslo de 1993, les prisonniers de Jérusalem et de la Palestine de 1948 ont été séparés dans une section qui leur est propre.

J’ai dit à un codétenu que nous étions issus du même peuple, de la même culture, des mêmes affiliations et de la même civilisation arabe imbriquée dans la civilisation islamique, et qu’il n’y avait donc pas de différences entre nous

Plus tard, après avoir construit le mur de séparation en Cisjordanie et entouré les villes de postes de contrôle, de colonies et de bases militaires, l’occupation a cherché à créer des identités palestiniennes locales et régionales au détriment d’une identité palestinienne unificatrice.

La Cisjordanie a constitué une continuité spatiale et géographique pour les Palestiniens, tout au long de la première et de la deuxième Intifada, et les frontières étaient relativement ouvertes pour les Palestiniens de 1948. Avec la construction du mur, les Palestiniens se sont retrouvés isolés les uns des autres.

Toute une génération a grandi après le mur et tout ce qu’elle a vu devant elle, c’est le mur et son horizon étroit. Cherchant à graver le mur dans l’esprit des jeunes générations palestiniennes, l’occupant israélien a choisi de créer des identités locales contradictoires, au lieu d’une identité unique.

C’est le cas en Cisjordanie, à Gaza et dans la Palestine de 1948, et il en va de même dans les prisons. Au départ, l’administration pénitentiaire a séparé les prisonniers du Fatah et de l’OLP des prisonniers affiliés au Hamas.

Afin d’isoler davantage les Palestiniens incarcérés, l’administration pénitentiaire les a divisés par région : des unités distinctes pour les prisonniers de Naplouse, Jénine, Tulkarem, Bethléem, Hébron, etc. Cette division constitue un outil de contrôle et d’hégémonie de l’occupant.

Dans l’unité de Naplouse, mes pairs m’ont accueilli chaleureusement, et j’ai répondu e même. J’y ai maintenu mon programme quotidien d’exercices matinaux, de lecture et d’éducation universitaire pour les prisonniers acceptés dans un cours spécial dispensé par l’Université ouverte d’Al-Quds, et j’ai préparé un certain nombre d’entre eux aux examens de fin d’études approuvés par un comité académique de prisonniers.

De plus, grâce à ma connaissance de l’hébreu et du système procédural israélien, j’aidais les prisonniers à rédiger des lettres et des plaintes, et à contester leur cas et d’autres abus. Une table en plastique à l’extérieur est devenue mon “bureau” pour ces demandes.

Je n’ai jamais aimé que l’on fasse référence à mon identité confessionnelle ou religieuse - nous sommes tous des Palestiniens après tout. Pourtant, les prisonniers ont créé cette identité pour moi de manière positive, humaine et curieuse. Un jour, je me promenais avec un prisonnier de 42 ans qui avait passé 22 de ces années derrière les barreaux. Il m’a dit : « Sans vouloir t’offenser, je n’ai jamais parlé de ma vie à un chrétien. À Naplouse, ils sont devenus rares, et je vis dans un village à la périphérie de la ville. Alors, excuse ma question, mais est-ce que vos habitudes sont similaires aux nôtres en termes d’alimentation, de socialisation, de joie et de tristesse ? »

Honnêtement, j’ai apprécié la question en raison de la sincérité de son auteur. Je lui ai répondu que nous sommes issus du même peuple, de la même culture, des mêmes affiliations et de la même civilisation arabe imbriquée dans la civilisation islamique, et qu’il n’y a donc pas de différences entre nous. Il m’a remercié et a commencé à s’excuser, je l’ai arrêté et nous avons alors parlé de la façon dont l’occupation et le colonisateur veulent que nous ayons des identités opposées et non harmonieuses.

Les prisonniers avaient l’habitude de m’appeler al-Hajj Abu Hind, ou al-Hajj Ameer, ce qui est une tradition courante pour appeler les prisonniers âgés. Je suivais le rythme et répondais normalement, jusqu’à ce que le prisonnier Salah al-Bukhari, de Naplouse, s’en aperçoive et prévienne les prisonniers que je n’étais pas musulman. Il a commencé à m’appeler “Père”, par respect, comme le veut la tradition de l’église.

Lorsque je lui ai demandé de ne pas le répéter, il était trop tard. Le surnom s’était déjà répandu et je n’avais plus aucun contrôle dessus. Il en plaisante encore aujourd’hui à l’intérieur de la prison, lorsqu’il m’appelle depuis des téléphones de contrebande - un rappel de la réalité de la vie dans une prison israélienne.

 

 

OFER ADERET
La théorie de la race des ténèbres colportée par le premier sexologue hébraïque, Avraham Matmon
La variante sioniste de l’eugénisme

Ofer Aderet, Haaretz, 15/4/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

La théorie raciale du premier sexologue de l’Israël d’avant l’État [sic], qui préconisait de décourager certains individus “défectueux” d’avoir des enfants, a été défendue par des figures de proue du mouvement sioniste. L’idée a continué à être discutée même après l’arrivée au pouvoir des nazis.

Des mères et leurs bébés dans une clinique de Yehud, en 1950. C’est, écrit le sexologue Avraham Matmon, « précisément ceux qui se trouvent au niveau inférieur qui ont le plus d’enfants et leur transmettent leurs traits et leurs propensions ». Photos : Zoltan Kluger / GPO

En 1933, l’année où les nazis sont arrivés au pouvoir en Allemagne, une brochure de 20 pages a été publiée en Palestine mandataire sous le titre “Amélioration de la race de l’espèce humaine et sa valeur pour notre peuple”. L’auteur, le sexologue Avraham Matmon, né à Odessa et ayant grandi à Tel Aviv, était revenu quelques mois plus tôt de Berlin pour s’installer dans cette ville, où il avait créé l’Institut d’hygiène et de science sexuelle. Cet institut proposait au public des traitements pour les problèmes sexuels, des conseils en matière de contraception et d’autres informations. La brochure publiée par l’institut s’ouvre sur l’explication du Dr Matmon, qui explique pourquoi la qualité est plus importante que la quantité lorsqu’il s’agit de respecter le commandement “soyez féconds et multipliez-vous”. En d’autres termes, la conviction que la nation doit contrôler - et limiter - la reproduction.

« Pour que le peuple ne dégénère pas, il faut veiller non seulement à sa valeur quantitative mais aussi à sa qualité », écrit-il. « Une grande partie des gens qui pensent, en particulier les intellectuels, croient que la taille, l’avenir et la force de la nation dépendent de la conclusion du plus grand nombre de mariages et des naissances qui en découlent. Ils n’accordent pas beaucoup de valeur à l’essence du nouveau-né, qu’il soit faible ou fort, intelligent ou ignorant, qu’il devienne un penseur et qu’il soit utile aux autres, ou qu’il devienne un criminel et qu’il nuise à la société ».

Pour contrer cette approche, Matmon a présenté un point de vue ostensiblement scientifique, basé sur la théorie de l’hérédité. Les partisans de cette théorie, note-t-il, savent qu’ « un peuple dont beaucoup de membres souffrent de défauts transmis génétiquement finira par dégénérer ». Ses prévisions sont inquiétantes. « Il y a un grand nombre de personnes qui, d’après la structure de leurs organes, ne peuvent pas être considérées comme pleinement robustes », a-t-il averti. À titre d’exemple, il a cité « les défauts de la vue, qui sont si fréquents chez notre peuple », et a poursuivi en expliquant : « Sans aucun doute, nous avons ou avons eu une propension particulière à cet égard : Deux mille ans de vie dans l’obscurité de l’exil du ghetto y ont contribué. »

Mais ce ne sont pas seulement les lunettes portées par de nombreux juifs qui préoccupent Matmon. « Nous mentionnerons d’autres états de faiblesse, comme la faiblesse des nerfs - une propension que beaucoup acquièrent par hérédité ». Il cite de nombreux « troubles psychiques », comme il les appelle, « qui produisent... une tendance au suicide, à des états mentaux médiocres... à la mélancolie... à la psychopathie de différentes sortes combinée à la dépression, et à des individus dont l’état mental est instable ». Tous ces troubles, affirme-t-il, sont transmis par l’hérédité et provoquent la dégénérescence du peuple juif.

Les chiffres cités par Matmon parlent d’eux-mêmes. Dans les seules institutions éducatives de Tel Aviv, il dénombre « plus de 25 sourds-muets et plus de 30 enfants déficients et semi-imbéciles ». Selon les tableaux de la brochure - dont la source provient du livre La sociologie des juifs d’Arthur Ruppin (à l’époque, président de l’Agence juive) - les Juifs du monde entier souffraient davantage de défauts génétiques que les Chrétiens. En Hongrie, par exemple, le nombre de sourds, d’“aliénés” et de “déments” était plus élevé chez les Juifs que dans la population chrétienne.

Selon Matmon, la différence entre “aliénés” et “déments0148 est que les premiers sont « des personnes qui étaient saines d’esprit à l’origine et dont l’activité mentale a été perturbée au fil du temps », tandis que les déments sont « des malades mentaux de naissance ». Des données inquiétantes ont également été enregistrées en Prusse à la fin du 19e siècle, où, sur 100 000 Juifs, 492 étaient atteints de troubles mentaux, 105 étaient aveugles et 130 étaient sourds - des chiffres bien plus élevés que dans la population chrétienne.

« Une telle situation ne doit pas perdurer, car d’année en année, le nombre de personnes présentant des défauts augmente », écrit Matmon. L’une des raisons de cette situation, selon lui, est que « précisément ceux qui se trouvent à un niveau inférieur ont plus d’enfants et leur transmettent leurs traits de caractère et leurs propensions ». Expliquant l’importance de contrôler le caractère et la qualité des générations à venir, il écrit dans la brochure : « La meilleure matière... est celle qui va toujours de l’avant, qui pousse le peuple ou, plus exactement, qui tire le peuple vers l’arrière ». Il ajoute : « N’oublions pas les nombreuses dépenses que chaque culture consacre à ces individus dégénérés. »


Avraham Matmon

Après cette introduction, l’auteur pose la question cruciale. « Nous sommes donc confrontés à la question de savoir comment nous devons nous tenir sur la brèche. Devons-nous nous contenter d’organiser des foyers et des abris pour ces malheureux, ou devons-nous les laisser circuler sans aucune surveillance jusqu’à ce qu’ils disparaissent de la surface du globe ? » Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il en vient au fait. « Nous devons prendre le destin de ces gens en main. Leur donner l’aide et l’abri nécessaires, et en même temps influencer leur reproduction et l’orienter d’une manière qui convienne à la société », écrit-il.

« Tel est le nouveau rôle de l’hygiène moderne : protéger l’humanité du flot des inférieurs et leur barrer la route de la pénétration en leur refusant la possibilité de transmettre leur infériorité aux générations futures ». La théorie scientifique sous l’égide de laquelle l’action doit être menée est, selon lui, une « nouvelle branche de l’hygiène : l’hygiène de la reproduction, c’est-à-dire l’eugénisme, ou l’amélioration de la race humaine ».

Matmon était issu d’une famille juive sioniste distinguée. Son père, Yehuda Leib Matmon Cohen, et sa mère, Fanya Matmon Cohen, faisaient partie des 66 familles fondatrices de Tel-Aviv et ont contribué à la création de l’emblématique lycée de Tel-Aviv, Gymnasia Herzliya. L’épouse du Dr Matmon, Tehila, était active dans la défense des droits des femmes et a fondé un journal féministe, "Ha’isha Bamedina" ("La femme dans l’État"), qui réclamait une représentation égale des femmes dans la société israélienne.

L’essor de l’eugénisme

Quatre-vingt-dix ans après l’arrivée au pouvoir des nazis, il est difficile, à première vue, d’imaginer comment un juif, qui allait être épargné du sort de six millions de ses coreligionnaires uniquement parce qu’il avait émigré très tôt en Palestine, a pu écrire dans cette veine - et en hébreu de surcroît. À l’époque, cependant, l’eugénisme comptait de nombreux adeptes sincères et honnêtes. Il a été conçu à la fin du XIXe siècle par le polymathe britannique Francis Galton, qui a également inventé le terme “eugénisme”, qui fait référence à l’amélioration de la qualité génétique de la race humaine par la reproduction sélective. Au début du 20e siècle, la théorie était populaire en Europe occidentale et aux USA, et certains pays autorisaient légalement la stérilisation des personnes dites “faibles d’esprit” ou “folles”, ainsi que des criminels et des autres personnes jugées “inutiles”. [En Suède, par exemple, 63 000 personnes ont été stérilisées entre 1934 et 1976 pour des raisons “eugéniques”, en particulier des Rroms et des tattare, nomades dits “de race mixte”, qu’on prenait pour des Tatars, NdT]

Dans le mouvement sioniste aussi, certains ont défendu des aspects de la théorie, notamment des personnalités publiques, des dirigeants et des médecins, qui considéraient le judaïsme comme une race à cultiver. Parmi ces partisans, on trouve le fondateur du sionisme politique, Theodor Herzl (« La race juive [en allemand, il utilisait le terme Stamm, tribu, souche, NdT] doit être améliorée immédiatement, pour faire des Juifs de bons combattants, aimant le travail et vertueux ») ; Max Nordau, cofondateur avec Herzl de l’Organisation sioniste (« Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour élever les Juifs orientaux, qui dégénèrent, à un niveau économique, moral et spirituel plus élevé ») ; et Arthur Ruppin (« Pour préserver la pureté de notre race, les Juifs comme ceux-ci doivent s’abstenir d’avoir des enfants »). Il y avait aussi des médecins, comme le Dr Yosef Meir, qui a donné son nom à l’hôpital Meir de Kfar Sava (« N’ayez pas d’enfants si vous n’êtes pas sûrs qu’ils seront sains de corps et d’esprit »).

Les nazis ont adopté certains des principes de la méthode lorsqu’ils ont développé la théorie raciale qui a servi de base à l’anéantissement du peuple juif. Des centaines de milliers d’Allemands - non juifs - ont également payé de leur vie. Dans le cadre d’un programme d’« euthanasie », des Allemands handicapés ou souffrant de troubles mentaux, entre autres, ont été assassinés sous les auspices de la loi pour la prévention de la descendance atteinte de maladies héréditaires. Les malades et les faibles étaient considérés comme une nuisance dont les besoins interféraient avec la mise en œuvre de la vision allemande d’un peuple en bonne santé.

 

Deux pages du livre de Matmon

Des dizaines de médecins ont participé à cette opération d’assassinat de masse, qui s’est déroulée de 1939 à 1941. Elle a été interrompue suite aux protestations de l’opinion publique, mais s’est poursuivie clandestinement jusqu’à la fin de la guerre. Les enfants et adolescents handicapés physiques et mentaux étaient arrachés de force à leur famille et emmenés dans des “centres de santé” où ils étaient assassinés. Les familles recevaient des lettres les informant que leurs proches étaient morts d’une maladie. Les nazis ont ensuite mis à profit l’expérience acquise dans le cadre de ce projet lors du génocide des Juifs d’Europe.

Matmon n’a pas suggéré de tuer les personnes qu’il a désignées, mais il n’a pas mâché ses mots pour les décrire et dire comment elles devraient être “traitées”. « Si c’est le cas, que devons-nous faire maintenant ? "Comment le peuple doit-il agir pour empêcher la propagation de toutes ces personnes inférieures, qui abaisseront la nation à un niveau d’humanité très inférieur ? » Sa réponse : « Il n’y a qu’un seul moyen. Nous devons tout faire pour que ces êtres disparaissent du monde ».

Il a rappelé que dans l’ancienne Sparte, les enfants faibles et malades étaient tués « pour qu’ils ne deviennent pas un fardeau pour la population ». Cependant, ajoute-t-il, « nous ne pouvons pas nous permettre de tels moyens barbares ». De même, la castration et la stérilisation - cette dernière était pratiquée aux USA - ne sont “ni bonnes ni justes”. La stérilisation, selon lui, est appropriée pour les criminels, les prostituées “et leurs semblables”, mais « quel péché ont commis les honnêtes gens et les travailleurs tranquilles qui s’efforcent toujours de faire le bien, s’ils ont été affectés par un héritage qu’ils ont reçu de leurs parents ? Doivent-ils donc être considérés de la même manière que les criminels et les assassins ? »

D’autres, a-t-il écrit, ont suggéré d’interdire à ces personnes de se marier. « Mais là encore, la question se pose de savoir si nous sommes autorisés à prendre cette décision. Qui sommes-nous pour interdire aux gens, même s’ils sont inférieurs, de satisfaire les besoins dont ils ont été dotés par la nature ? Nous n’avons ni l’autorité ni le droit d’exiger de quiconque qu’il renonce à sa satisfaction naturelle pour notre tranquillité d’esprit et notre bien-être », écrit-il. De plus, « nous n’avons pas la capacité de modifier notre pulsion sexuelle, et il serait donc extraordinairement cruel de bloquer la pulsion sexuelle de ceux qui sont susceptibles de produire des nouveau-nés déficients ».

« Au contraire, poursuit-il, nous devons leur laisser la possibilité d’évacuer les forces qui couvent en eux, de peur qu’elles n’éclatent sans loi, sans ordre et sans régime, et n’entraînent la perdition d’une partie de l’humanité ».

Quelle était alors la solution ? Interdire aux personnes handicapées de mettre au monde une progéniture.

« Nous avons la pleine autorité et le droit moral suprême de leur interdire d’avoir une descendance, c’est-à-dire d’exiger qu’ils n’aient pas d’enfants pour répandre leurs défauts dans la société », écrit-il.

 

La liste des "tares héréditaires", selon Matmon, comprend l’homosexualité, le diabète, la dépendance à la cocaïne et la myopie extrême.

Le moyen d’y parvenir était basé sur l’éducation sexuelle telle qu’il l’enseignait dans son institut. C’est ce qu’il appelle le “contrôle des mariages”. Elle consiste à « examiner les futurs mariés pour savoir s’ils sont en bonne santé et s’ils n’ont pas de tares susceptibles d’être transmises génétiquement ; et en fonction de cela, [décider] s’ils peuvent ou non avoir des enfants ».

Il ajoute : « Il existe des moyens qui donnent aux personnes pathologiques, dont l’obligation sociale et morale est de ne pas avoir d’enfants, la possibilité de satisfaire leurs besoins sexuels sans craindre de créer une génération de misérables individus défectueux, d’idiots et d’invalides. C’est l’examen médical prénuptial, ou le contrôle des mariages, qui doit nous indiquer quelles personnes sont obligées d’utiliser ces moyens ».

Selon lui, l’objectif suprême est de nature nationale. « Améliorer la qualité de la nation et produire une génération, sinon supérieure, du moins saine de corps et d’esprit et totalement exempte de défauts ». À la fin de la brochure, Matmon ajoute une liste de “défauts héréditaires”, qui comprend la “faiblesse d’esprit”, la “maladie mentale”, le “désir passionné pour l’alcool, la cocaïne et la morphine” ; il n’omet pas les « formes perverties de désir sexuel telles que l’homosexualité et autres ». L’approche négative de Matmon à l’égard de l’homosexualité est surprenante, compte tenu du fait qu’il a été l’élève de Magnus Hirschfeld, un médecin et sexologue juif allemand [lui-même gay, NdT] considéré comme un pionnier du mouvement pour les droits des LGBTQ et qui a été contraint de s’exiler après l’arrivée au pouvoir des nazis. [Il choisit la France, où il mourut en 1935, NdT]

Résidus de la doctrine

Matmon conclut la brochure par une citation du “ministère de la santé en Prusse” - qui deviendra l’Allemagne : « Chaque personne a le devoir sacré - pour elle et pour son futur partenaire, pour sa progéniture et pour sa patrie - de déclarer à l’avance si son état de santé lui permet de fonder une famille ».

Il a continué à diffuser cette doctrine alors même que la mise en œuvre de la Solution finale était à son apogée et que ses répercussions se manifestaient dans le monde entier, y compris en Palestine. En décembre 1942, une annonce parut dans la presse quotidienne hébraïque, invitant le public à une conférence de Matmon sur « La race, l’hérédité et le but national ». Par la suite, pour des raisons évidentes, l’occupation judéo-sioniste de la théorie a été minimisée et cet épisode sombre de la vie de la nation a été relégué aux archives.

En même temps, comme le sait toute femme israélienne, juive ou non, qui tombe enceinte, les résidus de cette doctrine sont encore visibles, comme en témoignent les tests génétiques complets que propose la médecine moderne, dans le but de localiser le plus grand nombre possible de défauts et d’anomalies avant la naissance.

Matmon est entré dans le panthéon local grâce à un autre livre qu’il a publié en 1938, cinq ans après avoir exposé sa théorie de la race. Ce livre a connu un énorme succès, avec huit éditions et quelque 20 000 exemplaires. Intitulé “Sexualité humaine”, il était considéré comme « l’ABC de l’amour pour l’homme et la femme ». Matmon, qui est mort en 1974, était fier d’avoir réussi, grâce à son livre, à introduire dans la langue hébraïque moderne un mot qui est encore utilisé aujourd’hui : zikpa, qui signifie “érection”. [Ah bon, ils n’avaient pas de mot pour ça ? Ils ont piqué tellement de mots arabes qu’ils auraient pu “emprunter” intisab aussi, c'est quand même plus beau que zikpa. Ben mince alors ! NdT]