Le fonds vautour
Elliott remporte les enchères pour les actifs de CITGO, l’entreprise publique
vénézuélienne basée au Texas, qui avait été « confiée » à Guaidó par
Trump
Andy Robinson, La Vanguardia, 14/10/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Andy
Robinson (Liverpool, 1960) est un journaliste et écrivain britannique de langue
espagnole. Il écrit dans le quotidien barcelonais La Vanguardia depuis
2002. Il a consacré une grande partie de son travail à suivre les capitalistes
à la trace, de Davos à Las Vegas, dans ses articles, ses chroniques de blog et
ses livres.
De
nombreuses personnes au Venezuela, tant au sein du gouvernement que de l’opposition,
parlaient déjà du « casse du siècle » après l’annonce, plus tôt cette année aux
USA, que la compagnie pétrolière nationale CITGO, basée à Houston, serait
vendue aux enchères pour dédommager les fonds d’investissement et les
multinationales lésés par la faillite de l’État vénézuélien [sic] et les
nationalisations chavistes.
Aujourd’hui,
la décision préliminaire d’un tribunal du Delaware d’autoriser la vente de
CITGO à une filiale du fonds controversé Elliott Investments semble confirmer
les pires craintes. Après tout, Elliott est le plus agressif des fonds dits «
vautours », de puissants véhicules financiers qui achètent la dette des pays
pauvres en défaut de paiement et attaquent ensuite leurs gouvernements en
justice pour en tirer le maximum de profits. C’est ce que le magazine The New
Yorker a appelé « une façon de faire des affaires particulièrement
conflictuelle et immensément lucrative ».
Si le plan
du tribunal du Delaware est mis en œuvre, Elliott, dirigé par le milliardaire et
donateur républicain Paul Singer - qui a réalisé de juteux profits en intentant
des procès contre des pays comme l’Argentine, la République démocratique du
Congo, le Pérou et le Liberia - paiera 7,3 milliards de dollars pour les actifs
usaméricains de CITGO. Ceux-ci comprennent trois grandes raffineries au Texas,
en Louisiane et dans l’Illinois, qui produisent plus de 800 000 barils d’essence
par jour, ainsi qu’un important réseau de stations-service. Cette somme est
bien inférieure à la valeur estimée de CITGO, filiale de la compagnie
pétrolière nationale Petróleos de Venezuela (PDVSA), dont le logo en forme de
triangle rouge a été une présence incongrue aux USA pendant des décennies de
confrontation entre Caracas et Washington.
Mais Elliott
doit faire face aux poursuites judiciaires d’une vingtaine de multinationales,
principalement des sociétés minières et énergétiques, ainsi que des fonds d’investissement
cherchant à obtenir des compensations pour les défauts de paiement de la dette
vénézuélienne et les nationalisations d’entreprises privées effectuées sous les
gouvernements d’Hugo Chávez et de Nicolás Maduro.
La frénésie
des entreprises demanderesses, toutes déterminées à obtenir leur part de CITGO,
est telle que même Elliott pourrait se sentir mal à l’aise. Les détenteurs d’obligations se sont tournés
vers d’autres tribunaux pour obtenir des décisions en faveur de leurs propres
revendications. Un groupe de détenteurs d’obligations, qui a acheté des titres
vénézuéliens garantis par des actifs de CITGO en 2020 pour un prix équivalant à
20 % de leur valeur d’émission, réclame à présent plus de 90 %. Menés par le
fonds Gramercy, spécialisé dans l’achat d’obligations de pacotille auprès d’entités
en faillite, ils veulent devancer les autres demandeurs, qu’il s’agisse d’entreprises
énergétiques ou minières, dans la file d’attente pour être indemnisés en cas de
défaut de paiement ou de nationalisation de leurs actifs. Le remboursement de
ces investisseurs rendrait l’opération d’Elliott non viable.
Selon Paul
Sankey, analyste pétrolier basé à Houston, avant la vente aux enchères, la
valeur de CITGO - aux mains de l’État vénézuélien depuis 1990 - avait été
estimée entre 32 et 40 milliards de dollars. En 2011, lorsque Chávez a tenté de
vendre l’entreprise, elle était évaluée à 13,5 milliards de dollars.
« CITGO a
perdu 50 % de sa valeur », a déclaré l’analyste pétrolier vénézuélien Einstein
Millán. C’est « la remise du joyau de la couronne à des intérêts étrangers
rassemblés autour du capital-risque », a-t-il ajouté.
Le
gouvernement vénézuélien et l’opposition s’opposent tous deux à la vente de
CITGO, qui non seulement générait des milliards de dollars de revenus pour le
Venezuela, mais raffinait également le pétrole brut lourd extrait par PDVSA
dans le bassin de l’Orénoque.
Mais la
victoire contestée [on sait par qui, NdT] de Nicolás Maduro aux
élections de juillet fait qu’il est presque impossible pour l’administration
Biden d’arrêter la vente aux enchères. « S’il y avait un changement de
gouvernement au Venezuela, peut-être que le gouvernement de Washington
retirerait la licence, mais il semble que ce soit déjà fait », a déclaré l’économiste
vénézuélien Francisco Rodriguez, qui vit aux USA.
C’est
ironique. Car, pour de nombreux analystes de l’histoire alambiquée de CITGO, c’est
l’opposition vénézuélienne, en collaboration avec les faucons néoconservateurs
de l’administration de Donald Trump, qui a donné aux multinationales l’occasion
en or de s’emparer de CITGO.
Trump a émis
un décret en 2017, dans le cadre d’un embargo total sur la vente de pétrole
vénézuélien, par lequel CITGO ne pouvait plus transférer ses bénéfices à
Caracas. Puis, après avoir reconnu comme chef d’État le jeune leader
parlementaire Juan Guaidó autoproclamé président en janvier 2019, le président usaméricain
de l’époque a remis tous les actifs vénézuéliens à l’étranger, le plus précieux
étant CITGO, au nouveau gouvernement « fantôme » de Guaidó. Le résultat - par
erreur ou intentionnellement - serait l’éviscération des actifs de CITGO au
profit de fonds et d’entreprises multinationaux.
Les actifs
de CITGO équivalaient à 10 % du PIB vénézuélien, soit 13,5 milliards de
dollars, selon l’estimation de la vente par Chávez en 2012.
Il y avait «
une motivation cachée derrière le plan de changement de régime qui a échoué »,
affirme la journaliste usaméricaine Anya Parampil dans son nouveau livre Corporate coup (OR
Books, 2024). « Il s’agissait d’une conspiration visant à voler l’actif
international le plus convoité du Venezuela ». Avec l’arrivée d’Elliott - connu
pour ses procès agressifs contre des pays en faillite qui sont allés jusqu’à
forcer la saisie d’un navire militaire argentin en 2011 afin de collecter 2,6
milliards de dollars auprès du gouvernement de Cristina Kirchner - la manœuvre
était peut-être déjà au point.
Le livre
« Corporate Coup » révèle le complot visant à voler les actifs de PDVSA
En prenant
le contrôle du précieux réseau de distribution et des raffineries de CITGO aux USA,
Guaidó et ses collaborateurs - menés par Luisa Palacios [nommée PDG de CITGO par Guaidó en 2019, elle a démissionné 20 mois plus tard, NdT], épouse d’un haut
dirigeant de JP Morgan à Wall Street vivant dans le New Jersey - ont fait un
cadeau aux avocats des multinationales pétrolières et des fonds mondiaux qui
avaient subi des revers au Venezuela.
Ce but
contre son camp s’est déroulé de la manière suivante. Pendant 20 ans, les
gouvernements chavistes, conseillés par de grands avocats d’affaires, ont créé
des structures administratives pour « maintenir une distance de sécurité entre
CITGO, PDVSA et l’État vénézuélien », explique Parampil. Il était donc
difficile de prouver, à l’aide d’arguments juridiques, que CITGO était un
instrument de Maduro. Aucun créancier n’a réussi à convaincre les juges usaméricains
qu’il avait le droit de percevoir ses indemnités grâce à la saisie de CITGO.
Mais, après
que l’entreprise a été remise à l’équipe « gouvernementale » de
Guaidó qui a nommé de nouveaux membres du conseil d’administration pour PDVSA
et CITGO, le juge Leonard Stark du Delaware a accepté pour la première fois en
2023 l’argument selon lequel CITGO était un soi-disant « alter ego » de l’État
vénézuélien.
En vertu de
ce schéma juridique alambiqué, toute entreprise s’estimant lésée par les
actions de l’État vénézuélien était en droit de demander réparation en
saisissant les actifs de CITGO. Et c’est exactement ce qui s’est passé. M.
Stark a tranché en faveur de l’argument selon lequel l’équipe de Guaidó « a
utilisé les ressources de PDVSA à ses propres fins (ce qui) a permis aux
créanciers de la république vénézuélienne (et pas seulement de PDVSA) de saisir
CITGO », explique M. Rodriguez.
Les avocats
consultés par La Vanguardia dans l’entourage du « gouvernement
parallèle » de Guaidó répondent que la décision est due à un changement de
position des juges usaméricains. « En 2023, la cour du Delaware et la cour d’appel
du troisième circuit ont modifié les critères utilisés pour définir l’alter ego
», dit José Ignacio Hernández, le principal représentant juridique du « gouvernement
parallèle » de Guaidó. Les juges ont décidé à tort que les « contrôles
normaux » - tels que la nomination du conseil d’administration - «
constituaient une preuve d’“alteregoïté” et que ces contrôles étaient imputés
au gouvernement intérimaire ». En tout état de cause, ajoute Hernández, la
responsabilité de la perte de CITGO n’incombe pas au “gouvernement” Guaidó,
mais à « la dette publique de 170 milliards de dollars, héritage d’Hugo Chávez
et de Nicolás Maduro », qui a fait du Venezuela une cible pour les réclamations
des créanciers et des fonds vautours [c’est une manière de voir les choses,
NdT].
Qu’il s’agisse
de l’erreur des avocats de Guaidó, des critères changeants des tribunaux usaméricains
ou de l’héritage de l’endettement des gouvernements chavistes, le résultat est
le même : CITGO - dont les actifs équivalaient à pas moins de 10 % du PIB
vénézuélien - sera saisie au profit d’un groupe de fonds vautours, d’investisseurs
en obligations de pacotille de Wall Street ainsi que de multinationales du
secteur de l’énergie et de l’exploitation minière.
Ne serait-ce qu’en raison de la coïncidence
temporelle, il est difficile de séparer la débâcle de CITGO de la mauvaise
gestion du “gouvernement” Guaidó. Parampil se demande même si le pillage de
CITGO était un objectif explicite du plan ourdi en 2019 par l’administration
Trump pour renverser Maduro. « S’agissait-il
d’un effet secondaire du plan de changement de régime ou d’une conséquence
intentionnelle de celui-ci ? », demande-t-elle dans son livre.
Bien
entendu, les bénéficiaires probables de la vente forcée de CITGO sont les
alliés des faucons - dont beaucoup sont basés à Miami - qui ont organisé le
coup d’État de Guaidó. Outre Elliott, il s’agit des multinationales pétrolières
ConocoPhillips, l’un des principaux donateurs de la campagne de Trump, Vitol et
Koch Industries, dont les partenaires, les frères Koch du Kansas, soutiennent
le réseau Atlas de groupes ultraconservateurs latino-américains, dont l’actuelle
opposition vénézuélienne (Pedro Urruchurtu, le conseiller de Corina Machado, la
candidate de facto à l’élection présidentielle de juillet, est un activiste des
réseaux libéraux liés à Atlas).
La société
canadienne d’extraction d’or Crystallex, dont la concession d’extraction d’or
dans le sud du Venezuela a été retirée par Chavez en 2008, est également
candidate à la saisie des actifs de CITGO. Une autre société minière
canadienne, Gold Reserve, est également impliquée, de même que le fabricant de
verre usaméricain Owens-Illinois, qui a été nationalisé par le gouvernement
Chavez et qui cherche à empocher près de 450 millions de dollars. Siemens
Energy est un autre plaignant. Au total, il y a quelque 19 actions en justice
dont les réclamations s’élèvent à environ 20 milliards de dollars, soit 40 % du
PIB du Venezuela, ce qui représente presque trois fois ce qu’Elliott paierait
pour CITGO.
L’histoire
de Crystallex est essentielle pour comprendre l’issue grotesque de la tragédie
de CITGO. Suite à la décision du gouvernement Chávez de lui retirer la
concession de sa mine Las Cristinas, cette entreprise canadienne a poursuivi l’État
vénézuélien en 2016 devant le Centre international pour le règlement des
différends relatifs aux investissements (CIRDI), un tribunal d’arbitrage
affilié à la Banque mondiale et basé à Washington, utilisé dans le passé par
des fonds vautours comme Elliott. Comme c’est souvent le cas, ce tribunal
multilatéral a statué en faveur de la multinationale et a ordonné à l’État
vénézuélien de verser 1,2 milliard de dollars de compensation à Crystallex. Le
tribunal du Delaware ayant reconnu que CITGO est l’« alter ego » de l’État
vénézuélien, Crystallex a désormais le feu vert pour obtenir tout ou partie de
cette indemnisation par la saisie et la vente des actifs de CITGO, même si elle
devra se mesurer à Elliott.
Un fait qui
a éveillé les soupçons selon lesquels le plan Guaidó était effectivement un «
coup d’État » est que le conseiller juridique susmentionné de l’équipe de
Guaidó, José Ignacio Hernández, avait déjà été l’avocat de Crystallex et d’Owens-Illinois
lorsqu’ils ont essayé de récupérer leurs investissements perdus au Venezuela en
saisissant les actifs pétroliers de l’État vénézuélien. Bien que Hernández n’ait
pas utilisé la notion d’« alter ego » dans les poursuites engagées contre le
Venezuela, il a souligné que les gouvernements chavistes avaient rompu l’indépendance
juridique de PDVSA et que, par conséquent, une saisie serait légale. « J’ai déjà dit à plusieurs reprises que
Maduro et Chávez avaient violé l’autonomie de PDVSA, ce qui est évident, mais
il est totalement faux que j’aie soutenu la thèse de l’alter ego », a insisté Hernández
dans un entretien avec votre serviteur.
Cependant,
une partie de l’opposition vénézuélienne demande une enquête sur le rôle de Hernández
ainsi que sur celui de Carlos Vecchio, un autre avocat qui a été nommé chargé d’affaires
du “gouvernement” Guaidó aux USA, Vecchio ayant représenté la compagnie
pétrolière usaméricaine Exxon. « Il faut
respecter la présomption d’innocence, mais il peut y avoir des conflits d’intérêts
et c’est suffisant pour mériter une enquête », dit Francisco Rodriguez.
CITGO n’est
pas le seul actif de l’État vénézuélien en faillite à avoir été exproprié
pendant les années Trump. L’usine de Barranquilla (Colombie) de l’entreprise
publique vénézuélienne d’engrais Monómeros - une autre filiale de PDVSA - a
également été remise au “gouvernement” Guaidó. Après l’effondrement de l’entreprise
suite à des allégations de corruption, Gustavo Petro, le président colombien, a
restitué Monómeros à l’État vénézuélien. De même, les lingots d’or vénézuéliens
conservés dans les coffres de la Banque d’Angleterre ont été soustraits au
contrôle de l’État vénézuélien à la suite de l’opération Guaidó. Sans
légitimité et sans le soutien des forces de sécurité, le gouvernement virtuel
créé par Trump a rapidement perdu sa crédibilité. Il est aujourd’hui accusé de
détournement de fonds et d’autres délits de corruption. Guaidó s’est installé à Miami [où il
attend en priant Saint-Antoine le versement du bakchich de consolation pour ses
bons et loyaux services par ces messieurs les vautours d’Elliott , les
Singer père et fils, NdT]
NdT
CITGO a une capacité de traitement de 769 000 barils par jour répartis entre ses trois raffineries de l'Illinois, de la Louisiane et du Texas. Elle possède également un réseau de pipelines et plus de 4 000 stations-service, principalement sur la côte est des USA.