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07/09/2024

GIANFRANCO LACCONE
L’agriculture biologique, un indicateur de l’avenir

Gianfranco Laccone, Climateaid, 5/7/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

 Les aliments biologiques n’utilisent pas d’intrants chimiques, préservent la fertilité des sols et sont plus respectueux du bien-être des animaux. La méthode de l’agriculture biologique protège l’environnement, les écosystèmes et la biodiversité, en favorisant un modèle culturel et de développement qui valorise les ressources naturelles en évitant la surexploitation des sols, de l’eau et de l’air. La production alimentaire durable et la sécurité alimentaire sont garanties par la stratégie « de la ferme à la fourchette » de l’UE.
Cependant, il existe certaines contradictions dans la production d’aliments biologiques : par exemple, certains additifs alimentaires sont permis et autorisés alors qu’on ne peut ignorer que plusieurs d’entre eux provoquent une hypersensibilité chez les jeunes consommateurs - même si les données sur les causes spécifiques et multiples des allergies ne sont pas certaines - et masquent les caractéristiques intrinsèques du produit alimentaire liées aux qualités organoleptiques (texture, couleur, arôme, palatabilité [appétibilité], etc.). Et ce, dans un contexte où les conditions de santé de la population ne cessent de se dégrader (surpoids, obésité, hypertension et maladies cardiovasculaires, diabète et cancer). C’est pourquoi l’évolution des produits biologiques doit s’orienter, sinon par la loi, du moins sur une base volontaire, vers une production excluant la présence d’additifs, comme le recommande la pratique de référence Uni/Acu 57:2019.

Les nouveautés et les changements surviennent souvent à l’occasion d’événements considérés comme mineurs et de faits qui ont une apparence de routine administrative. À mon avis, ce qui s’est passé dans le secteur biologique au début du mois d’août, avec la création de ConfagriBio, l’association de Confagricoltura [Confédération générale de l’agriculture italienne] dédiée à l’agriculture biologique, est l’un de ces événements qui signalent un changement en cours. Je le dis en connaissance de cause, car je suis le secteur biologique depuis les années 1970 et je suis membre d’une association (ACU) qui est depuis sa création, lorsqu’elle s’appelait Agrisalus, membre de l’IFOAM, la Fédération internationale des mouvements d’agriculture biologique, Je crois que l’agriculture et le secteur biologique en particulier ont besoin de signaux novateurs ; le fait qu’ils soient donnés par des entreprises qui ont joué un rôle, pour le meilleur ou pour le pire, dans l’introduction d’innovations dans l’agriculture, confirme le poids de la décision. En effet, Confagricoltura, une association qui a fait de la « culture d’entreprise » l’outil directeur de ses activités de production, a décidé en premier lieu de créer une section dédiée à l’agriculture biologique, et Paolo Parisini, un entrepreneur agricole dont le CV comprend la présidence de la Federazione Nazionale Prodotto Bio (Fédération nationale des produits biologiques), a été nommé président de l’association nouvellement créée.

Pour comprendre le sens que revêt dans le panorama agricole et dans l’histoire du secteur une nouvelle association regroupant des entreprises qui ont grandi dans la logique du marché, il faut se souvenir du passé, lorsque l’écologisme et ses domaines voisins (dont l’agriculture biologique) semblaient n’être qu’une entrave à l’avancée du progrès industriel. Je viens d’une région du sud de l’Italie - les Pouilles - qui a vécu tout cela de près, lorsque le plus grand centre sidérurgique d’Europe a été construit à Tarente, inauguré en novembre 1964, après que la réforme agraire et le plan vert du gouvernement italien eurent mis en production une grande partie des terres asséchées de la même zone (l’arc ionien-Tarente), qui avaient perdu leur disponibilité en eau et leur importance économique potentielle au profit de l’industrie sidérurgique. Aujourd’hui, à la tête d’un secteur d’entreprises biologiques, se trouve un ressortissant de la première région de production agroalimentaire qui a connu, avec l’inondation de la Romagne, un désastre écologique et productif de même ampleur, conséquence du manque d’intérêt de la plupart des institutions pour la région, suivi d’un désastre économique dû aux politiques économiques gouvernementales « inadéquates » pour le rétablissement des activités dans les zones touchées. L’association peut représenter, comme l’indique le communiqué de presse, « la valorisation et la diffusion de l’agriculture, de la zootechnie et de l’aquaculture biologiques et des pratiques agricoles connexes, ainsi que la promotion de la recherche, de l’expérimentation et du transfert de technologie. L’accent est mis en particulier sur l’extension de la production biologique dans les zones intérieures et les zones protégées, afin de soutenir le développement économique, social et environnemental de ces zones ». 

Ce sont des mots qui pourraient sembler rhétoriques s’ils n’étaient pas reflétés de manière adéquate dans l’activité pratique. C’est à cela que l’on mesurera la valeur de cette association et que l’on verra si elle réussit à donner, comme je l’espère, un coup de fouet au secteur biologique. Reposant sur une position d’image, le secteur biologique l’a vu s’effriter au fil du temps sous les coups de boutoir de l’inflation et des règles administratives (italiennes notamment) qui semblent faites pour empêcher le secteur de décoller. Car l’agriculture biologique a des potentialités dans tous les secteurs productifs : de l’alimentation à la santé, à l’équilibre écologique, à la restauration de l’environnement, mais elle semble enfermée dans une cage dont on l’empêche de sortir. Cette cage s’identifie à des aspects économiques (l’avantage des aides étant substantiel pour permettre à la production conventionnelle de résister à la concurrence), à des aspects administratifs qui pénalisent surtout la diffusion d’une certification transparente et lisible pour le consommateur, et au changement climatique.

 Phil Umbdenstock

Nous n’irons pas loin si la nouvelle association se contente de répéter les plaintes que d’autres associations ont formulées depuis des années et qui ont amené les consommateurs à les considérer comme injustifiées, face à une situation générale de souffrance de la population et de baisse des revenus. En revanche, si l’on s’attaque aux aspects structurels qui ont empêché l’agriculture biologique d’être le moteur du renouvellement du système de production, une voie différente s’ouvrira. Il me semble paradoxal qu’un type d’agriculture comme l’agriculture biologique, qui utilise moins d’intrants énergétiques, obtient de meilleurs prix et présente une meilleure qualité intrinsèque des produits, ne trouve pas le soutien des administrateurs et des entreprises et ne puisse pas devenir un banc d’essai pour la création d’un système d’entreprise différent dans la région. Car donner moins d’engrais chimiques et moins de pesticides est bon pour le palais comme pour l’environnement et prolonge la conservation d’une grande partie des produits, surtout si l’on greffe sur ces productions des économies circulaires qui ne sont encore aujourd’hui que des slogans. 

Si nous analysons la base des investissements, des orientations et de la diversification nécessaires au changement climatique, nous constatons que dans les entreprises biologiques, il y a une meilleure prédisposition au changement et une plus grande résilience. Je ne vois pas pourquoi le PNRR [Plan national de relance et de résilience] n’en a pas tenu compte et pourquoi les plans de cohésion ne trouvent pas des moyens opérationnels d’utiliser ces aides que le bio offre. Je pense qu’une nouvelle association, au cœur du système commercial, peut être en mesure d’utiliser ces possibilités.

Dans chaque secteur économique, il y a toujours une partie qui anticipe la nouveauté et c’est différent selon les périodes. Par exemple, dans les années 1990, lorsque la concurrence et le marché ont semblé s’imposer, le système des marques locales (codifié dans l’UE par le règlement CEE 2081/92 pour les AOP et IGP - à l’exclusion des vins et spiritueux) est devenu un système de plus en plus important, capable de garantir l’image du produit et son uniformité au consommateur et de permettre aux producteurs locaux d’affronter les marchés de l’UE et mondiaux. La dynamique d’évolution de ce secteur s’est ralentie avec la transformation des marchés mondiaux. La vente de produits locaux est de plus en plus liée à des systèmes de marketing et d’image et de moins en moins à la qualité réelle des produits eux-mêmes, qui, à son tour, devient de plus en plus chère à obtenir. On pourrait dire que le marché se détruit avec le temps si la logique reste uniquement celle du profit, et c’est l’une des contradictions que la société industrielle a produites lorsqu’elle a remplacé la société médiévale. 


Ce n’est pas pour rien que je parle de ce type d’aliments et de deux époques différentes, car les périodes de transition se déroulent selon certaines caractéristiques qui se répètent généralement après des siècles et qu’il faut savoir saisir. Aujourd’hui, l’agriculture conventionnelle est au point mort, à la fois en raison de la réduction de la production due à l’intensification des intrants qui ne s’accompagne plus d’une augmentation de la production, et en raison de l’incapacité à répondre de manière flexible au changement climatique. Le système des AOP/IGP était interne à ce type d’agriculture et ce n’est pas un hasard si la production biologique, réglementée encore plus tôt - règlement (CEE) n° 2092/91 - n’a bénéficié que d’un soutien partiel et a été considérée comme présentant un intérêt moindre sur le plan de la production. L’agriculture biologique peut manifester son potentiel dans un système d’entreprise qui s’oriente vers des économies circulaires, qui donne la priorité à la qualité sur la quantité, qui prévoit la reconstruction des connaissances en agriculture avec l’utilisation de l’agroécologie. Nous attendons de voir comment cette nouvelle association agira. Comme el dit le proverbe, « si ce sont des roses, elles fleuriront ; si ce sont des épines, elles piqueront ».

NdT

Environ 10% des terres agricoles dans l’UE, soit 16 millions d’hectares, sont cultivées biologiquement. Les trois pays de tête sont la France, l’Espagne et l’Italie, avec respectivement 17,4%, 16,6% et 13,7%. 5 des 75 millions de bovins (6,6%) sont élevés biologiquement, la Grèce, l’Autriche et la Suède venant en tête. En France, l'équivalent de Confagricultura, la FNSEA, dispose de sections bio et édite un "bulletin bio". Mais elle a émis un communiqué de prison de position face au Programme ambition bio 2027 du Ministère de l'Agriculture qui semble signifier un "bioexit" [lire ici]

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YOSSI VERTER
Le harcèlement organisé ne dissuadera pas le seul ministre israélien qui se préoccupe des otages, Yoav Gallant

La campagne de harcèlement contre le ministre de la Défense Yoav Gallant s’est intensifiée cette semaine, mais il n’a pas l’intention de démissionner Cette semaine pourrait bien rester dans les mémoires comme celle où Netanyahou a renoncé à la récupération des otages Ben-Gvir et Smotrich ne se laissent pas intimider par la menace d’une guerre régionale qui engloberait la Cisjordanie ; au contraire, ils aspirent à l’Armageddon

Yossi Verter, Haaretz, 6/9/2024
Traduit par  Fausto GiudiceTlaxcala

 

Illustration : Amos Biderman

Ce samedi, Yoav Gallant fête son onzième mois en tant que ministre de la défense au cours d’une guerre effroyable comme Israël n’en a jamais connue. Ce n’est pas le seul événement auquel son nom sera associé dans les années et les décennies à venir, lorsque les élèves apprendront le massacre du 7 octobre, les échecs qui l’ont précédé et la guerre qui s’en est suivie.

Les élèves apprendront que le ministre de la défense - un illustre ancien général - a été le seul ministre d’un gouvernement d’échec à se préoccuper du sort des otages retenus à Gaza. Ils apprendront qu’il a été le seul à se battre pour leur retour face à un Premier ministre cynique et indifférent et à ses collègues apeurés, pour lesquels le terme de lemming est trop gentil.

Ils apprendront que, malgré son rôle dans les échecs précédents, le public lui faisait grandement confiance et qu’il était en conflit permanent avec le premier ministre (comme tous les autres ministres de la défense qui ont servi sous Netanyahou). Dans les livres, ils liront qu’à certains moments, il semblait que se débarrasser du ministre de la défense était l’un des objectifs de Netanyahou pour la guerre. Cela aurait-il pu être le cas ? Ils se poseront la question avec incrédulité.


Les membres de la coalition Shalom Danino, à gauche, David Amsalem, David Biton et Simcha Rothman à la Knesset le mois dernier. Photo Olivier Fitoussi

La semaine dernière, la campagne de harcèlement organisée contre Gallant s’est intensifiée. Lors d’une conférence de presse, Netanyahou a présenté une note écrite en arabe qui avait été trouvée à Gaza par des troupes en janvier et qui avait été rapportée par Channel 12 News : elle contenait des directives pour mener une guerre psychologique contre Israël. L’une des sections stipulait qu’il fallait augmenter la « pression psychologique sur Gallant ».

Au même moment - et ce n’est pas une coïncidence - quatre députés du Likoud à la Knesset ont envoyé une lettre au premier ministre pour lui demander de renvoyer l’ensemble de la direction des Forces de défense israéliennes et le ministre de la défense avec elle « avant d’entamer la guerre au Liban ». D’autres députés marginaux comme Moshe Saada et Nissim Vaturi ainsi que le ministre du Venin [des Communications, NdT]  Shlomo Karhi se sont joints à eux. Ils ont affirmé que Gallant est faible, qu’il représente l’opposition et qu’il doit partir.

Personne au sein du parti ou du cabinet n’a pris la défense de Gallant. Même les collaborateurs du ministre admettent que la situation n’est pas bonne. Le discours sur sa faiblesse risque de s’amplifier. Entre-temps, il continue de jouir de la confiance de la population [israélienne juive, NdT] qui, dans sa grande majorité, refuse d’avaler les pilules empoisonnées. Grâce à l’opinion publique, Gallant n’a pas été poussé vers la sortie, même s’il a « adopté le récit du Hamas », pour citer Netanyahou.


Le ministre de la Justice Yariv Levin, le ministre de la Défense Yoav Gallant et Benjamin Netanyahou à la Knesset en février. Photo Olivier Fitoussi

Il a été demandé à Gallant de convoquer une conférence de presse et de présenter son cas, mais ce serait peut-être aller trop loin. Cela reviendrait à provoquer directement Netanyahou et, contrairement à ce que l’on pense, Gallant ne « veut pas être viré ». Il est convaincu que sans lui, un larbin de Netanyahou sera installé dans le bureau du ministre de la défense au 14ème étage du quartier général de la défense à Tel Aviv. Cela pourrait profiter à Netanyahou personnellement, mais ne permettrait pas d’atteindre les objectifs de la guerre, et certainement pas l’objectif que Gallant considère comme le plus important : sauver la vie des otages.

« Tout ce qui a été réalisé à Gaza peut être revendiqué, à l’exception de la vie des otages », dit Gallant aux personnes qu’il rencontre en privé et au cabinet. « Si nous ne concluons pas un accord maintenant, non seulement nous les perdrons, car ils mourront s’ils restent là-bas, mais nous continuerons à nous battre à Gaza et nous ne serons pas en mesure de traiter avec le Liban, que ce soit par le biais d’un accord ou d’une opération militaire ».

C’est pourquoi il a demandé à Netanyahou de réunir le cabinet il y a une semaine, au cours de laquelle Gallant a présenté son « carrefour stratégique »: l’escalade ou l’accord. « Comprenez ce sur quoi vous votez », a dit Gallant aux ministres. « Si vous choisissez l’escalade, nous risquons de nous retrouver dans une guerre régionale ».

Le reste appartient à l’histoire. Après de longues heures de discussions que plusieurs participants ont qualifiées de sérieuses et approfondies, le premier ministre a demandé un vote sur le maintien de Tsahal dans le corridor de Philadelphie (son « Masada », selon les associés de Gallant). L’objectif, selon l’entourage du ministre de la défense, était de détourner l’attention du carrefour stratégique, moins confortable pour Netanyahou, et de l’orienter vers le corridor. C’est le roc de notre existence, ai-je écrit dimanche avec sarcasme. Mais soyons clairs : c’est le roc de l’existence (politique) de Netanyahou.


Netanyahou en conférence de presse, mercredi. Photo Ohad Zwigenberg/AP

L’embuscade du cabinet a donné lieu à deux conférences de presse de Netanyahou, l’une en hébreu et l’autre en anglais, consacrées à l’importance de la route Philadelphie. Netanyahou est premier ministre depuis 2009. Il a présidé trois opérations militaires à Gaza, s’est catégoriquement opposé à la prise du corridor, n’a pas exigé que les FDI s’en emparent au début de l’opération terrestre actuelle et, pendant des années, a approuvé le transfert de milliards de shekels au Hamas dans le but de le renforcer. Il explique maintenant au monde entier, par le biais d’une multitude de présentations et de documents, pourquoi cette bande de sable garantit l’existence d’Israël et que, sans elle, le massacre du 7 octobre se reproduira encore et encore.

Si le sens de cette farce n’était pas si triste - les derniers espoirs d’une prise d’otages s’amenuisant - nous serions morts de rire.

Gallant connaît la vérité : Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich détiennent le droit de veto sur toute mesure considérée comme un retrait des FDI de la bande de Gaza. Ils ne peuvent pas non plus être effrayés par l’idée d’une guerre régionale impliquant la Cisjordanie. Au contraire, ils aspirent à l’apocalypse. C’est leur rêve. À une autre époque, avec d’autres partenaires et sans qu’un procès pour corruption ne plane sur lui, Netanyahou aurait agi différemment. Aujourd’hui, il est leur otage.

Sa captivité est volontaire ; d’autres otages n’ont jamais choisi leur sort.

La mentalité du troupeau

Les personnes qui ont rencontré Gallant cette semaine disent avoir vu un homme le cœur est honnêtement touché par le sort des otages. Disons-le franchement : jusqu’à ce que survienne cette tragédie nationale, nous n’aurions jamais soupçonné qu’il était capable d’une telle humanité et d’une telle compassion. Nous l’avons connu courageux le 25 mars 2023 lorsqu’au plus fort de la controverse sur la réforme du système judiciaire, il a mis en garde contre le danger clair et présent pour la sécurité nationale d’Israël (ce qui lui a valu d’être licencié puis réembauché). Au courage et à la responsabilité dont il a fait preuve s’ajoutent désormais l’humanité et les valeurs [sic].

Le problème est qu’il est seul et isolé. Il est l’un des 32 membres du groupe parlementaire du Likoud, l’un des 64 membres de la coalition. Lorsqu’on lui a demandé ce que c’était que d’être l’animal que le troupeau expulse, Gallant a répondu nonchalamment qu’il était plus rapide que le troupeau et que personne ne devrait douter de son endurance, car il a subi des épreuves plus difficiles dans sa vie, dans des endroits beaucoup plus rudes que la salle du cabinet.


Des manifestants à Tel-Aviv jeudi ; sur la pancarte : « Les otages avant tout ». Photo Itai Ron

Les insultes et les humiliations qu’il y subit le laissent indifférent. Il n’a pas appris grand-chose de Shimon Peres, mais il a adopté l’un de ses dictons : « C’est moi qui décide par qui je suis prêt à être offensé ».

Malgré les difficultés, il n’a pas l’intention de démissionner. Même si, à Dieu ne plaise, les négociations sur les otages échouent, si la proposition imminente des USAméricains ne se concrétise pas, si la situation va de mal en pis et si sa mise en garde contre une escalade en l’absence d’un accord se vérifie, il ne démissionnera pas pour autant. « C’est la chose la plus importante que j’ai faite ou que je ferai dans ma vie publique », avait-il coutume de dire. « Il y a des choses importantes - l’Iran, le Liban. J’ai une responsabilité unique. La trajectoire de ma vie m’a amené à ce point ».

Lors de cette fameuse réunion du cabinet, connue sous le nom de « séance de coups de gueule », alors qu’il tentait d’empêcher Netanyahou de soumettre la question de Philadelphie à un vote, Gallant a déclaré aux ministres : « Avec cette décision, vous poussez [Yahya] Sinwar, le chef du Hamas, à dire : “Si c’est le cas, il n’y a pas d’accord” ». Ils l’ont regardé d’un air absent. L’accord en question, qui pourrait démanteler le gouvernement, les renverrait à la maison.

D’ailleurs, cette question le concerne. Comme les autres, Gallant a également un intérêt personnel à la survie du gouvernement. Il considère son poste de ministre de la Défense comme le plus important de sa vie. Mais ce n’est pas la chose la plus importante pour lui. Un drôle d’oiseau. Un excentrique.

À ses yeux, toute cette agitation autour de la route Philadelphie, comme s’il s’agissait du Saint des Saints, est absurde. L’establishment de la défense qu’il dirige a des réponses à toutes les objections, certainement pour les 42 jours de la première étape de l’accord proposé qui devrait ramener plus de 20 personnes vivantes en Israël - des jeunes femmes, des personnes âgées, des malades et des blessés.


D’autres manifestants à Tel Aviv jeudi. Photo Hadas Parush

Le Washington Post a rapporté jeudi que le Hamas envisageait d’exécuter d’autres otages afin d’exacerber les divisions en Israël et de susciter davantage de protestations. Un responsable diplomatique affirme la même chose. Les vidéos publiées par le Hamas sur les six otages qui ont été exécutés par la suite sont choquantes. Les jeunes hommes et femmes sont maigres et pâles, faibles, les yeux enfoncés dans les orbites. Comment peut-on dire que le maintien d’une barrière terrestre est plus important que la libération immédiate des otages ?

Netanyahou, je suis désolé de le dire, a perdu sa dernière once d’humanité il y a quelque temps. Monstrueux, sans cœur, têtu, Netanyahou déteste autant Gallant car la comparaison est si peu flatteuse.

On se souviendra peut-être de cette semaine (et on l’oubliera peut-être) comme celle où le premier ministre israélien a déclaré au monde que l’objectif de la guerre, à savoir le retour des otages, était à ses yeux lettre morte.

Lors de sa rencontre avec le secrétaire d’État usaméricain Antony Blinken, il y a deux semaines, le ministre de la défense lui a demandé : « Vous voulez que nous mettions fin à la guerre, mais si, après 42 jours, nous sommes contraints de reprendre le combat et que le Conseil de sécurité des Nations unies vote contre nous, comment les USA voteront-ils ? » « Nous opposerons notre veto », a promis Blinken. Cela aurait dû apaiser les inquiétudes du premier ministre. Même si Ben-Gvir et/ou Smotrich quittent la coalition pendant l’accord, ils reviendront quand Israël reprendra la guerre.

Gallant ne comprend pas : si les USA sont de notre côté, comment pouvons-nous insister sur Philadelphie au prix de l’abandon des otages ? Comment pouvons-nous agir de la sorte sur le plan moral ? Qu’en est-il des valeurs de Tsahal ? De l’éthique israélienne ? Il sait exactement où elles se trouvent. Sur le tas de cendres de cette coalition du désastre.


Faux cercueils d’otages à Tel-Aviv, jeudi. Photo Itai Ron

Les erreurs de Bibi hier et aujourd’hui

D’accord, ce n’est plus drôle. Les erreurs de Netanyahou sur le jour où ont eu lieu les massacres à la frontière de Gaza peuvent être considérées comme un événement médical, psychologique ou cognitif. Appelez cela comme vous voulez, mais il n’est pas raisonnable qu’une personne, et certainement pas un Premier ministre, ne se souvienne pas de la pire date de l’histoire du pays.

Lors de la journée de commémoration de l’Holocauste, il a lu un discours et a dit « 7 novembre ». Cette semaine, lors de sa conférence de presse en hébreu, il a dit « 9 octobre ». Le lendemain, lors d’une interview accordée à Fox News, il a de nouveau dit « 7 novembre ».

Au moins, il n’est pas loin. En fait, il lui arrive quelque chose. Les gens qui passent du temps avec lui disent qu’il a mauvaise mine. À la télévision, caché sous des couches de maquillage, c’est moins visible. Ce qui est sûr, c’est que si Joe Biden se trompait aussi souvent sur Israël, il se ferait lyncher par les porte-parole de Bibi sur Canal 14.

Outre le nombre croissant d’erreurs, regarder les discours de Netanyahou est également devenu une sorte de jeu. On peut l’appeler « Le jeu du mensonge » ou « Twister », même s’il ne s’agit pas d’une façon particulièrement stimulante de tester ses capacités cérébrales.

Au contraire, il est devenu plus facile de détecter les tromperies de Netanyahou. Ses mensonges, manipulations et demi-vérités sont devenus superficiels et maladroits. Ils ne présentent pas de véritable défi intellectuel.

Prenons l’exemple du retrait de Gaza en 2005. Tous les consommateurs israéliens raisonnables d’informations peuvent réciter dans leur sommeil comment Netanyahou, ministre des finances à l’époque, a soutenu le plan d’Ariel Sharon d’évacuer les colonies de Gaza (et quatre autres dans le nord de la Cisjordanie). Ils se souviennent des remarques de Netanyahou à la Knesset, de son rôle dans la rédaction de la proposition au cabinet, puis de sa volte-face et de sa démission une semaine avant que la décision de la Knesset (pour laquelle il avait voté) n’entre en vigueur.


Manifestants devant la résidence du premier ministre à Jérusalem, lundi.  Photo Olivier Fitoussi

C’est simple. Mais un autre détail a été négligé, et c’est le plus important en ce qui concerne le rôle de Netanyahou dans la poursuite du désengagement.

En mai 2004, environ 15 mois avant le retrait des forces de défense israéliennes, le Likoud de Sharon a sondé les militants pour savoir s’ils soutenaient le plan. Netanyahou - et les médias s’en sont fait l’écho - a annoncé qu’il voterait en faveur du plan. L’hypothèse était qu’il s’agissait d’une affaire réglée et que la plupart des membres du parti voteraient en faveur du plan. Mais ce ne fut pas le cas : 60 % des députés se sont opposés au retrait. Sharon subit une défaite humiliante.

Sharon a promis qu’il respecterait le vote du parti, mais quelques heures après l’annonce des résultats, il a clairement fait savoir qu’il ne le ferait pas. Un démocrate ?

Le moment était venu pour Netanyahou de contrecarrer le retrait. Quoi de plus légitime que de dire : « Le parti a voté contre, nous représentons un mouvement et nous devons respecter sa décision. » Mais même là, alors qu’un cadeau tombait du ciel, Netanyahou n’a rien fait.

D’accord, ce n’est pas tout à fait exact. Netanyahou a fait quelques remarques indécises, et c’est ainsi qu’a commencé une farce qui a été appelée plus tard « l’affaire Livni ». La ministre du logement, Tzipi Livni, s’est interposée entre lui, Sharon et plusieurs ministres indécis, et a rédigé un document évoquant un retrait par « étapes », avec une évaluation de la situation à l’issue de chacune d’entre elles.

Au sein du cabinet, Netanyahou et ses amis ont voté en faveur de ce document. Plus tard, Sharon a rejeté le plan de Livni. Mais même à ce moment-là, Netanyahou est resté silencieux. Toutes les raisons qu’il a invoquées cette semaine pour démissionner du gouvernement Sharon existaient depuis de nombreux mois avant qu’il n’agisse, et chaque fois qu’il a soutenu un retrait.

Une semaine avant l’évacuation elle-même, un de ses proches conseillers m’a appelé le matin de la réunion du cabinet. « Bibi est en route pour la réunion avec sa démission plus tard », m’a-t-il chuchoté.

« Pourquoi ? » lui ai-je demandé.

« Il est paniqué. Les sondages montrent qu’Uzi Landau* le devance dans la course à la direction du Likoud. »

Non, ce ne sont pas les armes passées en contrebande sur la route Philadelphie qui l’ont fait changer d’avis. C’était juste un Uzi.

NdT

*Uzi Landau (81 ans) est un caméléon bien représentatif de la caste politico-militaire israélienne. Il a été député et ministre un nombre conséquent de fois, outre d’avoir présidé l’entreprise militaire Rafael. Il s’est promené au fil des années entre le Likoud et Yisrael Beiteinu (Avigdor Liberman), le parti « russe » disputant l’héritage révisionniste de Jabotinsky au Likoud.