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15/06/2023

SERGIO FERRARI
Ni fous ni morts : les anciens prisonniers politiques argentins de la Coronda entretiennent la mémoire et internationalisent l’espoir

Sergio Ferrari, La Pluma, 12/6/2023
Original :
Ex presos políticos argentinos | Celebrar la memoria, internacionalizar la esperanza: Ni locos ni muertos

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Dans le cadre de la célébration du 20e anniversaire d’El Periscopio, je me suis entretenu avec trois des organisateurs de cette activité : Alfredo Vivono, de Rosario, Luis Larpin, de Santa Fe, et Augusto Saro, de Buenos Aires.

Pour les anciens prisonniers politiques de la prison de Coronda, dans la province de Santa Fe, en Argentine, la mémoire est une passion. Vingt ans après la publication de leur livre Del otro lado de la mirilla [De l'autre côté du judas], ils ont célébré samedi 3 juin leurs deux décennies de militantisme associatif contre l’oubli dans le sinistre ancien quartier général de la police de la ville de Rosario (300 kilomètres au nord-ouest de Buenos Aires).


Dans le bâtiment de l’ancien quartier général de la police de l’unité régionale II de Rosario, le service d’information (SI), le plus grand centre d’enlèvements illégaux de la région, opérait sous la direction du deuxième corps d’armée, au centre de la ville de Rosario. On estime qu’environ 2000 personnes y ont été enlevées, torturées et, dans de nombreux cas, victimes de disparitions forcées. L’ancien service d’information a été récupéré par l’État provincial en vue de la création d’un espace de mémoire, pour la défense, la promotion et l’expansion des droits.

Le 25 mai 2003, ils ont fondé l’association El Periscopio et lancé, non sans hésitation, la première édition de leurs témoignages collectifs et anonymes, avec une préface d’Adolfo Pérez Esquivel.

L’écrivain uruguayen Eduardo Galeano leur a ensuite offert un cadeau important, ses mots émouvants de reconnaissance pour la quatrième de couverture : « Ce témoignage des prisonniers de Coronda est une autre contribution à la mémoire collective. Il respire, caché sous l’amnésie obligatoire ».

Et à partir de ce moment, l’association El Periscopio - ce petit instrument clandestin utilisé par les prisonniers de Coronda pour suivre depuis les cellules les mouvements des gardiens dans le bloc cellulaire - n’a cessé de multiplier les initiatives en faveur de la Mémoire, de la Vérité et de la Justice.

 
Au cours des vingt dernières années, trois éditions du livre ont été publiées en espagnol, avec plus de 10 000 exemplaires vendus. En 2020, au plus fort de la pandémie en Europe, Ni fous ni morts l’édition française - déjà épuisée – a été publiée par les Éditions de l’Aire, de Vevey, en Suisse. En septembre dernier, c’était au tour de la version italienne, cyniquement intitulée Grand Hotel Coronda, publiée par la prestigieuse maison d’édition romaine Albatros Il Filo. Et avant la fin de l’année 2023, une édition portugaise est prévue, en collaboration avec la maison d’édition Expressão Popular de São Paulo, étroitement liée aux acteurs sociaux brésiliens les plus dynamiques, en particulier le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST).


Dès le début, le mot d’ordre d’El Periscopio était clair : « Il faut militer pour le livre ». Des centaines d’activités publiques dans les quartiers, les écoles, les universités, les centres culturels, les théâtres, les cinémas, les paroisses et les syndicats, tant en Argentine qu’en Europe, ont accompagné la promotion de ce témoignage écrit. Les plus récentes ont été les sept présentations durant la deuxième quinzaine de mai dans six villes de Sicile, auxquelles ont participé plus de 350 personnes, principalement des jeunes des lycées d’Agrigente et de Favara, dans le sud de l’île.

Dans le cadre de la célébration du 20e anniversaire d’El Periscopio, je me suis entretenu avec trois des organisateurs de l’événement : Alfredo Vivono, de Rosario, Luis Larpin, de Santa Fe, et Augusto Saro, de Buenos Aires.


Alfredo Vivono

Histoire collective

« Lorsque nous avons imaginé de célébrer notre vingtième anniversaire, nous avons décidé de le faire simplement et dans un lieu qui nous aiderait à nous souvenir à la fois de la répression dictatoriale et de la résistance contre celle-ci - comme l’ancien siège de la police de Rosario. Et nous avons décidé de nous réunir avec d’autres personnes qui, comme nous, ont été impliquées dans la résistance collective et ont toujours continué à contribuer à la construction de la mémoire », se souvient Alfredo Vivono. Il ajoute : « Nous faisons partie d’un ensemble qui a connu de nombreuses formes de lutte contre le même ennemi et sa méthode quotidienne de terrorisme d’État ». Enfin, explique Vivono, « Celebrar vient de celebrare, celeber, qui signifie nombreux, encombré, abondant. Ce à quoi El Periscopio ajoute également les concepts de collectif et d’unitaire. Collectif et unitaire, comme l’a toujours été tout ce que nous avons fait: depuis cette merveilleuse résistance dans les prisons de Cordoba jusqu’à cette célébration à Rosario. De la première édition de Del otro lado de la mirilla aux centaines de présentations et d’initiatives que nous avons inlassablement promues en Argentine et à l’étranger ». 


Luis Larpin

Luis Larpin, également membre du conseil d’administration d’El Periscopio, souligne : « Notre expérience est aussi collective que l’a été la résistance populaire à la dictature dans les prisons, dans les centres de détention illégaux, dans la lutte pour les droits humains, dans les rues, dans la solidarité internationale ». Comment célébrer aujourd’hui le 20ème anniversaire de l’association en cohérence avec cet “esprit périscopien” qui animait la résistance unie et fraternelle de Coronda, s’interroge Larpin. La réponse est toute trouvée : « En invitant des représentants de quelques-unes des nombreuses initiatives qui œuvrent à la recréation collective de la mémoire. En les reconnaissant et en nous reconnaissant en eux ».

Absences

La célébration à Rosario s’est ouverte par un montage audiovisuel avec des images de ses 20 ans d’existence. Elle s’est achevée par le non moins émouvant film de 12 minutes, Retorno a Coronda, d’Alberto Marquardt, cinéaste argentin basé en France et ancien prisonnier de Coronda. Il s’agit d’un témoignage de la visite effectuée en octobre 2019 par huit anciens détenus politiques à la prison de Santa Fe.

Dans le cadre de cette activité, El Periscopio a remis des plaques de reconnaissance à près de 30 associations, groupes et personnes, tels que les anciennes prisonnières politiques de la prison de Devoto, autrices du livre Nosotras, l’Instituto Venadense por Memoria, Verdad y Justicia (Venado Tuerto), les anciens prisonniers politiques de la prison de Mendoza, qui ont publié No nos podían et le Colectivo de la Memoria de Santa Fe, entre autres. Le programme Postas de la Memoria, les auteurs de Historias de Vida, de la Sonrisa no se rinde, La Mirada et Capitana Editorial et leur ouvrage Impresas Políticas, ainsi que le quotidien Página 12 ont également été honorés. Graciela Camino et Gabriela Robles, deux personnalités importantes du monde du théâtre et de la communication audiovisuelle, ont également été récompensées. La première a dirigé, avec María Moreno, Coronda en Acción, qui a connu un grand succès en 2006, tandis que Robles a coordonné une expérience audiovisuelle en quarantaine sur Coronda pendant la pandémie.

La liste comprenait également des noms individuels, pour la plupart d’anciens prisonniers politiques ou des membres de leur famille qui, de par leur position professionnelle/militante (dans des domaines tels que la communication, le syndicalisme, la performance artistique, la peinture, l’historiographie, etc.), ont soutenu et soutiennent la lutte pour la mémoire : Victorio Paulón, Daniel Gollán, Hugo Soriani, Raúl Viso, Jorge Miceli, Raúl Borsatti, Jorge Giles, Alba Acosta, Rubén Mensi, Luciano Sánchez, Carlos Samojedny et Carlos del Frade. En outre, des syndicats ou des institutions qui ont toujours fait preuve d’une solidarité active avec les anciens prisonniers de Coronda. Entre autres, Puerto Libro, les syndicats SADOP et CTERA, ainsi que le Secrétariat des droits humains de Santa Fe.

Luis Larpín souligne : « Nous nous reconnaissons dans chacun·e d’entre eux·elles, qui ne sont pas seulement des “allié·es” de notre histoire commune, mais aussi des points de référence pour poursuivre notre propre chemin ». C’est pourquoi il ne s’agissait pas de décerner des distinctions ou des prix. « Il s’agissait simplement de les reconnaître pour tout ce qu’ils·elles ont fait et continuent de faire pour une autre Argentine possible. Notre reconnaissance est une gratitude. Notre hommage signifie de plus grands défis pour l’avenir et l’impossibilité d’abandonner ou de s’arrêter en pensant que la tâche est déjà accomplie ».

Absences

« Le bonheur profond éprouvé en ce moment de retrouvailles ne nous empêche pas de ressentir - avec non moins d’émotion - les nombreuses absences », explique Augusto Saro, président du conseil d’administration d’El Periscopio.

« Nous sommes une génération marquée au fer rouge par le vide », souligne-t-il. « C’est le prix que nous payons pour la générosité de ce dévouement inconditionnel et sans limite. Ce sont les 30 000 disparus, ainsi que Daniel Gorosito, Luis Alberto Hormaeche, Raúl San Martín et Juan Carlos Voisard, nos quatre camarades assassinés à Coronda. Ce sont aussi ceux qui nous ont été enlevés au cours des deux dernières décennies. Ils font tous partie de l’essence de notre collectif. Ils nous manquent beaucoup, même si nous sentons que nous continuons à marcher ensemble ».

Saro a cette réflexion : « Quel immense privilège de penser que, lors de cette célébration à Rosario, nous sommes en train de récolter la vie ! Dans ce lieu (l’ancien siège de la police), où les génocidaires ont semé la torture et la mort. Nous voyons dans cet espace au symbolisme si particulier que, avec nous, il y a les mères, les grands-mères et les fils. Et les ex-prisonniers, ainsi que beaucoup de nos proches.  La vérité a triomphé, dit Saro. Une pause, un silence et une affirmation catégorique : « Tout comme la justice a prévalu ». Et il rappelle la victoire juridique qu’El Periscopio a obtenue avec le soutien de l’équipe juridique de HIJOS [association des enfants de disparus] à Santa Fe dans le procès dit de Coronda. En mai 2018, les deux commandants de la gendarmerie nationale qui avaient dirigé la prison pendant la dictature ont été condamnés à de lourdes peines de prison : la justice a établi que le régime quotidien et les décès qui ont eu lieu à Coronda constituaient des crimes contre l’humanité. 



Internationalisation de la mémoire

Alfredo Vivono, qui en septembre 2022 a participé en Suisse, en France et en Italie au lancement de la version italienne de Del otro lado de la mirilla, anticipe l’émotion produite par la célébration à Rosario et ne peut éviter une réflexion complémentaire : en tant que collectif, des frontières planétaires ont été franchies. « Nous sommes à Rosario et nous penserons là-bas, loin et près, à des milliers de kilomètres, où nous voyons les visages de femmes et d’hommes que nous sentons déjà comme des frères et des sœurs. Depuis 5 ans, nous marchons avec des Suisses et des Suissesses, des Français et des Françaises, des Italiens et des Italiennes. Del otro lado de la mirilla ; Ni fous ni morts ; Grand Hôtel Coronda : une succession sans fin de volontés qui revendiquent la même passion/obsession pour la Mémoire, la Vérité et la Justice ».


Augusto Saro

Augusto Saro, qui faisait également partie de la délégation périscopienne chargée de présenter le livre en Europe, partage cet avis : « Nous avons découvert dans El Periscopio la magie d’une planète globale ». Selon lui, ces visages lointains - à plus de 11 000 kilomètres de distance et 45 ans plus tard - qui s’émeuvent aujourd’hui de l’histoire des prisons et des centres de détention clandestins de la dictature argentine, « ne vibrent pas par volontarisme mais par nécessité. Nous lire, nous traduire, nous publier, nous écouter, c’est pour eux faire partie d’un dialogue ouvert. Ce qu’ils ont vécu à Coronda, Devoto, Mendoza, Rawson, Córdoba, Resistencia, Caseros, dans chaque centre de détention, les rapproche de leurs propres histoires continentales de lutte, hier et aujourd’hui ».

Don Luigi Ciotti, prêtre anti-mafia et point de référence pour les sans-papiers arrivant en Italie, a introduit dans sa préface à Grand Hôtel Coronda une réflexion généreuse dédiée à El Periscopio, étendue à tous les militants des droits humains en Argentine et dans le monde : « Votre dévouement est un acte de grande générosité. La générosité de la mémoire n’est jamais un devoir, (surtout pour ceux qui sont passés par le territoire le plus extrême de la douleur), mais un choix, un chemin, un don ». 

Rappelant ce qu’il a vécu lors de sa tournée européenne, Augusto Saro conclut : « Lorsque nous présentons nos témoignages, les héritiers des partigiani résistants italiens sont émus, les jeunes qui cherchent désespérément des alternatives à la planète qui bout ou à la domination patriarcale sous toutes ses formes sont interpellés... Bénie soit la résistance unie, nous disent-ils avec émotion ». Heureuse la résistance unie, nous disent-ils avec émotion ». Bénit soit l’Autre Monde possible et de plus en plus nécessaire, répond El Periscopio.


13/06/2023

PAOLO PERSICHETTI
Berlusconi, le 68 patronal et l’hédonisme de possédants

 Paolo Persichetti, l’Unità /Insorgenze, 13/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Qu’est-ce qu’a été le berlusconisme ? Comment a-t-il réussi à imposer son hégémonie ?

Repas de Noël à la Villa San Martino, le manoir du Cavaliere à Arcore, 2011

Depuis son entrée directe en politique en 1994, le dispositif de Berlusconi a agi comme une grande machine de diversion, un puissant aimant capable de capter des passions opposées. Une sorte de sortilège qui a permis au maître de la télévision commerciale de se placer immédiatement au centre de la scène, de perturber les alignements, de rebattre les cartes, de mettre sens dessus-dessous  la table de jeu. C’est peut-être en reconnaissant cette irrésistible capacité d’illusionnisme que l’on peut aussi réussir à expliquer l’essence contradictoire, cette combinaison de contraires qu’est l’antiberlusconisme.

C’est la seule façon de comprendre pourquoi des figures historiques de droite comme Indro Montanelli ou des populistes de droite comme Antonio Di Pietro sont devenus les champions du peuple de gauche, ou pourquoi un dandy réactionnaire comme Marco Travaglio a pu inspirer d’abord les courants justicialistes de gauche, des Girotondi (Chaînes humaines, 2002) au Peuple violet (2009-2013), puis au Mouvement 5 étoiles.

Berlusconi a certainement été en mesure d’intercepter et d’interpréter à sa manière ce nouvel esprit du capitalisme décrit par Luc Boltanski et Ève Chiappello dans un volume publié par Gallimard en 2000 et qui n’est arrivé en Italie qu’en 2014 avec Mimesis (Il nuovo spirito del capitalismo). Version italienne de cette nouvelle éthique de la valorisation du capital qui, selon les deux sociologues, après la phase puritaine originelle et l’ère de la planification et de la rationalité fordiste qui a suivi, a trouvé une nouvelle source d’inspiration et de légitimité dans une partie de la critique du mode de production capitaliste lors de la contestation des années 1970. La critique du taylorisme fordiste, de l’aliénation en série du travail, des relations sociales rigides et hiérarchiques, de la société du spectacle, a été absorbée et métabolisée au point de faire de la créativité et de la flexibilité les traits saillants du nouveau système de l’économie de flux, de la valeur ajoutée, du travail immatériel incarné dans le produit fini. L’inventivité, le plaisir et la folie - toujours selon l’analyse de Boltanski et Chiappello - sont devenus des ingrédients du succès capitaliste bien plus que les valeurs constipées du travail, de la prière et de l’épargne qui ont inspiré l’aube du capitalisme, mais aussi le calvinisme de la valeur-travail dont était imprégné le togliattisme [Palmiro Togliatti, 1893-1963, secrétaire général à vie du Parti communiste italien, NdT].

Si l’imagination n’a jamais accédé au pouvoir, elle a certainement trouvé sa place sur la Market Place., démontrant la capacité dynamique et innovante de l’“entreprenariat déviant”, selon une catégorie forgée par la sociologie criminelle. L’ambivalence du comportement de Berlusconi, à l’intérieur et à l’extérieur de l’ordre établi, a permis de mener des expériences, voire d’explorer des possibilités illégitimes. Une ressource nécessaire pour que l’initiative économique innovante puisse avoir lieu. De cette manière, l’homme d’Arcore a conservé « une légèreté distincte qui a permis à ses entreprises, d’une manière wébérienne, de s’élever au-dessus du bien et du mal », comme l’a écrit Vincenzo Ruggiero dans Crimes de l’imagination. Déviance et littérature, il Saggiatore, Milan 2005.

Le patron de la publicité avec ses télévisions a été le visage italien de cette révolution du capital. Par sa capacité à produire de l’idéologie, il a aussi su synthétiser des intérêts et des pulsions sociales différents, mais unis par une rapacité individualiste hypertrophiée. Vendeur de rêves et d’illusions, dealer de marques, vendeur d’un monde réduit à la domination du logo et de ses imitations. Une fois devenu système-monde, et une fois ocupée la société, il ne manquait à Berlusconi que la politique. Pas de la vraie politique. Il en a toujours fait, comme il s’en est vanté un jour dans une interview. Son réseau d’affaires n’était rien d’autre qu’un parti de type léniniste. Le seul qui reste. Le parti des professionnels de la publicité. Une structure de cadres sélectionnés, enracinés dans le territoire et les districts économiques, avec des relations et des alliances étendues avec les entreprises, les organisations commerciales et les entrepreneurs légaux et illégaux. Un véritable modèle d’organisation bolchevique de la bourgeoisie. Et en effet, à la fin de 1993, en quelques mois, il a réussi à en faire l’épine dorsale de Forza Italia pour lancer l’attaque contre la citadelle de la politique institutionnelle, contre les occupants de la machine d’État. Grâce à une activité de lobbying scientifique et aux protections obtenues de secteurs influents de la politique, plutôt qu’à la capacité de s’imposer sur le marché, il a pu construire sa position dominante dans les années 1980 dans le secteur de la télévision commerciale et de la vente de publicité.

Mais c’est l’effondrement du système politique des partis provoqué par les enquêtes judiciaires [opération Mains propres, NdT] qui a ouvert la voie à son entrée directe dans le monde des palais romains. Alors que des formes opposées de populisme s’affrontaient sur les cendres de la Première République, Berlusconi a réussi à bouleverser la scène politique du pays en déracinant la tradition des partis de masse déjà en crise et en imposant son propre modèle même à ses adversaires. Capable de mélanger des éléments élitistes et plébiscitaires, pré-modernes et hyper-modernes, celui de Berlusconi apparaît comme un modèle de populisme où s’intègrent l’ancien et le nouveau. Soutenu par le retour à l’affirmation d’un leadership charismatique et providentiel, dans lequel le pouvoir patrimonial remplace l’ancienne légitimité paternaliste-patriarcale, le paradigme berlusconien s’accompagne de l’éloge d’un entrepreneuriat généralisé au sein duquel même des formes archaïques et bestiales de taylorisme peuvent coexister. Le rêve et la tromperie de millions de petites entreprises, une nouvelle configuration de la relation de travail qui cache derrière le mythe de l’entrepreneuriat individuel les hiérarchies d’un nouveau modèle d’exploitation. L’illusion d’un accès facile à la classe moyenne et d’un enrichissement personnel modelé sur les valeurs propagées par la télévision commerciale, y compris les ragots, les nouvelles criminelles, les show-girls et les émissions de téléréalité.

Une exaltation rhétorique et rêveuse de l’affirmation individuelle, de la propriété (d’autant plus quand celle-ci est insignifiante et se réduit à une maison ou une voiture achetée en contractant des emprunts bancaires sur plusieurs décennies ou à la conversion de ses économies en obligations et en parts de titres financiers). Une idéologie qui parvient à jongler, avec un admirable tour de passe-passe, entre des thèmes liés à la redécouverte de valeurs morales, comme la patrie, la famille et la prétendue éthique de la vie (hostilité à l’avortement et à l’utilisation des cellules souches), et une sorte d’“hédonisme de possédant” débridé, de “68 des patrons”" (les partouzes bunga bunga).

 « Maladroitement rusé, astucieusement naïf, balourdise sublime, superstition calculée, farce poétique, anachronisme génialement stupide, bouffonnerie de l’histoire mondiale, hiéroglyphes inexplicables », l’apparent manque de substance du personnage Berlusconi s’est en fait révélée être l’une de ses forces : « C’est précisément parce qu’il n’était rien qu’il pouvait tout signifier », comme l’écrivait Marx à propos d’un autre “homme providentiel” » (Louis-Napoléon Bonaparte), et être ainsi réinventé par chaque classe sociale ou chaque individu à son image et ressemblance. Comment cela a-t-il été possible ?

Lorsque la société des travailleurs et des citoyens volontaires est mise hors jeu, a répondu Mario Tronti, « la politique devient le monopole des magistrats, des grands communicateurs, de la finance, des lobbies, des salons. Elle cesse d’être le lieu où les projets de société s’affrontent et se confrontent pour devenir le lieu de l’indifférence, un espace indistinct où l’apparence prime sur le contenu, où l’esthétique s’impose sur la substance ». C’est pourquoi l’antiberlusconisme justicialiste s’est non seulement révélé inefficace, mais il s’est même avéré nuisible en ne se répercutant que comme un reflet subordonné de son ennemi juré, ouvrant la voie au gouvernement de la droite fasciste.

 

2008  


2011

2023

 

 

 

PAOLO PERSICHETTI
Berlusconi, il ‘68 dei padroni e l’edonismo proprietario

Paolo Persichetti, l’Unità /Insorgenze, 12/6/2023

 Cosa è stato il berlusconismo? Come è riuscito ad imporre la sua egemonia? «Goffamente astuto, furbescamente ingenuo, balordamente sublime, superstizione calcolata, farsa poetica, anacronismo genialmente sciocco, buffonata della storia mondiale, geroglifico inesplicabile», l’apparente inconsistenza del personaggio berlusconiano si è rivelata in realtà un suo punto di forza: «Appunto perché non era nulla, egli poteva significare tutto», come capitò di scrivere a Marx a proposito di un altro «uomo della provvidenza (Louis-Napoléon Bonaparte)», ed essere così reinventato da ogni ceto sociale o individuo a propria immagine e somiglianza

Pranzo natalizio a Villa San Martino (Arcore), 2011


Fin dal momento della sua entrata diretta in politica, nel lontano 1994, il dispositivo Berlusconi ha agito come un grande diversivo, un potentissimo magnete capace di captare su di sé passioni contrapposte. Una sorta d’incantesimo che ha permesso al padrone della televisione commerciale di collocarsi da subito al centro della scena scompaginando gli schieramenti, rimescolando le carte, sparigliando il tavolo da gioco. Forse solo riconoscendo questa sua irresistibile capacità illusionistica si può riuscire a spiegare anche l’essenza contraddittoria, quella combinazione di contrari che è l’antiberlusconismo.

Solo in questo modo si riesce a comprendere perché personaggi della destra storica, come Indro Montanelli o populisti di destra come Antonio Di Pietro siano diventati dei paladini del popolo della sinistra, oppure un damerino reazionario come Marco Travaglio abbia potuto ispirare prima le correnti giustizialiste della sinistra, dai girotondi al popolo viola, e poi i Cinque stelle.

Sicuramente Berlusconi ha saputo intercettare e interpretare a modo suo quel nuovo spirito del capitalismo descritto da Luc Boltanski e ève Chiappello in un volume pubblicato da Gallimard nel 2000 e arrivato in Italia solo nel 2014 con Mimesis (Il nuovo spirito del capitalismo). Versione italiana di quella nuova etica della valorizzazione del capitale che, secondo i due sociologi, dopo l’originaria fase puritana e la successiva età della programmazione e della razionalità fordista, ha trovato nuova fonte d’ispirazione e legittimazione in una parte delle critiche rivolte al modo di produzione capitalista durante la contestazione degli anni Settanta. La critica al taylorismo fordista, all’alienazione seriale del lavoro, ai rapporti di società rigidi e gerarchizzati e alla società dello spettacolo, sono state assorbite e metabolizzate fino a fare della creatività e della flessibilità i tratti salienti del nuovo sistema dell’economia dei flussi, del valore aggiunto, del lavoro immateriale incamerato nel prodotto finito. Inventiva, piacere e pazzia – sempre secondo l’analisi di Boltanski e Chiappello – sono diventati ingredienti del successo capitalista molto più dei costipati valori del lavoro, della preghiera e del risparmio che ispiravano gli albori del capitalismo ma anche quella sorta di calvinismo del valore lavoro di cui era intriso il togliattismo.

Se l’immaginazione non è mai arrivata al potere, sicuramente ha trovato posto in piazza Affari. Dimostrazione della capacità dinamica e innovativa dell’«imprenditoria deviante», secondo una categoria forgiata dalla sociologia criminale. L’ambivalenza del comportamento berlusconiano, condotta all’interno e all’esterno dell’ordine stabilito, ha permesso di condurre esperimenti, d’esplorare possibilità anche illegittime. Risorsa necessaria affinché l’iniziativa economica innovativa potesse avere luogo. In questo modo l’uomo di Arcore ha mantenuto «una distinta leggerezza che ha consentito alle sue imprese, in maniera weberiana, di levarsi al di là del bene e del male», come ha scritto Vincenzo Ruggiero in, Crimini dell’immaginazione. Devianza e letteratura, il Saggiatore, Milano 2005.

Il patron della pubblicità con le sue televisioni è stato il volto italiano di questa rivoluzione del capitale. Con la sua abilità nel produrre ideologia è riuscito a sintetizzare anche interessi e spinte sociali diverse ma accomunate da un’ipertrofica rapacità individualista. Venditore di sogni e d’illusioni, spacciatore di marche, dealer di un mondo ridotto al dominio del logo e delle sue imitazioni. Divenuto sistema-mondo, occupata la società, a Berlusconi mancava solo la politica. Non la politica vera. Quella l’aveva sempre fatta, come una volta vantò in una intervista. La sua rete commerciale non era altro che un partito di tipo leninista. L’unico rimasto. Il partito dei professionisti della pubblicità. Una struttura di quadri selezionati, radicati nel territorio e nei distretti economici, con rapporti diffusi e alleanze con le corporazioni, le organizzazioni di categoria e gli imprenditori legali e illegali. Un vero modello d’organizzazione bolscevica della borghesia. Ed difatti, alla fine del 1993, in pochi mesi riuscì a farne la struttura portante di Forza Italia per lanciare l’attacco alla cittadella della politica-istituzionale, all’occupazione della macchina statale. Grazie ad una scientifica attività lobbistica e alle protezioni ottenute da settori influenti della politica, più che alla capacità di stare sul mercato, ha potuto costruire negli anni Ottanta la sua posizione dominante nel settore delle televisioni commerciali e della raccolta pubblicitaria.

Ma a spianare la strada al suo ingresso diretto nel mondo dei palazzi romani è stato il tracollo del sistema politico dei partiti provocato dalle inchieste giudiziarie. Quando sulle ceneri della Prima Repubblica rivaleggiavano ormai forme contrapposte di populismo, Berlusconi è riuscito a sconvolgere la scena politica del paese sradicando la tradizione dei partiti di massa già in crisi e imponendo il proprio modello anche ai suoi avversari. In grado di miscelare elementi elitari e plebiscitari, premoderni e ipermoderni, quello berlusconiano è apparso un modello di populismo dove vecchio e nuovo s’integravano. Sorretto dal ritorno all’affermazione della leadership carismatica e provvidenziale, nella quale il potere patrimoniale sostituisce la vecchia legittimità paternalista-patriarcale, il paradigma berlusconiano ha accompagnato l’elogio dell’imprenditorialità diffusa dentro la quale riescono a convivere anche forme arcaiche e bestiali di taylorismo. Il sogno e l’inganno di milioni di piccole imprese, nuova configurazione di un rapporto lavorativo che occulta dietro il mito dell’imprenditorialità individuale le gerarchie di un nuovo modello di sfruttamento. Illusione di un facile accesso al ceto medio e all’arricchimento personale modellato con i valori profusi dalle televisioni commerciali, tra gossip, cronaca nera, veline e reality show.

Esaltazione retorica e sognatrice dell’autoaffermazione individuale, della proprietà (tanto più quando questa è insignificante e si riduce ad un’abitazione o un’automobile acquistata contraendo mutui bancari pluridecennali o alla conversione dei propri risparmi in bond e partecipazioni in titoli finanziari). Ideologia che riesce a far convivere con un mirabile gioco di prestigio temi legati alla riscoperta dei valori morali, come patria, famiglia e presunta etica della vita (ostilità verso l’aborto e l’uso delle staminali), insieme ad una sorta di sfrenato “edonismo proprietario”, di ’68 dei padroni (il “bunga bunga”).
«Goffamente astuto, furbescamente ingenuo, balordamente sublime, superstizione calcolata, farsa poetica, anacronismo genialmente sciocco, buffonata della storia mondiale, geroglifico inesplicabile», l’apparente inconsistenza del personaggio berlusconiano si è rivelato in realtà un suo punto di forza: «Appunto perché non era nulla, egli poteva significare tutto», come capitò di scrivere a Marx a proposito di un altro «uomo della provvidenza», ed essere così reinventato da ogni ceto sociale o individuo a propria immagine e somiglianza. Tutto ciò come è stato possibile?

Quando la società dei lavoratori e dei cittadini volontari è messa fuori gioco, ha risposto Mario Tronti: «la politica diventa il monopolio dei magistrati, dei grandi comunicatori, della finanza, delle lobby, dei salotti. Cessa di essere la sede in cui i progetti di società si affrontano e confrontano e diventa il luogo dell’indifferenza, uno spazio indistinto dove l’apparenza prevale sul contenuto, l’estetica s’impone sulla sostanza». Per questo l’antiberlusconismo giustizialista non solo si è rivelato inefficace ma si è addirittura dimostrato dannoso riverberandosi unicamente come riflesso subalterno del suo acerrimo nemico spianando la strada al governo della destra fascista.

2008  


2011

2023

GIANFRANCO LACCONE
S’asseoir au bord du fleuve et attendre*
Avec la disparition de Mister Bi, la droite italienne se retrouve dans la situation des communistes après Staline

 Gianfranco Laccone, 12/6/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Les astérisques renvoient au notes du traducteur en fin de texte

La déstalinisation a été déclenchée en 1956, trois ans après la mort de Staline, par son propre successeur, Khrouchtchev ; il a fallu beaucoup moins de temps aux démocrates-chrétiens pour se débarrasser de la figure de Moro (les Morotei* de Bari, sa ville d’élection, l’ont fait la nuit suivant sa mort, en migrant vers les différents courants de la démocratie chrétienne) ; combien de temps faudra-t-il pour se débarrasser du poids de cette figure déjà sanctifiée qui, comme le dit aujourd’hui il manifesto, le 12 juin 2023, “est montée sur le terrain”* ?

Un des shows restés célèbres du Cavaliere : en décembre 2005, lors de la conférence de presse de fin d'année, il brandit un exemplaire de L'Unità, le quotidien communiste, du 6 mars 1953, en réponse à la question d'une journaliste de ce journal, lançant : "Vous devriez avoir honte. Vous êtes complices de 100 millions d'homicides. Il n'y a aucune possibilité de changer votre attitude préjudiciable vous êtes inconvaincables [sic]" [NdT]

Je ne crois pas que Tajani* représente le Khrouchtchev italien, capable d’initier la démolition nécessaire du mythe pour permettre au pays d’aller de l’avant. Le pays s’est identifié à ce personnage dont, maintenant qu’il a officiellement disparu, je ne sais même pas s’il a existé ou s’il a disparu depuis longtemps et a été remplacé par une doublure, reconstruite au fil des ans comme un androïde, comme on le raconte encore dans le cas de Mao. Car c’est un personnage qui s’est réellement construit, de manière imparfaite et grotesque, comme nous le faisions, enfants, avec le Meccano (jeu métallique des années 1950, balayé par le plastique et les Lego), où il était impossible de construire des marionnettes, marionnettes que nous construisions pourtant et imaginions exister pour peupler un monde de grues, de palais et de châteaux de métal. Une de mes connaissances, vers la fin des années 90, l’a rencontré par hasard la nuit dans les couloirs d’un hôtel de Bruxelles et ne l’a pas reconnu, petit, maladroit et avec une démarche incertaine, si différent des images que la télévision nous projetait il y a trente ans.

Il ne faut pas beaucoup d’imagination pour imaginer ce qui va se passer bientôt ; il n’y a pas d’héritier politique et ses héritiers matériels feront, à plus ou moins brève échéance, ce qu’ont fait les héritiers des Agnelli* : ils essaieront de dépersonnaliser les entreprises, en créant un réseau qui leur permettra de survivre, quel que soit le système politico-économique qui prendra le relais dans quelques années. Parce que nous sommes en guerre et qu’à la fin du conflit (qui se terminera tôt ou tard), on ne peut pas savoir ce qui se passera. S’ils ne répètent pas les erreurs de la famille turinoise, qui a raté le train de la voiture électrique, ils donneront un sens au travail accompli dans la société italienne par le monde berlusconien.

Car celui du Cavaliere était un monde que la gauche n’a pas su créer pour donner du rêve au pays et de l’exemple au monde. Sans le mazarinisme* de Dell’Utri*, sans le colbertisme privatiseur de Tremonti*, sans le talleyrandisme de Gianni Letta*, sa dimension politique n’aurait pas existé et la création de cette zone grise qui unit le rêve et la terrible réalité n’aurait pas été possible. Un rêve dans lequel des acteurs de la Commedia dell’arte comme Mike Buongiorno*, Corrado* ou Raimondo Vianello* sont devenus des personnages de la Commedia, capables de donner leur vie en spectacle et même d’arrêter les voleurs, avec un style digne de l’épisode de Saint François avec le loup.

Car des personnages comme Renato Nicolini*, capables de faire ressortir l’esprit festif et populaire des Italiens et de neutraliser la nuit tragique de la Première République, ont été mortifiés par la gauche, qui préfère privilégier des figures à la Fouché et les faire accéder à des responsabilités étatiques.

Pendant ce temps, beaucoup d’hommes de gauche de la génération du Cavaliere rêvaient d’imiter ses exploits avec le monde féminin ; ceux qui ne le pouvaient pas se contentaient de regarder les saloperies national-populaires qui déferlaient, d’abord sur la télévision puis sur les médias sociaux naissants. La droite a ainsi formé une génération de femmes à l’estomac blindé, capables de tout accepter pour conquérir le pouvoir, tandis que le monde féministe se contentait de défendre quelques victoires limitées (divorce, avortement) et de se réfugier sur l’Aventin de la différence. Don Camillo et Peppone sont remplacés par des couples réels qui constituent des “opposés qui s’attirent”, dans le reality show que nous vivons tous les jours et qui remplace la vraie vie.

Politiquement, Fratelli d’Italia récupérera le réservoir électoral, mais courra le risque de mourir de boulimie, évoquant ainsi la grande littérature européenne de la Renaissance. Car la boulimie de pouvoir, dont les signes se sont manifestés dans les nominations effectuées au cours de ces mois de gouvernement en l’absence du contrôle de Berlusconi, est difficile, voire impossible à soigner.

Le Cavaliere aimait le système du marché libre (tel qu’il s’est imposé au fil du temps, avec tous ses faux mythes et ses pièges économiques), mais il craignait le marché mondial et se souciait de garder des amis parmi ceux qui s’y opposeraient. Il aimait commander mais n’aimait pas la guerre, il veillait à ses intérêts familiaux mais avait des sourires et des larmes pour tout le monde (celles versées à Brindisi en mémoire des migrants albanais du Kater y Rades, déjà alors victimes de l’Europe forteresse, où en 1997 je ne crois pas qu’un membre quelconque du gouvernement “de gauche” [Prodi-Veltroni] se soit rendu, n’étaient pas feintes).

Lorsqu’en 1994, lors des élections uninominales au scrutin majoritaire, Berlusconi s’est présenté dans une circonscription clé de Rome, j’ai pensé que la gauche devrait lui opposer un symbole tout aussi populaire sur le plan national, que la “ménagère de Voghera”* ; au lieu de cela, elle a désigné Luigi Spaventa*, un bon économiste, ex-ministre et héritier de l’histoire familiale qui a suivi celle de l’État italien depuis ses origines, et elle a perdu. Il y avait à Rome de nombreuses femmes anti-berlusconiennes, simples et fortes, comme Annarella* de Trastevere, qui auraient bien représenté le peuple, lequel - à première vue - n’aurait pas fait confiance à cette nouveauté au parfum antique. Au lieu de cela, rien.

Aujourd’hui, la droite est dans l’état des communistes après Staline : elle n’a plus de rêve, elle ne peut avoir que des regrets, et elle a glissé dans une guerre qu’elle n’aime pas mais qui est nécessaire pour faire des affaires en l’absence de pouvoir réel dans les médias et pour avoir cette licence de “lutte pour la démocratie” qui lui manque encore. Et que veut faire la gauche, celle qui aime la démocratie mais n’en voit pas la trace dans les gouvernements démocratiques ?

L’histoire nous rappelle qu’il est essentiel de s’arrêter et de réfléchir, de défendre sa mémoire dans des moments difficiles comme ceux-ci, d’attendre au bord du fleuve et de réorganiser les idées et les forces.

La guerre en Ukraine a brouillé le sens des choses et submergé les consciences ; peut-être l’UE perdra-t-elle ce conflit, comme l’Allemagne l’a fait lors de la Première Guerre mondiale, sans avoir perdu de bataille. Ou bien elle le gagnera et fera à cette occasion ce que la France a fait (avec les autres alliés) : elle a trop demandé et a ainsi favorisé Hitler. Ou bien elle fera comme l’Italie en 1943, se réveillant soudain du cauchemar et essayant de s’allier à quelqu’un qui lui permettrait de panser les plaies d’un conflit sans sel ni saveur fait pour conquérir l’Empire...

La mort de Mister Bi fait sombrer la droite au pouvoir, plus Frau von der Leyen que notre propre présidente du conseil ; les apparences semblent très différentes, mais ce n’est qu’une question de temps.

Nous, qui croyons en une démocratie honnête, avec ses petits mérites et ses vrais défauts, n’avons d’avenir que si nous voulons et pouvons reconstruire le rêve d’une démocratie populaire, autrefois appelée démocratie progressiste. Ce rêve a été remplacé par Mister Bi avec des feux de la rampe désormais éteints.

*NdT
S’asseoir au bord du fleuve : allusion à l’aphorisme chinois, attribué à Lao-Tseu ou Confucius et devenu proverbe italien « Assieds-toi au bord du fleuve et attends : tôt ou tard, tu verras passer le cadavre de ton ennemi ».

Morotei
 : désignait les amis d’Aldo Moro au sein du courant plus large des Dorotei, les « modérés » de la Démocratie-Chrtéienne, opposés à Fanfani-Segni-Rumor, qui s’étaient structurés lors d’une réunion au couvent de Santa Dorotea.

Monté sur le terrain : allusion à l'expression désignant l'entrée en politique de Berlusconi en janvier 1994 : la "discesa in campo" (la descente sur le terrain, l'entrée sur le terrain), expression empruntée au lexique du football, tout comme le nom de son parti, Forza Italia, "Allez l'Italie", reprenait le slogan du Mondial de 1982.

Antonio Taajani: militant dans ses jeunes années du Front de le jeunesse monarchiste, officier de l'armée de l'air, cofondateur avec le Cavaliere de Forza Italia, président du Parlement européen de 2017 à 2022, aujourd'hui ministre melonien des Affaires étrangères.

Mazarinisme : le cardinal Mazzarini (1602-1661), successeur de Richelieu , fut le principal ministre d’État du royaume de France pendant les 18 dernières années de sa vie. Ses partisans étaient appelés les mazarinistes par les Frondeurs.

Marcello Dell’Utri : assistant personnel de Berlusconi, mafieux et condamné pour cela.

Giulio Tremonti : ministre de l’É
conomie et des Finances dans plusieurs gouvernements Berlusconi, s’est par la suite rapproché de Fratelli d’Italia.

Mike Buongiorno, Corrado et Raimondo Vianello : amuseurs publics, héros notamment de l’émission Les trois ténors sur Canale 5 [télé berlusconienne] en 1998.

Gianni Letta : directeur du quotidien de droite Il Tempo, bras droit de Berlusconi, grand faccendiere (magouilleur) de Forza Italia et de ses avatars. Oncle d’Enrico Letta, démocrate-chrétien de gauche entré au Parti Démocrate.

Renato Nicolini (1942-2012) : architecte, dramaturge et maire-adjoint communiste  chargé de la culture de Rome, , il eut le courage de lancer en 1977 l’Été romain, pour alléger la chape de plomb que faisait peser sur les habitants de la capitale la chasse aux Brigades rouges.

La ménagère de Voghera : équivalent italien de la ménagère de moins de 50 ans française.

Luigi Spaventa (1934-2013) : économiste, fils d’économiste, banquier, politicien “de gauche”. (Son nom signifie “effraie, fait peur”).

Annarella : morte en 2017 à 91 ans, cette communiste du quartier populaire de Trastevere (Outre-Tibre) s’est rendue célèbre par ses diatribes en dialecte romain devant les palais du pouvoir, qui lui ont valu une notoriété télévisuelle. Si elle avait duré plus longtemps, elle aurait sans doute battu Kim Kardashian en nombre de followers sur les social media, comme on dit en italanglais. Les cibles favorites de ses imprécations : Berlusconi (“se deve levà dalla faccia della terra, sto zozzone”, il doit disparaître de la surface de la terre, ce salopiaud),  et Beppe Grillo.

 

 Giuseppe Veneziano, Je ne suis pas un saint , de la série Petites œuvres immorales, acrylique sur toile, 2018