Luis E. Sabini Fernández, 9/9/2022
Traduit par Rafael
Tobar, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala
Dark
Waters
Réalisé en
2019 par Todd Haynes, Dark Waters est un film usaméricain primé et
aclamé, qui a été produit et interprété par Mark Ruffalo. Le scénario de Mario
Correa et Matthew M. Carnahan est basé sur l’article The
Lawyer Who Became DuPont's Worst Nightmare de Nathaniel Rich dans le
New York Times. Il raconte l’histoire réelle de l’avocat Robert Bilott, exposant
clairement l'idéologie dominante aux USA, au-delà du contenu explicite du film,
et pour lequel il a été très bien accueilli.
Bilott,
avocat dans un cabinet dédié à la défense des patrons d’entreprises, lui-même
originaire de Virginie-Occidentale, apprend qu'un des voisins de sa grand-mère
est confronté à la mort inexplicable de vaches de son élevage.
Il a 190
vaches mortes, qu'il a au départ enterrées « comme si c’était des membres de la
famille », dit-il à Bilott, mais au fur et à mesure que les ravages mystérieux s'étendent,
l’éleveur se rend compte que les eaux du ruisseau local ont été contaminées, et
il se voit contraint de brûler les carcasses ensemble.
Ses terres
jouxtent le terrain d’un laboratoire de l’entreprise DuPont, et, vu qu’on est dans
la seconde moitié du 20e siècle, l’éleveur se demande inévitablement
quel poison provient de ce terrain.
Le rôle du
protagoniste du film est au départ ambigu : il veut sincèrement aider le voisin
de sa grand-mère (qui vit dans une maison qu'il a bien connue dans son
enfance), un éleveur moyen qui s’appelle Wilbur Tennant, mais ses collègues du
cabinet le préviennent qu’il serait insensé de se bagarrer contre l’entreprise DuPont.
Bilott
essaie donc de porter plainte dans la limite d’un délai de prescription, afin
de corriger certaines irrégularités qu'il ne comprend pas lui-même.
L'avocat qui
représente l’entreprise DuPont, vieux copain du monde des petits arrangements
entre amis, n'accepte aucune conciliation, pas même celle que Bilott avait
timidement prévu de proposer.
L’avocat de la défense et l’entreprise
Et
l'incursion de Bilott dans le dédale des dispositions commerciales et
juridiques lui fait découvrir l'univers des produits toxiques et des poisons
utilisés en toute impunité.
Il apprend
peu à peu que les études et les analyses qui se font, tant celles de
l'entreprise que celles commandées à des tiers, révèlent des dommages que DuPont
passe sous silence.
L’entreprise
est protégée par des avis « scientifiques» (en fait, signés par des
scientifiques) attestant de l'innocuité ou de la faible nocivité des substances
chimiques étudiées.
Ce n'est pas
nouveau. Le téflon ne fait que répéter, en matière de santé, la tendance de nombreux
autres polymères à haut rendement commercial, économique et financier.
Cette
merveille technologique fut découverte « par hasard » en 1938 par Roy J.
Plunkett (comme l’immense majorité des plastiques dérivés du pétrole découverts
dans la première moitié du 20e siècle).
Et en 1945,
il a été breveté et commercialisé :
«
Depuis qu’elle a été enregistrée, la
marque Teflon™ est devenue immensément populaire et reconnue dans le monde
entier pour ses propriétés antiadhésives[1].
Elle est
utilisée dans les : « revêtements pour ustensiles de cuisine ; les tissus et
les imperméabilisants antitaches et antisalissures; les revêtements pour des
environnements de production et industriels difficiles ».
Peut-être
aurait-il été utilisé dans des revêtements industriels sans le potentiel
pathogène qu'il a révélé lorsqu'on l’appliqua sur des casseroles et des poêles,
en contact direct avec nos aliments.
«Plunkett
reçut la reconnaissance de la communauté scientifique, universitaire et civile
du monde entier pour sa contribution. Il a été intronisé au Plastics Hall of
Fame en 1973 et au National Inventors Hall of Fame en 1985.
D'après la
transcription ci-dessus, nous pouvons voir que le téflon faisait partie du
techno-optimisme des hommes d'affaires qui n'étaient pas prêts à perdre le
business à cause de quelques personnes affectées.

Rob Bilott
sur les terres des Tennant, près de Parkersburg, Viginie occidentale. Photo
Bryan Schutmaat pour le New York Times
La ténacité
de Bilott et, surtout, celle de Tennant, qui, même malade (car ce ne sont pas
seulement ses vaches qui ont été contaminée et tuées), lui permettra de
poursuivre ses efforts pour localiser la source des dégâts.
Aussi,
lorsque DuPont tente de calmer le jeu en accordant une mini-indemnité de 16
millions de dollars à un certain nombre de victimes, et en s'appuyant sur une
décision de l'EPA (Agence usaméricaine de protection de l'environnement), à une
époque où l'entreprise continuait d’empocher un milliard de dollars de ventes
annuelles sur ses «produits fantastiques» et où Bilott lui-même est tenté,
Tennant ne cède pas et insiste pour
combattre DuPont.
Il est
lui-même déjà atteint d'un cancer, tout comme sa compagne.
Tennant n'a
pas seulement dû affronter l'entreprise contaminante, contrefaisante et
meurtrière ; il n'a pas non plus reçu de soutien local, car ses voisins ont fui
tout contact, le critiquant pour avoir mordu la main de ceux qui modernisaient
l'endroit avec un établissement modèle...
On peut
comparer Wilbur Tennant et son incroyable persévérance à la lutte d'un
agriculteur victime du glyphosate contre une autre entreprise géante, Monsanto.
Percy
Schmeiser, un Canadien, a également fini
par gagner un procès après des années et des décennies de contamination, de
harcèlement, d'abus et de chicaneries.
Les produits
toxiques finiront par rendre malades d'autres voisins de Tennant et des travailleurs
de l'usine de Parkersburg, en Virginie occidentale.

L'usine
chimique située près de Parkersburg, en Virginie occidentale, à l'origine de la
contamination au centre du recours collectif contre DuPont. Photo Bryan
Schutmaat pour le New York Times