28/08/2023

GIDEON LEVY
Quand la Cour suprême d’Israël agit comme un tribunal militaire

Gideon Levy, Haaretz, 27/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le requérant numéro 6 est une fillette de 3 ans. Le plaignant numéro 5 est une fille de 11 ans. Le demandeur numéro 4 est un excellent élève du secondaire. Le demandeur numéro 3 fait partie du personnel de nettoyage du centre médical Hadassah, à Aïn Karem. Le plaignant numéro 1 est un entrepreneur en rénovation et le numéro 2 est sa femme. Ils vivent tous ensemble dans un appartement délabré dans le camp de réfugiés de Shu’faat  à Jérusalem.


Israël a l’intention de démolir leur maison et ils ont fait appel à la Haute Cour de justice dans une vaine tentative de faire annuler ce décret méprisable. La Haute Cour, en sa qualité de plus haut tribunal militaire d’Israël, a approuvé la démolition jeudi. Rien n’était plus prévisible.

Toutes les quelques semaines, les juges de la Haute Cour sont appelés au service de réserve. C’est le cas lorsqu’ils entendent des requêtes contre l’establishment de la défense. Ils ne portent pas d’uniformes militaires, comme il se doit, ni d’insignes d’officiers, mais la Cour est vêtue de kaki et fonctionne exactement comme le tribunal militaire de la base d’Ofer. Il est difficile de distinguer les différences entre les juges de la Haute Cour et le moindre juge militaire, sommé d’approuver une quelconque injustice.

Les deux cours ont un objectif idéologique identique : légitimer, blanchir et approuver tout ce que le service de sécurité Shin Bet et l’armée exigent ; refuser toute requête demandant une mesure de justice, une observation des droits humains ou un peu d’humanité à quant à l’occupation. Le phare de la justice éteint alors sa lumière, et l’obscurité s’installe jusqu’à ce que le tribunal revienne à des affaires civiles, où sa nature éclairée se révèle à nouveau.

Même dans cette réalité déprimante, certains points sont particulièrement intéressants. C’est le cas de l’arrêt 5933/23, rendu dans le cadre d’une requête déposée par la famille de l’enfant M.Z., accusé d’avoir poignardé un policier sans causer sa mort. Le policier est décédé lorsqu’un agent de sécurité a ouvert le feu. La famille de l’enfant a demandé à la Cour d’empêcher la destruction de leur maison. 


Uzi Vogelman, vice-président de la Haute cour 

Alex Stein, ancien champion d'échecs en Union soviétique, a supprimé sa page Facebook, dans laquelle il attaquait la Haute cour, une fois qu'il y a été élu sur recommandation de la ministre Ayelet Shaked en 2018


Gila Kanfi-Steinitz, première femme d'origine mizrahie élue à la Cour suprême en 2022. Mariée à un député du Likoud

Par une majorité de deux juges vicieux contre un vertueux, Alex Stein et Gila Kanfi contre Uzi Vogelman, la Cour a approuvé la démolition. Il est toujours bon d’avoir un juge éthique dans la position minoritaire, afin de ne pas briser complètement le prestige largement reconnu de la Cour.

On peut supposer que les trois juges n’ont jamais visité le camp de Shu’faat et qu’ils n’ont aucune idée de la vie qui y règne. Il s’agit de l’un des camps de réfugiés les plus durs. Les juges ont toutefois pris connaissance d’un rapport sur l’interrogatoire du père de l’enfant, mené par un agent du Shin Bet appelé “Majdi”. 



Au point numéro 10 de ce rapport, l’agent a écrit que le garçon était un ami de Mohammed Ali Abu Saleh, qui a été abattu le jour où une autre maison du camp a été démolie après qu’il eut menacé les forces israéliennes avec un fusil jouet. Selon l’acte d’accusation, M.Z. a trouvé un couteau près de la maison de sa tante et a décidé sur un coup de tête de poignarder un policier en réponse au meurtre de son ami. Ses parents et ses frères et sœurs n’avaient probablement aucune idée de ses intentions, mais sa sœur de 3 ans va maintenant payer le prix de son acte. Aujourd’hui, elle aussi va devenir sans-abri, grâce à la Haute Cour de justice.

La démolition de maisons est une punition collective, un crime de guerre. Raser la maison de la famille d’un garçon de 13 ans est plus grave et encore plus inconcevable. La démolition des maisons des agresseurs palestiniens, jamais de celles des agresseurs juifs, est la marque par excellence d’un système judiciaire fondé sur l’apartheid. Le fait que la Haute Cour de justice n’ait même pas attendu la condamnation du garçon - son procès est toujours en cours - ne fait que prouver que lorsqu’il s’agit de Palestiniens, il n’y a pas besoin de procès.

M.Z. a poignardé un policier dans un bus après que son ami a été tué lors d’une démolition dans le camp. Aujourd’hui, le prochain attaquant, qui grandira sur les ruines de la maison de M.Z., s’échauffe sur la ligne de touche. L’affirmation des juges majoritaires - que la démolition dissuadera les parents – est ridicule. Il est triste de constater à quel point elle est déconnectée de la réalité. À l’entrée du camp de Shoafat se trouve un poste de contrôle où des Sturmtruppen [troupes d’assaut] règnent sur les habitants. La police attaque le camp tous les jours et toutes les nuits et maltraite ses résidents. M.Z., 13 ans, était assez grand pour comprendre qu’il devait faire quelque chose. Les arbitres de la justice ont estimé que sa famille devait être cruellement punie. L’ignominie est au-delà des mots.


Le coup d'État militaire contre Salvador Allende vu par un général chilien
Extraits du livre Un ejército de todos, de Ricardo Martínez Menanteau

La Jornada, 27/8/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Avant même sa présentation officielle, le livre Un ejército de todos, écrit par le général à la retraite Ricardo Martínez Menanteau, commandant en chef de l'armée chilienne entre 2018 et 2022, a déjà provoqué des remous au sein de la direction militaire du pays. Le 50e anniversaire du coup d'État qui a renversé le président Salvador Allende et instauré la dictature sanglante d'Augusto Pinochet est un moment délicat pour la coexistence entre les dirigeants civils et l’establishment militaire, qui n’a jamais reconnu la responsabilité des militaires dans ce chapitre atroce de l'histoire chilienne.


Le Corps des généraux et amiraux (retraités) a adressé il y a quelques jours une lettre au président Gabriel Boric pour lui signaler que les activités commémoratives du 11 septembre “sont en train de provoquer une plus grande division parmi nos compatriotes” et affirme : « nous ne pouvons pas garder un silence coupable devant tant d'agressivité et de dénigrement des forces militaires et policières qui ont effectivement participé - sans l'avoir cherché ni voulu - à la rupture institutionnelle de 1973 », laquelle « semble avoir été réalisée unilatéralement par les Forces armées, oubliant que ses causes n'ont jamais été générées dans les casernes ».

Au grand dam de ses compagnons d'armes, Martínez Menanteau - un homme qui a rejoint l'armée à l'âge de 15 ans et l'a quittée après en avoir été le plus haut commandant - lancera un livre unique ce mardi à l'Aula Magna de l'Université catholique de Santiago, « Conçu à l'origine comme un document destiné à sauver et à renforcer l'éthique militaire au sein des forces armées », il « vise à revaloriser l'image de l'armée aux yeux du public » et à « contribuer, 50 ans après la rupture de notre coexistence nationale, à l'indispensable réunion de tous les Chiliens », selon la présentation de l'ouvrage. Cependant, Un ejército de todos constitue une reconnaissance crue et sans précédent, formulée de l'intérieur des forces armées, de certaines des plus graves violations des droits humains, de la légalité et de l'honneur militaire perpétrées par les porteurs d’uniformes.

En raison de la pertinence et de l'intérêt de cette perspective unique, à la veille du 50e  anniversaire du coup d'État du 11 septembre 1973, La Jornada offre à ses lecteurs, en exclusivité pour le Mexique, quelques extraits de Un ejército de todos, avec l'aimable autorisation de l'éditeur JC Sáez.- La rédaction de La Jornada


René Schneider, chef de l'armée chilienne, assassiné peu avant que Salvador Allende ne soit déclaré président.

Assassinat du général Schneider

En mai 1970, le commandant en chef [le général René Schneider] a défini une politique qui devait guider la conduite de l'armée. Elle s'inscrivait dans la continuité de l'approche institutionnelle historique du respect de la Constitution de la République, que la presse a appelé jusqu'à aujourd'hui la “doctrine Schneider”. Elle réaffirme un précepte fondamental de l'armée, qui est de soutenir et de respecter la charte fondamentale du pays.

Lorsqu'on lui a demandé quel était l'objet de ces candidatures, le commandant en chef a répondu : « Notre doctrine et notre mission consistent à respecter et à soutenir la Constitution politique de l'État. Conformément à celle-ci, le Congrès est le maître et le souverain dans le cas mentionné et notre mission est de veiller à ce qu'il soit respecté dans sa décision » (interview au journal El Mercurio, 8 mai 1970).

Cet engagement en faveur de la Constitution lui a coûté la vie. Deux jours avant l'accord entre la Démocratie chrétienne et l'Unité populaire au Congrès pour l'élection de Salvador Allende, le 22 octobre 1970, alors que le commandant en chef de l'armée se rendait à son travail, un groupe d'individus d'extrême droite a encerclé le véhicule, tirant plusieurs coups de feu sur le général, qui est décédé quelques jours plus tard à l'hôpital militaire, compte tenu de la gravité de ses blessures.

L'assassinat du général Schneider a impliqué des civils et des militaires actifs et retraités, qui auraient été soutenus par la Central Intelligence Agency (CIA) des USA.

En ce qui concerne la participation de cette entité étrangère, il convient de souligner que le 18 octobre de cette année-là, des communications ont fait état de l'envoi d'armes et de munitions en provenance des USA, arrivées à l'ambassade des USA au Chili et destinées à être utilisées pour l'enlèvement du commandant en chef de l'armée.

Dans l'une des notes de la CIA, il est indiqué que « la neutralisation de Schneider sera une condition préalable essentielle au coup d'État militaire, car il s'oppose à toute intervention des forces armées pour empêcher l'élection constitutionnelle d'Allende ».

Les armes fournies par la CIA auraient été livrées à un groupe d'officiers chiliens dirigé par les généraux Camilo Valenzuela et Roberto Viaux, qui ont joué le rôle principal dans la planification et la direction du groupe qui a attaqué et tué le général Schneider.


Carlos Prats est mort avec sa femme Sofía Cuthbert dans un attentat à Buenos Aires.

Nomination du général Prats comme commandant en chef

Après l'assassinat de Schneider, le président Frei Montalva a nommé l'officier qui le suivait dans l’ordre d’ancienneté, le général Carlos Prats, une décision qui a ensuite été ratifiée par le président Allende.

Il est important de souligner qu'après les élections de septembre 1970 et dans la période précédant son assassinat, les généraux Schneider et Prats, ainsi que les commandants en chef de la marine et de l'armée de l'air, ont été autorisés par le président de la République et son ministre de la défense à fournir des conseils techniques aux groupes parlementaires qui négociaient la réforme constitutionnelle connue sous le nom de statut des garanties démocratiques, à fournir des conseils techniques aux groupes parlementaires négociant la réforme constitutionnelle connue sous le nom de Statut des garanties démocratiques, qui établit à l'article 22 que « la force publique est constituée uniquement et exclusivement des forces armées et du corps des carabiniers, institutions essentiellement professionnelles, hiérarchisées, disciplinées, obéissantes et non délibératives. Ce n'est qu'en vertu d'une loi que l'on peut fixer l'effectif de ces institutions. L'incorporation de ce personnel dans les forces armées et les carabiniers ne peut se faire que par l'intermédiaire de leurs propres écoles institutionnelles spécialisées, à l'exception du personnel destiné à exercer des fonctions exclusivement civiles ».

Cette réforme reflétait deux objectifs inhérents aux armées du monde : la défense du monopole de l'usage des armes et le souci des carrières professionnelles initiées par leur formation dans les écoles mères.

L'assassinat du général Schneider a été un événement triste et funeste et un affront à l'éthique militaire. Il est clair que lorsque des officiers de haut rang perdent leurs références éthiques et conspirent avec des activistes politiques fanatiques pour des causes fondées sur un patriotisme erroné, en fin de compte, c'est l'armée qui subit des dommages qu'il sera très difficile de réparer. Un officier général enseigne toujours à ses troupes et est un phare, même s'il ne s'en rend pas compte. Son exemple est une référence et dans ce cas, il s'agit d'une honte pour l'institution, même si le crime lui-même a été commis par des civils.

Cet assassinat ignoble a non seulement abrégé l'existence d'un commandant en chef en exercice, mais a également détruit la vie d'un soldat exemplaire dans le respect et la défense des institutions démocratiques de la république.

Face à ce crime, il est également condamnable que, dans les années qui ont suivi, les commandants institutionnels n'aient pas honoré sa mémoire, sans aucune explication. Ce n'est qu'à la fin du gouvernement militaire que son nom a été progressivement mis en valeur. Sa figure a été politiquement justifiée par des secteurs qui ont défendu des positions opposées, ce qui a certainement influencé cette inaction institutionnelle.

Incorporation du personnel militaire dans les cabinets politiques

Suite à la grave crise politique, économique et sociale qui a commencé à se développer sous le gouvernement de l'Unité Populaire, le président Allende, pour tenter de renverser la situation, a nommé un cabinet comprenant des membres des forces armées, connu sous le nom de cabinet “civilo-militaire”. Quelques mois plus tard, il a mis en place un cabinet dit de “sécurité nationale” avec les commandants en chef institutionnels. Sa mission consistait essentiellement à contrôler les actions subversives en cours et à rétablir l'ordre public.

Avec cette décision présidentielle, soutenue par certains membres de l'Unidad Popular et contestée par d'autres, les forces armées, une fois de plus dans l'histoire du pays, ont été reconnues comme garantes de la normalité institutionnelle, ce qui n'était rien d'autre que la confirmation du rôle latent susmentionné, puisqu'avec cette mesure, elles étaient à nouveau impliquées dans la situation politique, après 40 ans d'exercice strictement militaire et de marginalisation par rapport à la politique contingente.

Cependant, l'implication des forces armées n'était pas seulement de nature ministérielle, puisqu'elle s'étendait également aux entreprises d'État. En effet, dans une quarantaine d'organismes, tels que la CORFO [Corporación de Fomento de la Producción, Société de promotion de la production], la Commission de l'énergie nucléaire et d'autres, il y avait une représentation militaire [...].

La participation militaire au gouvernement de l'Unité Populaire a eu deux lectures au sein de l'institution militaire : l'une qui donne un rôle délibératif aux forces armées en plaçant les commandants en chef et les officiers généraux dans des fonctions ministérielles, et l'autre qui prouve la subordination militaire à l'Exécutif, dans ce cas précis pour éviter la confrontation violente résultant des grèves et pour garantir des élections normales en mars 1973, afin de respecter l'institutionnalité.


Le “Tanquetazo”

En juin 1973 se déroule l'épisode connu sous le nom de “Tanquetazo”, un soulèvement du 2e  Régiment blindé, une unité dans laquelle il y avait du mécontentement, en particulier parmi ses jeunes officiers, qui avaient des contacts avec des civils de Patria y Libertad, un groupe d'extrême droite qui incitait à un soulèvement militaire. La situation a été maîtrisée par le général Prats et les protagonistes de ce mouvement ont été accusés de soulèvement et de manquement aux devoirs militaires. Une fois de plus, un groupe de militaires a été instrumentalisé par des mouvements politiques qui cherchaient à s'imposer par les armes. Une fois de plus, l'ethos militaire a été dépassé par des événements politiques extérieurs à l'institution.

Il est très important de souligner la position du général Prats dans la période turbulente qui a suivi l'assassinat du général Schneider et sa confirmation dans ses fonctions par le président Salvador Allende.

Le général Prats publia un document intitulé “Définition doctrinaire institutionnelle”, dans lequel il soulignait, entre autres, ce qui suit :

« (...) La fonction de l'armée est exclusivement professionnelle ; c'est la même que celle fermement maintenue dans le passé, ratifiée par le général Schneider dans les moments critiques des événements nationaux et confirmée par le commandant en chef soussigné depuis qu'il a pris ses fonctions ».

Plan de régulation de l'organisation de l'armée en temps de paix

Pendant son commandement, le général Prats a entrepris diverses actions pour améliorer la cohésion spirituelle et l'endoctrinement du personnel de l'armée, par le biais d'un programme de visites aux unités dans tout le pays, expliquant la pensée institutionnelle et profitant de l'occasion pour s'informer sur le moral et les besoins les plus urgents du personnel.

Parallèlement, il se concentre sur la réalisation du “Plan de régulation de l'organisation de l'armée en temps de paix”, basé sur le “Plan d'acquisitions” élaboré par le général Schneider, dont l'objectif est d'accroître les capacités opérationnelles de l'armée en la dotant d'équipements modernes.

Il se préoccupe aussi particulièrement de l'égalisation des salaires des militaires avec ceux des autres institutions des forces armées. Il promeut la réforme constitutionnelle de l'article 22 qui établit que les forces armées sont “professionnelles, disciplinées, hiérarchisées, obéissantes et non délibératives”, approuvée le 9 janvier 1971.

Prats propose au gouvernement une loi accordant le droit de vote aux sous-officiers des forces armées de la nation, qui est adoptée en 1972. Il a promu la loi 17.798, qui établissait le type d'armes devant faire l'objet d'un contrôle, les sanctions pour la création et le fonctionnement de milices armées, la possession ou le port d'armes interdites, et l'entrée non autorisée dans les locaux militaires et policiers, entre autres. Cette initiative juridique n'a jamais abouti, compte tenu de la polarisation du pays.

La Chambre des députés en appelle aux forces armées

Face à la crise qui sévit, le 22 août 1973, la Chambre des députés lance un appel à l'implication des forces armées dans la crise politique. Cet appel d'une fraction du Congrès réaffirme le rôle latent attribué aux Forces armées que nous avons défendu.

Comme on peut le constater, les institutions armées ont été confrontées en 1973 à deux situations extrêmement critiques qui allaient marquer l'avenir, principalement celui de l'Armée.

Ces convulsions atteignent l'institution elle-même, qui est affectée par les bouleversements sociaux que connaît le pays. Celles-ci sont accentuées par des événements tels que la manifestation des femmes d'officiers devant le domicile du commandant en chef, qui aboutit finalement à sa démission pour éviter les divisions internes.

La crise politique, économique, sociale et institutionnelle de la période 1970-1973 a conduit les forces armées à prendre une décision extrême, sans précédent au cours du siècle, qui a consisté à déposer le président de la République et à prendre en charge le gouvernement du pays, autrement dit à réaliser un coup d'État (pronunciamiento militaire).

Les droits humains sous le gouvernement civilo-militaire (1973-1990)

Le 11 septembre 1973, le haut commandement des forces armées et des forces de sécurité décide de réaliser un coup d'État contre le gouvernement du président Salvador Allende et de prendre la direction du pays en raison de la grave crise qui s'est déclenchée. Cette étape historique, dont les répercussions se font encore sentir aujourd'hui, marque le début d'une nouvelle étape institutionnelle en matière de doctrine militaire et de droits humains.

Ce contexte exceptionnel a obligé les membres de l'armée à concentrer leurs années de formation et leurs valeurs sur des activités inédites et diverses, le tout dans une atmosphère nationale de grande tension et de polarisation. L'armée a dû déployer son personnel pour couvrir toutes les fonctions requises, des plus hautes charges aux tâches les plus simples, en recourant même à l'utilisation de réservistes dans les premiers temps. Certains ont été affectés à des tâches gouvernementales, d'autres ont été commissionnés pour des activités de renseignement national ou politique (non militaire), et un troisième groupe, la majorité, a poursuivi ses tâches militaires de routine.

Ce compte rendu ne tente pas d'analyser au cas par cas ce qui s'est passé, mais plutôt de mettre en lumière les événements qui ont remis en question - et dans de nombreux cas violé - certains préceptes moraux, individuels et institutionnels et les principes de la responsabilité militaire.

L'auto-exil du général Prats

Le 15 septembre 1973, à l'aube, l'ancien commandant en chef de l'armée, le général Carlos Prats, a été transporté à Portillo à bord d'un hélicoptère Puma. Ensuite, dans sa voiture privée et escorté par une patrouille militaire, il est arrivé à Caracoles où, après avoir accompli les formalités douanières correspondantes et pris congé de l'escorte, il a remis une lettre adressée au général Augusto Pinochet, dont les principaux paragraphes indiquaient : « L'avenir dira qui s'est trompé. Si ce que vous avez fait apporte le bien-être général au pays et que le peuple sent réellement qu'une véritable justice sociale est imposée, je me réjouirai d'avoir eu tort de chercher si ardemment une solution politique pour éviter le coup d'État. Je vous suis reconnaissant pour les facilités que vous m'avez accordées pour me permettre de quitter le pays ».

Les exigences imposées à un officier général ou supérieur dépassent de loin celles imposées à ses subordonnés. Sa responsabilité est très élevée, car une décision ordonnant à un subordonné d'effectuer une tâche peut modifier l'interprétation de la valeur de ce dernier. En effet, l'exercice d'une valeur dans des circonstances extrêmes peut être soumis à un certain degré d'interprétation.

Un élément fondamental du maintien de la discipline militaire est que les ordres donnés par un supérieur doivent être légaux, d'où l'impératif qu'ils soient exécutés par les subordonnés. L'ordonnance générale de l'armée précise que la discipline dans les relations entre militaires n'est pas un acte de soumission, mais au contraire un acte de réflexion profonde, par lequel les subordonnés abandonnent une partie de leur liberté d'action pour permettre à un commandant d'accomplir une mission dans le cadre d'un code légal, réglementaire et professionnel. Un subordonné est donc obligé d'obéir aux ordres émanant d'un supérieur, bien qu'il soit doté de la capacité de représenter à ses supérieurs les conséquences d'ordres incorrects, illégaux ou injustes.

Dans les pages du livre Ejército de Chile : Un recorrido por su historia, il est clairement et explicitement indiqué : « Les violations des droits de l'homme qui se sont produites au cours de cette période et auxquelles ont participé des membres de l'armée - qu'elles soient la conséquence d'actes dérivés de l'obéissance due, d'un usage disproportionné de la force, d'excès individuels ou d'actions fortuites - ont été une blessure profonde infligée au devoir militaire ».

 

La Caravane de la mort

L'un des épisodes les plus condamnables en matière de droits humains sous le gouvernement militaire a été la visite du général Sergio Arellano Stark et de sa suite dans différentes garnisons du nord et du sud du pays en octobre 1973, dans le but supposé de “réviser et d'accélérer les procès” des prisonniers politiques. Cette expédition, connue à ce jour sous le nom de “Caravane de la mort” a laissé derrière elle la trace douloureuse d'exécutions massives, de dizaines d'individus sortis des prisons, sommairement abattus, sans avoir bénéficié du droit à une procédure régulière. La mission de ce général peut être décrite comme une tâche parfaitement planifiée depuis Santiago, exécutée selon un programme identique dans chaque ville, avec un comportement très indiscipliné de ses membres pour intimider le personnel subordonné dans les unités et pour donner des conseils voilés et déguisés sur le terrain sur la manière de procéder avec l'“adversaire”.

Le général responsable, agissant en sa qualité de “délégué du commandant en chef de l'armée”, s'est délibérément tenu à l'écart des lieux des fusillades, distrayant les commandants de régiment dans des activités sans importance, tandis que des membres de son entourage sortaient des personnes des prisons et les abattaient ou ordonnaient à des membres de l'unité de le faire, impliquant intentionnellement le personnel du régiment dans de fausses cours martiales.

Les faits et le dossier judiciaire confirment que la mission du général Arellano était d'accélérer les procédures dans les lieux où les commandants auraient fait preuve de faiblesse après le 11 septembre 1973 (“commandants pusillanimes”, selon ses propres termes). Mais sur le plan juridique, cela n'était pas possible, car la délégation ne comptait pas de conseiller juridique dans ses rangs. Dans cette situation dramatique, les capitaines, lieutenants et sous-officiers n'avaient d'autre choix que d'exécuter les ordres de leurs supérieurs sous la menace d’être déférés cour martiale.

Il ne faut pas oublier que le haut commandement de l'époque avait déclaré, par le décret-loi n° 5 du 12 septembre 1973, que l'état de siège décrété pour cause de troubles intérieurs, compte tenu des circonstances que connaissait le pays, devait être considéré comme un “état ou temps de guerre” aux fins de l'application des sanctions prévues par le code de justice militaire et d'autres lois pénales, ce qui signifiait que le non-respect des ordres par les militaires pouvait constituer un motif suffisant pour être fusillé.

Lors d'une confrontation entre le général Arellano et le capitaine Patricio Díaz au sujet des exécutions à Copiapó, le général nie catégoriquement avoir ordonné l'exécution de prisonniers politiques, tandis que le capitaine déclare que "...la raison qui me pousse le plus à dire que le major Haag (commandant du régiment d'Atacama à Copiapó) exécutait des ordres supérieurs est que les 16 exécutions à Copiapó ont eu lieu exactement pendant la période de séjour de mon général Arellano et de sa suite dans la garnison. En complément de ce qui a été dit, je tiens à préciser que ni avant ni après la présence de mon général Arellano à Copiapó, aucun détenu n'a été exécuté...» Ce qui précède confirme clairement que sa tournée dans chacune des villes où des meurtres ont été commis a été le résultat d'un ordre exprès de cette autorité.

Le statut du général Arellano en tant que “délégué du commandant en chef de l'armée” lors de cette tournée a été très important et décisif pour les résolutions adoptées, car il représentait en sa personne l'autorité du commandant en chef de l'armée devant les commandants militaires qui le recevaient dans les différentes garnisons.

 Cette délégation implique une grande responsabilité de la part de celui qui transmet ce pouvoir à un subordonné, en l'occurrence le général Pinochet, et de la part de celui qui le reçoit de l'utiliser avec le plus grand jugement, la plus grande responsabilité et la plus grande justice, le général Arellano.

On peut donc en déduire qu'il y a eu un comportement antérieur visant à susciter la peur et à impliquer les membres de toutes les unités visitées, en leur confiant la responsabilité de se confronter aux parents des personnes touchées et en laissant ainsi les jeunes officiers et sous-officiers de ces régiments comme la face visible des exécutions.

Les actions du général Arellano étaient absolument contraires à l'honneur militaire. En outre, il n'avait aucune considération pour ses subordonnés, ce que confirme la déclaration du juge Juan Guzmán Tapia lui-même, chargé de l'enquête judiciaire sur ces crimes, lorsqu'il raconte ce qui s'est passé à Copiapó en réponse à un ordre donné par le général Arellano, (...) « cependant, les deux sous-lieutenants ont représenté l'ordre, c'est-à-dire qu'ils se sont opposés à son exécution. Nonobstant, une fois l'ordre représenté, ils ont de nouveau été contraints de s'y conformer, car s'ils ne le faisaient pas, ils seraient jugés militairement pour les crimes de trahison et d'insubordination, crimes perpétrés “en temps de guerre” et passibles de la peine de mort » (...). Il en découle que le général susmentionné n'était pas responsable des conséquences de ses actes. Quant aux officiers chargés d'exécuter les ordres, ils ont tous deux été poursuivis et purgent actuellement leur peine à Colina I. Ainsi, Arellano n'a jamais répondu de ce qui s'est passé sous son commandement, ce qui lui a valu la répudiation des personnes concernées et de toute l'institution.

En résumé, ces événements dramatiques ont causé des dommages irréversibles à la population en raison des condamnations à mort arbitraires sans procédure régulière, ordonnées par un général de l'armée, et une grave atteinte à l'image de l'institution militaire, certains de ses membres ayant été contraints de tirer sur des civils sous la menace de la mort, alors même que certains d'entre eux purgeaient déjà des peines.

Enfin, il est important de mentionner que le type d'ordres que le général Arellano a reçu du commandant en chef de l'armée n'a jamais été clarifié ; en revanche, ses performances lui ont valu une promotion au sein de l'institution, par résolution du commandant en chef.

Assassinat du général Prats

Outre les crimes de la Caravane de la mort et d'autres qui se sont produits, l'assassinat de l'ancien commandant en chef, le général Carlos Prats, et de son épouse, Sofía Cuthbert, qui a eu lieu en septembre 1974 dans la ville de Buenos Aires et dont certains membres de la DINA ont été tenus pour responsables, a été également un crime lâche, cruel et répréhensible, ainsi qu'une honte institutionnelle. Bien qu'il ait été perpétré par un organisme de sécurité n'appartenant pas à l'armée, la plupart des personnes condamnées par les tribunaux étaient des membres de l'institution.

Selon le dossier d'enquête, l'agent de la DINA Michael Townley, de nationalité usaméricaine, a placé un engin explosif dans la voiture de Prats et, le 30 septembre 1974, à 00h50, il l'a fait exploser à l'aide d'un dispositif télécommandé au moment où le couple rentrait chez lui, provoquant la mort instantanée des deux personnes.

Des années plus tard, le 5 juin 2009, le commandant en chef de l'armée, Óscar Izurieta, a fait une déclaration sur cette situation lors de l'inauguration du camp militaire de San Bernardo, [il a dit] à propos du général Carlos Prats : « ... l'armée chilienne, son commandant en chef et les milliers d'hommes et de femmes qui la composent, condamnent publiquement la bassesse de cette action et désavouent les auteurs d'un crime aussi ignoble, ainsi que les personnes indifférentes qui n'ont pas apporté leur réconfort et leur soutien aux filles d'un commandant en chef assassiné... ». Il a ajouté : « ... si la participation d'anciens militaires à ces deux crimes est confirmée par une sentence exécutoire, un acte du plus grand déshonneur aura été commis. De plus, si l'attentat contre la vie du général Prats est déjà une atteinte à l'honneur militaire, la mort de son épouse constitue un outrage à notre culture militaire et à la notion de famille à laquelle nous tenons tant... ».

Les détenus disparus

Les plus de 1 000 détenus qui ont disparu pendant le gouvernement militaire constituent l'une des pages les plus sombres des violations des droits humains au cours de cette période et représentent une plaie ouverte dans l'âme nationale.

Ne pas avoir remis les corps des victimes au moment de leur mort et ne pas l'avoir fait des années plus tard lorsque les enterrements ont été effectués dans des fosses clandestines dans le cadre d'une opération décidée par le commandant et approuvée par les commandants supérieurs de l'époque représente un grave affront à l'éthique militaire et un affront très douloureux pour les familles touchées.

C'est aussi, et à juste titre, l'un des facteurs les plus déterminants dans les accusations portées aujourd'hui encore contre l'armée par les différentes organisations de défense des droits humains.

 

 

27/08/2023

RATIK ASOKAN
La longue lutte des travailleurs de l’assainissement en Inde

 Ratik Asokan, The New York Review of Books, 24/8/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 Ratik Asokan est un auteur d’articles sur les arts et la culture et traducteur né à Mumbai (Inde) et vivant à New York.


Pendant des siècles, le système des castes a contraint les travailleurs dalits [“intouchables”] à manipuler des excrétions humaines dans des conditions mortelles. Aujourd’hui, ils se soulèvent.

Parmar, un “balayeur” employé par la Brihanmumbai Municipal Corporation, Mumbai, 1999-2000; photo de Sudharak Olwe, tirée de sa série In Search of Dignity and Justice : The Untold Story of Mumbai’s Conservancy Workers (2013).

Un homme disparaît sous terre tandis qu’un autre émerge à la surface. Un troisième s’accroupit sur la route entre eux, tournant entre les deux trous d’égout, dans lesquels ils montent et descendent sans appui. Aucun des hommes ne porte de vêtements appropriés. Celui qui se trouve en surface porte des sous-vêtements blancs qui tranchent avec la crasse environnante. Les deux autres sont torse nu, leurs membres sont couverts de crasse, leurs cheveux sont mouillés et aplatis. Les signes de leur travail sont éparpillés à proximité : un seau, une chaîne rouillée, quelques tiges grossières. Au bord du cadre, on distingue des semelles de chaussures qui s’éloignent sur un sol plus propre.

Cette photo fait partie d’une série de photographies extraordinaires que Sudharak Olwe a réalisées entre 1999 et 2000 sur les Safai Karamcharis de Mumbai, c’est-à-dire les travailleurs de l’assainissement. Leur travail consiste à ramasser les ordures et à balayer les rues de la ville, à nettoyer les égouts et les fosses septiques, à charger et décharger les camions à ordures et à trier les déchets dans les décharges. Nombre d’entre eux travaillent avec des outils primitifs et sans uniforme, comme le montrent les photos d’Olwe. Sur l’une d’elles, des travailleurs passent au crible des monticules de déchets à l’aide de balais et de râteaux rudimentaires. Sur une autre, deux travailleurs en gilet et short sont assis sur des déchets dans un camion à ordures. Sur une troisième, un ouvrier fixe l’appareil photo alors qu’il met un chien mort dans une poubelle.

L’image la plus accablante d’Olwe est peut-être un portrait. Le visage d’un Safai Karamchari est vu d’en haut ; son corps est invisible sous une mare noire d’eaux usées. Il a été envoyé pour déboucher une canalisation d’égout, ce qui est une pratique courante en Inde. La loi impose des équipements de protection pour cette tâche : masques à oxygène, combinaisons, gants, bottes. Mais ces équipements ne sont presque jamais fournis, comme l’ont montré d’innombrables enquêtes. Les Safai Karamcharis sont donc en contact avec les déchets humains, qui provoquent des maladies comme le choléra, la bronchite et la tuberculose, ainsi qu’avec les gaz nocifs qui s’accumulent dans le sous-sol. Il s’agit notamment du sulfure d’hydrogène, qui peut rendre aveugle, et du monoxyde de carbone, qui peut tuer.

Les personnes envoyées au secours des travailleurs asphyxiés courent le même danger. En mai, un Safai Karamchari de 45 ans, Nandakumar, est entré dans une fosse septique à Ramnagar, dans l’Uttar Pradesh, et a perdu connaissance ; son fils, puis deux autres membres de sa famille, se sont alors précipités pour l’aider. Aucun n’a survécu. En 2022, le ministre fédéral indien de la Justice sociale, Ramdas Athawale, a déclaré au Parlement qu’au cours des cinq années précédentes, 330 travailleurs du secteur de l’assainissement étaient morts dans des fosses septiques et des canalisations d’égout, ce qui est certainement sous-estimé. Le mouvement social Safai Karmachari Andolan (SKA) estime que près de deux mille personnes meurent chaque année sous terre. Les décès dans ces chambres à gaz sont rapportés quotidiennement dans les journaux, où ils sont qualifiés d’accidents.

Le fait que les Safai Karamcharis soient obligés de pénétrer dans les égouts est un héritage du système des castes. Considérée comme une tâche impure par les hindous, l’élimination des excréments humains a été confiée pendant des siècles aux sous-castes les plus basses, les Dalits, ou intouchables. Cette relation de travail persiste dans toute l’Asie du Sud : on estime que 98 % des Safai Karamcharis en Inde sont des Dalits, tout comme la majorité des travailleurs de l’assainissement au Bangladesh, au Népal et au Pakistan. Dans tout le sous-continent, ils travaillent dans des conditions dangereuses et sont victimes d’ostracisme social. En juin 2017, Irfan Masih, un Safai Karamchari chrétien de la province pakistanaise de Sindh, est décédé après que trois médecins eurent refusé de soigner son corps couvert de boue. Les vrais croyants restent propres pendant le ramadan.

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BRICS, la segunda oficina*

Fausto Giudice, 26-8-2023

Eduardo Eurnekian, que cumplirá 91 años el 4 de diciembre, es la segunda fortuna de Argentina, valorada en 1.900 millones de dólares por Forbes en 2023. Hijo de inmigrantes armenios que empezaron en el sector textil, es fundador y presidente de Corporación América, un conglomerado todoterreno: gestión de aeropuertos (76 en Argentina y en todo el mundo, incluida Armenia, lo que le convierte en el mayor operador privado del mundo), petróleo, gas y energía, agroindustria, cerveza, medios de comunicación, finanzas, infraestructuras (especialmente carreteras). Galardonado con el título de “héroe nacional” en Armenia en 2017, no repara en gastos con los dólares que tanto le cuesta ganar, distribuyendo ayuda humanitaria desde las Malvinas a Chile y desde Haití a Armenia. En resumen, “Eduardo Eurnekian es un formidable modelo a seguir. Su visión va mucho más allá de los límites del campo de acción de la empresa. Tenemos que emularle. Es una luz que nos guía” (Baruch Tenenbaum, fundador de la Fundación Raoul Wallenberg). 

En 2019, fue recibido en... la Academia Nacional de Ciencias de la Empresa (no se puede inventar) de Buenos Aires, ocupando el sitial de Otto Bemberg (1827-1895), el Rey de la Cerveza germano-argentino a quien Juan Domingo Perón comparó con Al Capone. Pero como dijo Don Eduardo: “Si trabajas para ganar dinero, estás jodido. No se trabaja para ganar dinero. Un artista no pinta para ganar dinero. Y un buen empresario es como un artista”.

Hace poco, nuestro artista fue preguntado por el ingreso de Argentina en los BRICS, que por supuesto está alimentando la fiebre electoral en Argentina. Mamma Bullrich, candidata presidencial macrista, ex ministra de Trabajo con De la Rúa y de Interior con Macri, y por lo tanto de memoria doblemente siniestra, declaró de inmediato ante los patrones argentinos y yanquis reunidos en el “Consejo de las Américas”: “La Argentina bajo nuestro gobierno no va a estar en BRICS”, ya que junto a Lula, Putin y compañía, no son más que una manga de comunistas, a los que se sumarán los horribles iraníes, notorios asesinos en masa de judíos argentinos. 

El payaso que probablemente desbancará a la tía Pato [su apodado de joven Montonera] en la primera vuelta y se enfrentará al candidato kirchnerista Sergio Massa en la segunda, Javier Milei, sonó más estruendoso: “No voy a pactar con los comunistas, ni con Brasil, ni con Venezuela, ni con Cuba, ni con Nicaragua ni con China. Nuestro alineamiento de geopolítica es Estados Unidos e Israel”. Que se sepa. Cuando los israelíes puedan comprar tanta soja y carne como los chinos, los barberos de Palermo y Belgrano os afeitarán gratis, así que no haréis falta sacar los dólares.

¿Y qué dijo Eurnekian cuando le preguntaron sobre el ingreso de Argentina a los BRICS?  En lo personal no me molesta. Veo bien el ingreso de la Argentina a los BRICS.

Segunda pregunta: “¿No va a empiojar esto las relaciones de Argentina con Estados Unidos?” 

Respuesta del viejo zorro armenio: “No va a empiojar nada, vos podés tener tu señora y tu amante, negro, tranquilamente. Los BRICS, ¿la segunda oficina de Argentina*?

*Segunda oficina: expresión congoleña para referirse a la amante de un hombre casado.

26/08/2023

Les BRICS, deuxième bureau

Fausto Giudice, 26/8/2023

Euardo Eurnekian, qui aura 91 ans le 4 décembre, est la deuxième fortune d’Argentine, évaluée à 1,9 milliard de $ par Forbes en 2023. Fils d’immigrés arméniens qui commencèrent dans le textile, il est le fondateur-président de Corporación América, une holding tout-terrain : gestion d’aéroports (76 en Argentine et dans le monde, dont l’Arménie, ce qui en fait le plus grand opérateur privé du monde), pétrole, gaz et énergie, agro-industrie, bière, médias, finances, infrastructures (notamment routières). Décoré « héros national » en Arménie en 2017, il ne lésine pas ses dollars durement gagnés, distribuant de l’aide humanitaire, des Malouines au Chili et d’Haïti en Arménie. Bref , « Eduardo Eurnekian est un modèle formidable. Sa vision dépasse largement les limites du champ d'action de l'entreprise. Nous devons l'imiter. Il est une lumière qui nous guide » ( Baruch Tenenbaum, créateur de la fondation Raoul Wallenberg). En 2019, il a été accueilli à … l’Académie Nationale des Sciences de l’Entreprise (ça ne s’invente pas) à Buenos Aires, occupant le fauteuil d’Otto Bemberg (1827-1895), le « Roi de la Bière » germano-argentin que Juan Domingo Perón comparera à Al Capone. Mais comme a dit Don Eurnekian, « Si vous travaillez pour gagner de l'argent, vous êtes foutu. On ne travaille pas pour gagner de l'argent. Un artiste ne peint pas pour gagner de l'argent. Et un bon homme d'affaires est comme un artiste. »

L’autre jour, notre artiste a été interrogé sur l’entrée de l’Argentine dans les BRICS, qui alimente bien sûr la fièvre électorale qui frappe l’Argentine. La mère Bullrich, candidate macriste à la présidentielle, ex-ministre du Travail de De la Rua et de l’Intérieur de Macri, donc de double sinistre mémoire, a aussitôt déclaré devant les patrons argentins et yankees réunis en « Conseil des Amériques » : « Pas question que moi, Présidente, l’Argentine fasse partie des BRICS », qui ne sont, avec Lula, Poutine et compagnie, qu’un ramassis de cocos, auxquels vont s’ajouter les horribles Iraniens, célèbres massacreurs de juifs argentins. Son de cloche plus tonitruant chez le clown qui risque bien de faire gicler Tatie Pato [son surnom quand elle était jeune Montonera] dès le premier tour pour affronter au deuxième tour le candidat kirchneriste Sergio Massa, j’ai nommé Javier Milei : « Je ne ferai pas de pacte avec les communistes. Je ne ferai de commerce ni avec le Brésil, ni avec le Venezuela, ni avec Cuba, ni avec le Nicaragua, ni avec la Chine. Ma priorité, ce seront les démocraties du monde, en premier lieu les USA et Israël ». Qu’on se le dise. Quand les Israéliens pourront acheter autant de soja et de viande de boeuf que les Chinois, les barbiers de Palermo et Belgrano vous raseront gratis, inutile de sortir vos dollars.

Et qu’a répondu Eurnekian aux questions sur l’entrée de l’Argentine dans les BRICS ? «En lo personal no me molesta. Veo bien el ingreso de la Argentina a los BRICS» : « Moi, personnellement, ça ne me dérange pas; je vois ça comme une bonne chose  ». Deuxième question : « ça ne risque pas de compliquer les relations de l’Argentine avec les USA ? ». Réponse du vieux renard arménien : « No va a empiojar nada, vos podés tener tu señora y tu amante, negro » : « ça ne va rien compliquer du tout, tu sais, mec, tu peux avoir ta légitime et ta maîtresse, tranquillement ». Les BRICS, deuxième bureau* de l’Argentine ?

*Deuxième bureau : expression congolaise pour désigner la maîtresse d’un homme marié

GIDEON LEVY
Qusai, 16 ans, se rendait en scooter chez son oncle. Il a été exécuté par la police israélienne

 Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 26/8/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

 Un adolescent palestinien de Jéricho se rendait chez des parents dans la banlieue de la ville lorsqu’il a été pris dans un raid de la police des frontières. Une seule balle l’a abattu et tué. « Deux terroristes ont été éliminés, dont le sujet de votre enquête », a déclaré la police à Haaretz

 

Le père endeuillé, Omar Walaji

 

Le scooter, un SYM 125 cc, est abîmé et éraflé à l’avant et sur les deux côtés. Des taches de sang séché parsèment le plancher, le siège et la carrosserie. Une photo de son conducteur - le jeune, ou plutôt le garçon - Qusai Walaji, est accrochée au guidon du véhicule cassé. Il est garé dans l’arrière-cour de la maison des Walaji, dans la rue Kitaf al-Wad, dans un quartier résidentiel de Jéricho. Cette semaine, il est devenu le mémorial à Qusai, qui y a été tué par balle. Il avait 16 ans au moment de sa mort.

 

Lorsque nous avons rendu visite cette semaine au père endeuillé, Omar Walaji, nous avons parlé pendant un bon moment de son fils et de son exécution par la police des frontières une semaine auparavant. Pendant tout ce temps, Omar s’est montré cordial, facile à vivre, parlant de son fils, qui avait été tué si peu de temps auparavant, comme s’il parlait de l’enfant des voisins. Mais vers la fin de notre conversation, lorsque nous lui avons redemandé s’il avait craqué et à quel moment - il avait d’abord éludé la question - son visage s’est soudain crispé et ses lèvres ont tremblé. Il a essayé de toutes ses forces d’étouffer ses larmes, mais sa retenue a cédé. Il a ouvertement versé les larmes amères d’un père qui pleure son fils bien-aimé.

 

« Vous avez ouvert sa blessure », a dit l’un des deux autres fils d’Omar, qui se trouvaient dans la pièce.

 

Omar a raconté qu’il n’avait pleuré que lorsqu’il avait vu le corps de son fils à l’hôpital de Jéricho, alors que les médecins essayaient, en vain, de le réanimer. Il n’avait pas pleuré depuis, mais là, les larmes coulent de manière incontrôlée. Embarrassé, il s’est précipité dans la salle de bain pour se laver le visage, comme un garçon puni qui a été renvoyé, et est revenu en se cachant le visage dans une serviette. Les pleurs ne se sont pas calmés facilement. Qusai n’est plus là.

 

Qusai a abandonné l’école en dixième année pour aider à subvenir aux besoins de sa famille. Il a travaillé dans un magasin de légumes à Jéricho, qui appartient à son oncle, puis, la nuit, il a travaillé à la maison avec son frère pour préparer des feuilles de molokhia [ou mouloukhiya/mloukhiyé, corète, jute rouge] utilisées pour faire de la soupe, afin de compléter ses revenus. Lors de notre visite, des sacs de plantes étaient posés au fond du salon. La famille du jeune homme est originaire du village de Wallaja, à côté de Jérusalem. En 1948, ils ont perdu leurs terres et se sont réfugiés dans le camp de Deheisheh, près de Bethléem, avant de s’installer à Jéricho. La maison des Walajis est un immeuble de trois étages qui abrite la famille élargie.

 

Il fait extrêmement chaud à Jéricho au mois d’août, et les grands refroidisseurs d’air portables Emek Coolers, fabriqués en Israël, travaillent d’arrache-pied. Omar est un homme petit et trapu de 51 ans qui, jusqu’à la semaine dernière, avait cinq enfants. Ses fils aînés, Ahmed, 26 ans, et Mohammed, 22 ans, tous deux grands et beaux, servent à leurs invités du café amer et des dattes sucrées. Mohammed travaillait jusqu’à récemment dans une succursale de la chaîne de supermarchés Rami Levy dans la colonie de Mishor Adumim - dans « l’exécution des commandes », dit-il en hébreu. Cependant, lorsque la police des frontières a tué son frère, son permis de travail a été automatiquement révoqué. Les familles palestiniennes endeuillées sont toujours punies deux fois : une première fois par la mort d’un être cher et une seconde fois par la privation de leurs moyens de subsistance.

 

Mohammed, à gauche, et Ahmed Wajali, avec le scooter que conduisait leur frère Qusai lorsqu’il a été abattu.

Les frères de Qusai ont essayé de le persuader de retourner à l’école, mais il n’aimait pas étudier et n’y est jamais retourné. Il travaillait au magasin de légumes tous les jours de 16 heures à 2 heures du matin, avant de rentrer chez lui pour s’occuper des feuilles de molokhia. Pendant l’été, les gens préfèrent travailler la nuit et dormir le jour. En effet, lorsque nous avons traversé la ville sous le soleil brûlant de l’après-midi en début de semaine, les rues elles-mêmes semblaient s’être dissoutes sous l’effet de la chaleur.


Le dernier jour de sa vie, Qusai n’est pas allé travailler mais est resté à la maison pour se reposer, comme il le faisait à l’occasion. Seul Mohammed est allé travailler au magasin de leur oncle ; ils avaient l’habitude de s’y rendre ensemble sur le scooter de Qusai. Ce jour-là - le lundi 14 août - Qusai travaillait avec les feuilles, et vers 2h30 du matin le mardi, il est sorti pour acheter des cigarettes. Environ une heure plus tard, il a pris le scooter et s’est rendu au camp de réfugiés d’Aqabat Jabr, situé à la périphérie sud de Jéricho.

 Ces derniers mois, Aqabat Jabr est devenu un lieu militant et sanglant. Presque chaque nuit, les Forces de défense israéliennes et les troupes de la police des frontières font des descentes dans le camp pour exécuter des « opérations d’arrestation » aussi provocatrices qu’inutiles ; à certaines occasions, les soldats se montrent également dans la journée, comme nous l’avons vu lors de notre précédente visite en mars dernier.

Début février, à la suite d’un incident au cours duquel un restaurant appartenant à des colons au carrefour d’Almog Junction, près de la mer Morte, a été la cible de tirs - personne n’a été blessé - les forces des FDI et de la police des frontières ont lancé un assaut de grande envergure sur le camp, d’où elles pensaient que les suspects venaient, et ont tué cinq jeunes gens en une seule nuit, selon les autorités israéliennes. Mais les habitants du camp affirment qu’on ne sait toujours pas exactement qui et combien de personnes ont été tuées, car Israël a conservé les corps. Une mère, qui pensait que son fils avait été blessé, est arrivée dans un hôpital en Israël et a été consternée de découvrir que le patient dans le lit n’était pas son fils - qui, s’est-il avéré, avait été tué ("Jours tragiques dans les annales d’un camp de réfugiés palestiniens, 31/3/2023).

Au cours de l’année écoulée, 13 jeunes Palestiniens ont été tués à Aqabat Jabr - un nombre important pour un petit camp, autrefois considéré comme calme. Le 10 avril, des soldats y ont tué un jeune de 15 ans, Mohammed Balahan ; la semaine dernière, c’était un jeune de 16 ans.

 

Mardi à l’aube, Qusai se rendait chez son oncle et ses cousins, la famille Indi, dans le camp de réfugiés, où il se rendait fréquemment. Environ un quart d’heure après son départ, ses frères ont reçu un message d’un ami du camp indiquant que Qusai avait été blessé et transporté à l’hôpital de Jéricho. Avec leur père, ils se sont précipités à l’hôpital, apprenant quelques minutes plus tard que l’adolescent avait été déclaré mort. Qusai a été enterré aux premières lueurs du jour, car la famille ne voulait pas conserver son corps en chambre froide, nous disent-ils.

 

Cette nuit-là, la police des frontières avait organisé un raid à grande échelle sur Aqabat Jabr, pénétrant dans le camp peu de temps avant l’arrivée de Qusai. S’il avait su que les forces armées étaient entrées dans le camp, il ne se serait pas approché, affirment ses frères. La police des frontières avait pour mission de placer en détention un homme du Fatah, Abu al-Assal, une opération qui a suscité la résistance de militants armés. Les soldats ont pris position sur les toits.

 

Qusai Wajali

 L’oncle de Qusai habite non loin de la maison où l’homme recherché a été arrêté. Dans une autre partie du camp, la police des frontières avait déjà tué Mohammed Najum, un maître-nageur de 25 ans de la piscine de Jéricho, apparemment au cours d’échanges de coups de feu avec les militants. Mais Qusai, un jeune de 16 ans, venait d’arriver en scooter ; il est difficile de croire qu’il avait une arme ou qu’il a participé à la résistance. A-t-il jeté des pierres depuis le SYM 125 ? Cela défie l’entendement. Sa famille dit qu’elle ne peut même pas concevoir un tel scénario. Elle admet qu’elle ne connaît pas encore tous les détails de ce qui s’est passé ; elle n’a pas enquêté elle-même sur l’incident.

 

Selon Aref Daraghmeh, chercheur de terrain dans la vallée du Jourdain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, Qusai est arrivé par hasard sur les lieux après être entré dans le camp et a été abattu à quelques dizaines de mètres de distance. Il est convaincu que Qusai n’était pas armé. Une balle a atteint l’adolescent à la poitrine et il est tombé sur le scooter. Des jeunes l’ont embarqué dans une voiture privée et ont filé à l’hôpital.

 

Un porte-parole de la police israélienne a déclaré cette semaine, en réponse à une question posée par Haaretz : « Le 15/8/23, les forces de sécurité sont arrivées pour procéder à l’arrestation d’un individu recherché et pour fouiller sa maison à la recherche d’armes. Dans le cadre des échanges de tirs qui ont eu lieu entre les forces et les terroristes, deux terroristes qui ont ouvert le feu sur les forces ont été éliminés, y compris le sujet de votre enquête ».

 

L’objet de notre enquête était donc un terroriste.

 

« Il était jeune », dit son père en pleurs, la voix brisée. « Si jeune ».