20/05/2023

GIDEON LEVY
Munira et Amer Sabah avaient déjà perdu six enfants lorsque leur fils de 15 ans a été abattu par des soldats israéliens : il avait un fusil en bois

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 20/5/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Mustafa aspirait à devenir policier et s’était fabriqué un fusil en bois qu’il tenait à porter sur lui. C’est peut-être pour cette raison que les soldats lui ont tiré dessus

Amer Sabah avec une photo de son défunt fils Mustafa

Lorsque Mustafa Sabah, 15 ans, est décédé le mois dernier, ses parents avaient déjà perdu six de leurs onze enfants. Mustafa menait pourtant une vie normale. Aspirant à devenir policier, il s’était fabriqué un fusil en bois et insistait pour le porter sur lui. C’est peut-être pour cette raison que les soldats lui ont tiré dessus

Munira et Amer Sabah ont eu 11 enfants. Cinq sont morts de maladie, un s’est étouffé en mangeant, un autre est en prison. Il y a trois semaines, les soldats des Forces de défense israéliennes ont tué le seul de leurs enfants qui était encore en bonne santé et libre - Mustafa, un garçon de 15 ans. Même l’agonie et la douleur indélébiles exprimées sur le visage de Munira, ou la souffrance gravée sur celui d’Amer, ne racontent pas toute l’histoire de cette famille. Il est difficile de le dire, difficile voire impossible de l’imaginer, mais dans le cimetière de la ville palestinienne de Tuqu’, à l’orée du désert de Judée, reposent les tombes de sept enfants de cette famille malheureuse, toutes alignées.

Toutes les tombes ont été creusées ces dernières années. La dernière en date est celle de Mustafa, dans la poitrine duquel un soldat israélien a tiré une balle de dumdum qui a immédiatement ravagé ses organes internes. Mustafa s’est effondré, mort. Il était en classe de seconde et représentait pratiquement le dernier espoir de ses parents de retrouver un peu de normalité dans leur vie. Aujourd’hui, cet espoir s’est éteint.

Mustafa a été tué il y a trois semaines, le 28 avril, à Khirbet Tuqu’ (site de la Teqoa biblique et de la colonie moderne du même nom), à quelques centaines de mètres de son domicile. Cette semaine, nous avons visité le site où le garçon a été abattu. Nous avons gravi une colline rocheuse, parsemée d’épines, dont le sol est déjà jaune et desséché par la chaleur. Au sommet de la colline, nous avons vu un petit cercle de pierres qui marque l’endroit où Mustafa est mort. Une affiche avec sa photo se trouve au centre.

C’est là qu’il s’est rendu ce vendredi après-midi avec ses amis, apparemment pour jeter des pierres aux soldats qui avaient investi la ville de 14 000 habitants ; c’est là que les soldats ont ouvert le feu à une distance d’environ 50 mètres. Il y avait 20 à 25 enfants et autres jeunes sur la colline, et six soldats au milieu des oliviers au pied de la colline.

Un petit cercle de pierres marque l’endroit où Mustafa est mort

Qu’est-ce que les soldats faisaient là, à une distance considérable de la colonie israélienne la plus proche et aussi assez loin de la route d’Hébron qui se trouve en contrebas ? À Tuqu’, dont deux des trois routes d’accès sont bloquées depuis des mois par l’armée, plus personne ne se demande “pourquoi”. Selon les témoignages recueillis par Amer Aruri, chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, Mustafa était le plus proche des soldats ; c’est peut-être pour cela qu’il est devenu une cible. Deux de ses amis se tenaient à quelques mètres derrière lui. L’un d’eux, un homme de 27 ans, l’a averti de ne pas s’approcher des soldats, mais en vain.

Un poster de Mustafa mort attend les visiteurs de la maison familiale ; un autre grand poster est accroché au centre de l’élégant salon. Aucun des autres enfants décédés n’est commémoré ici, seul Mustafa, le chahid (martyr), dont la mort est aussi la plus récente.

Amer Sabah, 44 ans, père sept fois endeuillé, est chauffeur de taxi sur l’axe Tuku’-Bethléem ; Munira est une femme au foyer de 36 ans. Le couple est cousin, ce qui explique la mort de quatre de leurs filles d’une maladie génétique qui a affecté leur cerveau.

La première à mourir a été Maram, en 2004 ; elle avait 7 ans et était paralysée depuis la naissance. Iman, 8 ans, est morte ensuite, en 2013, après avoir été paralysée depuis l’âge de six mois. L’année suivante, Jadulin est décédée à l’âge de 10 ans ; Aisha s’est éteinte en 2020, à l’âge de 9 ans. Ce n’est pas là toute la mesure des tourments et des deuils subis par cette malheureuse famille : une cinquième fille, Reina, est décédée en 2021 à l’âge de 8 mois, après s’être étouffée en mangeant. Entre les décès des deux dernières filles, l’aîné, Mohammed, est mort d’un cancer. Il avait 17 ans.

Il y a seize mois, le fils des Sabah, Yazen, 18 ans, a été arrêté parce qu’il était soupçonné d’avoir jeté des pierres. Depuis, il est détenu à la prison de Megiddo et attend d’être jugé. Mustafa, 15 ans, ses deux sœurs - Ruah, 6 ans, et Salam, 18 mois - et un frère, Rifa’at, né aveugle et paralysé il y a six mois, sont toujours à la maison.

Munira Sabah, dont le fils Mustafa a été tué par balle. Il lui a dit qu’il avait fabriqué le fusil et que personne n’avait le droit de le lui enlever.

Mustafa rêvait d’être policier, il s’est donc fabriqué un fusil en bois, ce qui a peut-être scellé son destin (nous reviendrons sur ce fusil). (Il aimait nager dans la piscine du village voisin et était un joueur de football passionné. Le dernier jour de sa vie, il s’est levé vers 9 heures, a pris son petit-déjeuner, s’est rendu à la mosquée pour la prière du vendredi, puis est rentré chez lui. Il a travaillé dans le jardin familial pendant que ses parents emmenaient la petite Rifa’at passer un examen médical à Bethléem. Ils ont dit à Mustafa qu’à leur retour, ils iraient faire un barbecue avec sa grand-mère dans un bosquet près de leur maison. Mais à leur retour, vers 15 heures, Mustafa n’était pas à la maison.

Canapés en velours marron dans le salon. Les parents s’assoient séparément. Munira fixe le sol. Ni elle ni son mari ne pleurent pendant notre conversation - leurs larmes semblent s’être taries.

Ils racontent qu’ils ont cherché Mustafa chez sa grand-mère, mais qu’il n’y était pas. À 15 h 30, un habitant a appelé le frère d’Amer pour lui dire que Mustafa se trouvait dans la clinique locale. Ses parents s’y sont précipités. Mustafa gisait là, mort, la poitrine ouverte par une blessure par balle, mais sans une goutte de sang sur ses vêtements. Ses amis l’avaient porté jusqu’à la route et, de là, un habitant l’avait transporté en voiture jusqu’à la clinique, mais il n’était déjà plus là.

« Le dumdum a explosé à l’intérieur de son corps », explique son père sèchement.

Aujourd’hui, ses parents décrivent ce qui s’est passé dans les semaines précédant sa mort. Ils sont convaincus que cette série d’événements a conduit à ce qu’ils considèrent comme l’exécution de leur fils. 

Une affiche sur la clôture de la maison de Sabah porte des photos de Mustafa (à gauche) et de son frère Yazen, détenu en Israël depuis 16 mois. 

 Quarante jours avant sa mort, Mustafa jouait avec son fusil en bois dans la rue, en visant ses amis. Soudain, une patrouille de l’armée ou de la police des frontières est arrivée ; les soldats, qui se trouvaient non loin de sa maison, l’ont poursuivi et ont tiré sur lui, mais il leur a échappé. Sa mère a entendu les coups de feu et s’est précipitée. Elle a trouvé son fils en train de fuir et l’a supplié de se débarrasser de son fusil. Mustafa a refusé. Il a dit à sa mère que c’était son fusil, qu’il l’avait fabriqué et que personne n’avait le droit de le lui prendre, et qu’il ne le jetterait pas.

Il est rentré le soir et ils ont tous dîné ensemble. Elle pensait que l’histoire était terminée. Après tout, le garçon ne faisait que jouer avec un fusil jouet.

Le lendemain matin, un drone a survolé Tuqu’ et un groupe important de soldats et d’agents du Shin Bet est arrivé pour arrêter Mustafa chez lui. Mais une fois de plus, il leur a échappé, se cachant dans la maison de son oncle, située à proximité. Des dizaines de soldats ont encerclé la maison, se souviennent aujourd’hui les parents. L’un d’eux a saisi la chemise d’Amer et lui a dit : « Tu dois ramener Mustafa immédiatement, ou on t’arrête ». Les soldats ont fouillé la maison, mais n’ont pas trouvé le fusil en bois. Ils ont rapporté l’ordre à Amer d’amener son fils.

Mustafa a suivi les événements depuis la fenêtre de son oncle. Lorsqu’il a entendu des cris dans sa maison, provenant à la fois des soldats et de ses parents, il a décidé de se rendre. « Je suis Mustafa », a-t-il dit aux soldats en arrivant chez lui. L’un d’eux l’a saisi et l’a emmené dans la pièce voisine. Ses parents ont entendu les soldats insulter leur fils. Ils ont exigé que Mustafa leur remette le fusil et ont ordonné à Amer de dire à son fils de leur donner l’ “arme”. La femme soldat, dont Mustafa se souvenait depuis l’incident dans la rue, a affirmé qu’à l’époque, il avait pointé le fusil vers elle et avait essayé de lui tirer dessus. Mustafa a répondu, selon ses parents, « Ce n’est pas ma faute si la soldate a cru qu’il s’agissait d’un vrai fusil ».

Dans la pièce voisine, Mustafa a été battu. Les soldats voulaient son fusil. L’agent du Shin Bet qui accompagnait les soldats a menacé de le tuer s’il ne le remettait pas. Mustafa a été menotté, la carte d’identité de son père a été prise et l’unité est partie avec le garçon.

« Il faudra beaucoup de temps avant que vous ne revoyiez votre fils », a dit l’homme du Shin Bet à Amer. Ce dernier en était persuadé. Le lendemain soir, vers 10 heures, Mustafa a appelé son père pour lui dire qu’il avait été libéré et lui a demandé de venir le chercher - il se trouvait près de la prison d’Ofer, à l’extérieur de Ramallah, à une certaine distance au nord de son domicile. Il a dit à son père qu’il avait été emmené au centre d’Etzion, non loin de Tuqu’, qu’il avait été battu mais pas interrogé, et qu’il avait été libéré le lendemain à Ofer.

Dix jours plus tard, il jouait à nouveau avec le fusil dans la rue lorsque des soldats sont arrivés. Ils ont tiré sur ses jambes, mais il n’a pas été touché. Finalement, ils l’ont emmené en détention, dans la tour militaire qui domine Tuqu’, où ils l’ont battu une fois de plus. Entre-temps, Amer a appris que son fils avait essuyé des tirs et avait été arrêté. Inquiet, il s’est dirigé vers la tour et a demandé aux soldats si son fils avait été arrêté, mais ils ont nié. Il a demande au bureau de coordination et de liaison du district si Mustafa avait été blessé ou arrêté. Au bout d’un certain temps, il est informé que son fils n’a pas été blessé mais qu’il est en détention.

La ville palestinienne de Tuqu’, ce mois-ci

Vers 21h30 ce soir-là, Mustafa a rappelé son père pour lui dire qu’il avait été libéré, mais qu’il n’avait aucune idée de l’endroit où il se trouvait. Il a hélé un taxi palestinien, le chauffeur lui a dit qu’il se trouvait près de la colonie d’Efrat, dans le bloc de colonies d’Etzion, non loin de sa maison, et son père est venu le chercher une deuxième fois. Il a raconté à son père que les soldats l’avaient forcé à monter et à descendre de la tour, les yeux bandés.

Son père déclare aujourd’hui que la famille pense que les soldats qui ont abattu son fils deux semaines plus tard savaient qui ils visaient. Munira intervient : « La famille ne le pense pas, elle en est convaincue ».

Cette semaine, nous avons interrogé l’unité du porte-parole de l’IDF sur l’allégation des parents et avons reçu une réponse laconique : « Le 28 avril 2023, dans la région de Tekoa, une foule désordonnée composée de dizaines de personnes a jeté des pierres sur des combattants de Tsahal. Une unité des FDI qui se trouvait sur place a utilisé des moyens pour disperser les troubles et a ensuite tiré sur l’un des principaux participants aux troubles. La mort de Sabah a ensuite été signalée et une enquête de la police militaire a été ouverte. À l’issue de celle-ci, les conclusions seront transmises à l’unité de l’avocat général militaire pour examen ».

Cette semaine, Munira est allée rendre visite à Yazen à la prison de Megiddo, pour la première fois depuis la mort de son frère. Israël n’a cependant pas autorisé le père de Yazen à la suivre. Amer est désormais le père d’un chahid et, à ce titre, il lui est interdit, pour des raisons de sécurité, de rendre visite à son fils incarcéré, presque le seul de ses enfants qui lui reste. Les mots manquent.

19/05/2023

DAVIDE GALLO LASSERE
Nove teses sobre o internacionalismo hoje

Davide Gallo Lassere, euronomade.info/, 31-3-2023
Traduzido por  Florence Carboni, editado por Fausto Giudice, Tlaxcala

Davide Gallo Lassere (1985) é um filósofo italiano que recebeu seu doutorado de Nanterre e Turim com uma tese sobre "Dinheiro e capitalismo. De Marx para as moedas do comum" em 2015. Ele é Professor de Política Internacional e Chefe de Admissões no Instituto da Universidade de Londres, em Paris. PublicaõesFB

Nós também vimos primeiro o desenvolvimento capitalista e, a seguir as lutas dos trabalhadores. Isto é um erro. Devemos reverter o problema, mudar o sinal, partir do princípio: e o princípio é a luta da classe trabalhadora.

(Mario Tronti)

 

Desde o século XIX, o internacionalismo tem sido um dos pilares fundamentais dos movimentos revolucionários, sejam eles antiescravatura, operários, anticoloniais ou outros. O internacionalismo, enquanto extensão do campo de luta além do Estado-nação, é uma das três principais características dos movimentos comunistas, juntamente com a abolição da propriedade privada e o desmantelamento da forma Estado. 

Londres, 1864: fundação da primeira International

Entretanto, se considerarmos a vastidão e a importância da história dos movimentos inter ou transnacionais (de acordo ao modo como se desdobram - se entre ou além das fronteiras nacionais), ficamos surpresos com a riqueza do material empírico e historiográfico em comparação com uma certa pobreza em teorização [1]. De fato, pode-se argumentar que o internacionalismo, enquanto fenômeno histórico e político, é fundamentalmente sub-teorizado. Portanto, poderíamos perguntar até que ponto é possível desenvolver, se não uma filosofia política, ao menos uma teoria social e política do internacionalismo? Ou, ao contrário, indo mais longe, imaginar que existe uma ontologia e uma epistemologia específicas dos movimentos inter e/ou transnacionais? E então, para além das peculiaridades nominais, qual ou quais denominações são mais apropriadas: internacionalismo ou transnacionalismo? internacionalismo subnacional ou transnacional (Van der Linden, 2010)? Local ou global (Antentas, 2015)? Forte ou fraco (Antentas, 2022)? Material ou simbólico? Revolucionário ou burocrático? Comunista ou liberal? Operário? Feminista? Antirracista? Ecologista? O internacionalismo em si mesmo é um meio ou um fim? E, é claro, a lista poderia continuar [2]...

 Paris, 14 de julho de 1889: fundação da Segunda Internacional

Contudo, o que é altamente significativo, hoje mais do que nunca - em um momento de grande crise econômica e social, quando os ventos de guerra entre as potências mundiais estão soprando novamente, em um mundo pós-pandêmico e superaquecido - é o fato de que a questão estratégica do internacionalismo está voltando à vanguarda dentro dos movimentos sociais e políticos: há uma consciência crescente de que estas forças hostis não podem ser derrotadas lutando em ordem aleatória, cada homem por si, confinado dentro do perímetro de nossos Estados-nação, ou permanecendo ancorado nos territórios, implementando exclusivamente práticas micropolíticas. É necessário poder intervir no mesmo nível destes processos, que são por definição globais e planetários. Para isso, devemos ser capazes de desenvolver raciocínios e práticas que estejam à altura dos desafios colocados pela geopolítica, mecanismos de governança, do mercado global às mudanças climáticas etc. Mas, na história dos movimentos radicais e revolucionários, tais raciocínios e práticas são chamados de internacionalismo e, em menor medida, de cosmopolítica [3].

É por isso que hoje parece mais importante do que nunca repensar o internacionalismo. A boa notícia é que não estamos começando do zero. Na verdade, os anos 2010 foram pontuados pela erupção de numerosos protestos e revoltas contra as consequências radicalmente antissociais e antidemocráticas das diversas crises (econômica, política, sanitária, climática, etc.). A má notícia é que a década atual, e as que virão, são, e serão cada vez mais, perturbadas pela intensificação dos confrontos geopolíticos e pelo aprofundamento das possibilidades de uma catástrofe ecológica. Ciclos futuros de luta surgirão em um mundo cada vez mais perturbado por claras contradições e antagonismos. E eles serão forçados a operar neste contexto modificado. O que segue, portanto, são apenas nove teses simples, elaboradas a partir de algumas experiências francesas e europeias, com o objetivo de destacar o que poderia ser considerado os pontos fortes e fracos dos movimentos globais dos anos 2010. Elas pretendem ser uma pequena e parcial contribuição ao debate político imanente a esses movimentos, mas também uma tentativa preliminar e não exaustiva de enquadrar a questão do internacionalismo de forma original, de modo a reler em luz de fundo a história bicentenária das lutas inter ou transnacionais, desde as ressonâncias globais de 1789 até o ciclo altermundialista, passando pelas datas simbólicas de 1848, 1917 e 1968 [4].

 

 Moscou, 1919: fundação da Terceira Internacional

Tese 1: Ontologia I: Fábrica Terrestre

As lutas sociais e políticas estão no centro da transição para o Antropoceno. Enquanto motores do desenvolvimento capitalista, elas são cruciais para compreender os processos que definem as múltiplas crises ecológicas contemporâneas. Dito de outra forma: a explosão das emissões de CO2 na atmosfera e a progressiva destruição da natureza estão intimamente ligadas às lutas de classe e anticoloniais; são um "efeito colateral" da resposta capitalista aos impasses induzidos pelas práticas de resistência e de contrasujeição de subalternos. O aquecimento global, por exemplo, é o resultado de antagonismos entre grupos humanos e, como tal, alimenta ainda mais as tensões sociais, econômicas e políticas. Esta é a ideia básica de parte da historiografia ecomarxista, seu diagnóstico do presente e suas perspectivas de ruptura futura. A mudança de temperatura na Terra - provocada principalmente pelo uso capitalista de combustíveis fósseis - é um produto impuro de conflitos sociopolíticos passados e presentes. Quer se tenha uma visão sincrônica, global ou focalizada na Inglaterra (pré)vitoriana, continua clara a centralidade da luta de classes. De fato, desde meados do século 19, em todo o mundo, a adoção dos combustíveis fósseis como fonte primária de acumulação de capital tem sido imposta à força em reação à rejeição do trabalho e à apropriação da terra pelos trabalhadores e pelos colonizados; foi a combatividade dos explorados que levou o capital e os governos a introduzir primeiro o carvão e a seguir o petróleo e o gás. Como Andreas Malm (2016) e Timothy Mitchell (2013) mostram admiravelmente, a mudança do carvão para o vapor por volta de 1830 e do carvão para o petróleo por volta de 1920 é melhor entendida como projetos políticos que respondem aos interesses de classe do que como necessidades econômicas inerentes às duras leis do mercado.

O que talvez não seja suficientemente enfatizado por esses estudiosos é o fato de que as medidas postas em prática pelas classes dirigentes para domar o conflito implicaram não apenas mudanças sócio energéticas, mutações tecno organizacionais e reconfigurações geoespaciais, mas também uma socialização mais consistente das forças produtivas e uma crescente integração da natureza nas malhas do capital. Desta forma, a Terra - e não apenas a sociedade - tem se transformado cada vez mais em uma espécie de fábrica gigante. Hoje, uma quantidade crescente de relações sociais e naturais está direta ou indiretamente subjugada ao capital. Desde a instrução e a saúde da força de trabalho até as inúmeras externalidades positivas proporcionadas gratuitamente pelo meio ambiente, pelas plantas e pelos animais, quase nada hoje escapa à lógica do lucro. E o domínio da produção social sobre a reprodução natural está alterando o equilíbrio dos ecossistemas ao ponto de ameaçar as próprias condições de sobrevivência da humanidade. Portanto, o próprio internacionalismo requer uma revisão radical. Se, de fato, a globalização do comércio e da produção constituiu a base material do internacionalismo abolicionista e operário, e se a dimensão global do imperialismo representou a arena geopolítica do internacionalismo anticolonial, os efeitos planetários das crises ecológicas configuram toda a Terra como o teatro dos novos confrontos que estão ocorrendo. Esta mudança de paradigma, no entanto, não implica simplesmente uma ampliação de escala e uma complexificação do quadro de referência, mas sim uma verdadeira revolução em nossos hábitos de pensamento e de ação.

Aqui, então, está a primeira tese sócio-ontológica através da qual pode ser elaborado um internacionalismo adequado aos desafios colocados pelo Antropoceno: dentro da fábrica terrestre - que também é resultado de ciclos globais de conflitos anteriores - há não apenas grupos opostos de seres humanos lutando uns contra os outros, mas também seres não-humanos e não-vivos participando plenamente da tragédia histórica em curso. De fato, a destruição de ecossistemas, ambientes, natureza, etc. em uma parte do mundo produz cada ciclos retroativos, imprevisíveis, com efeitos catastróficos em regiões completamente diferentes. E os ambientes e entidades perturbados pela pegada humana são cada vez menos meros fundos inertes; sua violenta irrupção na cena política, como no caso da pandemia de Covid-19, muitas vezes polariza ainda mais os antagonismos, sem que, necessariamente, se abram cenários cor-de-rosa.

Paris, 1938: fundação da Quarta Internacional

Tese 2: Epistemologia: Composição sócio-ecológica

A inclusão do outro-que-humano, não apenas no tabuleiro político, como também enquanto tabuleiro político, vira a mesa de modo profundo. Entre outras coisas, uma tal reviravolta, de tal alcance geral, reveste uma grande importância para a velha questão da classe, de sua composição e organização. De acordo com uma "corrente quente" do marxismo que vai desde os escritos histórico-políticos de Marx até o operaismo italiano, não há classe sem luta de classes. Esse pressuposto atribui uma primazia ontológica à subjetivação política em relação às determinações socioeconômicas. Mario Tronti (2013) relatou esta epopeia antagônica, cujos protagonistas - trabalhadores e capital - encarnam as características místicas de uma filosofia da história culminante na sociedade sem classes. Se a convicção em um futuro radiante não parece mais apropriada, esta abordagem relacional, dinâmica e conflituosa da realidade de classe ainda é válida hoje. Contrários a qualquer visão sociologisante e/ou economicista, os operaístas jamais se conformaram com simples descrições empíricas destinadas a destrinçar a posição objetiva dos sujeitos dentro das estruturas sociais. Para eles, a transição do proletariado para a classe operária não aconteceu automaticamente com base em uma simples concentração em massa de trabalhadores dentro das grandes fábricas do século XIX. Ao contrário, foi o resultado de um salto inteiramente político-organizacional e autoconsciente. Para reconhecer e explicar uma tal mudança qualitativa, os operaístas forjaram o conceito de composição de classe, que esclarece as diferenças materiais e subjetivas que caracterizam a força de trabalho e que devem ser levadas em conta na questão da organização.

18/05/2023

GIDEON LEVY
Nous étions l’avenir d’Israël

Gideon Levy, Haaretz, 18/5/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Nous étions l’avenir, pour reprendre le titre d’un livre de Yael Neeman. Mais aujourd’hui, il est derrière nous. Mardi, nous nous sommes retrouvés une fois de plus sur les rives de la rivière Yarkon pour notre réunion de classe des anciens élèves du lycée Ironi Aleph de Tel Aviv.

Des chars israéliens lors d’un défilé militaire à Tel Aviv, le "jour de l’indépendance", en 1959. Photo : Moshe Pridan, GPO

Nous avons tous environ 70 ans aujourd’hui ; nous en avions 60 la dernière fois que nous nous sommes rencontrés. Mais peu de choses ont changé. Daniella est morte deux jours avant la réunion, Reuven quelques semaines plus tôt. Et pourtant, malgré tout, la plupart d’entre nous sont venus. Nous étions 219 en 1971. En mai 2013, il y a eu 10 décès, 18 ont émigré et 14 ont disparu. J’ai écrit à l’époque : « Nous étions 219 gosses, avec 2 190 rêves ». Il ne reste pas grand-chose de ces rêves. Je rêvais d’être Premier ministre ou chauffeur de bus, selon ce qui arriverait en premier. Mais cela n’a pas été le cas, et cela ne le sera manifestement jamais.

C’était une soirée mélancolique ; peut-être que le succès de ces réunions réside précisément dans leur tristesse. C’est une belle tristesse. C’est l’occasion de regarder en arrière, et il n’y a pas moyen de ne pas être triste - de regarder en arrière pour voir à quel point nous étions beaux et innocents, ce que nous avons accompli et ce que nous n’avons pas accompli. Et malgré tout, nous étions si heureux de nous rencontrer, à en juger par les réactions du lendemain. Nos photos ont défilé sur l’écran - nos enfants et nos professeurs. Ils nous ont semblé si vieux à l’époque, mais aujourd’hui, la vérité est révélée : La plupart d’entre eux avaient l’âge qu’ont nos enfants aujourd’hui. Mon grand-père, à l’âge que nous avons aujourd’hui, marchait déjà avec une canne. Certains de nos professeurs étaient des survivants fous de l’Holocauste, tout comme certains de nos parents.

L’Holocauste était partout, mais nous ne voulions pas le savoir ou l’entendre, ni de la part de nos parents, ni de la part de nos professeurs. Nous pensions qu’ils étaient allés à l’abattoir comme des moutons. Bien sûr, nous n’avons jamais entendu parler de la Nakba, pas même de son nom. Nous n’avons jamais posé de questions sur les ruines qui se trouvaient partout et sur ce qui était arrivé à leurs propriétaires.

Nous étions la première génération de l’État, nés cinq ans après sa création à Tel Aviv, ville laïque, ashkénaze et égalitaire. Aucun d’entre nous n’était très riche ou très pauvre. Nous étions presque tous des sionistes et des patriotes convaincus, à l’exception de Nitza, qui faisait partie du mouvement antisioniste Matzpen.

À la suite d’une rencontre fortuite avec elle sur les marches de Beit Sokolow, Amir et moi avons été envoyés chez le directeur adjoint, qui a sorti les photos que le service de sécurité Shin Bet lui avait remises, exigeant des explications, C’était 50 ans avant le coup d’État qui a détruit la démocratie israélienne.

Nous avons grandi, nous avons grandi. Il y a dix ans, j’écrivais : « La prochaine fois, nous serons moins nombreux et nous serons accompagnés par des auxiliaires de vie philippines », une autre de mes prédictions qui s’est avérée fausse. Nous étions effectivement moins nombreux, mais sans une seule Philippin. Dov a déclaré que la date qui compte pour lui est ce mois d’octobre, le 50e anniversaire de la guerre du Kippour de 1973. Puis il s’est lancé dans un long et douloureux monologue qui montrait qu’il était toujours coincé là, au bord du canal de Suez.

Yigal, qui a vécu aux Pays-Bas pendant des années en tant qu’assistant du gourou de la méditation transcendantale, Maharishi Mahesh Yogi, est venu spécialement d’Amérique, où il est thérapeute. Il portait une grande kippa colorée. Notre dernière rencontre remonte à 31 ans, lorsqu’il a essayé de me persuader d’interviewer un candidat à la présidence des USA appartenant au parti de la loi naturelle. Yigal s’est marié en Amérique il y a quelques années, et lui et sa femme ont adopté un adolescent malien.

Amir m’a rappelé notre voyage à Eilat, qui a commencé au marché de gros de Tel Aviv par la recherche d’un chauffeur de camion pour nous emmener vers le sud. Il s’est poursuivi par un trajet nocturne la nuit où Neil Armstrong a marché sur la lune, le 21 juillet 1969. Et il s’est terminé par un sommeil perturbé sur le sol d’une station-service à l’extérieur d’Eilat. Et j’ai été si heureux de revoir Idit, la première fille que j’ai embrassée, dans la cage d’escalier du 19, rue Bloch.

Il y a dix ans, je pensais que nous étions une génération de ratés, d’enfants moyens qui suivaient le courant, manquaient à l’appel, décevaient et réussissaient peu, à l’exception des 40 avocats que notre classe a produits. Cette semaine, c’était un peu différent : nous avons vécu notre vie. Nous avons fait la paix avec ce qui était, et aussi avec ce qui n’était pas. Il ne nous reste plus qu’à arriver à assister à la prochaine réunion.

17/05/2023

GIDEON LEVY
Les Israéliens veulent-ils vraiment continuer à vivre comme ça ?

 Gideon Levy, Haaretz, 14/5/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Voulez-vous vraiment continuer à vivre comme ça ? Vivre par l’épée, guerre après guerre, toutes plus inutiles les unes que les autres, toutes des guerres de choix, le choix d’Israël, sans avenir et sans but ? C’est la 17e opération contre Gaza en 19 ans. Une guerre presque chaque année. Parfois même, comme en 2004, deux guerres. La dernière devait se terminer samedi soir, à la veille de son sixième jour. Une guerre de six jours.


Des roquettes sont tirées depuis la ville de Gaza en direction d’Israël, le 13 mai 2023. Photo : MAHMUD HAMS - AFP

C’était peut-être la plus inutile et la plus banale de toutes. Une guerre sans but, à laquelle peu de gens s’intéressent. Pendant ce temps, Tel-Aviv profitait d’un concert d’Aviv Geffen dans le parc, et plus tard, on a regardé l’Eurovision. La guerre a éclaté parce qu’on a intentionnellement laissé mourir un détenu. Même les raisons officielles invoquées sont devenues insignifiantes. Ce qui s’est passé ensuite s’est répété avec une précision à glacer le sang, le début, le milieu et la fin, comme lors du tour précédent et de celui d’avant. Seules les quantités de sang et de destruction ont changé d’une guerre à l’autre - dont l’écrasante majorité est toujours du côté palestinien.

C’est l’effroyable banalité de cette dernière guerre qui la rend si dangereuse. Les Israéliens se sont habitués à l’idée que c’est comme ça, qu’il n’y a rien à faire. La pluie en hiver et la guerre en été. Une guerre chaque année, sans cause, sans rien à gagner, sans résultats, sans gagnants ni perdants, juste une saignée périodique, comme un check-up tous les 10 000 kilomètres pour votre voiture. Voulez-vous vraiment continuer à vivre ainsi ? Cette question est plus cruciale que toutes les autres, y compris le bouleversement de la réforme judiciaire, et elle n’est même pas discutée.

Continuer à vivre ainsi, c’est accepter la situation comme un décret du ciel, ou des politiciens faucons et cyniques, avec l’encouragement enthousiaste des commentateurs et journalistes bellicistes, les pom-pom girls de toutes les guerres israéliennes. Il n’y a pas d’opposition à la guerre en Israël, en tout cas pas dans ses phases préliminaires, et donc aucune alternative n’est présentée.

Voulez-vous vraiment vivre ainsi ? La réponse est toujours : “Quel choix avons-nous ?” Il y a une alternative, qui n’a jamais été essayée, mais elle ne peut même pas être proposée. L’éventail des options présentées aux Israéliens ne va que du massacre à la tuerie, de la frappe aérienne à l’opération terrestre. Nous sommes en guerre. Il n’y a rien d’autre.

Continuer à vivre ainsi signifie tuer des gens en nombre effroyable, y compris des enfants et des femmes, pour satisfaire les chefs de guerre, et parfois aussi pour se faire tuer, et ensuite, bien sûr, jouer les victimes. Cela signifie vivre dans la terreur dans le sud et parfois dans le centre d’Israël et ignorer avec une effroyable opacité la terrible terreur qui règne à Gaza. Cela signifie être asservi par les médias qui, la plupart du temps, ne rapportent pas les souffrances de Gaza et qui, lorsqu’ils le font, auraient mieux fait de ne pas le faire.

Encore une fois, il était impossible de comprendre l’ampleur de l’horreur de cette petite guerre sans Al Jazeera. Alors que les médias israéliens étaient occupés à parler de mariages reportés et de concerts annulés, Al Jazeera montrait l’horreur à Gaza. Cette fois, le monde n’était pas intéressé. Il est fatigué. Laissons-les saigner. Une condamnation, un bâillement, un pipi et au lit.

Lorsque les Israéliens commenceront à se demander s’ils veulent vraiment continuer à vivre ainsi, des alternatives apparaîtront. Il n’y a pas de solutions miracles ni de garanties de succès. Une seule chose est sûre : les alternatives n’ont jamais été essayées. On n’a jamais pensé à agir avec maîtrise de soi et retenue. C’est pour les faibles. Nous ne nous sommes jamais demandé quel était le résultat de toutes ces tueries et de tous ces assassinats. Nous n’avons jamais cherché à savoir si ces guerres contribuaient à notre sécurité ou si elles ne faisaient que l’affaiblir. Aujourd’hui, le djihad s’attaque déjà à Tel-Aviv, qui est assiégé. Un jour, les gens apprendront à apprécier la détermination et le courage de ceux qui ont réussi à établir une telle force de résistance à l’intérieur d’une cage, même si nous continuons à crier et à hurler “organisations meurtrières”.

Voulons-nous continuer à vivre comme ça ? Oui. Sans aucun doute. Si nous voulions vivre autrement, il y a longtemps que nous aurions changé de cap, que nous aurions levé le siège de Gaza et que nous aurions discuté de son avenir avec ses dirigeants. Si nous n’avons pas encore essayé, c’est le signe que nous voulons continuer à vivre comme ça. 

16/05/2023

GIANFRANCO LACCONE
Qui sème le vent récolte la tempête
Les catastrophes agricoles ne tombent pas du ciel

Gianfranco Laccone, Climateaid.it, 11/5/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala


Depuis quelque temps, on évoque à grands cris le danger de disparition de la production agricole italienne : de ceux lancés lors de la journée nationale des fruits et légumes (Adieu aux 100 millions de plantes fruitières ! ), à l'appel au soutien de la production nationale de blé dur lancé par une organisation d'agriculteurs des Pouilles, jusqu'aux déclarations faites il y a quelques jours à Macfrut (une importante foire des fruits et légumes qui se tient à Rimini), devant le président Mattarella auquel, paradoxalement, on a exposé les problèmes causés par la sécheresse qui a frappé l'agriculture de la région ces derniers mois, au moment même où se produisaient des pluies diliuviennes qui auraient fait tomber en deux jours la quantité de pluie qui aurait du tomber au cours des mois précédents.


Au cours des 15 dernières années, 100 000 hectares de cultures fruitières auraient disparu. Mais quelle en est la cause ? On ne parle pas de l'utilisation des terres agricoles à d'autres fins, de l'urbanisation effrénée et, à la base, du système économique du marché libre qui, en visant le profit maximum, concentre la production là où elle est la plus rentable, souvent en dehors de l'Italie.

 

C'est cette même concurrence effrénée qui amène du blé bon marché (et de moins bonne qualité) dans les produits de grande consommation (pâtes, boulangerie et biscuits), qui met les agriculteurs (italiens et polonais) en crise, mais pas l'industrie alimentaire - dominée par les marques italiennes - qui, hier, exploitait les produits d'autres parties du monde et qui, aujourd'hui, exploite les lots importés d'Ukraine. Vous souvenez-vous de la campagne visant à libérer les céréales bloquées dans le port d'Odessa ? Elles étaient censées être envoyées aux populations nécessiteuses d'Afrique, mais il est presque certain qu'elles ont fini par devenir un produit d'exportation pour le monde entier, y compris pour nous, bien sûr.

 

Certaines questions telles que la disparition des cultures ou la crise de certains secteurs sont dangereusement utilisées pour protéger un système de marché (la véritable cause de la crise), même avec des motifs “écologiques”, craignant une dégradation de l'environnement en raison de la réduction de la capacité d'absorption du CO2 : une plante adulte capte 100/250 g de poussière et de smog par an, et moins de plantes signifie moins de dépollution. Un discours valable s'il s'agissait de plantes sans intervention humaine ; mais un verger ne naît pas avec un impact nul, car la quantité de smog créée pour obtenir une production agricole (entre celle nécessaire aux intrants productifs et celle nécessaire à leur distribution) réduit fortement la capacité d'absorption : les agriculteurs et les populations vivant dans les zones à plus forte concentration productive le savent bien.  C'est pourquoi il est essentiel de développer un discours agroécologique, dans lequel la réduction des intrants (et donc la réduction des polluants) est combinée à une présence accrue des plantes sur le territoire.

 

Motivées par de nobles objectifs “écologiques”, il y a aussi les demandes très pressantes, aujourd'hui, de soutien aux zones touchées par des “catastrophes environnementales”, de création de réservoirs qui serviraient à collecter et à régimenter l'eau, et de subventions visant à protéger l'agriculture, considérée comme la gardienne de la terre. Là aussi, il y a des incohérences et des non-dits qu'il convient de clarifier, en démystifiant certains clichés.


 

Les inondations d'il y a quelques jours ont touché la région de l'Émilie-Romagne, à la pointe de la production agricole italienne. Le fait que cette région ait été touchée en dit long sur la faiblesse du système mis en place. De même que le Covid a frappé de plein fouet la région de Lombardie, dotée du système de santé le plus “avancé”, montrant ainsi l'incapacité à protéger la masse des populations avec un tel système, aujourd'hui les dégâts causés par un événement qui n'était en rien imprévisible, montrent l'incapacité des systèmes hautement productifs à protéger le territoire et, avec lui, les populations qui y habitent. Il s'agit de repenser l'ensemble du système de production, en éliminant de la perspective la présence de territoires avec des zones cultivées avec un seul type de culture, voire avec une seule variété, pire, avec des plantes toutes dérivées d'un seul clone.  La solution proposée par les partisans de cette planification consiste, en se déchargeant de toute responsabilité, à augmenter les investissements et la dépendance vis-à-vis de mécanismes gérés par d'autres (comme dans le cas de la gestion de l'eau et des réservoirs) en augmentant leur présence sur le territoire : c'est comme si, face à un plafond troué, on augmentait le nombre de bassins sous les trous.

 

Il serait nécessaire de réduire la pression de la production, de différencier la production et les cultures, en insérant dans la même zone des plantes aux systèmes racinaires plus ou moins profonds, aux comportements différents face aux précipitations et aux températures, capables d'atteindre concrètement la résilience ; au lieu de cela, nous sommes toujours à la recherche de quelque chose qui représente la solution finale, à vendre aux agriculteurs par le biais d'une marque brevetée.

 

Le discours économique est encore plus déformé. Une région, un secteur productif, entre en crise : on en cherche alors les raisons parmi les causes “naturelles” (une maladie, une sécheresse, une inondation) et il est inutile d'ajouter que dans ces cas-là, on classe la région comme “touchée par une catastrophe naturelle”, ce qui est suivi par la déclaration de l'état d'urgence et le décompte des dommages, sans aucune autre mesure qui tende à supprimer les causes profondes. Pour les situations de crise qui ne peuvent être attribuées à des causes “naturelles”, on cherche frénétiquement le coupable, presque toujours un agent extérieur, un ennemi de nos productions qui, il va sans dire, sont les meilleures ; enfin, tout cela est une attaque contre notre façon d'être, contre le label “Made in Ital”, fleuron de nos exportations, et contre la culture italienne.

 

Même si le discours semble paradoxal et peut faire sourire, il est proposé dans des termes similaires par des représentants autorisés du monde agroalimentaire qui, face au changement climatique, ne savent pas comment mieux manifester leur surprise face à ce soi-disant “événement tragique” auquel, de temps en temps, même les animaux contribueraient, expression de cette “nature sauvage” que notre civilisation cherche à dominer.

 

Sans la moindre ironie, certains ont attribué ces derniers jours l'effondrement des digues en Émilie-Romagne aux ragondins et aux porcs-épics qui, par leurs tunnels, auraient sapé les travaux de remise en état. Les entreprises, le système de la chaîne d'approvisionnement, la recherche frénétique de l'exportation de la production sont les outils proposés au lieu de garantir une meilleure qualité et une sécurité des revenus pour la vente locale des produits. Quant à la propension écologique des entreprises, elle se réduit souvent à la recherche de compensations adéquates par des contributions extraordinaires ou des “titres” pour pouvoir nettoyer ou polluer ailleurs.

 

L'agriculture italienne n'a pas d'ennemis extérieurs qui la mettent en danger, elle est elle-même, conduite de manière hyper-productive et exportatrice, la cause des dangers qui la minent. C'est ce type d'agriculture qui est le danger, et pour en éliminer les causes, il faut au moins avoir l'humilité d'admettre les erreurs du passé, les sous-estimations, le manque de prévision et de planification et, enfin, le manque d'entretien, principal élément de conservation de ce qui existe. La situation d'alternance de périodes de sécheresse et d'épisodes nuageux est une manifestation du changement climatique, et il est nécessaire de pouvoir vivre avec de telles situations, qui devraient se succéder au cours des prochaines décennies.

Les seuls qui semblent s'en préoccuper sont les jeunes de Fridays For Future ou Ultima Generazione [Last Generation] dont les actions, même si on ne les partage pas entièrement, sont les seules à signaler l'absence, sur ce terrain, des institutions et des organisations sociales (syndicats de travailleurs et de patrons).


 

 

LUIS CASADO
Il condottiero...

Luis Casado, Politika, 15/5/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Cela fait maintenant plus de 60 ans que j'ai fréquenté le Liceo Neandro Schilling à San Fernando. Je ne l'ai jamais oublié, car il a été pour moi - et il l'est toujours - la meilleure preuve de l'excellence de l'enseignement public, laïque et gratuit. Un must.

En écoutant des opéras, un air de Boris Godounov est apparu, et je me suis souvenu que M. Benavides, notre professeur de musique, nous avait parlé de Moussorgski, ainsi que de Rimski-Korsakov et d'autres compositeurs russes.

Ma belle professeure de français avait la gentillesse d'inviter chez elle deux ou trois de ses élèves, dont moi, et de nous faire écouter La vie en rose et Je ne regrette rien de la voix d'Édith Piaf. A cette époque, il n'était pas courant d'avoir un “tourne-disques”. Loin de moi l'idée que, grâce à la dictature et à ses crimes, je finirais par m'ancrer à Paris.

Don Heriberto Soto, professeur d'histoire, a abordé le sujet du Moyen-Âge européen et a évoqué les condottieri. Les quoi ? Au Moyen Âge, un condottiero était un aventurier, un chef de soldats mercenaires mis au service de ceux qui avaient les moyens de les payer. Les mercenaires ont joué un rôle important au service des empires tout au long de l'histoire.

La créativité règne en maître sur le terrain. Les tirailleurs sénégalais étaient des troupes d'infanterie coloniales françaises recrutées en Afrique subsaharienne. Les premiers soldats noirs au service de la France étaient d'anciens esclaves de confiance - les “laptots” - recrutés au XVIIIe siècle pour assurer la sécurité des navires de la Compagnie générale des Indes, qui faisait commerce avec l'Afrique. Mercenaires et affaires allaient souvent de pair.

Les USA en savent quelque chose. Le coût des guerres perdues - Vietnam, Irak, Afghanistan... - est stupéfiant. Plus de 8 000 milliards de dollars pour les guerres au Moyen-Orient après les attentats contre les tours jumelles le 11 septembre 2001, conflits qui ont fait environ 900 000 morts (Watson Institute of Public and International Affairs - Brown University - Boston).

Les USA ont donc renforcé l'OTAN, dont Mon Général disait qu'elle n'était qu'un masque derrière lequel l'Empire cachait sa domination et ses desseins. De Gaulle avait raison. Au fur et à mesure que l'Empire se rétrécit, l'OTAN s'étend. Première cible : la Russie.

Comme vous le savez, la Russie est désormais capitaliste. La querelle usaméricaine ne porte pas sur l'idéologie, mais sur le contrôle de la planète. Le premier objectif était d'encercler la Russie par l'OTAN : tous les pays voisins devaient adhérer à l'Alliance, acheter des armements aux USA, oublier l'industrie européenne de l'armement et obéir.

La Russie a prévenu que mettre en péril ce qu'elle considère comme sa sécurité conduirait à des problèmes, mais c’est tombé dans des oreilles de sourds. Les USA, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, la France et d'autres membres de l'UE ont participé aux manœuvres. Angela Merkel a reconnu que les accords de Minsk, censés mettre fin à l'agression ukrainienne contre deux provinces russophones, n'étaient rien d'autre qu'un prétexte pour armer les fous de Kiev : les mercenaires.

Si, en Europe, la plupart des dirigeants politiques se sont reconvertis en clowns, les USA ont trouvé à Kiev un clown dont ils ont fait un condottiere : Volodymyr Zelinsky.



À l'échelle historique, les sociaux-démocrates allemands Bernstein et Kautsky, qui ont trahi la cause des peuples, sont de vieux godillots comparés à des contemporains comme Tony Blair, Felipe Gonzalez, Josep Borrell et Jens Stoltenberg. Ces deux derniers méritent une reconnaissance particulière : Jens Stoltenberg est secrétaire général de l'OTAN et Josep Borrell secrétaire aux Affaires étrangères de l'Union européenne. Tous deux comptent parmi les promoteurs les plus enthousiastes de la guerre en Ukraine.

Dit comme ça, ça ne veut rien dire. Mais il faut savoir qu'à l'heure où nous écrivons ces lignes, l'“aide” militaire usaméricaine à Kiev s'élève à plus de 73 milliards de dollars. Pour leur part, les pays de l'UE ont apporté une “aide” de l'ordre de 65 milliards d'euros supplémentaires.

Les USA sont aux prises avec une dette publique qui a atteint son plafond - 31 000 milliards de dollars - et qui constitue un danger de déstabilisation de l'économie du monde entier. Le Congrès usaméricain doit voter pour augmenter le niveau de la dette fédérale, une procédure utilisée 78 fois depuis les années 1960, souvent sans débat. Le risque est que les USA se retrouvent en défaut de paiement le 1er juin. Cette fois, les Républicains ne semblent pas prêts à donner plus de mou à Mister Biden.

De leur côté, les pays de l'Union européenne affirment, les uns après les autres, qu'il n'y a pas d'argent pour les écoles, pas d'argent pour les hôpitaux, pas même d'argent pour les investissements. Alors, ils font comme la France : ils dansent sur la musique des investisseurs étrangers et baissent leur froc...

Pendant ce temps, le clown transformé en condottiero parcourt l'Europe pour demander des armes, des avions de chasse, des missiles et tout ce qui lui passe par la tête, tout en cachant dans d'autres pays le bakchich qu'il prend chaque fois que Kiev reçoit de l'argent.

L'objectif immédiat des USA est de soumettre la Russie, puis la Chine.

C'est pour ça qu'ils utilisent ces condottieri....

Cimetière d'Irpin, Ukraine, avril 2022. Photo Zohra Bensemra / REUTERS

 

13/05/2023

AZIZ KRICHEN
Avant qu’il ne soit trop tard : Appel au soutien des paysans de Ghannouch, dans le Sud tunisien

Aziz Krichen, Plateforme Tunisienne des Alternatives, Tunis, 10/5/2023

Chassées de leurs activités agricoles ancestrales dans l’oasis de Gabès – du fait d’une urbanisation irréfléchie et de la sévère pollution engendrée par l’industrie chimique –, de nombreuses familles paysannes de Ghannouch ont été contraintes de se déplacer et de se rabattre sur une zone sebkha, a priori impropre à la culture, plusieurs kilomètres plus au sud, en bordure de la délégation de Métouia. Cela se passait il y a 30 ans, au tout début des années 1990.

Les résultats de cette migration forcée ont été impressionnants. Au terme d’un labeur incessant, repris inlassablement saison après saison, les sols insalubres ont été progressivement amendés et bonifiés. Rendue à la vie, la région dite des Aouinet s’est transformée en un immense verger luxuriant, s’étendant sur près de trois mille hectares. Au fil des années, les premiers pionniers ont été rejoints par d’autres, encouragés par l’exemple. A la fin de la décennie, on pouvait compter plusieurs centaines d’exploitations. La majeure partie de la sebkha a fini par être mise en valeur, ainsi qu’un certain nombre de terrains relevant formellement du domaine de l’État, mais laissées à l’abandon depuis… 1970 et le démantèlement du système coopératif.

Aujourd’hui, les paysans – et les paysannes – de Ghannouch fournissent environ 70% de la production maraîchère totale du gouvernorat de Gabès (tomates, poivrons, oignons, pommes de terre, ail, etc.). Il s’agit, par conséquent, d’une incontestable réussite économique et agronomique. Et d’une formidable réussite sociale.

Où est alors le problème ? Il réside en ceci que la dynamique que l’on vient de décrire s’est déroulée sans l’aide des pouvoirs publics et hors du contrôle de l’administration. Ce qui signifie, en d’autres termes, que les paysans de Ghannouch ne disposent pas de titres de propriété formels pouvant justifier leur occupation de la terre.

Que fait-on dans ce cas ? Deux démarches sont possibles, qui relèvent de deux philosophies politiques différentes :

1) On peut « fabriquer » la propriété à partir du « bas », en conformant le droit à la réalité. D’après cette façon de voir, la solution du problème est simple. Nous avons ici affaire à des paysans productifs, qui fructifient depuis de longues années la terre qu’ils occupent. Cette permanence dans la production et l’occupation peut être attestée par des témoins dignes de foi : les voisins, les autorités locales, etc. Sur la base de tels témoignages, la loi introduit une clause de prescription (dans le droit tunisien, on parle de anjirar almalakiat bialtaqadum انجرارالملكية بالتقادم) et le tribunal foncier attribue de manière automatique des titres de propriétés aux occupants du sol concernés.

2) La deuxième approche prend l’exact contre-pied de la première : elle prétend fabriquer la propriété à partir du « haut », c’est-à-dire depuis l’État, et elle entend forcer la réalité à se conformer au droit existant, même lorsque celui-ci est totalement inadapté et irréaliste. C’est cette approche autoritaire et répressive qui a les faveurs de l’administration tunisienne. Ce qui entraîne des conséquences en cascades : au lieu de fabriquer de la légalité et de l’inclusion sociale, notre législation – un véritable fouillis de règlements superposés les uns aux autres et contradictoires entre eux – fabrique massivement de l’illégalité et de l’exclusion sociale.

Deux exemples pour le démontrer. Dans les campagnes, soixante ans après l’indépendance, l’apurement du statut juridique des terres collectives et des terres domaniales (la moitié du potentiel foncier global de notre agriculture) est toujours en suspens. Dans les villes, la situation n’est pas meilleure : les deux-tiers du parc logement du pays sont aujourd’hui sans titres de propriété et relèvent de ce que la bureaucratie classe, sans sourciller, dans la rubrique « habitat spontané » ou « habitat sauvage ».

Mais revenons à Ghannouch et à ses paysans. Après le 14-Janvier, ces derniers ont multiplié les démarches – aux échelles locale, régionale et nationale – pour essayer de régulariser leur situation. Au début, on s’est contenté de les balader, c’est-à-dire de les renvoyer d’une structure à l’autre. Ensuite, le ton s’est fait plus dur et l’on est passé du faux dialogue à la menace et à l’intimidation. Des poursuites judiciaires ont même été engagées contre plusieurs d’entre eux, pour « occupation de terrains appartenant à l’État », comme si la légalité de l’administration était supérieure à la légitimité des paysans dans l’exploitation de la terre.

Depuis l’an dernier, l’escalade a franchi un nouveau palier, jusqu’à la semaine dernière où un ultimatum leur a été lancé par la police : « Si vous ne quittez pas les lieux, nous allons vous en déloger par la force et des bulldozers viendront raser vos champs et vos habitations ! »

Contactés, les différents responsables à Ghannouch et à Gabès (le gouverneur, le délégué, l’OTD (Office des Terres Domaniales), l’UTAP (Union Tunisienne de l’Agriculture et de la Pêche), etc.) se défaussent les uns après les autres, disant que l’affaire les dépasse. Tout cela se produit, faut-il le souligner, à un moment où la conjoncture économique et sociale n’a jamais été aussi dégradée.

L’ultimatum expire d’ici peu. S’il devait avoir lieu, l’affrontement inévitable entre occupants et policiers pourrait avoir de graves répercussions. C’est la raison pour laquelle nous en appelons au ministre de l’Agriculture pour qu’il use de son autorité et empêche tout recours à la violence. La Tunisie ne peut plus continuer à être gérée de cette façon. Notre production vivrière est en ruine. Notre souveraineté alimentaire n’est plus qu’un slogan. Le chômage ravage notre jeunesse. On ne peut plus laisser à l’abandon des centaines de milliers d’hectares de terres agricoles au motif spécieux que ces terres appartiennent à l’État. Laissons les paysans et les jeunes ruraux travailler. Laissons-les produire. Accordons-leur les droits naturels qu’ils réclament. Arrêtons cette pression insupportable qu’on leur inflige. A deux jours de la commémoration du 12-Mai*, cessons de les voir comme des hors-la-loi. Apprenons à les considérer pour ce qu’ils sont réellement : des acteurs sociaux légitimes, dont le travail est indispensable au relèvement de l’économie, des acteurs qu’il convient par conséquent de protéger et non de réprimer. On ne dirige pas un pays contre sa population.

NdE

* Le 12 mai 1964 est la date de « l’évacuation agricole », la nationalisation des terres coloniales (lire ici)