Iain Overton, AOAV, 6 /10 /2025
Traduit par Tlaxcala
Le 5 octobre
2025, la ministre de l’Intérieur travailliste, Shabana Mahmood, a
annoncé que la police pourrait bientôt imposer des restrictions aux
manifestations dites « répétées ».
Les agents disposeront de nouveaux pouvoirs pour évaluer « l’impact cumulatif »
des rassemblements tenus au même endroit et, s’ils le jugent nécessaire,
pourront ordonner aux organisateurs de se déplacer, de raccourcir la durée de
l’événement ou d’en réduire le nombre de participants.
Cette mesure fait suite à près de 500 arrestations lors d’une
manifestation à Londres la veille, la plupart pour avoir exprimé un soutien au
groupe désormais interdit Palestine Action.
Mahmood affirme qu’il ne s’agit « pas d’une interdiction, mais de restrictions et de conditions ».
Mais en réalité, c’est un nouveau tour de vis dans une lente érosion, depuis plusieurs décennies, du droit britannique de protester contre la guerre et l’atrocité.Les ministres affirment que les manifestations répétées risquent de rendre les communautés juives « inquiètes pour leur sécurité », à la suite du meurtre de deux hommes devant une synagogue de Manchester (l’un par l’assaillant, l’autre tué par les tirs de la police).
Personne ne conteste la gravité de ce crime ni la nécessité de lutter contre l’antisémitisme.
Mais cette politique s’inscrit dans une tendance au tour de vis législatif qui, depuis vingt-cinq ans, rend le droit de contester la guerre de plus en plus difficile à exercer.
Cette loi accordait à la police le pouvoir d’arrêter et de fouiller sans motif dans des zones désignées.
Conçue pour la lutte antiterroriste, elle a rapidement été utilisée contre des militants pacifistes et anti-guerre.
En 2005, un délégué travailliste de 82 ans, Walter Wolfgang, fut expulsé du congrès du parti pour avoir interrompu le discours du ministre des Affaires étrangères sur l’Irak – et détenu en vertu de cette loi. Son crime : la dissidence.
Cette loi visait directement Brian Haw, le manifestant anti-guerre dont le campement de fortune à Parliament Square irritait les ministres et embarrassait le gouvernement.
Désormais, même lire à voix haute les noms des soldats britanniques morts en Irak sans autorisation policière devenait un acte criminel.
Manifester près de Westminster, symbole de la reddition de comptes, devenait un événement réglementé.
Le Police Reform and Social Responsibility Act 2011 abrogea la zone d’exclusion…
Mais il interdit simultanément les tentes, le matériel de couchage et les mégaphones à Parliament Square.
Les veillées prolongées, emblématiques de l’activisme pacifiste, devenaient impossibles.
Ce que la loi donnait d’une main, elle le retirait de l’autre.
En 2015, les Extremism Disruption Orders proposés auraient permis d’interdire des individus accusés de promouvoir un « extrémisme non violent ».
L’ambiguïté du terme alarma les défenseurs des libertés civiles.
Pendant ce temps, la surveillance des manifestants s’intensifiait : bases de données policières recensant les « extrémistes domestiques », infiltration d’agents dans les groupes pacifistes…
Le Police, Crime, Sentencing and Courts Act 2022 redéfinissait la manifestation comme une nuisance potentielle, élargissant le pouvoir policier pour restreindre tout rassemblement – même une protestation solitaire – s’il causait une « gêne sérieuse » ou « plus qu’une perturbation mineure ». Le bruit devint un motif d’arrestation, tout comme « s’attacher » à des bâtiments, creuser des tunnels pour bloquer des travaux, ou même porter du matériel permettant de telles actions.
Il introduisit aussi les Serious Disruption Prevention Orders, permettant d’interdire à des personnes nommées de participer à des manifestations ou d’en faire la promotion sur les réseaux sociaux.
C’était une première : un groupe pacifiste inscrit aux côtés des organisations djihadistes ou néonazies.
Depuis, plus de 1000 arrestations ont eu lieu pour simple soutien verbal ou visuel à Palestine Action.
Amnesty International dénonça une « attaque sans précédent contre le droit de manifester » ; les Nations unies exprimèrent une rare réprobation.
La ministre annonce une révision de la législation sur les manifestations « pour s’assurer que les pouvoirs sont suffisants ».
Une phrase inquiétante.
Les pouvoirs créés pour une crise sont rarement abandonnés à la suivante.
chaque gouvernement hérite des outils du précédent et les perfectionne.
De Blair à Starmer, de zones d’exclusion en ordres de prévention, le résultat est une contrainte cumulative.
Le pays qui accueillait autrefois un million de manifestants contre la guerre en Irak est devenu un lieu où l’on risque l’arrestation pour avoir simplement lu des noms ou brandi une pancarte.
Mais la démocratie n’est pas faite pour être confortable.
Elle exige de la friction, du bruit, et la visibilité du dissensus.
Il limite le droit d’être démocratique.
Mais elle s’inscrit dans une logique cumulative. Ainsi, même si la protestation reste légale en théorie, l’espace pour l’exercer s’est vu grignoté à chaque nouvelle loi prétendant seulement la « mettre en ordre ».
C’est une
réaction précipitée.
Le
raisonnement est familier.
Le droit de
manifester n’a pas été révoqué ; il a été progressivement débridé –
proprement, bureaucratiquement, presque imperceptiblement.
Le processus
a commencé avec le Terrorism Act 2000, adopté par le gouvernement
travailliste de Tony Blair avant les attentats du 11 septembre mais
élargi après ceux-ci.
La même
année, une autre entaille : le Serious Organised Crime and Police Act 2005,
qui interdisait les manifestations non autorisées dans un rayon d’un kilomètre
autour du Parlement.
Lorsque la
coalition arriva au pouvoir en 2010, elle promit de revenir sur les excès
travaillistes.
Les années
suivantes virent surgir des menaces plus subtiles :
Dans les
années 2020, l’érosion redevint législative :
Puis, en
2023, le Public Order Act créa de nouvelles infractions :
En juillet
2025, l’ancienne ministre Yvette Cooper utilisa les pouvoirs
antiterroristes pour interdire Palestine Action – un réseau militant
non-violent ciblant les usines d’armement britanniques fournissant Israël.
Et le
gouvernement continue sur cette lancée.
Aujourd’hui,
la nouvelle doctrine de l’impact cumulatif risque de criminaliser la fréquence
même : une veillée hebdomadaire devant une ambassade pourrait être jugée
excessive.
Les
libéraux-démocrates préviennent : cela ne réduira pas la haine antisémite, mais
affaiblira gravement la liberté d’assemblée.
Le schéma
est clair :
Les
dirigeants politiques affirment qu’il s’agit d’équilibre, pas de répression.
Quand l’État
juge qu’une manifestation est « trop fréquente » ou « trop bruyante », il ne
modère plus la dissidence – il la gère.
Ce n’est pas
la disparition brutale d’un droit, mais la mort par mille coupures, tranchées
petit à petit par des « restrictions et conditions », par des euphémismes bureaucratiques qui
paraissent raisonnables sur le moment, mais regrettables avec le recul.
L’annonce de
ce week-end peut sembler une simple retouche procédurale.
L’excision progressive, l’ amputation lente de la dissidence politique en Grande-Bretagne a été propre et silencieuse.
« Inacceptable : pulvériser de la peinture sur des avions militaires -Acceptable : tirer sur des Palestiniens faisant la queue pour de la nourriture » : Jon Farley, un enseignant retraité de 67, a été détenu pendant 6 heures et interrogé par la police antiterroriste de Leeds pour cette pancarte, reproduisant une affiche du magazine satirique Private Eye.
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