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20/06/2022

GUIDO VIALE
La guerre en Ukraine : comme à Verdun
Bagatelles pour un massacre

Guido Viale, 14/6/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Guido Viale (Tokyo, 1943) est un sociologue et écrivain italien. Il a été un des leaders du mouvement étudiant 1968 à Turin et a dirigé le groupe Lotta continua. En 2014, il a été parmi les initiateurs de la liste L’Autre Europe avec Tsipras aux élections européennes. Auteur de nombreux livres, notamment sur les questions d’environnement.

Nous avons 100, voire 200 « pertes » par jour, dit Zelensky. Selon le général Fabio Mini, même 300. Les pertes sont des soldats « tombés », c'est-à-dire tués, morts, pour être remplacés chaque jour par 100 à 300 nouvelles « unité »" destinées à subir le même sort. Jour après jour. Tout aussi nombreux, sinon plus, sont les « tombés » de l'armée russe, de l'autre côté du front.

Puis il y a les blessés, dont beaucoup sont amputés ou destinés à l'être ; tous, cependant, sont marqués par un traumatisme difficile à guérir. Et puis encore, les morts parmi la population civile, dans une guerre où l'on abat des immeubles d'habitation avec leurs habitants à l'intérieur. Aujourd'hui, c'est l'armée russe qui s'en charge (uniquement ?), où qu'elle arrive, comme hier c'était l'armée et les milices ukrainiennes dans le Donbass.

Il y a peu - et de moins en moins - de perspectives de résolution du conflit dans un avenir proche ; plus probable est une impasse guerrière qui prolonge indéfiniment le bilan quotidien de ce massacre. Car des deux côtés du front, on vise la « victoire », en sachant de moins en moins bien en quoi elle consiste.

Rassemblement de soutien à l’Ukraine au pied du monument à la Victoire, en présence du maire et de l’évêque de Verdun.  Photo Frédéric MERCENIER/L’Est Républicain

Les armes d'il y a cinquante ans ou plus ont presque toutes été consommées, ainsi que les soldats qui les manœuvraient ; il faut maintenant que les « remplacements » arrivent, tant en moyens qu'en hommes. Des hommes de moins en moins aptes au combat, et peut-être même moins prêts à se battre. Des moyens, c'est-à-dire des armes, autant que l'industrie russe sera capable d'en produire et autant que les principaux États membres de l'OTAN, des USA et de l'UE seront prêts à en abandonner, avant d'entrer directement dans le conflit.

Mais même si les armes sont modernes et que les combattants sont habillés comme des « robocops », cette façon de combattre est vieille d'un siècle. L'image qui vient immédiatement à l'esprit est celle de la bataille de Verdun entre la France et l'Allemagne pendant la "Grande Guerre", qui a duré 10 mois dans une impasse et a coûté 140 000 morts et 300 000 blessés et "disparus" - c'est-à-dire également morts - à l'Allemagne et 160 000 morts et 380 000 blessés et "disparus" à la France.

Un massacre. Un siècle plus tard, on a longtemps dit, au point de l'inscrire dans les manuels d'histoire, que les grands États des deux pays qui ont envoyé "leurs" troupes à l'assaut, c'est-à- dire se faire tuer par vagues successives - pour être ensuite "remplacées" par des troupes "fraîches", "vouées", c'est-à-dire condamnées, au même sort - étaient des criminels ; et que cette guerre et cette façon de combattre avaient été un massacre inutile et insensé.

Et si vous dites cela des généraux et des chefs de gouvernement de l'époque, pourquoi ne pouvez-vous pas le dire de ceux d'aujourd'hui ? Certes, aujourd'hui, il y a un agresseur et un agressé, alors que des années plus tard, il est difficile de dire qui était l'agresseur et qui était l'agressé dans la Grande Guerre. L'agresseur aurait été, plutôt que le premier à la déclarer, celui qui avait perdu cette guerre. L'agressé, donc, qui l'avait gagnée. Puis, en faisant un retour historique, on ne peut s'empêcher de reconnaître qu'en pleine Belle époque, les germes du massacre qui allait changer l'histoire du monde couvaient déjà depuis un certain temps des deux côtés.

Et pourquoi ne peut-on pas dire la même chose de cette guerre ? Nombreux sont ceux qui, en dépit de l'ostracisme dont ils font l'objet, affirment que les conditions préalables au déclenchement de l'agression de Poutine contre l'Ukraine avaient été établies depuis longtemps par l'élargissement de l'OTAN (en fait, également à l'Ukraine, bien qu'officieusement, et au milieu d'une agression contre les populations du Donbass). Des prémisses pas très différentes de la façon dont le traité de Versailles avait d'abord favorisé l'ascension d'Hitler, puis déclenché sa guerre d'agression, en comptant que seule l’Union soviétique en payerait le prix.

Aujourd'hui encore, certains, de l'autre côté de l'Atlantique, comptent sur l'Union européenne pour payer le prix de la guerre en Ukraine, en plus des soldats et des civils de ce pays, bien sûr.

Aujourd'hui, les deux parties (mais lesquelles ?) visent la "victoire", ce qui exclut toute possibilité de médiation et de compromis : « ce serait une capitulation », disent-elles. Il n'y a donc que des armes à envoyer. Ceci est principalement dit par ceux qui ne sont pas appelés à se battre. Bien sûr, aujourd'hui, même les soldats et les civils ukrainiens sous le feu russe le disent, ou nous l'entendons dans les reportages télévisés.

Mais comme il y a cent ans, aujourd'hui aussi, ce climat de "mai radieux" qui avait accompagné l'entrée de l'Italie dans la Grande Guerre est destiné à se dégonfler alors que l'absurdité de ce mot d'ordre - "jusqu'à la victoire" - et la multiplication des deuils commencent à percer l'écorce de la fausse fierté qui a rendu possible la mobilisation en Ukraine. Et les premiers signes de cette évolution sont déjà visibles.

Mais plus le temps passe, plus les conditions d'un compromis s'amenuisent : ce qui était encore possible - et relativement simple - avant l'agression russe ne l'est plus aujourd'hui ; ni Zelensky ni Poutine ne peuvent proposer de médiation. Il est moins logique de proposer une médiation tout en continuant à envoyer des armes. Draghi et Macron devraient au moins comprendre cela.

C'est pourquoi, outre les sacro-saintes caravanes de la paix et les initiatives d'interposition prévues, les chances d'un armistice passent aujourd'hui par la lutte incessante contre l'envoi d'armes à l’ Ukraine : tant que Zelensky en reçoit ou a des raisons d'en attendre davantage, il est de plus en plus difficile d'envisager une solution pour mettre fin au massacre.

Mais ce n'est pas lui qui doit se retirer. C'est l'OTAN. La fin de ce conflit passe par là : par le retrait des installations militaires des deux véritables bélligérants. C’est dire à quel point c'est encore loin.

17/06/2022

HAIDAR EID
Écrire notre propre histoire : note de lecture de The Stone House, de Yara Hawari

Haidar Eid, Mondoweiss, 16/6/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

"The Stone House" de Yara Hawari est l'histoire d'un traumatisme palestinien sans fin, enraciné dans la Nakba. Mais c'est aussi un témoignage de fermeté, de résistance et,  j'ose le dire, d'espoir.

Bâtiments dépeuplés dans le village de Lifta, à l'ouest de Jérusalem, le 6 mars 2022. Le village de Lifta, qui se trouve juste à l'extérieur de Jérusalem, est abandonné depuis que l'armée israélienne a chassé les derniers de ses habitants palestiniens en 1948. Photo : Wajed Nobani/APA Images

THE STONE HOUSE
par Yara Hawari
96 pages. Hajar Press, 12,50 £.

Il se trouve que je donnais mes derniers cours de critique littéraire, où je discutais avec mes étudiants de termes littéraires tels que le réalisme et la question de savoir si la littérature peut le transcender et aller «  au-delà du réalisme « , pour ainsi dire, lorsque j'ai commencé à lire la " novella "[roman court] de Yara Hawari, The Stone House. Mais s'agit-il d'une novella, c'est-à-dire d'un genre littéraire qui fictionnalise la réalité ? Il est rare que je finisse de lire une fiction d'une traite, mais ce livre était une exception.

Dans mon autre cours sur le genre, nous lisons des textes palestiniens et sud-africains, de Ghassan Kanafani et Njabulo Ndebele, où nous discutons de l'histoire du point de vue du colonisé et de la manière dont elle offre une alternative à l'histoire officielle, c'est-à-dire à la version plus dominante du colonisateur. Nous comparons ensuite l'histoire de la Palestine et de l'Afrique du Sud et concluons que l'apartheid et le sionisme ont tous deux créé un récit historique dominant qui cherche à éliminer tous les autres récits.

C'est pourquoi j'ai trouvé la (non-)fiction de Yara étonnante ! Écrit/narré du point de vue de trois "personnages" représentant trois générations de Palestiniens des années 1920 et 1930, puis de 1948 (la génération de la Nakba) et enfin de 1968, après la Naksa, lorsque toute la Palestine historique est tombée aux mains des troupes sionistes.  Le centre de la nouvelle, étant une histoire palestinienne, est bien sûr la Nakba et son impact sur le père, la grand-mère et l'arrière-grand-mère de Yara, racontée sur un ton mélancolique. En fait, étant moi-même Palestinien, je dirais certainement que c'est l'histoire de ma propre famille qui m'a été racontée par ma mère et ma grand-mère sous la forme de hekaya, de contes, notre forme d'histoire orale qui a maintenu notre récit en vie malgré toutes les tentatives des puissances plus hégémoniques de l'effacer. Dans la nouvelle de Yara, elle est parfois racontée de manière directe, et parfois sous forme de flux de conscience, personnel et collectif.

Mahmoud, le père de Yara, se voit consacrer le premier chapitre pour nous faire part de l'impact direct de la Nakba sur sa vie, même s'il est né quelques années après. Mahmoud est un citoyen palestinien de seconde classe en Israël, vivant sous le coup des lois racistes d'Israël, un "absent présent", un rappel constant du péché originel d'Israël, à savoir le nettoyage ethnique de la Palestine, et il doit en payer le prix fort.

Le deuxième chapitre est raconté par sa mère, Dheeba, une femme bédouine courageuse et éloquente, mariée à un fellah (agriculteur/paysan) et qui doit faire face à ce fait en plus d'être Palestinienne. Bien que Dheeba soit analphabète, le social et le politique sont abordés de manière fascinante à travers sa conscience.

Le troisième chapitre est consacré à Hamda, l'arrière-grand-mère de Yara, qui nous ramène au début du siècle, lorsque la Palestine était d'abord sous occupation ottomane, puis sous le colonialisme britannique, naïvement bien accueilli par les Palestiniens sur la base d'une fausse promesse de liberté.

Ce qui relie les trois personnages, et le reste du peuple palestinien, c'est la Nakba. Edward Said l'a très bien exprimé dans After the Last Sky, où il voit une ligne entre la vie personnelle de chaque Palestinien et la Nakba. Le thème de presque tous les écrits de Ghassan Kanafani tourne autour de cet événement horrible. La plupart des poèmes de Mahmoud Darwish portent sur l'identité palestinienne après la Nakba. Et Handala de Naji Al Ali est le fils de la Nakba. Le livre de Yara ne fait pas exception.

... [Mahmoud] a découvert que les récits de la Catastrophe se posaient lourdement et douloureusement dans son esprit. Il pouvait les imaginer de manière très vive, avec angoisse, comme s'il s'agissait de ses propres souvenirs. Ils éclipsaient le présent et brouillaient les distinctions dans le temps et entre les générations.

Comme si Yara décrivait mes propres sentiments !

C'est l'histoire de hekayas personnelles, d'un traumatisme sans fin, dont le centre est la Nakba. Mais en même temps, c'est une exposition de Sumud/résistance, muqawama/résistance, Thaakera/mémoire, Hawiyya/identité et... j'ose dire, d'ESPOIR !

C'est pourquoi j'ai décidé de conclure cette note par une citation de Patrice Lumumba, le premier Premier ministre démocratiquement élu de la République démocratique du Congo. :

   « Un jour, l’histoire aura son mot à dire, mais ce ne sera pas l'histoire qu'on enseigne à l’ONU, à Washington, Paris ou Bruxelles [ou Tel Aviv], mais l'histoire qu’on enseignera dans le pays libéré du colonialisme et de ses marionnettes.

    L'Afrique [la Palestine] écrira sa propre histoire et ce sera une histoire de gloire et de dignité ».

 

 

 

GIDEON LEVY
A.B. Yehoshua, le visionnaire de l'État unifié

Gideon Levy, Haaretz, 17/6/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

A.B. Yehoshua était le visionnaire de l'État unifié. Ce n'est pas un hasard si cette pierre angulaire de sa pensée a été laissée de côté dans les nombreux éloges funèbres prononcés à son sujet depuis sa mort, mardi. Yehoshua était le seul de sa génération et de son statut à avoir osé franchir le Rubicon. Il n'a pas terminé la traversée, et peut-être ne l'aurait-il jamais fait, car la route était encore longue ; mais il a osé commencer à y marcher. Contrairement à son cher ami Amos Oz, et à la gauche sioniste en général, Yehoshua a eu l'audace d'admettre l'échec de la solution à deux États et de reconnaître publiquement sa futilité.

A.B. Yehoshua. Photo : Rafaela Fahn Schoffman

 Le reste de ses amis de gauche ont continué et continuent de s'enliser dans cette solution pour apaiser leurs consciences. Voici la solution. Tout ce que nous avons à faire, c'est de la retirer de l'étagère. Mais l'étagère n'existe pas, la solution n'existe pas, et elle n'a probablement jamais existé. En s'enfonçant dans leur faux rêve, ils ne font que nous éloigner de toute solution et renforcer l'occupation. La plupart d'entre eux se mentent également à eux-mêmes, car au fond de leur cœur, ils savent, bien sûr, qu'il n'y aura jamais deux véritables États entre le Jourdain et la mer Méditerranée. Yehoshua était presque le seul à le reconnaître. C'était son caractère unique, c'était sa grandeur.

Le début a été très différent. En lisant l'entretien que j'ai eu avec lui lors de notre première rencontre, chez lui à Haïfa, il y a 35 ans cet été (publié dans le magazine Haaretz, le 15 mai 1987), lorsque son livre  L’année des cinq saisons a été publié, il dépeint une personne totalement différente, le porte-parole de la gauche sioniste à son pire. Yehoshua compare l'ascension du Likoud au gouvernement de l'époque à la nuit où la guerre du Kippour a éclaté : « une odeur de sang, quelqu'un est blessé, quelqu'un est déchiré... comme si des parachutistes égyptiens débarquaient dans le [col] de Mitla... comme si des pilotes égyptiens bombardaient les aérodromes israéliens... le monde s'est écroulé ». Le jeune Yehoshua voyait le changement de gouvernement lors d'élections légitimes et démocratiques comme la fin du monde, la fin de son monde.

Il les détestait vraiment, et il n'hésitait pas à le dire : « J'étais au sommet de ma haine pour les Likoudniks. Je me braquais totalement quand je les voyais ». Déjà à l'époque, il était l'un des chefs spirituels du camp éclairé, le camp qui, aujourd'hui encore, récite le mantra « juif et démocratique ». Aujourd'hui encore, ce camp est certain qu'il existe un gouffre énorme entre les électeurs inférieurs du Likoud et son auguste élévation, et que le retour du Likoud au gouvernement sonne la fin de la civilisation. Yehoshua a également été sevré de cette idée. Benny Ziffer a écrit mercredi dans Haaretz que Yehoshua voulait encore rencontrer Benjamin Netanyahou avant de mourir.

Il va sans dire qu'en 1987, Yehoshua parlait encore de « séparation d’avec les Palestiniens » et de la « vision à deux États », comme tout le monde dans ce camp à l’époque. C'était fascinant de voir le processus après cela : graduel, mesuré, pour que cela ne fasse pas trop mal. En décembre 2016, Yehoshua a proposé de donner la citoyenneté israélienne à 100 000 Palestiniens vivant dans la zone C. Toujours deux États, mais il voulait « réduire le niveau de malfaisance ». Deux ans plus tard est venu le moment décisif : Dans deux articles du Haaretz (les 12 et 16 avril 2018), il déclare le divorce. Le plan pour mettre fin à l'apartheid : le moment était venu de dire adieu à la vision des deux États.

Les conclusions inévitables qu'il a laissées à ceux qui viennent après lui. Il n'était plus assez fort pour passer à la phase suivante, la séparation inévitable d’avec le sionisme. Si le temps de la séparation de la vision à deux États était venu, il fallait aussi se séparer soit de l'État juif soit de l'État démocratique. Il est impossible d'avoir les deux. Qu'a choisi Yehoshua ? À la fin de ses articles phares de 2018, il a écrit : « Ce qui est en danger maintenant, ce n'est pas l'identité juive et sioniste d'Israël, mais son humanité - et l'humanité des Palestiniens qui sont sous notre domination ». L'homme qui avait consacré ses prouesses intellectuelles à la question de l'identité juive, qui nous a rappelé à tous que le peuple juif n'avait pas imaginé immigrer ici pendant les siècles au cours desquels il aurait pu le faire, et préféré la nostalgie et les lamentations, a trouvé quelque chose de plus important que l'identité juive et sioniste : l'humanité. Au revoir, cher ami, et merci pour toutes ces conversations.

 Livres de A. B. Yehoshua en français

16/06/2022

Louis Hunkanrin : Le forfait colonial, un pamphlet contre l’esclavagisme




Considéré comme le « Père du mouvement national dahoméen », Louis Hunkanrin (1886-1964) fait partie de la première promotion de l’École normale de Saint-Louis du Sénégal en 1907. Il ne sera pas instituteur longtemps : révoqué en 1910, déporté du futur Bénin à Dakar, il s’engage dans le journalisme anticolonial et participe dès 1922 au journal de l’Union intercoloniale, Le Paria, fondé à Paris par Nguyên Ai Quôc, le futur Hô Chi Minh. Qualifié de meneur de la rébellion de Porto-Novo de février 1923, il est condamné à dix ans d’internement administratif en Mauritanie. C’est là qu’il découvre que l’esclavage, officiellement aboli par la puissance coloniale en 1905, se maintient avec l’assentiment des autorités coloniales, qui vont jusqu’à prélever une taxe sur chaque esclave, équivalente à la taxe sur 5 moutons. Il s’engage donc dans ce combat, dont cette brochure retrace les péripéties. Près d’un siècle plus tard, elle reste d’une actualité percutante : dans la Mauritanie du XXIème siècle, l’esclavage est loin d’avoir disparu et il prospère en toute illégalité.

Ebook € 1.62 – Papier € 5.40

https://glocalworkshop.com/fr/produit/le-forfait-colonial-louis-hunkanrin/

AKIVA ELDAR
La Norvège va étiqueter les produits des colonies israéliennes

 

Akiva Eldar, Haaretz, 16/6/2022

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Le gouvernement norvégien a décidé de faire une distinction entre les produits originaires des territoires palestiniens occupés depuis 1967 et ceux qui se trouvent à l'intérieur des frontières de 1967, la fameuse Ligne verte. Le moment de cette décision est apparemment sans rapport avec la crise autour de l'extension de l'ordonnance réglementant le statut des colons israéliens dans ces territoires, crise qui menace désormais l'existence du gouvernement de coalition. Cependant, il existe un lien étroit entre cette ordonnance d'apartheid, dont le renouvellement de l'approbation est devenu une question de routine pour le corps législatif israélien, et la décision prise par la Norvège.


L'ordonnance israélienne en question soumet un colon juif à un système judiciaire et son voisin palestinien à un autre système, inférieur. L'ordonnance norvégienne accorde un traitement préférentiel à un agriculteur (juif et palestinien)  vivant en Israël proprement dit, qui cultive des poivrons pour gagner sa vie, tout en refusant ces avantages à son homologue israélien qui gagne sa vie en cultivant des poivrons sur un territoire occupé - ou sur une « terre d'État/publique » {« state land »] qui ne fait pas partie de l'État d'Israël.

La nouvelle loi norvégienne, comme celles déjà en vigueur dans plusieurs pays de l'Union européenne, touche à une loi qui n'est pas moins raciste et corrompue - et peut-être même plus - que l'ordonnance qui a fait la une des journaux récemment. Cette loi légitime la prise de contrôle de terres de Cisjordanie par des agriculteurs, des industriels et des entrepreneurs israéliens, leur permettant de saper une solution diplomatique tout en réalisant des profits.

La Knesset est absoute d'avoir à plusieurs reprises reconduit la loi qui régit ce vol de terres. Le sultan turc l'a fait dans une loi foncière de 1858, qu'Israël sanctifie maintenant. Pour être plus précis, Israël a donné à certaines des clauses clés de la loi une interprétation qui profite à l'occupant au détriment des résidents palestiniens.

À la différence de l'ordonnance sur la Cisjordanie, qui doit être renouvelée tous les cinq ans, l'ancienne loi n'a pas de date d'expiration. Les mots magiques de la loi, « terres publiques », passent de génération en génération, de gouvernement en gouvernement. Selon cette loi, sont « terres publiques » sont toutes les parcelles de terre dont les « indigènes » ne peuvent prouver qu'ils sont propriétaires. Comme il n'y a pas eu d'autre État en Cisjordanie au cours des 55 dernières années, l'occupant israélien s'empare de tout.

Combien de fois avez-vous entendu l'argument de réfutation : « Que voulez-vous de nous, nous n'avons rien pris à aucun Arabe ? Notre colonie se trouve sur une terre publique ». Mais Israël n'a pas annexé ces terres, et pas à cause d'un quelconque scrupule moral. Il s'est abstenu de le faire pour ne pas incorporer des centaines de milliers d'Arabes à ce territoire et pour éviter de se chamailler avec les USA. Il préfère détenir ces terres en tant que syndic et en faire ce qu'il veut.

Dans leur pure impudence, les colons de droite s'appuient sur les Accords d'Oslo pour soutenir leur affirmation selon laquelle Israël est minutieux en s'appropriant « seulement » la zone C, telle que désignée dans ces accords, qui, notons-le, comprend 60 % de la Cisjordanie. Qui se souvient que la validité du concept des zones A et B était censée expirer au cours du millénaire précédent, pour faire place à un accord permanent ?

Le droit international et la décence commune obligent le syndic - le commandant militaire dans ce cas - à préserver les « terres publiques » et à les développer au profit de la population palestinienne locale. La Cour suprême israélienne a même jugé qu'une administration militaire doit s'occuper des résidents protégés dans un territoire occupé.

Dans la pratique, la quasi-totalité des « terres publiques » sont désormais entre les mains des conseils régionaux de colons, incluses dans leur zone de compétence. Cela signifie que les Palestiniens, qui représentent 88 % des résidents de Cisjordanie, ont été empêchés a priori d'utiliser ces terres avant même qu'elles ne soient attribuées à quelqu'un d'autre pour une quelconque utilisation.

Selon les chiffres fournis par l'administration civile à La Paix Maintenant, plus d'un million de dunams, soit 100 000 hectares, ont été déclarés « terres d'État » au fil des ans. De plus, 99,76 % des terres d'État allouées pour être utilisées dans ces territoires ont été données aux colons. Les Palestiniens ont reçu 0,24 %, tout au plus. Ainsi, à l'aide d'une loi conçue à des fins impérialistes, Israël s'est emparé de la plupart des terres de Cisjordanie. Cela s'ajoute aux milliers de dunams de Jérusalem-Est, qu'Israël a expropriés des Palestiniens en utilisant la loi sur les absents. 

Après tout cela, le ministère israélien des Affaires étrangères ose réprimander les pays qui, de temps à autre, nous rappellent les méfaits de l'occupation, qui est mise en œuvre à l'aide de lois qui sembleraient naturelles dans le régime d'apartheid d'Afrique du Sud. Quelqu'un a déjà proposé de démanteler la conférence des États donateurs, que la Norvège préside, un mécanisme qui a été créé dans les années 1990 afin de soutenir le processus de paix et qui est ensuite devenu un sous-traitant de l'occupation. Une punition appropriée. Il est temps que nous commencions à payer pour notre contrôle sur des millions de personnes et pour le vol de leurs terres.


 

14/06/2022

HAIDAR EID
Une chanson pour le BDS

Haidar Eid, Mondoweiss, 14/6/2022

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Des militants de Gaza retravaillent une chanson classique de la résistance palestinienne de la première Intifada pour l'adapter au mouvement BDS d'aujourd'hui.

À la mémoire de Samah Idriss(1961-2021), militant BDS et intellectuel révolutionnaire engagé

Un an s'est écoulé depuis le bombardement aérien brutal de Gaza par Israël, au cours duquel des centaines de civils palestiniens, dont des femmes et des enfants, ont été brutalement tués par la machine de guerre israélienne. À l'époque, la société civile de Gaza a publié une déclaration appelant les partisans internationaux à intensifier les campagnes BDS afin d'isoler le régime d'oppression meurtrier d'Israël. Cette chanson était censée être publiée dans le cadre des activités de la semaine de l'apartheid israélien l'année dernière, mais en raison de la propagation de Covid-19 et de l'attaque israélienne, elle n'a pas vu le jour.

 A poster being used to promote 2022 Israel Apartheid Week in Gaza.

Affiche de promotion de la Semaine contre l'apartheid israélien 2022 à Gaza

Il s'agit d'une chanson appelant au boycott de l'Israël de l'apartheid, et énonçant les demandes du peuple palestinien, qui se trouvent être celles du mouvement BDS : « Nous voulons la liberté et le retour ». Elle poursuit en célébrant la culture du boycott de « Haïfa (1948) à la Cisjordanie (1967) ». C'est le « tison » désiré qui doit être « allumé » et le « fruit de l'arbre qui doit être arrosé par la pluie à venir pour raconter l'histoire des héros révolutionnaires aux grandes idées ».

Les paroles sont basées sur une chanson interprétée par le grand chanteur palestinien Walid Abdussalam et écrite par le poète palestinien Yacoub Ismail pendant la première Intifada, que nous avons humblement modifiée afin de l'adapter aux exigences du BDS. La chanson originale était une chanson folklorique pour enfants, mais avec une dimension révolutionnaire qui incluait un appel à la grève générale et à la désobéissance civile. L'objectif de notre nouvelle version est de capturer l'essence de l'activisme BDS et de l'exprimer avec éloquence. Nous dédions ce texte à notre camarade Samah Idriss qui l'aurait célébré et dont l'esprit vole avec nous dans le ciel de Gaza, en Palestine.

BDS...BDS

Aujourd'hui et demain...BDS

Haïfa et la Cisjordanie...BDS

Nous avons des droits légitimes

Retour et liberté

La liberté vient par la révolution

Mais la révolution a besoin d'une étincelle

Cette étincelle est fournie par le boulanger

Mais le boulanger dort affamé

Et le boulanger affamé a besoin d'un fruit

Ce fruit est sur l'arbre

L'arbre doit être arrosé

Soit par l'eau de source, soit par la pluie.

La pluie arrive

Avec une histoire à raconter

Sur les héros révolutionnaires

Qui ont l'étincelle

Pour enflammer la révolution

Avec de grandes idées

Des idées... des idées

Qui apporteront un nouveau jour

HAIDAR EID
A song for BDS

Haidar Eid, Mondoweiss, 14/6/2022

Activists in Gaza rework a classic Palestinian resistance song from the first intifada to fit the BDS movement today.

Dedicated to the memory of the late BDS activist and engaged, revolutionary intellectual Samah Idriss (1961-2021)

It’s been a year since Israel’s brutal aerial bombardment of Gaza, in which hundreds of Palestinian civilians, including women and children, were brutally killed by Israel’s war machine. At the time, Gaza-based civil society issued a statement calling on international supporters to escalate BDS campaigns to isolate apartheid Israel’s murderous regime of oppression. This song was supposed to be released as part of the Israeli Apartheid Week activities last year, but due to the spread of Covid-19 and the Israeli attack, it didn’t see the light of day.

 A poster being used to promote 2022 Israel Apartheid Week in Gaza.

A poster being used to promote 2022 Israel Apartheid Week in Gaza

It is a song calling for the boycott of apartheid Israel, and states the demands of the Palestinian people, which happen to be those of the BDS movement: “we want freedom and return.” It goes on to celebrate the culture of boycott from “Haifa (1948) to the West Bank (1967.)” That is the desired “firebrand” that needs to be “ignited” and the “fruit of the tree that needs to be watered by the coming rain to tell the tale of revolutionary heroes with grand ideas.”

The lyrics are based on a song performed by the great Palestinian singer Walid Abdussalam and written by Palestinian poet Yacoub Ismail during the first intifada, which we have humbly modified in order to adapt it to BDS demands. The original song was a folkloric song for kids, but with a revolutionary dimension which included a call for general strikes and civil disobedience. The aim of our new version is to capture the essence of BDS activism and eloquently articulate them. We dedicate this to our late comrade Samah Idriss who would have celebrated it and whose spirit is flying with us in the skies of Gaza, Palestine.

 

BDS…BDS

Today and tomorrow…BDS

Haifa and the West Bank…BDS

We have legitimate rights

Return and Freedom

Freedom comes through revolution

But the revolution needs a spark

That spark is provided by the baker

But the baker is sleeping hungry

And the hungry baker needs a fruit

That fruit is on the tree

The tree has to be watered

By either spring water or rain

The rain is coming

With a tale to tell

About revolutionary heroes

Who have the spark

To ignite the revolution

With grand ideas

Ideas…ideas

That will bring a new day