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11/06/2023

GIDEON LEVY
Un père met son petit enfant dans la voiture, puis est forcé de lui faire ses adieux
Scènes de la vie quotidienne à Nabi Saleh, en Cisjordanie occupée

 Gideon Levy et Alex Levac (photos) Haaretz, 8/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 Source J-Media
Un sniper israélien a abattu Mohammed Tamimi, âgé de deux ans et demi, d’une balle dans la tête, puis son père d’une balle dans la poitrine, alors qu’ils se rendaient à une fête d’anniversaire. L’enfant est mort quatre jours plus tard. Il s’agit du 150e Palestinien tué cette année

Haytham Tamimi, le père endeuillé, à droite, et son frère Hassan. “Un soldat qui tire sur un bébé de cette façon est un soldat qui a déjà fait ça par le passé”, dit leur cousin Sameh. “C’est un malade mental”.

Une famille se rend à l’anniversaire d’une tante, dans le village voisin. En rentrant du travail, le père s’était arrêté chez la tante pour déposer un gâteau d’anniversaire de la pâtisserie où il travaille. De retour à la maison, il prend son fils Mohammed dans les bras, l’installe sur le siège arrière de sa Skoda, puis fait le tour de la voiture pour s’asseoir à la place du conducteur.

Soudain, une volée de coups de feu. D’après ce que le père a raconté cette semaine à d’autres membres de sa famille, une balle l’a atteint avant même qu’il ne parvienne à entrer dans le véhicule. L’armée a affirmé que le père était déjà à l’intérieur lorsque le soldat a tiré sur la voiture. Quoi qu’il en soit, il a réussi à monter dans la voiture malgré sa blessure. Il a rapidement fermé la portière pour protéger son fils, puis a jeté un coup d’œil sur la banquette arrière.

Le spectacle qui s’offre à lui est effroyable. Le petit Mohammed est affaissé, inconscient, respirant à peine, avec un trou béant dans la tempe droite. Son sang a taché le siège. S’enfuyant pour sauver sa vie, le père horrifié a réussi à parcourir une courte distance. Au total, cinq balles ont atteint la voiture. Celle qui a frappé la tête du bambin a explosé et fait des ravages à l’intérieur, tandis que la balle qui a touché Haytham, le père, l’a atteint à la poitrine et est ressortie par l’épaule droite. Il a également été touché par des éclats de plus gros projectiles.

Lundi dernier, Haytham Tamimi se trouvait dans la maison de son père lorsqu’il a appris la mort de Mohammed. Nous étions là précisément à ce moment-là. Tamimi était naturellement bouleversé, à peine capable de prononcer un mot. De temps en temps, il éclatait en sanglots et son frère, Hassan, essuyait ses larmes. À l’hôpital pour enfants Safra, qui fait partie du centre médical Sheba à Ramat Gan, Marwa, la mère de l’enfant, était à ses côtés lorsqu’il a rendu son dernier soupir.

Le couple a encore un enfant, un fils, Osama, âgé de huit ans, qui errait lundi dans la maison de son grand-père, perplexe, ne comprenant apparemment pas pourquoi tout ce remue-ménage. Haytham, qui a lui-même été hospitalisé pendant deux jours à Ramallah, a rendu visite à son fils mourant la veille de sa mort, mais n’a pas pu rester en raison de son état de santé ; il a embrassé la tête bandée du garçon avant de partir. Le lundi après-midi, tout était fini. La nouvelle de la mort de Mohammed a déclenché un torrent de chagrin dans la maison, insupportable à voir.

Nabi Saleh, encore Nabi Saleh, le petit village militant, courageux et déterminé près de Ramallah, dont tous les habitants appartiennent à la famille Tamimi et dont la plupart participent activement à la lutte non violente contre l’occupation, la barrière de séparation et la colonie de Halamish, qui est adjacente au village. Nous étions ici il y a environ un an et demi, lorsque Qusai Tamimi a été tué par des soldats pour avoir mis le feu à un pneu. C’est également ici que Mustafa Tamimi a été tué en 2011 lorsqu’une grenade lacrymogène tirée par un soldat s’est écrasée sur son visage, et c’est ici qu’Ahed Tamimi a giflé un soldat en 2017, et qu’elle a été emprisonnée pendant huit mois. Son cousin de 15 ans, un autre Mohammed Tamimi, a reçu une balle dans la tête peu avant l’incident avec Ahed, ce qui lui a déformé le crâne et le visage. Un autre Mohammed Tamimi, âgé de 17 ans, a été tué par un soldat qui lui a tiré dessus depuis l’intérieur d’une jeep blindée.

C’est maintenant au tour du troisième Mohammed Tamimi d’être abattu ici, à l’âge de 2 ans et demi, la plus jeune personne du village à être tuée. Selon l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, il s’agit du 150e  Palestinien tué cette année, qui n’a même pas encore atteint son milieu.

Ce jeudi soir 1er juin, Faraj Tamimi a conduit en toute hâte son cousin Haytham et Mohammed, alors à peine vivant, hors du village. Il s’est arrêté en face de Halamish, où des équipes médicales de Magen David Adom, le service d’ambulance d’urgence, et des Forces de défense israéliennes ont tenté de réanimer le bambin. Faraj a ensuite emmené le père de l’enfant à l’hôpital arabe Istishari de Ramallah.

Haytham et Hassan Tamimi

Un silence pesant règne désormais dans la maison du grand-père, seulement brisé par des cris d’angoisse. Un visiteur des USA, l’oncle Sameh Tamimi, 34 ans, cyber-ingénieur et natif du village, qui a émigré à San Francisco, est le seul capable de parler de ce qui s’est passé en ce moment atroce. Il a accompagné Haytham dimanche pour voir son fils pour la dernière fois à l’hôpital. Il se demande à voix haute si le soldat qui a tiré une balle dans la tête de l’enfant n’est pas un psychopathe.

“Parce que quel autre soldat pourrait faire une telle chose ?” demande-t-il, alors que les médias israéliens ont déjà décidé, dans un réflexe effrayant, que le bambin avait été tué “par erreur”. Sameh exige une enquête, il veut savoir quel type de munitions a été utilisé pour tuer son petit neveu, après avoir appris que la balle a explosé à l’intérieur du minuscule crâne de Mohammed et détruit 80 % de son cerveau. « Un soldat qui tire sur un bébé de cette façon est un soldat qui a déjà fait ça dans le passé. C’est un malade mental. Il a tiré sur un bébé sans ménagement, dans le but de tuer. Il est susceptible de recommencer ».

Selon Sameh, la voiture a essuyé des tirs provenant de deux directions, un peu après 20 heures : d’en haut - de la tour de guet qui domine le village - et du côté droit, où Mohammed était assis. En d’autres termes, il pense que plus d’un soldat a tiré sur le père et le fils.

La maison de la famille est la plus proche de la tour menaçante de Nabi Saleh. Les seuls mots cohérents qu’Haytham a réussi à prononcer lors de notre visite, après l’annonce de la terrible nouvelle, sont qu’un ordre de démolition est en cours contre la structure depuis 2013. Le meurtre de son fils pourrait en fait accélérer le processus, tout comme il a incité l’armée à organiser un raid à grande échelle sur le village peu après que ses troupes ont abattu Mohammed et son père, et à revenir pour une deuxième série de raids le samedi soir.

L’unité du porte-parole des FDI, qui a regretté cette semaine que des non-combattants aient été blessés, a répondu comme suit à une question posée par Haaretz sur les raisons pour lesquelles les forces ont continué à envahir le village qui pleurait la mort de l’enfant : « Dans la nuit du 1er juin, des terroristes ont tiré en direction de la colonie de Neve Tzuf. Les forces des FDI qui assuraient la sécurité du poste militaire adjacent à la communauté ont répondu en tirant plusieurs balles.

« L’enquête initiale, menée immédiatement après l’événement, a révélé que lorsque deux terroristes ont tiré des coups de feu pendant plusieurs minutes sur la colonie, les forces de l’armée israélienne ont répondu par des tirs. Il s’avère qu’à la suite de ces tirs, deux Palestiniens ont été blessés. Les FDI regrettent que des non-combattants aient été blessés et s’efforcent d’éviter de tels incidents.

« Plus tard dans la nuit, les forces de sécurité sont intervenues dans le village de Nabi Saleh pour enquêter sur l’attaque. Au cours de cette action [d’enquête], des troubles violents ont éclaté, avec la participation de dizaines de Palestiniens qui ont jeté des pierres et des pneus enflammés et ont improvisé des grenades lacrymogènes [sic] contre les forces de l’ordre. Les forces ont pris des mesures pour dissiper les troubles et ont répondu avec des moyens destinés à disperser les manifestations. En outre, les forces ont examiné la zone le lendemain, dans le cadre de l’enquête sur l’événement. L’événement fait l’objet d’une enquête approfondie. À l’issue de l’enquête, et compte tenu de ses conclusions, une décision sera prise quant à l’ouverture d’une enquête [formelle] ».

Quelques centaines de mètres séparent la maison de la famille de la tour où était apparemment perché le soldat armé. Il n’était évidemment pas en danger dans la tour fortifiée, même si l’on accepte l’affirmation de l’armée selon laquelle son tir a été précédé d’un tir sur la colonie adjacente de Halamish. Personne à Nabi Saleh n’a entendu ces tirs. Le fait est que Haytam, qui réside dans une zone dangereuse, en face de la tour, n’a eu aucun scrupule à emmener son fils à l’extérieur pour se rendre à une fête d’anniversaire. Il ne l’aurait jamais fait s’il avait entendu des tirs.

Bilal Tamimi, 56 ans, qui travaille au département des médias du ministère palestinien de l’Éducation et qui est également bénévole à B’Tselem, a clairement entendu le bruit des coups de feu. Ce jeudi soir, il rendait visite à un cousin qui habite près de chez lui lorsqu’il a soudain entendu des coups de feu - probablement ceux qui ont tué Mohammed et blessé Haytham. Il est rentré chez lui en courant pour enfiler son gilet “presse” et son casque de protection, puis il est monté sur le toit avec des membres de sa famille pour observer et documenter le déroulement des événements avec la caméra de son téléphone. C’est un habitué. Dans la maison de Bilal, qui abrite une exposition permanente de différents types de douilles de munitions laissées par les soldats, il raconte ce qu’il a entendu et vu ce soir-là, après les tirs sur Haytham et Mohammed.

Wissam (à dr.) a été blessé à la tête

Lorsque nous avons rencontré Bilal, il revenait de l’hôpital Istishari où il était allé chercher son neveu Wissam, âgé de 17 ans, qui sortait de l’hôpital après avoir été soigné pour une blessure à la tête subie lors de cette terrible soirée dans le village. Wissam, qui a eu besoin de neuf points de suture, a été blessé par une balle métallique à pointe éponge, et non par une balle réelle, comme le petit Mohammed. Il a été hospitalisé pendant trois jours. Bilal a également été blessé par une balle en métal-éponge ; son bras droit est plâtré et maintenu par une écharpe.

Bilal Tamimi sur la terrasse  de sa maison à Nabi Saleh, cette semaine. Sa main a été cassée par une balle métallique à pointe éponge

Les deux hommes ont été abattus alors qu’ils observaient la scène depuis le toit. Des soldats sont entrés dans le village à bord de plusieurs jeeps et ont pris position sur les toits des maisons, y compris sur le toit opposé à celui où se trouvaient Bilal et les autres. Bilal raconte qu’il n’avait jamais vu de soldats aussi agressifs et ayant la gâchette aussi facile. Le correspondant militaire de Channel 11 News, Itay Blumenthal, a rapporté cette semaine que les soldats appartenaient au bataillon Duchifat de la brigade Kfir, qui est déployée en permanence en Cisjordanie, et qu’ils étaient arrivés dans le village ce matin-là pour la première fois. C’est peut-être pour cette raison qu’ils ont ouvert le feu avec autant d’enthousiasme.

Bilal se souvient qu’il a d’abord vu une jeep se précipiter sur une voiture palestinienne, jusqu’à ce que le véhicule disparaisse. La jeep s’est alors arrêtée à côté de la station-service à l’entrée de Nabi Saleh. Quelques jeunes ont attendu jusqu’à ce que la jeep se mette en route, puis ils ont commencé à lui jeter des pierres, leur réaction habituelle après l’invasion du village par l’armée. Entre-temps, deux autres jeeps sont arrivées. Les soldats ont tiré des grenades lacrymogènes et des balles métalliques enrobées de caoutchouc sur la poignée de jeunes qui leur jetaient des pierres. Les soldats sont montés sur le toit d’un magasin et, de là, ont fait pleuvoir des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc sur tout ce qui bougeait, raconte Bilal. Les troupes sont restées dans le village jusqu’aux premières lueurs du jour, tandis qu’à l’hôpital de Safra, les médecins tentaient de sauver la vie de Mohammed. 

Une grenade assourdissante et des balles en métal à pointe éponge

Bilal, sa femme, son fils, son frère et son neveu sont restés sur le toit jusqu’à ce que Wissam soit blessé. Manal, la femme de Bilal, âgée de 50 ans, l’a conduit pour qu’il reçoive des soins médicaux. N’aviez-vous pas peur de traverser les positions des soldats ? « J’avais peur qu’ils ne me laissent pas passer, mais quand j’ai vu le sang sur la tête de Wissam, j’ai oublié toutes mes craintes », raconte-t-elle. Près de la ville nouvelle palestinienne de Rawabi, une ambulance du Croissant-Rouge les a recueillis et a transporté Wissam jusqu’à l’hôpital. Il est en onzième année et a manqué le dernier de ses examens de fin d’année, en langue arabe, à cause de sa blessure. Il dit qu’il demandera une seconde session. Il a également manqué la fête de fin d’année de l’école.

Les soldats sont revenus à Nabi Saleh dans la nuit de samedi à dimanche. Cette fois, ils ont pris possession de la terrasse de la maison de Manal et Bilal. Lundi, nous sommes montés sur la terrasse, une ascension difficile et dangereuse. Des douilles jonchent encore le sol. En contrebas, tout le village se déploie. Ici, c’est la maison d’Ahed Tamimi, là-bas ce sont les maisons du premier Mohammed Tamimi qui a été tué, du deuxième Mohammed Tamimi et du troisième, qui a été enterré mardi dernier.

La maison dans laquelle vivait le petit Mohammed était vide cette semaine. La famille a préféré se recueillir dans la maison du grand-père, plus éloignée de la tour militaire. C’est de cette maison que provenaient les pleurs.

Les funérailles de Mohammed à Nabi Saleh le mardi 6 juin Photo: AHMAD GHARABLI/AFP



Comparaison d'un trajet similaire entre Nabi Saleh et Ramallah pour une voiture palestinienne (à gauche) et entre les colonies israéliennes de Halamish et Psagot pour une voiture israélienne (la durée pour la voiture palestinienne suppose que les postes de contrôle militaires ne sont pas opérationnels à ce moment-là).  Source : Léopold Lambert, The Funambulist, 2018

10/06/2023

AYMAN ODEH
Combien de temps les protestataires contre la refonte judiciaire pourront-ils ignorer l'occupation israélienne ?

Ayman Odeh, Haaretz, 4/6/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Ayman Odeh (Haïfa, 1975) est un avocat et homme politique palestinien de 1948. Il dirige le parti communiste d'Israël Hadash/Ta'al et il est député à la Knesset de la coalition Liste unifiée (al-Qa'imah al-Mushtarakah/HaReshima HaMeshutefet), dont il est le président.

Depuis 22 semaines, des centaines de milliers de citoyens israéliens descendent dans la rue pour lutter pour la démocratie. C'est impressionnant et émouvant, et cela m'inspire un grand respect. Je n'ai pas été invité à dire quoi que ce soit lors de ces manifestations. Je ne suis ni blessé ni surpris, mais je sais que ces centaines de milliers de manifestants sont mes futurs partenaires dans la création d'une vie meilleure pour ce pays.

“J’ai peur des missiles, mais encore plus de la dictature” : manifestation contre le coup d'État judiciaire dans le centre de Tel Aviv, en mai dernier.
Photo : Tomer Appelbaum

Peut-être mes positions sont-elles difficiles à accepter pour certains d'entre eux, peut-être les organisateurs ont-ils choisi de dissimuler certaines opinions, craignant que le fait de parler de l'occupation et de la paix ne fasse fuir un grand nombre de manifestants.

Je profite donc de cette tribune pour me tourner vers les chers manifestants de la rue Kaplan et leur demander de consacrer quelques minutes à la réflexion sur le lien entre démocratie et occupation.

Nous vivons une réalité tragique dans ce pays, qui a connu tant d'effusions de sang que le mot “paix” semble presque étranger. C'est paradoxal, car nous savons que la question de la paix, ou du “conflit”, comme on aime à l'appeler, est la plus importante.

La grande majorité des Israéliens et des Palestiniens souhaitent vivre en sécurité, sans guerre, sans conflit. Mais même si de nombreuses personnes travaillent à l'instauration de la paix, l'occupation se durcit et la paix s'éloigne.

Certains pensent que le conflit peut être géré, qu'il n'a pas besoin d'être résolu. Mais ces dernières semaines, avec une nouvelle série de violences horribles, avec la reconnaissance par l'ONU de la Nakba palestinienne de 1948, avec la Marche des drapeaux raciste et la violence envers les Palestiniens à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, nous avons reçu un nouveau rappel de la fausseté d'une telle conception.

Une politique de gestion du conflit ignore complètement la vie quotidienne de millions de Palestiniens qui se réveillent chaque matin pour une nouvelle journée de contrôle répressif sur leur vie. Pour eux, la gestion du conflit n'est pas une stratégie dont on peut s'accommoder jusqu'au prochain round, mais plutôt une réalité de souffrances permanentes qui pèsent sur les deux parties.

Il y a aussi ceux qui ne sont pas intéressés par la gestion ou la résolution du conflit, mais par la résolution du problème palestinien par le feu messianique du transfert, l'exacerbation de la violence et l'adoption rapide d'une abomination inimaginable. Je ne parle pas avec ces gens-là, évidemment, mais à ma grande joie, ils sont encore une minorité, même s'ils occupent actuellement des positions de pouvoir au sein du gouvernement.

 

"On est là pour sauver la démocratie juive !"


Mais notre tragédie est plus complexe. C'est une tragédie qui consiste en une réalité dans laquelle une majorité des deux peuples soutient les négociations pour une paix véritable, basée sur deux États, mais où il n'y a pas de négociations. Cette situation est tragique parce que la plupart des gens, après avoir désespéré, ne s'attaquent pas au problème. Les Israéliens savent que la seule solution à long terme qui ne rappelle pas les régimes obscurs est un accord de paix entre les deux nations.

Je pense que si l'on interrogeait la plupart des Israéliens, ils seraient même capables d'énoncer les principales composantes d'une telle paix, qui relèvent presque du bon sens. Mais en dépit de cette simplicité, nombreux sont ceux qui pensent que ce n'est tout simplement pas faisable à l'heure actuelle, si tant est que cela l'ait jamais été.

C'est profondément tragique, car nous ne sommes pas en stase, dans une situation où l'attente laisserait les choses inchangées, dans un sens ou dans l'autre. Notre situation est plutôt celle d'une cocotte-minute sur le feu, qui explosera si nous continuons à attendre sans agir. Cela pourrait prendre la forme d'une troisième intifada, d'une guerre à Gaza ou de toute autre forme d'effusion de sang destructrice qui ferait des milliers de victimes de part et d'autre.

C'est pourquoi il est important pour moi de lancer un appel à tous les chers manifestants. Le mouvement de protestation ne peut pas continuer à ignorer l'occupation. Après tout, la raison sous-jacente de la tentative de briser le système judiciaire, la société civile et les frontières démocratiques est de donner au fascisme les coudées franches dans les territoires, afin d'y perpétrer des crimes horribles sans aucune interférence.


"Démocratie pour tous" : manifestation du Bloc anti-occupation en mai. Photo : Fadi Amub : Fadi Amub

Dans un sens plus profond, l'occupation est le cordon ombilical du fascisme israélien. Partout ailleurs dans le monde, le fascisme se développe soit au sein du grand capital, soit dans les rangs des généraux de l'armée, mais ici, tant les généraux que le grand capital s'opposent à la refonte du système de gouvernement. Ici, la source du fascisme est l'occupation et les colonies, d'où viennent Itamar Ben-Gvir, Bezalel Smotrich et Simcha Rothman, et où se trouve leur principal soutien.

Par conséquent, la demande de mettre fin à l'occupation doit faire partie intégrante de la protestation, en partant du principe qu'il n'y a pas de démocratie en même temps qu'une occupation, et que l'occupation a besoin d'une révision judiciaire pour alimenter ce cycle qui se perpétue de lui-même.

Cette semaine marquera le 56e  anniversaire du début de l'occupation. Ce qui a commencé comme la mal nommée guerre des six jours s'est transformé en une guerre de 56 ans. Pour marquer cet événement, nous avons décidé d'organiser samedi une marche qui est partie de la rue Dizengoff pour rejoindre ensuite la grande manifestation de la rue Kaplan. Cette marche n'avait qu'une seule exigence : demander la fin de l'occupation et la paix sur la base de deux États pour deux peuples.

J'espère du fond du cœur que beaucoup jugeront bon de se joindre à cette cause : Juifs et Arabes, tous ceux qui ont encore de l'espoir, mais aussi ceux qui ressentent un profond désespoir, qui verront peut-être qu'en marchant avec nous, ils ne sont pas seuls. Peut-être y trouveront-ils un peu d'espoir dans cette période sombre. Nous avons le devoir de brandir ensemble la bannière de la paix, sinon la bannière noire de l'occupation continuera de flotter.

Certains diront que ce sont des espoirs vains. Que c'est la réalité et qu'il faut simplement l'accepter. Mais même si beaucoup ont désespéré de la paix, nous devons nous rappeler qu'en 2001 et 2008, nous en avons été très proches. Et que tous les tyrans sont destinés à tomber à la fin, que chaque peuple occupé continuera à se battre pour sa liberté et que la paix vaut tous les efforts. Je suis plein d'espoir qu'après avoir vaincu le désespoir, nous pourrons, ensemble, instaurer la paix.

KARIM EL SADI
Antonio Mazzeo : le pont sur le détroit de Messine vise à relier les bases de l’OTAN

Karim El Sadi, antimafiaduemila, 8/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Karim El Sadi, né à Cattolica de parents palestiniens originaires de Kufr Zibad, près de Toulkarem, est étudiant en Études globales à l’université de Palerme, rédacteur du magazine en ligne AntimafiaDuemila et militant des associations Jeunes Palestiniens d’Italie, Our Voice et Voix dans le Silence.

L’interview du journaliste sur le mégaprojet de pont sur le détroit de Messine : « Le début des travaux entraînerait une augmentation de la présence militaire sur le territoire ». [vidéo en haut de cette page]

Après plus de dix ans, le spectre du pont sur le détroit est revenu occuper les sessions parlementaires, les pages des journaux et les réunions syndicales. La victoire du mouvement “No Ponte” - qui a eu lieu en 2012 lorsque le Conseil des ministres a adopté un arrêt du projet après une mobilisation populaire très suivie - n’est plus qu’un lointain souvenir maintenant que le gouvernement Meloni a ressuscité ce projet de construction utopique et dépourvu de sens pour le mener à bien d’ici 2030. Ces derniers jours, la Chambre des députés et le Sénat ont également donné leur feu vert à ce qui est considéré comme « la mère de tous les grands travaux en Italie » (il s’agirait du pont à travée unique le plus long du monde), les travaux devant commencer en 2024. Mais il s’agit d’une entreprise irréalisable, car sa construction va à l’encontre des lois de la physique, de l’ingénierie et même de l’économie (pas une seule brique n’a été posée et il a déjà coûté un demi-milliard d’euros aux caisses de l’État). Depuis que le ministre des infrastructures et des transports Matteo Salvini - qui, il y a quelques années encore, répudiait l’idée du pont entre Messine et Reggio de Calabre - a mis en branle les “bétonnières bureaucratiques”, le mouvement “No Ponte” est revenu sur le terrain pour empêcher la construction de cette folie d’ingénierie. Au sein de cette réalité populaire, on trouve des syndicats, des étudiants, des politiciens, des ingénieurs et des journalistes. Parmi eux, Antonio Mazzeo, journaliste et essayiste antimilitariste qui, depuis quarante ans, rapporte et dénonce l’implication de l’Italie et surtout de la Sicile dans les différents théâtres de guerre internationaux. Nous l’avons interviewé à Palerme à l’occasion de la présentation de sa BD-enquête “Sigonella, le guerre alle porte di Casa (La Revue Dessinée Italia) réalisée avec le dessinateur Lelio Bonaccorso et la coloriste Deborah Braccini.

 « Le pont sur le détroit est aussi irréalisable qu’il l’était il y a dix ans, mais cette fois-ci, certains acteurs font pression pour mettre en route ce chantier. Non pas la construction du pont, mais une série de travaux, justifiés par le pont, qui permettront évidemment le transfert de ressources qui seront soustraites aux besoins réels du territoire », a dit Mazzeo à nos micros. « Je pense à la sécurité : nous avons une zone perturbée du point de vue hydrogéologique ». Selon Mazzeo, par rapport à 2012, « cette fois-ci, on va faire face à une volonté de commencer à percer le territoire ». En arrière-plan, en effet, il y a la militarisation de la Sicile et la guerre en Ukraine pour laquelle l’île représente un territoire fondamental étant donné les différentes bases de l’OTAN déjà présentes : de Sigonella à Niscemi, à Trapani ou Augusta.

« Si les travaux commencent, on ne peut que s’attendre à un renforcement de la présence militaire sur le territoire », explique le journaliste. « Des casernes seront créées, la présence de l’armée et de la marine sera plus forte. Nous l’avons déjà vu dans le Val di Susa avec le NO TAV (TGV Lyon-Turin), où il y a eu une énorme pression du point de vue militaire et une énorme réduction de l’espace d’action démocratique ». Selon Antonio Mazzeo, ce qui est annoncé « c’est la vendabilité du pont ».

« Un ouvrage de cette importance ne peut que nécessiter - et les forces armées le disent - une série d’interventions : batteries de missiles (une seule batterie coûte 800 millions d’euros, ndlr), chasseurs-bombardiers, patrouilles constantes de sous-marins ». « Il s’agit évidemment d’une militarisation accrue du territoire », poursuit le journaliste. Mais ce qui est encore plus grave, selon Antonio Mazzeo, « c’est la justification que le gouvernement donne aujourd’hui pour effectuer ce travail ». « Nous avons découvert que le gouvernement considère qu’il est d’une importance géostratégique fondamentale de relier les bases de l’OTAN dans le sud de l’Italie aux bases de l’OTAN en Sicile. Le pont est alors justifié comme un élément fondamental du renforcement militaire de la mobilité militaire. C’est une fantaisie d’un point de vue technique, mais elle nous inquiète parce qu’elle peut être utilisée comme un cheval de Troie pour justifier la nécessité de commencer à opérer parce que dans un monde de guerre, dans un territoire de guerre, c’est fondamental pour la guerre ». Non seulement il accroît la militarisation de la Sicile, mais le pont aiguise également l’appétit des mafias, en particulier des deux mafias des deux régions, Cosa Nostra en Sicile et la ‘Ndrangheta en Calabre. Antonio Mazzeo a écrit un livre à ce sujet il y a 13 ans : “I padrini del ponte. Affari di mafia sullo stretto di Messina”(Edizioni Alegre).

« Il y a treize ans, nous avons identifié comment les grandes organisations mafieuses internationales voulaient investir dans ce projet pour se légitimer », a raconté Mazzeo. « Le risque, avertit le journaliste, est qu’aujourd’hui, face aux anticorps de la culture mafieuse, celui qui se présente comme le constructeur du pont, même s’il est un mafioso, gagne en légitimité. Les grandes organisations mafieuses pourraient se légitimer en tant que grand élément : “avant on posait des bombes et on commettait des massacres, aujourd’hui on fait le pont et vous nous pardonnez ».

 

Pont ? Mon cul ! (ou Quelle connerie !)-Art populaire sicilien, Messine, début du XXIème Siècle

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GIANFRANCO LACCONE
Défendre les sols : une mission impossible dans le système de marché mondial

Gianfranco Laccone, climateaid.it, 8/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

L’imperméabilisation des sols (leur recouvrement permanent par des couches imperméables de bâtiments, de routes asphaltées, de parkings, etc.) entraîne une perte irréversible de leurs fonctions écologiques. Les villes sont de plus en plus touchées par des vagues de chaleur dues au manque d’évaporation en été.


Nous devons nous demander pourquoi les appels à la protection des sols tombent dans l’oreille d’un sourd. Il est désormais devenu courant (et stérile) de communiquer chaque année, à l’occasion de la Journée mondiale des sols [5 décembre], des données sur la quantité de sol encore consommée par les routes et les constructions. Je me souviens avoir écrit en 2015 que « sur le territoire de l’Union européenne, environ 1 000 km2 de sol sont soustraits pour la construction de logements, d’industries et de réseaux autoroutiers, ce qui, en termes d’impact, provoque un changement irréversible du sol et de ses fonctions biologiques ». Bien des années auparavant, soucieux d’impressionner les gens, le WWF avait écrit dans l’une de ses publicités : « Cette année, nous avons perdu une Autriche » (en référence à la zone déboisée de l’Amazonie).

Des études ont montré, il y a déjà une dizaine d’années, que l’équilibre entre l’environnement naturel et l’agriculture polluante était compromis, prédisant que dans notre pays, il y avait un risque de désertification à hauteur de 21,3 % du sol italien et de 41,1 % du sol dans les régions centrales et méridionales. Au cours des 50 dernières années, les phénomènes de dégradation des sols ont entraîné une réduction de plus de 30 % de leur capacité à retenir et à réguler l’eau, amplifiant encore le risque hydrogéologique et l’occurrence d’événements catastrophiques.

Cette tendance non durable menace la disponibilité de sols fertiles et de réservoirs d’eau souterraine pour les générations futures. L'imperméabilisation des sols (leur recouvrement permanent par des couches imperméables de bâtiments, de routes asphaltées, de parkings, etc.) entraîne une perte irréversible de leurs fonctions écologiques. L'eau ne pouvant ni s'infiltrer ni s'évaporer, cela augmente le ruissellement, entraînant des inondations catastrophiques.

Les villes sont de plus en plus touchées par des vagues de chaleur, en raison du manque d’évaporation en été. Les paysages sont fragmentés et les habitats deviennent trop petits ou trop isolés pour accueillir certaines espèces. En outre, le potentiel de production alimentaire des terres est perdu à jamais. Le Centre commun de recherche de la Commission européenne estime que quatre millions de tonnes de céréales sont potentiellement perdues chaque année à cause de l’imperméabilisation des sols. Or, contrairement à d’autres ressources telles que l’air et l’eau, il n’existe toujours pas de législation spécifique au niveau de l’UE pour protéger les sols.

L'Acropole d'Athènes bétonnisée

Je pense que nous devons nous demander pourquoi les appels à la protection des sols tombent dans l’oreille d’un sourd et pourquoi, comme d’autres biens que tout le monde aurait intérêt à maintenir en bon état, les sols font eux aussi l’objet d’une négligence inexplicable d’un point de vue rationnel et apparemment incompatible avec les objectifs que toute activité productive reposant sur les sols est censée atteindre.

La réponse à ces questions doit être recherchée dans les mécanismes déclenchés par une société fondée sur les règles du marché financier appliquées à toutes les relations et transactions possibles. Le vivant, dont la caractéristique est d’être cyclique, s’adapte mal à ces systèmes rectifiés, aux relations très simplifiées ; ce qui en souffre en premier lieu, c’est l’agriculture, système créé par l’humain pour augmenter la quantité de nourriture disponible, et qui repose sur l’utilisation de deux facteurs : la terre et l’eau et la circularité des relations créées entre eux, avec la formation de vapeur, de nuages, de vents, par la rotation de la terre.

Le sol agricole est donc un bien primordial qu’il faut toujours protéger, et d’innombrables études ont identifié les points critiques des transformations qui se sont produites dans les sols agricoles de la planète : l’érosion, la salinisation des sols et la désertification de vastes zones de la planète causée par l’action de l’homme représentent des effets qui doivent être combattus par le biais de plates-formes internationales d’accord entre les États. Tout le monde converge sur la nécessité de restaurer certains aspects de l’efficacité et de la fertilité des sols agricoles que leur utilisation excessive a dissipés, et la protection des sols apparaît donc comme un objectif largement partagé.

Il convient d’ajouter qu’au cours des 70 dernières années, la prise de conscience scientifique du lien essentiel entre la terre et l’eau et, par conséquent, la nécessité de défendre les sols non utilisés à des fins “humaines” (forêts naturelles, habitats, cours d’eau) se sont ajoutées, rendant de plus en plus évident le fait que tout ce qui se trouve sur la planète ne peut pas être plié à des fins économiques. Au contraire, les recettes économiques propagées pendant longtemps tendaient à considérer la terre, et donc le sol, comme un élément susceptible d’être valorisé de manière productive par le biais d’une utilisation plus intensive. Ces recettes ne sont plus gérables car les dommages qui en résultent sont de moins en moins importants dans le temps : les bénéfices sont réduits à la fois en ampleur et en durée.

Les investissements productifs initiés dans cette perspective et soutenus pendant longtemps, bien représentés en Italie par la bonification  intégrale, ont subi le sort de toutes les politiques d’investissement de marché : ils sont devenus secondaires, considérés comme moins valables que d’autres ayant des rendements plus élevés et susceptibles d’avoir un impact immédiat sur les budgets de l’État. Dans les années de récession, les politiques de réduction des postes financiers non prioritaires, c’est-à-dire les investissements, surtout ceux à faible rendement, sont généralement privilégiées ; dans les années d’expansion, ce sont les investissements à haut rendement, souvent à haut risque, liés aux marchés financiers, qui sont favorisés. Cet abandon ne concerne plus seulement les investissements liés aux productions agricoles incluses dans les marchés de matières premières, mais aussi les activités et productions liées à un engagement de “développement durable”, qui jusqu’à présent avaient réussi à gagner un espace d’intérêt, capable de “soutenir” les activités de service liées au développement de la consommation foncière immatérielle. Il faut noter que dans les deux cas, cependant, le sol est considéré comme un support, à modeler et à modifier, et sa protection est une fonction liée à la correction des défaillances produites par son utilisation intensive.

Un premier élément de la théorie économique appliquée au domaine agricole est que la protection du sol n’est pas considérée comme une activité normale liée au cycle d’utilisation du bien, comme cela pourrait être le cas pour tout autre bien économique, dont la réintégration est normalement prise en compte par des quotas d’amortissement. Dans ce cas, la fonction de remise en état est décomposée en diverses autres fonctions, considérées non pas comme des fonctions de remise en état, mais comme des fonctions d’activité, productives ou sociales, et donc susceptibles d’une utilisation économique ou d’une utilisation pour l’intérêt collectif. Les fonctions de défense du sol sont directement liées à la valeur des productions qui y sont implantées, comme dans le cas de la fertilisation ou de la défense contre les ravageurs ; même dans le cas des investissements, le sol est valorisé pour l’amélioration de sa structure, ou pour une éventuelle dépollution ou valorisation. Dans tous ces cas, le sol n’a pas une valeur “unique” et peut même être valorisé différemment selon l’intervention envisagée.

Contrairement à ce que l’on prétend, à savoir que la division des sols ruraux et urbains permet une protection plus efficace des sols, la protection des sols se heurte avant tout à la parcellisation et à la privatisation qu’ils ont subies, ainsi qu’à la division culturelle entre ville et campagne, qui a considéré les sols existant dans une même zone géographique, voire contigus, de manière très différente selon qu’ils appartiennent à la catégorie des sols urbains ou ruraux.

L’assainissement et la protection des sols sont principalement destinés aux populations urbaines (actuellement la majorité de la population du continent européen), qui ne semblent pas se rendre compte de cet intérêt et se déchargent de tous les aspects du problème sur l’agriculture, le secteur qui occupe la plus grande partie des sols avec son activité économique.

Mais même dans le domaine de l’agriculture, la protection des sols suscite peu d’intérêt, pour de nombreuses raisons ; pour nous limiter au domaine strictement économique, l’une des principales raisons réside dans le fait que la production ne rentabilise pas un investissement dans ce sens, outre le fait que la division de la propriété rend encore moins attrayant pour les particuliers ce qui a manifestement un coût considérable non lié à un profit à court terme.

Du moins tant qu’il n’est pas question de réparer les dégâts d’une quelconque catastrophe.

 


09/06/2023

FAUSTO GIUDICE
Annecy, Francia: un amok “en nombre de Jesucristo”

Fausto Giudice, Tlaxcala, 9/6/2023

Amok, palabra derivada del vocablo malayo amuk que significa “furia incontrolable”, se refiere a los actos cometidos por personas -generalmente hombres- que repentinamente son presa de una locura asesina y llevan a cabo ataques con arma blanca contra individuos al azar en una carrera que generalmente termina con la muerte o el suicidio del agresor. Esta forma extrema de descompensación suicida, observada en Malasia y otros países, ha sido objeto de innumerables estudios etnológicos y psiquiátricos, obras literarias - de Rudyard Kipling a Romain Gary y Stefan Zweig - y películas (al menos 9 desde 1927).


Lo ocurrido a orillas del lago de Annecy en Francia el jueves 8 de junio de 2023 es un caso típico de amok: Abdelmasih Hannoun, sirio de 31 años, apuñaló a 4 niños pequeños delante de sus horrorizadas madres, y después a dos ancianos. Un joven, Henri, de 24 años, que pasaba por allí, intentó detenerle con su mochila, pero no lo consiguió. Eso fue todo lo que necesitó este estudiante de marketing, que actualmente recorre las catedrales de Francia, para convertirse en el “héroe de la mochila” de las llamadas redes sociales. La policía fue alertada e intervino, poniendo fin a la alocada carrera, sin matar al asaltante, disparándole en las piernas.

“Tal y como están las cosas, no tenemos pruebas que sugieran que había un móvil terrorista”, declaró la fiscal de Annecy, Line Bonnet-Mathis, en una rueda de prensa en el lugar de los hechos 6 horas después. Como el agresor no estaba bajo los efectos del alcohol ni de las drogas, la investigación se está centrando en sus antecedentes psiquiátricos y su estado psicológico. Los investigadores, que sin duda no han leído ni a Stefan Zweig ni a Émile Durkheim, tendrán mucho trabajo para explicar el desmadre.

A medida que pasaban las horas, iban apareciendo detalles sobre Abdelmasih Hannoun [traducción literal: Esclavo misericordioso del Mesías]: refugiado en Suecia, donde se casó con una sueca de Trollhättan conocida en Turquía, este cristiano sirio (“asirio”) de Hassaké, en el noreste de Siria, pasó unos diez años en Suecia antes de divorciarse y abandonar el país. Solicitó asilo en Francia, Italia y Suiza antes de que su primera solicitud de asilo en Suecia fuera finalmente aceptada el 26 de abril de 2023, lo que motivó la denegación de su solicitud en Francia, notificada el 4 de junio. Tras obtener un permiso de residencia permanente en Suecia en 2013, había solicitado la ciudadanía sueca a partir de 2017, que le fue denegada tres veces, a pesar de tener una hija, que ahora tiene 3 años, y de estudiar enfermería.

Durante su amok, este siervo del Mesías gritó dos veces: “En el nombre de Jesucristo” en inglés. Llevaba una cruz y, además del cuchillo, un libro de oraciones. Por ello, la policía no le disparó en la cabeza, lo que sin duda habría ocurrido si hubiera gritado “Allahu Akhbar”. Esto habría ahorrado al Sr. Ministro de Interior Darmanin el trabajo de devanarse los sesos sobre “coincidencias inquietantes” y habría calmado “el susto que abruma a nuestro país” (Aurore Bergé, líderesa del grupo Renacimiento de los diputados macronistas, que aprovechó el amok saboyano para denunciar la “pelea de trapoers” en la Asamblea Nacional sobre la reforma de las pensiones).

Así pues, podríamos añadir esta definición al Diccionario de las ideas recibidas de Gustave Flaubert:

Amok: una forma de terrorismo cuando el autor es musulmán, un acto meramente aterrador y perturbador cuando el autor es cristiano, incluso si es árabe y barbudo”.

 

FAUSTO GIUDICE
Annecy: un amok “nel nome di Gesù Cristo”

Fausto Giudice, Tlaxcala, 9/6/2023

Amok, parola derivata dal termine malese amuk che significa “rabbia incontrollabile”, si riferisce ad atti commessi da persone - di solito uomini - che vengono improvvisamente sopraffatti da una follia omicida e compiono attacchi all’arma bianca contro individui casuali in una corsa che generalmente si conclude con l'uccisione o il suicidio dell'assassino. Questa forma estrema di scompenso suicidario, osservata in Malesia e in altri paesi, è stata oggetto di innumerevoli studi etnologici e psichiatrici, opere letterarie - da Rudyard Kipling a Romain Gary e Stefan Zweig - e film (almeno 9 dal 1927).

 

L'accaduto sulle rive del lago di Annecy giovedì 8 giugno 2023 è un tipico caso di amok: Abdelmasih Hannoun, un siriano di 31 anni, ha accoltellato 4 bambini piccoli davanti alle loro madri inorridite, e poi due anziani. Un giovane, Henri, 24 anni, che passava di lì, ha cercato di fermarlo con il suo zaino, ma non è riuscito a farlo. È bastato questo per far sì che questo studente di marketing, attualmente impegnato in un tour delle cattedrali francesi, diventasse l'“eroe dello zaino” delle reti cosiddette sociali. La polizia è stata allertata ed è intervenuta, ponendo fine alla folle corsa, senza uccidere l'aggressore, ma sparandogli alle gambe.

“Allo stato attuale, non abbiamo prove che suggeriscano che ci fosse un movente terroristico”, ha dichiarato la procuratrice di Annecy Line Bonnet-Mathis durante un briefing con la stampa sulla scena 6 ore dopo. Poiché l'aggressore non era sotto l'effetto di alcol o droghe, le indagini si stanno orientando verso sua storia psichiatrica e sul suo stato psicologico. Gli inquirenti, che senza dubbio non hanno letto né Stefan Zweig né Émile Durkheim, avranno il loro bel da fare per spiegare l'accaduto.

Con il passare delle ore sono emersi dettagli su Abdelmasih Hannoun [traduzione letterale: servo misericordioso del Messia]: rifugiato in Svezia, dove ha sposato una donna svedese di Trollhättan conosciuta in Turchia, questo cristiano siriaco (“assiro”) di Hassake, nel nord-est della Siria, ha trascorso una decina d'anni in Svezia prima di divorziare e lasciare il paese. Ha presentato domande di asilo in Francia, Italia e Svizzera prima che la sua prima domanda di asilo in Svezia fosse finalmente accettata il 26 aprile 2023, il che ha portato al rifiuto della sua domanda in Francia, notificato il 4 giugno. Avendo ottenuto un permesso di soggiorno permanente in Svezia nel 2013, dal 2017 aveva presentato domanda di citaddinanza svedese, respinta per tre volte, nonostante avesse una figlia, oggi di 3 anni, e studiasse per diventare infermiere.

Durante il suo amok, il nostro servo del Messia ha gridato due volte: “Nel nome di Gesù Cristo” in inglese. Indossava una croce a ciondolo e, oltre al coltello, aveva con sé un libro di preghiere. Di conseguenza, la polizia non gli ha sparato alla testa, cosa che sarebbe avvenuta se avesse gridato “Allahu Akhbar”. Questo avrebbe risparmiato al Signor Ministro dell’ Interno Darmanin di scervellarsi su “coincidenze inquietanti” e avrebbe calmato “lo spavento che sta travolgendo il nostro Paese" (Aurore Bergé, capa del gruppo Renaissance dei deputati macronisti, la quale ha approfittato dell'amok savoiardo per denunciare la “battaglia degli straccioni” all'Assemblea nazionale sulla riforma delle pensioni).

Potremmo quindi aggiungere questa definizione al Dizionario dei luoghi comuni di Gustave Flaubert:

Amok: una forma di terrorismo quando l'autore è musulmano, un atto semplicemente spaventoso e inquietante quando l'autore è cristiano, anche se arabo e barbuto”.


 

FAUSTO GIUDICE
Annecy, France: an amok “in the name of Jesus Christ”

 Fausto Giudice,  Tlaxcala, 9/6/2023

Amok, a term derived from the Malay word amuk meaning “uncontrollable rage”, refers to acts committed by people - usually men - suddenly gripped by a murderous madness, engaging in knife attacks against random individuals in a race that generally ends with the murderer's death or suicide. This extreme form of suicidal decompensation, observed in Malaysia and other countries, has been the subject of countless ethnological and psychiatric studies, literary works - from Rudyard Kipling to Romain Gary and Stefan Zweig - and films (at least 9 since 1927).


What happened on the shores of Lake Annecy on Thursday, June 8, 2023 is a typical case of amok: Abdelmasih Hannoun, a 31-year-old Syrian, stabbed 4 small children to death before the eyes of their horrified mothers, and then two seniors. A young man, Henri, 24, who was passing by, tried to stop him with his backpack, but failed. This was all it took for the marketing student, who is currently on a tour of France's cathedrals, to become the “backpack hero” of the so-called social networks. The police, alerted, intervened, putting an end to the mad race, without killing the aggressor, but by shooting him in the legs.

“As things stand, we have no evidence to suggest that there was any terrorist motivation,” said Annecy public prosecutor Line Bonnet-Mathis at a press briefing on the scene 6 hours later. As the assailant was not under the influence of alcohol or drugs, the investigation is focusing on his psychiatric history and psychological state. The investigators, who probably hasn’t read neither Stefan Zweig nor Émile Durkheim, will have have a hard time explaining this amok.

As the hours passed, details emerged about Abdelmasih Hannoun [literal translation: Merciful Slave of the Messiah]: a refugee in Sweden, where he married a Swedish woman from Trollhättan known in Turkey, this Syriac (“Assyrian”) Christian originally from Hassake, in northeastern Syria, spent some ten years in Sweden before divorcing and leaving the country. He applied for asylum in France, Italy and Switzerland before his first application for asylum in Sweden was finally accepted on April 26, 2023, resulting in the rejection of his application in France, notified on June 4. Having obtained a permanent residence permit in Sweden in 2013, he had applied for Swedish citizenship from 2017, which was rejected three times, despite having a child, now aged 3, and studying to become a nurse.

During his amok, this servant of the messiah shouted twice: “In the name of Jesus Christ”. He was carrying a cross and, in addition to his knife, a prayer book. As a result, the police did not shoot him in the head, which would certainly have been the case had he shouted “Allahu Akhbar”. This would have saved Mr. Darmanin, the Interior Minister, the trouble of racking his brain about “troubling coincidences” and calmed “the awe that is overwhelming our country” (Aurore Bergé, leader of the Macronist parliamentary group Renaissance, who took advantage of the Savoyard amok to denounce the “rag-tag battle” at the National Assembly over pension reform).

We could therefore add this definition to Gustave Flaubert’s  Dictionary of Received Ideas:

Amok: a form of terrorism when the perpetrator is a Muslim, a simply frightening and disturbing act when the perpetrator is Christian, even if he is a bearded Arab”.