04/01/2025

FALASTINE SALEH
Comment les ONG internationales racialisent et réduisent au silence la société civile palestinienne

Falastine Saleh, MEE , 2/1/2025

Falastine Saleh est une féministe, écrivaine et militante du BDS vivant à Ramallah, en Palestine.

Pour obtenir le soutien des ONG, nous sommes censés nous dépouiller de notre identité « émotionnelle » et devenir les porte-parole creux de déclarations qui diluent la vérité sur le génocide israélien.
Le secteur humanitaire a toujours eu des problèmes en Palestine, mais la façon dont il fonctionne depuis le début du génocide à Gaza est plus troublante que jamais.

Carlos Latuff

Après la signature des accords d’Oslo en 1993, et sous le couvert de la « construction de l’État », les donateurs internationaux et les principales ONG sont arrivés avec des programmes libéraux pré-établis, utilisant des termes tels que « autonomisation » [empowerment], « développement » et « création d’un État ».
En apparence, ils sont venus pour aider. En réalité, leur présence servait d’autres objectifs, bien éloignés du soutien à la libération palestinienne.
Ces organisations, intentionnellement ou non, ont activement dépolitisé la lutte palestinienne, fragmenté les mouvements de base et renforcé la dépendance à l’égard de l’aide internationale, qui donne la priorité aux intérêts de la politique étrangère plutôt qu’aux besoins de la population.
En présentant la question comme un problème de « développement » ou d’« aide humanitaire », les ONG ont détourné l’attention de la violence structurelle de l’occupation israélienne vers la résolution de problèmes techniques. La lutte palestinienne pour la liberté a été réduite à des questions telles que le « renforcement des capacités », complètement dépouillée de son essence politique.
Cette tendance n’a jamais été aussi évidente que lors du génocide en cours à Gaza, où les organisations humanitaires se précipitent pour répondre à la crise immédiate, mais où leur refus de s’attaquer aux causes profondes est assourdissant.
Elles se concentrent uniquement sur la distribution de l’aide tout en évitant de nommer la nature délibérée de la catastrophe ou de tenir Israël pour responsable de ses crimes de guerre.


 

L’autonomisation des Palestiniens
L’arrivée de ces organisations a fracturé la société civile palestinienne d’une manière qui, en fin de compte, a servi leurs propres objectifs.
Avant leur intervention, le mouvement de libération palestinien était mené par des groupes de base - travailleurs, agriculteurs, étudiants, féministes, organisations de jeunesse et partis politiques - qui étaient unis dans leur lutte contre le colonialisme israélien. Les ONG sont arrivées et ont compartimenté cette résistance collective, introduisant des cadres favorables aux donateurs qui ont imposé leurs propres définitions de l’« autonomisation » des Palestiniens.
Ce qu’elles n’ont pas reconnu - intentionnellement ou non - c’est que ces groupes ne défendaient pas de meilleurs salaires, des droits fonciers ou l’égalité des sexes ; ils luttaient pour leur survie et leur liberté face à l’occupation israélienne d’ une manière naturellement intersectionnelle.
Pire encore, au fil des ans, la société civile palestinienne est devenue dépendante du financement que ces ONG attiraient. Mais ce financement était assorti de conditions.
Les donateurs internationaux, guidés par des intérêts de politique étrangère, ont fixé les conditions, créant des critères de financement qui décourageaient l’organisation politique et pénalisaient ceux qui osaient affronter les réalités du colonialisme israélien.
Autrefois audacieuses et intransigeantes, les ONG palestiniennes ont été poussées à l’autocensure afin de préserver leur financement.
Cette dépendance n’a pas seulement neutralisé l’activisme palestinien, elle a permis à l’occupation de prospérer. En intervenant pour fournir des services et une aide qui devraient légalement relever de la responsabilité de la puissance occupante, l’existence même des organisations humanitaires en Palestine renforce le système d’oppression qu’elles prétendent combattre.
Elles n’ont peut-être pas construit les murs de la prison, mais elles contribuent sans aucun doute à les maintenir.
Alors que nous sommes confrontés aujourd’hui à l’horrible réalité du génocide, les échecs du secteur humanitaire me sont apparus douloureusement - je les ai vécus.
Au début du génocide à Gaza, je travaillais dans le département de plaidoyer et de communication d’une ONG internationale de premier plan. Ce dont j’ai été témoin était plus qu’une complicité, c’était un effacement actif des voix palestiniennes. Les mensonges, le détournement cognitif et la manipulation dont j’ai été victime ont dépassé tout ce que j’aurais pu imaginer.
Apaiser les sionistes
Un incident est particulièrement frappant. L’organisation a choisi de s’associer à un groupe israélien, une décision discrètement orchestrée par le bureau régional et cachée au personnel local jusqu’au dernier moment.
Lorsque nous l’avons appris, nous avons été scandalisés. Nous avons expliqué qu’un tel partenariat ne violait pas seulement le mandat de l’organisation, mais qu’il avait des implications politiques profondément problématiques, en particulier à ce moment critique.
Nos préoccupations ont été rejetées d’emblée par la direction régionale, majoritairement blanche. Elle nous a accusés de partialité et a même remis en question notre engagement en faveur des droits humains et de la mission de l’organisation.
Malgré nos objections, ils sont allés de l’avant, en donnant la priorité à l’approbation des donateurs et en apaisant les dirigeants de l’organisation connus pour leurs opinions sionistes tranchées.
Mais la manipulation ne s’est pas arrêtée là. Tout ce que nous écrivions - des tweets aux rapports - devait être soumis à un « processus d’approbation » épuisant qui ressemblait davantage à de la censure. Ils ont même embauché un membre blanc du personnel européen dont la seule tâche était d’éditer et d’approuver tout ce qui sortait de notre département.
Cette personne a bloqué les déclarations qui dénonçaient les crimes de guerre d’Israël, a insisté pour insérer de fausses équivalences dans nos rapports et a décidé quelles vérités étaient suffisamment acceptables pour être publiées.
Le fait que nous soyons des Palestiniens vivant sous l’occupation et que nous écrivions à partir de notre expérience n’avait aucune importance. Nos voix étaient réduites au silence en faveur de récits qui donnaient la priorité aux intérêts politiques de l’organisation et aux relations avec les donateurs.
Le racisme dans le secteur humanitaire va bien au-delà des politiques - il imprègne les pratiques d’embauche et la culture du lieu de travail.
Lors d’un entretien récent avec une ONG internationale de premier plan en Palestine, on m’a posé une question aussi insultante que révélatrice : « Comment allez-vous séparer le fait d’être Palestinien du travail ? »
Par cette seule question, mes années d’expérience, mes compétences et mon professionnalisme ont été balayés, réduits à mon identité palestinienne - un problème à leurs yeux. De toute évidence, le fait d’être Palestinienne me rendait non professionnelle, partiale et inapte dans leur cadre.
Une hypocrisie insupportable
Les questions n’ont fait qu’empirer.
On m’a demandé comment j’allais « gérer ma frustration » en tant que Palestinienne travaillant dans le cadre de leurs soi-disant lignes rouges. Ils ont fait référence à un panel auquel j’avais participé et au cours duquel j’avais critiqué les organisations humanitaires pour leur complicité dans le génocide de Gaza et m’ont demandé de justifier mes remarques.
Ma réponse - que ces critiques étaient fondées sur des faits et ne devaient pas être balayées sous le tapis - les a visiblement mis mal à l’aise. J’ai quitté l’entretien en me sentant en colère, attaquée et profondément discriminée.
Il ne s’agit pas seulement d’un mauvais entretien ou d’une terrible organisation. Il s’agit d’un secteur qui réduit systématiquement au silence les voix palestiniennes.
En tant que Palestiniens, nous sommes considérés comme trop émotifs, trop partiaux, trop peu professionnels pour travailler dans un secteur qui prétend défendre la justice et les droits humains.
C’est tout un secteur où l’on attend de nous que nous nous dépouillions de notre identité, que nous devenions les porte-parole creux de déclarations qui diluent la vérité, servent le statu quo et permettent leur inaction.
L’hypocrisie est insupportable. Alors que notre peuple est massacré à Gaza, nous sommes soumis au racisme anti-palestinien par les organisations mêmes qui prétendent défendre les droits humains. Ces institutions exigent de nous la neutralité, alors qu’elles sont elles-mêmes tout sauf neutres.
J’en ai fini avec ce secteur pour l’essentiel. Je me considère chanceuse d’avoir développé d’autres compétences, que je peux utiliser pour gagner ma vie sans compromettre mes valeurs.
J’invite tous les travailleurs des ONG palestiniennes à faire de même. Construisez quelque chose en dehors de ce système oppressif, car le système ne changera jamais. Il n’a pas été conçu pour cela.
Les Palestiniens méritent mieux. Nous nous battrons pour notre liberté, nous nous battrons pour servir la justice, et nous le ferons à nos conditions, pas aux leurs.



Le général Yehuda Vach et son colonel de frère, criminels de guerre israéliens

Ci-dessous deux articles  sur les ignobles frères Vach, le général Yehuda et le colonal Golan, traduits par Fausto Giudice, Tlaxcala

L’armée privée du général Yehuda Vach : le fossé se creuse entre Tsahal et les commandants voyous

Éditorial de Haaretz, 2/1/2025

Le rapport d’enquête sur le commandant de la 252e  division, le général de brigade Yehuda Vach, révèle avant tout la confusion qui règne aujourd’hui dans les Forces de défense israéliennes entre les objectifs, les règlements et les valeurs de l’armée, et la vision personnelle du monde de ses commandants supérieurs, qui dictent d’autres objectifs et une autre culture de la guerre qui met inutilement en danger les soldats des FDI et entraîne des tirs aveugles sur les civils de la bande de Gaza, y compris sur les enfants.
Vach est né et a grandi dans la colonie de Kiryat Arba, en Cisjordanie, et a fréquenté l’académie prémilitaire de Bnei David, dans une autre colonie de Cisjordanie, Eli. En août dernier, il a été nommé commandant de la 252e division, qui opère dans le corridor de Netzarim à Gaza.
Dans le rapport d’enquête de Kubovich, une longue liste d’officiers et de soldats décrivent Vach comme quelqu’un qui agit de manière irréfléchie, et dont la conduite a même conduit à la mort de huit réservistes lorsqu’il les a poussés à avancer sans que la zone soit d’abord débarrassée des bombes et des terroristes. « Il a rendu la 16e brigade folle en voulant atteindre la route la plus au nord », a déclaré un officier qui a combattu sous ses ordres. « Ça s’est fait sans les outils appropriés, sans les unités de génie, sans les autres troupes nécessaires ».
Vach a également été au centre d’un rapport d’enquête publié il y a deux semaines, qui a révélé l’arbitraire et la banalité avec lesquels les Palestiniens sont tués dans le corridor de Netzarim. Il a également révélé comment chaque Palestinien tué est considéré comme un terroriste. Un grand nombre des incidents décrits dans ce rapport ont eu lieu alors que Vach présidait le corridor de Netzarim.
Aujourd’hui, de nouvelles preuves sont apparues montrant que Vach suivait un autre ensemble de lois. Par exemple, il a fixé à ses soldats l’objectif de déloger quelque 250 000 Palestiniens du nord de la bande de Gaza. « Ce n’est qu’en perdant des terres que les Palestiniens apprendront la leçon nécessaire », a-t-il déclaré.
Vach avait également son propre agenda en ce qui concerne l’aide humanitaire envoyée à Gaza. Il a dit à ses subordonnés que « selon lui, pas un seul camion ne devait entrer ». Il fallait rendre la vie dure aux convois qui entraient et les harceler ». Il leur a également dit « qu’il n’y a pas d’innocents à Gaza ». Selon un officier présent, il ne s’agissait pas d’une opinion personnelle, mais d’une « doctrine opérationnelle - ce sont tous des terroristes ».
De plus, Vach a amené son frère, le colonel de réserve Golan Vach, dans la zone contrôlée par sa division. Son frère commandait une petite force connue sous le nom de Pladot Heavy Engineering Equipment [Équipement de génie lourd Pladot, sic) « Il s’agissait d’une équipe de soldats et de civils qui ressemblaient à des jeunes des collines [colons de Cisjordanie, NdT] », a déclaré un officier. « Le seul objectif de cette force était de démolir Gaza ».

Le colonel Golan Vach, frère de Yehuda Vach

Le comportement de Vach montre que les hauts commandants de l’armée ont complètement perdu le contrôle. Il révèle également leur consentement - même s’il n’est que tacite - au fait que les unités opèrent de manière indépendante, une sorte d’armée dans l’armée.
Les FDI doivent enquêter sur la conduite de Vach et l’exclure de tout poste de commandement supérieur. Dans une telle position, il mettrait en danger ses soldats par son manque de prudence, ainsi que les résidents civils de Gaza, dont il considère la vie comme bon marché.

L’article ci-dessus est l’éditorial principal de Haaretz, tel qu’il a été publié dans les éditions en hébreu et en anglais du journal.

Le monde entier le saura : Israël soutient ses officiers criminels de guerre

Gideon Levy, Haaretz,  2/1/2025

Si la police militaire n’ouvre pas immédiatement une enquête sur la conduite du général de brigade Yehuda Vach, si Vach n’est pas immédiatement suspendu de son poste de commandant de la 252e  division et détenu pour interrogatoire, si l’armée ne renonce pas immédiatement à ses actions et si le gouvernement ne fait pas de même, alors les Israéliens, la Cour pénale internationale et le monde entier sauront tous que les Forces de défense israéliennes ont un commandant de division soupçonné d’avoir commis des crimes de guerre à grande échelle, mais qu’il reste à son poste et continue à vivre sa vie comme si rien ne s’était passé.
Chaque jour où Yehuda Vach reste à son poste est un jour de plus de preuves - non seulement des crimes de guerre commis par l’armée, mais aussi du fait qu’Israël les soutient. Vach, qui a bien entendu grandi dans la colonie de Kiryat Arba et a fréquenté l’académie prémilitaire d’Eli, n’est pas un cheval fou hors du commun qui doit être maîtrisé. Vach est l’armée israélienne, et l’armée israélienne est Israël.
Le débat porte sur la question de savoir si Israël a perpétré ou non un nettoyage ethnique dans la bande de Gaza. Le débat porte même sur la question de savoir si l’armée israélienne est en train de perpétrer un génocide.
Si un commandant de division à Gaza dit à ses officiers qu’à son avis, il n’y a pas d’innocents à Gaza - non pas en tant qu’opinion personnelle, mais en tant que doctrine de combat - alors le génocide est l’esprit du commandant. Si un commandant de division réprimande ses officiers pour « ne pas avoir atteint l’objectif », et que l’objectif est d’expulser environ 250 000 résidents de leurs maisons, alors le nettoyage ethnique est la politique déclarée des FDI.
Et si, sous le commandement de ce commandant de division, une version israélienne du groupe Wagner russe se promène - une bande violente de soldats et de civils, pour la plupart des colons religieux - et que personne ne sait d’où ou de qui elle tire son autorité, à part le fait que son commandant est le frère du commandant de la division, et si elle démolit systématiquement les habitations et les maisons des habitants de la région, et si elle démolit et aplatit systématiquement maison après maison à Gaza, dans le but de détruire Gaza et de s’assurer qu’aucun Palestinien ne pourra rentrer chez lui, alors, en plus de commettre des crimes de guerre, l’armée est également corrompue et pourrie de l’intérieur.
Le rapport d’enquête stupéfiant de Yaniv Kubovich sur les actions de Vach ne peut être rejeté avec l’idée qu’il n’est qu’une « exception de plus » à la norme pour les officiers. Les chefs de l’armée, qui parlent bien et ont l’air aimable, l’ont choisi pour commander d’abord l’école de formation des officiers, puis une division. Ils croient en lui et en son parcours. Ils s’identifient à lui.
Gaza a été détruite à cause de Vach et de ses semblables, et à cause de tous ceux qui ne les ont pas arrêtés. Pladot Heavy Engineering Equipment, la force commandée par le frère du commandant de la division (quelle coïncidence), a détruit Gaza non pas dans le cadre d’une opération partisane menée par des personnes assoiffées de vengeance, mais au nom de l’armée et en son nom. « Ce n’est qu’en perdant des terres que les Palestiniens apprendront la leçon nécessaire », a déclaré Vach à ses subordonnés.
L’armée n’est pas un club de débat. L’armée d’occupation est à Gaza pour accomplir ses missions. Et c’est Vach qui a défini ces missions. En entendant ce qu’il a fait, j’ai la nostalgie de Meir Har-Zion, un commando de l’unité 101, qui a assassiné cinq Bédouins pour se venger du meurtre de sa sœur en 1954.
Qu’est-ce que le timide Har-Zion, avec son meurtre de cinq personnes, comparé à Vach, avec son plan d’expulsion de 250 000 personnes et son rêve non dissimulé de tuer tous les habitants de Gaza, puisqu’ils sont tous des terroristes ?
Les crimes de guerre à Gaza sont montés d’un cran depuis l’époque relativement innocente, compatissante et humaine de l’unité 101. Aujourd’hui, la mort et la destruction sont massives et les crimes sont commis en masse. Vach méprise également la vie de ses propres soldats. Peut-être que cela incitera les Israéliens à comprendre qui sont les commandants de cette guerre.
Mais malgré la douleur causée par la perte des huit soldats tués à cause de la négligence et de l’indifférence de Vach, les centaines de Palestiniens tués dans la zone de mort connue sous le nom de corridor de Netzarim poussent un cri encore plus fort.
L’ancien chef d’état-major des FDI, Moshe Dayan, a écrit un jour qu’à son avis, Har-Zion était le meilleur soldat que les FDI aient jamais produit. Aujourd’hui, ce meurtrier a un héritier. En mars, lui et sa division sont censés retourner dans le corridor de Netzarim.
Si un commandant de division réprimande ses officiers pour « ne pas avoir atteint l’objectif » d’expulser quelque 250 000 habitants de Gaza de leurs maisons, alors le nettoyage ethnique est la politique déclarée des FDI.

02/01/2025

LUIS CASADO
Victor Hugo, David, Rodin...
Les Misérables sont toujours dans Paris


 Luis Casado, 1/1/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala


Chacun fête ou déplore la fin de l'année comme ça lui chante. En la matière votre serviteur jamais été partisan de tactiques européennes ni de stratégies de picaros, encore moins de manœuvres asiatiques ou de pratiques africaines, sans parler des noubas océaniennes. Il en va de même pour la naissance de l'année qui naît : j'ai précisé quelque part que personne n'est capable d'écrire l'Histoire du futur avant que ce futur soit déjà vieux de quelques décennies. Chou-en-Lai parlait de siècles, lui.

Ainsi, pour le dernier jour de ce 2024 relou, c’est la thèse d’олга валентиновна ивашкина qui a prévalu, laquelle m'a fait me lever aux aurores pour prendre la longue route de Paris, étant donné que j'habite moi-même au milieu de nulle part, à une centaine de kilomètres de la ville-lumière susmentionnée.

Le but déclaré était de visiter la maison de Victor Hugo, située dans un coin de la place des Vosges, dont la construction a été décidée par Henri IV, commencée en 1605 et achevée en 1612.


Le train arrive à la gare de Lyon, d'où l'on peut se rendre à pied à Bastille. Là, à Bastille, on prend la rue Saint-Antoine vers le nord, et après quelques mètres, on tourne à droite dans la rue de Birague, une rue qui a au moins deux mérites...
Le premier, c’est le Cap Horn, un bar-restaurant tenu par Jorge, où l'on peut déguster le meilleur pisco sour de Paris. Le deuxième mérite va de soi : c’est là que se trouve l’une des entrées de la Place des Vosges, voyez-vous ça :

Vous passez sous l'arche, et sur votre droite, à 20 mètres, se trouve la maison de la gloire littéraire nationale. Des escaliers quadricentenaires vous mènent au troisième étage et... vous entrez dans la maison de Victor et Adèle, et de leurs enfants Léopoldine, Charles, Léopold et François-Victor. La première chose qui a attiré mon attention est un buste du barde en Hermès, sculpté par David d'Angers, un artiste représentatif des romantiques du XIXe siècle, dont les œuvres ornent les grands monuments parisiens, comme le fronton du Panthéon, certaines frises du Louvre ou la statue du Grand Condé dans la cour d'honneur de Versailles. Je ne sais pas ce qu'il en est pour vous, mais au fils de boulanger et d'ouvrière du textile du village de San Fernando de Tinquiririca que je suis, ces choses-là donnent la chair de poule, tandis que son sang se glace et que ses abats frémissent.


Buste de Victor Hugo par David d'Angers

J'étais encore adolescent lorsque j'ai lu Les Misérables et Notre-Dame de Paris... et les personnages que j'y ai rencontrés sont restés à jamais gravés dans ma mémoire...

Jean Valjean et Cosette, les sinistres Thénardier... et bien sûr Esmeralda et Quasimodo. Qu'est-ce qui a poussé Victor Hugo à immortaliser les moins que rien, les sans-dents, les laissés-pour-compte, ceux que Victor Hugo lui-même appelait « la cariatide », la masse souffrante des affamés qui font la richesse des puissants au prix de leur propre dénuement ?

Il y a peu, j'ai pu voir un très bref extrait de deux minutes de la version cinématographique des Misérables réalisée par Robert Hossein (1982), dans lequel Lino Ventura, dans le rôle de Jean Valjean, offre à Marius la dot qui lui permettra d'épouser Cosette... Lino Ventura, célèbre acteur que nous pensions tous - moi compris - français mais qui n'a jamais cessé d'être italien, déploie en deux minutes une telle dose de dignité, de grandeur, d'amour et de générosité que l'on peut dire que Victor Hugo lui-même aurait applaudi les larmes aux yeux.

Jean Valjean, un jeune paysan sans terre, a passé 19 ans au bagne de Toulon, condamné pour avoir volé un pain... Victor Hugo lui-même a vécu 19 ans en exil, proscrit par un putschiste nommé Louis-Napoléon Buonaparte (socialiste dans sa jeunesse) qui s’autoproclama en 1852 empereur sous le nom de Napoléon III (le numéro II, fils du Ier, n’avait « régné », âgé de 4 ans, que 2 semaines en 1814, depuis Vienne), rééditant le golpe par lequel son tonton avait pris le pouvoir le 18 Brumaire 1799. Mais lui choisit le 2 décembre (1851), date-anniversaire de l’éclatante victoire napoléonienne d’Austerlitz sur les Autrichiens et les Russes en 1805.

De 1848 à 1852, les Français ont vécu une anticipation de ce que les Espagnols ont vécu de 1936 à 1939 et que nous autres Chiliens avons vécu de 1970 à 1973. La République née de la révolution de février 1848 est écrasée dans le sang en juin (5000 ouvriers parisiens massacrés par l’Armée d’Afrique qui venait de conquérir l’Algérie par le feu et le sang), puis enterrée le 2 décembre par celui que Victor Hugo appellera Napoléon le Petit. Après l’échec d’une tentative d’organiser la résistance populaire à Paris, Hugo prend la route de l’exil avec des centaines d’autres républicains. Des milliers d’autres seront condamnés aux travaux forcés et déportés en Algérie et en Nouvelle-Calédonie. Tous devront attendre la défaite de septembre 1870 pour pouvoir revenir au pays. La Troisième République naîtra sur les cendres de la Commune de Paris, écrasée en mai 1870 par les troupes d’un autre triste sire, le dénommé Adolphe Thiers, successivement monarchiste, puis républicain, puis libéral et enfin président conservateur, chef du Parti de l’Ordre.

En matière de généraux et de politichiens traîtres, les Chiliens n'ont rien à envier aux autres.

Vous le voyez, la visite de la maison de Victor Hugo suscite des réflexions, rappelle des souvenirs, stimule des rêves et des aspirations...

Le deuxième et dernier uppercut que j'ai reçu au rez-de-chaussée a été le buste de Victor Hugo réalisé par le grand Rodin à sa mort... Il faut un grand artiste, un surdoué, pour refléter la force, la sérénité, la dignité et le génie de Victor Hugo.


 
J'ai été submergé par l'émotion... Car dès que j'ai vu la sculpture, j'ai compris le message :
“Je pars calme et en paix avec moi-même parce que j'ai fait ma part, j'ai été persécuté, j’ai subi l’exil et la répression... mais j'ai résisté, je ne me suis pas vendu, j'ai gardé ma dignité”.
Ravi et me promettant de lire d'autres œuvres de Victor Hugo - poèmes, pièces de théâtre, romans, etc. - je suis allé me promener sur la place des Vosges. Et là, surprise. À quelques pas de l'entrée de la maison de Victor Hugo, la preuve irrémédiable que deux siècles plus tard, les misérables peuplent toujours Paris.

Sous les arcades qui entourent l'immense place, les SDF, les Sans Domicile Fixe, se réfugient :


 
Pour mémoire, je précise qu'il faisait 0°C, que des petites tentes comme celle-ci pullulent dans Paris, et que rue Sully - en face de la bibliothèque de l'Arsenal - il y en a pas moins d'une douzaine. Ce que Fausto appelle “la tiersmondi(ali)sation des capitales européennes”.

Nous avons besoin - de toute urgence - d'un autre Victor Hugo, d'un autre Robespierre, d'un autre Marat, d'un autre Saint-Just…

Mais il n'était pas question de gâcher la journée d’олга валентиновна... nous avons donc flâné sous les arcades, et nous nous sommes dirigés vers le centre de Paris (Les Halles, Châtelet) en empruntant la rue des Francs-Bourgeois au cœur du quartier du Marais. Après avoir admiré le Palais des Archives Nationales, le bel hôtel particulier qui abrite le ministère de la Culture et les ruelles typiques du quartier, on arrive au Boulevard de Sébastopol.

De l'autre côté, on tombe dans la rue de la Grande Truanderie, une rue dont le nom m'a fait penser à la nécessité de la rebaptiser la rue Moneda à Santiago du Chili. Ou Teatinos, ou Morandé, ou l'avenue Bernardo O'Higgins, d'ailleurs... peu importe. Le mérite d'une telle action revient à chacun des gouvernements qui se sont succédé au Chili depuis la fin (supposée) de la dictature.

Il était temps de casser la croûte, ou si vous préférez ora di mangiare un boccone, alors j'ai cherché un bistro Paname (c'est-à-dire parisien), en m'assurant de trouver au Bar Benjamin, 53 rue de Rivoli, quelque chose susceptible de satisfaire notre désir de la jouer locale.

Deux soupes à l'oignon, suivies de cuisses de grenouilles à l'ail, le tout accompagné d'un Bacchus de Lalande de Pomerol (Bordeaux), nous ont réconciliés avec l'existence et la gastronomie parisiennes.

Puis... ce fut le chemin du retour. Dans la Cité, des milliers de badauds, de touristes et de fidèles faisaient la queue pour entrer dans Notre-Dame, tandis que les cloches de la magnifique cathédrale gothique sonnaient à toute volée.

Je ne me suis même pas souvenu de l'année finissante, usée jusqu’à la corde, ni de la nouvelle, qui a fini par arriver... En ce qui me concerne, elles peuvent aller se faire voir. Toutes les deux. On dit qu'un homme obsédé par le futur et culpabilisé pour le passé ne vit pas dans le présent...


Donc, memento mori ergo carpe diem, carpe noctem, carpe vitam ! Hic et nunc!

01/01/2025

ANDY WORTHINGTON
Le “fantôme” de Guantánamo est “libéré” : Ridah Al Yazidi, jamais inculpé, détenu depuis le premier jour et dont la libération avait été approuvée il y a 15 ans


Andy Worthington, 31/12/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Andy Worthington est un historien, journaliste d'investigation et réalisateur britannique, auteur de nombreux documents sur le camp de Guantanamo, à commencer par son livre The Guantanamo Files: The Stories of the 774 Detainees in America's Illegal Prison (Pluto Press, 2007)

Une photo proprement fantomatique de Ridah Al-Yazidi (ISN 038), le prisonnier tunisien de Guantánamo qui vient d'être rapatrié, après près de 23 ans passés à Guantánamo et 15 ans depuis que sa libération a été approuvée. Seule photo connue d'Al Yazidi, il s'agit d'une photocopie par l'armée usaméricaine d'une photo de lui, prise quelque temps après son arrivée à Guantánamo, qui figurait dans son dossier militaire classifié, publié par WikiLeaks en avril 2011.

Le Pentagone a annoncé qu'il avait rapatrié de Guantánamo Ridah Al Yazidi, 59 ans, un prisonnier tunisien détenu sans inculpation ni jugement depuis le tout premier jour d'ouverture de la prison, il y a près de 23 ans, le 11 janvier 2002.
Bien qu'il soit presque totalement inconnu du monde extérieur, en raison du manque d'intérêt persistant des médias grand public pour les enquêtes sur l'illégalité banale d'une grande partie des opérations de la prison, le cas d'Al Yazidi est l'un des cas les plus remarquables d'injustice banale à Guantánamo.
Avec deux autres hommes toujours détenus, il avait été autorisé à être relâché il y a 15 ans, à l'issue des délibérations de la très médiatisée Guantánamo Review Task Force, composée de fonctionnaires issus de différents ministères et des agences de renseignement, qui s'est réunie une fois par semaine tout au long de l'année 2009 pour décider administrativement du sort des 240 prisonniers que le président Obama avait hérités de George W. Bush.
156 de ces hommes ont été recommandés pour la libération lorsque le rapport de la Task Force a été publié le 22 janvier 2010, mais, bien qu'Obama ait finalement libéré 153 d'entre eux au cours de ses huit années de mandat, Al Yazidi et les deux autres hommes encore détenus - Taouffiq Al Bihani, un Yéménite, et Mouyin Abd Al Sattar, un prisonnier encore plus mystérieux, qui est un musulman Rohingya apparemment apatride - ont été maintenus dans le camp.
Bien que l'on sache peu de choses sur Al Yazidi, il semble, d'après les évaluations des services de renseignement à Guantánamo, qu'il a quitté la Tunisie pour l'Italie en 1986, à l'âge de 21 ans, où il a exercé divers emplois subalternes et a été arrêté à deux reprises pour trafic de stupéfiants. En 1999, après avoir été brièvement emprisonné, il s'est rendu en Afghanistan, où il a manifestement fini par devenir un petit soldat pour les talibans dans leur guerre civile inter-musulmane avec l'Alliance du Nord, comme tant d'autres hommes détenus à Guantánamo.
Les seuls mots qu'il ait jamais prononcés et qui aient été rapportés au monde extérieur l'ont été après que l'administration Bush a mis en place des examens superficiels des cas de ces hommes en 2004 - les tribunaux d'examen du statut de combattant (Combatant Status Review Tribunals, CSRT), des processus d'examen fondamentalement anarchiques qui s'appuyaient sur des preuves classifiées qui n'étaient pas divulguées aux prisonniers, et pour lesquels ils n'avaient pas le droit d'être représentés par un avocat.
Lors de son audition, comme je l'ai expliqué dans un article sur lui et les deux autres « éternels prisonniers » dont la libération a été approuvée en février de cette année, « il a été allégué qu'il s'était rendu en Afghanistan depuis l'Italie en 1999, qu'il avait fréquenté le camp d'entraînement de Khaldan [un camp indépendant non affilié à Al Qaïda] et qu'il avait combattu sur les lignes de front des talibans en 2001 ». En réponse, il a « déclaré qu'il n'avait pas participé à des combats importants pendant toute la période où il était sur les lignes de front », mais, comme la plupart des hommes dont les cas ont été examinés, il a été considéré comme un « combattant ennemi » qui pouvait continuer à être détenu pour une durée indéterminée.
Comme je l'ai également expliqué, « son dossier militaire classifié, datant de juin 2007 et publié par WikiLeaks en 2011, recommandait son maintien en détention, mais comme je l'ai découvert pour un article en juin 2012, un processus d'examen ultérieur de l'ère Bush, les Administrative Review Boards (ARB), un successeur des CSRT, a recommandé sa libération le 19 novembre 2007. Cependant, lorsqu’Obama est entré en fonction, toutes les recommandations de libération de George W. Bush, concernant au moins 40 hommes, ont été abandonnées et remplacées par les recommandations de la Guantánamo Review Task Force.
La longue incarcération d'Al Yazidi depuis que sa libération a été approuvée peut s'expliquer - mais non se justifier - par les difficultés rencontrées par les administrations Obama et Biden dans les négociations avec son gouvernement d'origine, mais aussi par son propre refus de traiter avec les autorités de Guantánamo, pour lesquelles il n'existe aucun mécanisme permettant d'empêcher les prisonniers de disparaître dans un « trou noir » juridique ou même existentiel.
Lorsque la Cour suprême a statué, en juin 2004, que les prisonniers avaient des droits en matière d'habeas corpus, permettant enfin aux avocats de commencer à les représenter, Brent Rushforth a été chargé de le représenter, mais en 2015, lorsque Carol Rosenberg, qui travaillait alors au Miami Herald, a écrit un article sur les hommes du premier vol à Guantánamo et s'est entretenue avec Rushforth, celui-ci lui a dit qu'il n'avait « rencontré Al Yazidi qu'une seule fois en 2008 » et que, depuis lors, il avait « refusé les appels et les invitations à d'autres rencontres ».
En décembre 2016, comme je l'ai expliqué ici, Charlie Savage du New York Times a rapporté que des fonctionnaires lui avaient dit que l'administration Obama était « réticente à rapatrier » Al Yazidi, et deux autres hommes, « pour des raisons liées à leurs pays d'origine », mais tous les efforts pour trouver un pays tiers pour sa réinstallation ont été contrecarrés en raison de son refus de dialoguer avec qui que ce soit.
Carol Rosenberg, qui travaille actuellement au New York Times, a parlé à Ian Moss, qui a passé dix ans au département d'État à organiser des transferts de prisonniers et de détenus, et qui a confirmé qu'il n'était pas parti plus tôt parce que la Tunisie avait été jugée trop dangereuse ou n'avait pas voulu l'accueillir, et qu'il n'était pas disposé à chercher d'autres pays qui auraient pu le réinstaller.
Comme l'a également expliqué Moss, « il aurait pu partir depuis longtemps si la Tunisie n'avait pas traîné les pieds ».
Ce que l'on ignorait jusqu'à sa libération, c'est que l'administration Biden négociait son rapatriement depuis un certain temps. Le communiqué de presse du Pentagone révèle que le secrétaire à la défense, Lloyd Austin, « a notifié au Congrès son intention de soutenir ce rapatriement » il y a près d'un an, le 31 janvier 2024, satisfaisant ainsi à une exigence irritante de la législation usaméricaine, introduite par les républicains, selon laquelle le Congrès doit être informé 30 jours avant la libération de tout prisonnier de Guantánamo.
Le Pentagone a également expliqué que, « en consultation avec notre partenaire en Tunisie, nous avons rempli les conditions d'un transfert responsable » avant sa libération, bien que, comme c'est toujours le cas avec les libérations de Guantánamo, les détails des arrangements avec les gouvernements d'origine - ou les gouvernements d'accueil dans le cas d'hommes qui ne peuvent pas, pour diverses raisons, être rapatriés, et qui sont réinstallés dans des pays tiers - sont classifiés, et ne contiennent aucun mécanisme visible pour garantir un traitement humain de la part des gouvernements d'accueil. Étant donné qu'une grande partie de l'histoire d'Al Yazidi est entourée de mystère, on ne sait même pas publiquement s'il a des membres de sa famille survivants en Tunisie qui pourront l'aider à reconstruire sa vie après cette longue épreuve.
Avec la libération d'Al Yazidi, 26 hommes sont encore détenus à Guantánamo, dont 14 ont été autorisés à être libérés - 12 entre octobre 2020 et septembre 2022, plus les deux compagnons d'Al Yazidi, « prisonniers à vie » à long terme. Parmi ces deux hommes, la longue détention de Taoufik Al Bihani reste inexplicable, car il devait prendre un vol pour l'Arabie saoudite avec d'autres prisonniers dont la libération a été approuvée en avril 2016, mais il a été empêché de monter à bord de l'avion à la dernière minute, sans qu'aucune explication n'ait jamais été fournie.
Pour Mouyin Abd Al-Sattar, son statut de fantôme est encore plus prononcé que celui de Ridah Al Yazidi, car non seulement sa nationalité est incertaine, mais il n'a même jamais été représenté par un avocat.
À 20 jours de l'entrée de Donald Trump à la Maison Blanche, je ne peux même pas commencer à exprimer à quel point il est important que l'administration Biden ait mis en place des dispositions pour la libération de ces 14 hommes, dont la plupart ont besoin d'être réinstallés dans des pays tiers, parce qu'ils sont en grande partie yéménites, et que les républicains ont, depuis de nombreuses années, inclus des dispositions dans le projet de loi annuel sur les dépenses de défense, interdisant le rapatriement de prisonniers vers certains pays interdits, dont le Yémen.
Mouyin Abd Al-Sattar sera-t-il libéré ou restera-t-il, comme Ridah Al Yazidi jusqu'à hier, un « fantôme » dont la présence démontre, de manière trop convaincante, comment, avec tous ses autres crimes, Guantánamo est, et a toujours été capable de faire disparaître entièrement des personnes, comme les recoins humides d'un effroyable donjon médiéval ?

NdT

En 2005, Ridah Al Yazidi avait été condamné par contumace  
par un tribunal militaire tunisien 
à 20 ans de prison , assortie de la privation des droits civils et de 5 ans de contrôle administratif.
➤Pour une chronique de l'odyssée des 12 Tunisiens détenus à Guantanamo, voir ici




TESTIMONIO
Diario de una mujer gazatí: « Hemos muerto todo tipo de muertes »

Nour Z Jarada ha vivido en Gaza toda su
vida. Para el diario francés «Libération», esta psicóloga de Médicos del Mundo Francia escribe de su vida cotidiana en el enclave palestino devastado por la guerra. Episodio seis: la angustia del invierno y un atisbo de esperanza.

por Nour Z. Jarada, psicóloga gazatí de Médicos del Mundo Francia, Libération, 31-12-2024
Traducido por Fausto Giudice, Tlaxcala
 


Diciembre está llegando a su fin y nos enfrentamos a un segundo invierno de guerra. Nunca habría imaginado pasar por otro invierno como éste. El invierno era mi estación favorita. Cuando me preguntaban cuál era mi estación favorita, siempre respondía que el invierno. Siempre. Me encantaba la lluvia, el frescor, la comodidad. Ojalá fuera siempre invierno. Pero ahora las cosas han cambiado. Ya no puedo permitirme el lujo de amar el invierno. Ya no tengo una casa cálida, ni ropa de invierno, ni mantas, ni siquiera calefacción. Ya no tengo nuestras calles, nuestras reuniones ni nuestras tazas de té caliente compartidas con los seres queridos. Ahora, ninguno de nosotros puede permitirse el lujo de amar el invierno.


Las tiendas de los desplazados tras las fuertes lluvias en Deir al-Balah, en la Franja de Gaza, el 30 de diciembre. (Madji Fathi/NurPhoto. AFP)

Recuerdo que lloré a lágrima viva cuando llovió por primera vez este año. La tristeza de otro invierno mientras seguíamos en guerra era insoportable. Se me rompió el corazón por nosotros, por las familias de las tiendas. Esa noche vi en las noticias tiendas inundadas y di gracias a Dios por el frágil techo que me cobija. Sin embargo, mi corazón se rompió por nuestros niños y familias que pasaron la noche en el agua helada, esperando a que amaneciera o simplemente a que dejara de llover. Mientras esas horas oscuras se prolongaban, los gritos de un niño resonaban en una tienda cercana. Perforaban el silencio, llenos de pena y dolor. No sabía si el niño tenía frío o hambre, pero no podía dormir. Todas las noches son aterradoras en la guerra: son despiadadas, crueles e interminables. Como todos sabemos, tememos las largas horas que transcurren hasta la mañana y rezamos para que los horrores de la noche lleguen a su fin.

Resiliencia

Hoy, después de más de un año y dos meses de guerra en Gaza, soy una persona diferente. Por desgracia, no estoy segura de si este cambio es bueno o malo. Por un lado, el dolor pesa mucho en mi corazón, una herida tan profunda que ni siquiera el tiempo puede borrar. Esta injusticia abre la puerta a un sinfín de preguntas que se agolpan en mi mente: ¿Por qué? ¿Cómo es posible que la zona geográfica en la que hemos nacido, a la que pertenecemos, por qué nuestra raza, nuestro color, nuestra religión pueden ser factores que determinen nuestro destino? ¿Nuestro sufrimiento, nuestro trauma? ¿Cómo pueden estos elementos que no hemos elegido controlar el curso de nuestras vidas? ¿Cómo podemos curarnos de traumas tan despiadados? ¿Cómo puedo seguir viviendo sin las personas que quiero? Estas preguntas me atormentan, sobre todo cuando imagino el final de la guerra.
Sin embargo, también he descubierto una resiliencia que nunca imaginé poseer. He soportado el miedo, el desplazamiento, la pérdida, el dolor, las lágrimas y una pena inimaginable. Lo he afrontado todo con paciencia, incluso cuando no tenía otra opción. A través de todo ello, fue mi fe inquebrantable la que me llevó adelante, la convicción de que hay una razón para todo, aunque sólo Dios la conozca. Creemos en Dios. Cada prueba que atravesamos lleva consigo una sabiduría que no podemos captar con nuestras mentes. Entregamos nuestro corazón a Dios, incluso cuando la prueba parece humanamente superior a nuestra capacidad. Esta fe me ha impulsado a perseverar, a seguir trabajando, a luchar y a apoyar a los que me rodean.

La seguridad no existe
En esta guerra, la adversidad no conoce límites: la hambruna en el norte de Gaza durante el año era impensable. La gente se veía obligada a comer hojas de árbol, buscando desesperadamente el más mínimo resto de harina. La «masacre de la harina» llegó incluso a los titulares internacionales, con gente comiendo pan manchado de sangre. Los países enviaron ayuda por mar, y nuestra gente se ahogó intentando alcanzarla. ¿Es realmente posible que Gaza, antaño célebre por su hospitalidad y su generosa cocina, sea ahora una tierra donde la gente se muere de hambre? Sin embargo, esa es la realidad a la que nos enfrentamos. Hemos muerto todo tipo de muertes. Y hoy, el hambre nos ha alcanzado en el sur y el centro de Gaza, regiones supuestamente «seguras» para los civiles desplazados. Pero la seguridad no está en ninguna parte.
Los alimentos son cada vez más escasos, y los precios suben tanto que la mayoría de nosotros no podemos permitírnoslos. La harina, antaño un alimento básico, es ahora difícil de conseguir. Los que consiguen pequeñas cantidades a menudo la encuentran infestada de gusanos o insectos, pero la tamizamos antes de cocinarla y comerla porque no tenemos alternativas.
Incluso he bromeado amargamente con colegas diciendo que preferiría morir en un ataque aéreo que morir de hambre: sería más rápido y menos doloroso. ¿Qué mayor injusticia puede haber que vivir en un mundo en el que pensamos en cómo morir, en la forma menos insoportable de dejar esta vida?


Quizá no vuelva a escribir
Desde principios de diciembre, ha habido algunos destellos de esperanza; rumores de un posible alto el fuego. Pero ya nadie se atreve a ser optimista. Ese es otro cambio. Hace sólo unos meses, yo era una de esas personas esperanzadas. Cada vez que oía rumores de alto el fuego, me apresuraba a hacer la maleta, lista para volver a casa. Pero cada vez, mi corazón se rompía. Hoy he aprendido a no tener esperanzas. En psicología, esto se llama indefensión aprendida: cuando los fracasos o las dificultades repetidas dejan a una persona en un estado de indefensión, incapaz de creer que las cosas cambiarán.
Sin embargo, sigo soñando con el fin de la guerra. Sueño con volver a mi casa en el norte de Gaza, con volver a ver a mi abuela. Tiene más de 70 años y es una mujer resistente, amable y muy religiosa. No la veo desde el 7 de octubre. Mi corazón anhela tenerla cerca de mí. No puedo imaginar cómo ha soportado el terror, el hambre y el dolor. A veces hablamos por teléfono, pero es demasiado doloroso. Las dos lloramos y las llamadas terminan con más miedo y añoranza.
En este momento, me imagino escribiéndole la próxima vez desde el norte de Gaza. Tal vez aún quede en mí un poco de la esperanzada Nour. O tal vez nunca vuelva a escribir. Nadie sabe lo que nos depara el futuro. Pero lo que sí sé es que la opresión siempre llega a su fin algún día. Como escribió el poeta Abu el Kacem Chebbi: «Si a la gente le ocurre, un día, querer vivir, el destino tendrá que responder». Y como promete Dios en el Corán: «Junto a la dificultad está, sin duda, la facilidad». A pesar de todo lo que soportamos, nos aferramos a nuestra fuerza y resistencia. Cada día, dejamos a un lado nuestro dolor para asumir nuestros roles y tender la mano a quienes nos rodean. Ayudar a los que el mundo ha olvidado da sentido y propósito a nuestras vidas.

Un deseo tan simple
El mes pasado, un momento quedó grabado en mi memoria. Un joven que visita nuestra clínica perdió a toda su familia y su pierna derecha en la guerra. Único superviviente, ahora vive solo en una endeble tienda de campaña. A pesar de estas pérdidas inimaginables, representa una fuente de esperanza para los demás. Durante las sesiones psicosociales, aprendió ejercicios de respiración y técnicas de afrontamiento. Nos hemos dado cuenta de que ahora enseña estos ejercicios a otros pacientes en la sala de espera de la clínica, y comparte cómo está afrontando su duelo. Su fortaleza me inspira.
A veces, mis colegas y yo nos permitimos soñar con volver a nuestra devastada ciudad. Hablamos de las primeras cosas que haríamos cuando llegue ese día. En primer lugar, queremos honrar la memoria de nuestro querido colega, el Dr. Maisara, desenterrando su cuerpo de entre los escombros de su casa después de más de un año y dándole un entierro digno. Después buscaremos refugio, quizá en tiendas de campaña, y trabajaremos juntos para reconstruir nuestras vidas y la clínica, para seguir sirviendo a nuestra gente. En cuanto a mí, volveré a ver a mi abuela. Es un deseo tan simple pero tan profundo que me da fuerzas para seguir soportando las penurias.
Sinceramente, después de todo esto, si pudiera elegir, elegiría ser gazatí, ser palestina, de esta tierra que amo una y otra vez, hoy y siempre.

TESTIMONIAL
A Gazan woman’s diary: “We died all kinds of deaths”

Nour Z Jarada has lived in Gaza all her life. For  the French daily “Libération”, this psychologist from Médecins du Monde France writes about her daily life in the war-torn Palestinian enclave. Episode six: the anguish of winter and a hint of hope.

by Nour Z Jarada, Gazan psychologist for Médecins du Monde France, Libération  , 12/31/2024
Translated by Fausto Giudice, Tlaxcala

December is drawing to a close and we’re facing a second winter of war. I could never have imagined going through another winter like this one. Winter used to be my favorite season. When asked what my favorite time of year was, I always answered winter. Always. I loved its rain, its coolness, its comfort. I wished it was always winter. But things are different now. I can no longer afford the luxury of loving winter. I no longer have a warm home, winter clothes, blankets or even heating. I no longer have our streets, our gatherings, or our warm cups of tea shared with loved ones. From now on, none of us here can afford the luxury of loving winter.
I remember crying my eyes out at the first rain of the year. The sadness of another winter while we’re still at war was unbearable. My heart broke for us, for the families in the tents. That night, I saw flooded tents on the news and thanked God for the fragile roof over my head. Yet my heart broke for our children and families who spent the night in the icy water, waiting for dawn or simply for the rain to stop. As those dark hours stretched on, a child’s cries rang out from a nearby tent. They pierced the silence, filled with sorrow and pain. I didn’t know if the child was cold or hungry, but I couldn’t sleep. All nights are terrifying in wartime: they are merciless, cruel and endless. As we all know, we dread the long hours between now and morning and pray for the night’s horrors to come to an end.


Displaced people’s tents after heavy rain in Deir al-Balah, Gaza Strip, December 30. (Madji Fathi/NurPhoto. AFP)

Resilience

Today, after more than a year and two months of war in Gaza, I’m a different person. Unfortunately, I’m not sure whether this change is a good or a bad thing. On the one hand, grief weighs heavily on my heart, a wound so deep that not even time can erase it. This injustice opens the door to a myriad of questions racing through my mind: Why? How is it that the geographical space in which we were born, to which we belong, our race, our color, our religion, are all factors that determine our destiny? Our suffering, our trauma? How can these elements, which we have not chosen, control the course of our lives? How can we heal from such merciless traumas? How can I go on living without my loved ones? These questions haunt me, all the more so when I imagine the end of the war.

Yet I’ve also discovered a resilience I never imagined I possessed. I endured fear, displacement, loss, grief, tears and unimaginable sorrow. I’ve faced it all patiently, even when I had no choice. Through it all, it was my unshakeable faith that carried me through, a conviction that there is a reason for everything, even if only God knows it. We believe in God. Every trial we go through carries with it a wisdom we can’t grasp with our minds. We turn our hearts over to God, even when the trial seems humanly beyond our capacity. This faith has driven me to persevere, to keep working, to fight and to support those around me.

Security nowhere to be found

In this war, adversity knows no bounds: the famine in northern Gaza during the year was unthinkable. People were forced to eat tree leaves, desperately searching for the slightest remnant of flour. The “flour massacre” even made international headlines, with people eating blood-stained bread. Countries sent aid by sea, our people drowned trying to reach it. Is it really possible that Gaza, once celebrated for its hospitality and generous cuisine, is now a land of starvation? Yet this is the reality we face. We have died all kinds of deaths. And today, famine has caught up with us in southern and central Gaza, areas supposedly “safe” for displaced civilians. But safety remains elusive.

Food is becoming increasingly scarce, and prices are rising so much that they are becoming unaffordable for most of us. Flour, once a staple, is now hard to come by. Those who manage to obtain small quantities often find it infested with worms or insects, but we sift it before cooking and eating it because we have no alternatives.

I’ve even joked bitterly with colleagues that I’d rather die in an air strike than starve to death: it would be quicker and less painful. What greater injustice can there be than to live in a world where we think about a way to die, about the least unbearable way to leave this life?

Maybe I’ll never write again

Since the beginning of December, there have been a few glimmers of hope; rumors of a potential ceasefire. But nobody dares to be optimistic anymore. That’s another change. Just a few months ago, I was one of those hopeful people. Every time I heard rumors of a ceasefire, I rushed to pack my suitcase, ready to go home. But each time, my heart was broken. Today, I’ve learned not to hope. In psychology, this is called learned helplessness: when repeated failures or hardships leave a person in a state of helplessness, unable to believe that things will change.

Yet I still dream of the end of the war. I dream of returning to my home in northern Gaza, of seeing my grandmother again. She’s over 70 and a resilient, gentle and very religious woman. I haven’t seen her since October 7th. My heart longs to hold her close to me. I can’t imagine how she has endured terror, hunger and grief. Sometimes we talk on the phone, but it’s too painful. We both cry and the calls end with more fear and longing.

At this moment, I imagine myself writing to you next time from the north of Gaza. Maybe a little piece of the hopeful Nour is still there in me. Or maybe I’ll never write again. No one knows what the future is made of. But what I do know is that oppression always ends one day. As the poet Aboul-Qacem Echebbi  wrote: “If it happens to the people, one day, to want to live, fate will have to answer.” And as God promises in the Qur’an: “Next to difficulty is, surely, ease!” Despite all we endure, we cling to our strength and resilience. Every day, we put aside our grief to take on our roles and reach out to those around us. Helping those the world has forgotten gives meaning and purpose to our lives.

Such a simple desire

Last month, a moment seared itself into my memory. A young man visiting our clinic lost his entire family and his right leg in the war. The only survivor, he now lives alone in a flimsy tent. Despite this unimaginable loss, he represents a source of hope for others. During psychosocial sessions, he learned breathing exercises and coping techniques. We’ve noticed that he’s now teaching these exercises to other patients in the clinic’s waiting room, and sharing how he’s coping with his grief. His strength inspires me.

At times, my colleagues and I allow ourselves to dream of returning to our devastated city. We talk about the first things we would do when that day comes. First and foremost, we want to honor the memory of our dear colleague, Dr Maisara, by digging his body out of the rubble of his house after more than a year and giving him a dignified burial. Then we’ll seek shelter; perhaps in tents and work together to rebuild our lives and the clinic, to continue serving our people. As for me, I’ll see my grandmother again. It’s such a simple but profound desire that gives me the strength to continue enduring the hardships.

Honestly, after all this, if I had the choice, I’d choose to be a Ghazawiya, to be a Palestinian, from this land I love again and again, today and forever.