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26/06/2023

“La terre ou la mort !” : entretien avec Hugo Blanco, révolutionnaire péruvien

Eduardo Abusada Franco, Plaza Tomada, 8/1/2015
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala


Hugo Blanco Galdós, le révolutionnaire péruvien, est mort le dimanche 25 juin 2023 à l'âge de 88 ans dans un hôpital de Stockholm.  Ci-dessous un entretien avec cette figure légendaire, réalisé en 2015.

À cause des nombreux coups qu'il a reçus, son cerveau est très séparé de son crâne et il doit porter un chapeau à larges bords pour anticiper tout coup, aussi petit soit-il, qui pourrait faire éclater une veine. Il a vu plusieurs fois le film ¡Viva Zapata ! avec Marlon Brando. Il porte son éternelle barbe bien entretenue et des bracelets colorés donnent un air festif à son allure. Il est une légende, qu'on le veuille ou non. Une grande partie de l'histoire politique péruvienne du XXe siècle ne peut être écrite sans mentionner son nom. 


Don Hugo, qu'avez-vous fait ces dernières années, puisque vous aviez un peu disparu ces derniers temps ?

Nous avons publié le journal Lucha indígena. Aujourd'hui, en décembre, nous sortons notre 100e numéro. Le journal a été bien accueilli à l'étranger. Nous le publions et il est imprimé à Lima. Nous entretenons des relations avec des camarades à l'étranger via Skype. Nous étions à une réunion en Colombie et ils m'ont demandé de prendre la parole. Ils m'ont dit : « Pourquoi ne parles-tu pas de la Lucha indígena ? » Ils m'ont convaincu qu'il était important que je parle du journal et j'en ai parlé. Ils ont lancé une “minga” (action collective de solidarité) pour Lucha Indígena, et c'est ainsi qu'ils ont obtenu un soutien financier pour le journal.

C’est qui, nous ?

Nous sommes en fait quatre à éditer Lucha indígena. Il y a Enrique Fernández, un ancien ouvrier et dirigeant métallurgiste, qui est le rédacteur en chef, et deux camarades qui vivent à Cuzco.

Je n'ai pas beaucoup vu ce journal, où peut-on se le procurer ?

Ce qui se passe à Lima, c'est qu'il n'y a pas de distributeurs honnêtes. Ils reçoivent le journal en dépôt et ne rendent pas un centime. Grâce à l'aide financière que nous avons reçue de l'étranger, nous avons loué un local, mais nous essayons de trouver des personnes qui puissent s’en occuper.

Quel âge avez-vous, Don Hugo ?

Quatre-vingts ans.

Malgré votre âge, vous êtes bien conservé. Comment vous faites ?

Je fais attention à mon alimentation. Je n'ai recours aux médicaments que dans des cas extrêmes. J'ai recours à la médecine naturelle et à une alimentation fondamentalement saine. Par exemple, mon petit-déjeuner est composé d'eau avec de la farine de coca, de la cañihua et de la kiwicha.

Je vois que vous êtes à la pointe de la technologie. Vous utilisez un téléphone portable, vous connaissez Skype, vous avez un courrier électronique, vous utilisez un ordinateur portable. Comment avez-vous appris ?

Oui, j'ai dû apprendre. Je suis analphabète numérique, mais j'ai appris quelque chose. Je pose des questions et on m'apprend.

Parlez-moi de votre vie, étiez-vous un paysan ou un étudiant ? Vous avez dirigé les mouvements paysans, mais vous êtes aussi allé étudier en Argentine.

Ma mère était une petite propriétaire terrienne et mon père était avocat. J'avais un frère qui étudiait à La Plata [Argentine]. Comme j'aimais la campagne, je suis aussi allé y étudier l'agronomie. Mon père m'a payé. Mais comme le dit Eduardo Galeano, je suis né deux fois. La première naissance, c'est quand je suis venu au monde, et la seconde, c'est quand j'étais enfant et que j'ai appris qu'un propriétaire terrien avait marqué au fer rouge la fesse d'un indigène [il s'agissait du propriétaire terrien Bartolomé Paz, qui avait gravé ses initiales sur la fesse d'un paysan]. ça a eu un impact important sur moi et a marqué ma vie. Lorsque j'avais 13 ans, nous étions trois frères l’un de 19 ans, l’autre de 17 ans, et j'étais le seul à être resté libre, car ils étaient tous deux emprisonnés comme apristes. L'APRA et le parti communiste étaient persécutés. Cela a également eu un impact sur moi. J'avais un penchant pour les indigènes parce que la révolution de 1910 au Mexique avait influencé le Cuzco (...) Ensuite, je suis allé en Argentine et là, il y avait une réalité ouvrière. Là, on pourrait dire qu'entre lycéens, nous avions un groupe d'étude dans lequel nous lisions Haya de la Torre, Mariátegui, Gonzáles Prada, de manière désordonnée. Nous voulions que des universitaires nous guident, mais ils n'osaient pas nous parler, car l'Apra et le parti communiste étaient tellement persécutés que nous pouvions parler et les trahir sans le vouloir. Mais quand je suis parti en Argentine, j'ai pu en savoir plus. J'ai traversé la Bolivie et il y avait beaucoup de littérature révolutionnaire. Je ne le savais pas, mais ce qui s'est passé, c'est qu'en 52, il y a eu une révolution en Bolivie au cours de laquelle un gouvernement militaire a été renversé.

Qu'est-il advenu de vos études d'agronomie, vous les avez-vous abandonnées ?

Pas encore. Je voulais rejoindre une organisation de gauche. Là, nous avons travaillé avec le Centre des étudiants péruviens de La Plata ; et mon frère était le secrétaire général de la cellule de l'APRA à La Plata, parce que là, elle pouvait fonctionner tranquillement. C'est là que j'ai rencontré Villanueva del Campo et Melgar, qui ont été déportés. J'ai appris à mieux connaître l'APRA, mais je ne l'aimais plus, car elle commençait déjà à dévier. J'avais lu ici El antiimperialismo y el Apra, bien sûr je l'aimais bien, mais plus tard dans La defensa continental Haya de la Torre a commencé à capituler devant l'impérialisme usaméricain. Et quant au parti communiste... eh bien, mon frère se chargeait de m’en ire du mal et les communistes ne pouvaient pas le démentir. Je suis donc parti à la recherche d'une organisation et c'est là que j'ai rencontré les trotskystes péruviens et qu'il m'a présenté au parti trotskyste argentin que j'ai rejoint. Le coup d'État pro-impérialiste était en préparation - par les Yankees - à l'époque de Perón. La classe moyenne a soutenu le coup d'État. Je ne me sentais plus bien à l'université. C'est pourquoi j'ai décidé d'abandonner mes études et d'aller travailler dans l'usine de conditionnement de viande de Berisso, près de La Plata.

Combien de temps êtes-vous resté là-bas ?

Environ trois ans. Je suis rentré au Pérou. À l'époque, l'idée était que le prolétariat était l'avant-garde, et comme il n'y avait pas de prolétaires à Cuzco, je suis venu à Lima pour travailler dans des usines. Je suis entré dans une usine textile, mais j'étais habitué à travailler dans de grandes usines, avec 5 000 ou 10 000 ouvriers. Je ne me suis pas bien senti dans une usine où il y avait si peu de monde, où l'un était le filleul du patron, l'autre le neveu du contremaître, et où il n'y avait pas de syndicat. Il n'était même pas possible d'en créer un. J'ai donc quitté l'usine textile et je suis allé dans une usine de métallurgie, mais elle était également petite. Je suis donc allé à Chanchamayo pour apprendre la soudure. Puis je suis retourné à Lima et j'ai finalement trouvé une usine où il y avait déjà un syndicat. C'était une usine d'huile Friol et c'est là que j'ai commencé à travailler. Mais Nixon, qui était vice-président des USA, est arrivé au Pérou, et entre divers groupes de gauche, où ni le parti communiste ni l'Apra n'étaient présents, nous avons préparé une contre-manifestation qui s'est avérée beaucoup plus importante que nous ne l'avions imaginé. C'est alors que la répression a commencé et que j'ai dû quitter l'usine pour me rendre à Cuzco.

Comment avez-vous pu être élu leader paysan lors des soulèvements de La Convención dans les années 1960 si vous n'étiez pas un paysan ?

J'avais appris que le prolétariat était l'avant-garde, qu'il fallait le pousser à prendre le pouvoir et que cela résoudrait les problèmes de tous. Je me sentais indigène, mais comme le prolétariat était l'avant-garde, j'étais aussi prolétaire. Mais lorsque Nixon est arrivé, j'ai dû fuir à Cuzco où j'ai organisé les canillitas, les vendeurs de journaux. J'étais leur délégué au sein de la Fédération des travailleurs de Cuzco. J'ai vu qu'il ne s'agissait pas d'une fédération de travailleurs, mais fondamentalement d'une fédération d'artisans ; et j'ai vu que l'avant-garde était constituée par les paysans de La Convención. Ainsi, lorsque le directeur du journal de Cuzco m'a fait arrêter [à cause des canillitas], j'étais au commissariat avec un dirigeant paysan, que j'avais déjà rencontré dans la Fédération, et qui m'a dit : « Ils vont te relâcher demain, parce qu'il n'y a pas d'ordre du juge ; mais ils vont m'envoyer en prison et je suis inquiet parce que nous avons déjà trois dirigeants du syndicat en prison ». C'était un dirigeant du syndicat de Chaupimayo, et je lui ai dit : « Eh bien, je vais à Chaupimayo ». Il m'a dit : « Va parler aux autres dirigeants en prison ». J'y suis allé, j'ai parlé et ils ont accepté que j'y aille. C'est alors que je suis allé à La Convención et que ma vie de paysan a commencé.

Ils vous ont accepté ?

Ils m'ont accepté parce qu'il y avait déjà trois dirigeants en prison.

Mais comment est-ce qu’ils vous acceptent ? Parce que vous n'êtes pas vraiment cuivré...

Eh bien, il y a beaucoup de paysans parlant le quechua qui marchent pieds nus et qui sont blonds. Ma fille, qui venait de Suède, et moi sommes allés dans mon district et elle m'a dit : « Papa, ces paysans sont plus blancs que moi », et c'est comme ça. Il y a des secteurs où les gens sont blonds. Être indigène, c'est travailler la terre, parler quechua, je ne sais pas d'où cela vient [son téléphone portable sonne et il voit un message]. Mes traits ne sont pas totalement indigènes, mais j'ai quelques caractéristiques.

Vous parlez également le quechua.

Bien sûr, et un peu d'espagnol aussi [il rit]. Le quechua me semble être une langue plus complète que l'espagnol.

« Belaúnde a fait une caricature de réforme agraire, et Belaúnde a tiré sur les paysans. C'est pour cela que le coup d'État a eu lieu ».

Les soulèvements de La Convención et de Lares, dans les années 1960, vous ont fait connaître. À l'époque, le problème des Indiens, comme l'a dit Mariátegui, était le problème de la terre ; si la question se pose aujourd'hui contre les sociétés minières, le problème est-il toujours plus ou moins là ?

Un journaliste a dit qu’avant, je me battais pour la "terre" avec une minuscule, et que maintenant je me battais pour la "Terre" avec une majuscule. En quechua, nous n'avons pas ce problème, car il s'agit de deux mots différents. La terre arable est "jallpa" et la planète terre est "pachamama".

Ainsi, pour faire un parallèle et malgré les distances, vous étiez un peu comme un Gregorio Santos de l’époque. Lui, comment le voyez-vous ?

Tout d'abord, je ne crois pas aux leaders. Je ne me considère pas comme un leader et ne l'ai jamais été. Deuxièmement, j'ai toujours respecté la caractéristique indigène selon laquelle c'est la communauté qui commande et non l'individu. Même lorsque nous avons pris les armes, ce sont les masses qui ont décidé de l'autodéfense....

Même si vous ne pensez pas être un leader, les gens vous ont désigné comme tel...

[Il élève la voix] Ils me voient ainsi parce que le système nous a domestiqués avec l'idée que certaines personnes sont nées pour commander et d'autres pour obéir.

À l'époque où vous étiez mythifié, les femmes indiennes amenaient leurs enfants pour qu'ils soient touchés par vous....

Là, nous étions tous des camarades. Mais pour en revenir à Gregorio Santos, entre autres choses, il n'a pas été contre le projet minier de Conga dès le début, ce sont les camarades qui l'ont exigé de lui. Et puis, lui, par exemple, n'est pas contre le barrage qui va être construit sur le Marañón. C'est-à-dire que je soutiens Santos parce que je sais qu'il est en prison par décision de la compagnie minière et du gouvernement, mais la compagnie minière et le gouvernement ont aussi beaucoup d'arguments pour le garder en prison pour tout cet argent qui était sur le compte de sa femme et que Santos dit provenir de contributions des compagnies au parti MAS.

Hugo Blanco détenu en 1963

 Quoi qu'il en soit, la réforme agraire a été réalisée dans ces années-là, grâce au soulèvement de Chaupimayo que vous avez mené ?

C'est grâce à l'organisation de la paysannerie de La Convención.

Le soulèvement était-il nécessaire ? Belaúnde avait déjà promis la réforme et y travaillait.

Belaúnde a fait une caricature de réforme agraire et Belaúnde a fait tirer sur les paysans. C'est la raison du coup d'État.

Celui qui a tué, ça n’était pas le propriétaire terrien Luna Oblitas, celui qui a tué sept paysans... ?

Oui, mais la politique de Belaúnde consistait à fusiller les paysans qui prenaient la terre à Cuzco. Que s'est-il passé ? Les paysans se sont organisés, ils se sont battus pour la terre, le gouvernement servait les riches comme tous les gouvernements jusqu'à aujourd'hui, et il a ordonné la répression. Les gens ont décidé de se défendre. Ils nous ont fait prisonniers, mais ils ont vu que le peuple réagissait si bien qu'ils n'ont pas continué la répression. Ils ont publié un décret de réforme agraire qu'ils n'avaient pas l'intention de respecter, mais seulement pour La Convención et Lares ; mais deux propriétaires terriens ont décidé d'appliquer la réforme agraire dans leurs haciendas - à Potreros et Aranjuez. Ils y sont allés et ont appliqué la réforme. Comme le prévoyait la loi, les propriétaires terriens se sont retrouvés avec la part du lion. Ensuite, les fonctionnaires sont allés voir les paysans dans d'autres endroits et leur ont dit : « Nous sommes venus vous donner la terre sur ordre du gouvernement ». Les paysans ont répondu : « Ici, nous n'avons pas besoin de la loi de réforme agraire du gouvernement, ici nous faisons la réforme agraire des paysans, qui dit que pas un pouce de terre n'est laissé aux propriétaires terriens et pas un centime ne leur est donné ». C'est seulement dans ces deux haciendas que la réforme agraire du gouvernement a été mise en œuvre, dans les autres, la réforme paysanne a été mise en œuvre alors que nous étions déjà en prison.

Belaúnde a tué de nombreuses personnes et les militaires, inquiets du fait qu'il pourrait provoquer une révolution, ont décidé de prendre eux-mêmes le pouvoir afin de mener à bien la réforme agraire. Ils étaient également soutenus par la bourgeoisie industrielle qui progressait et qui n'appréciait pas l'existence des grandes propriétés semi-féodales, et aussi parce que les paysans avec leurs terres allaient être des acheteurs sur le marché. En d'autres termes, la bourgeoisie était favorable à la réforme agraire et c'est pourquoi elle a soutenu Velasco.

Pour conclure avec Belaúnde, dans son deuxième gouvernement...

[Il m’interrompt]… continuait à tuer des paysans.

Eh bien, selon l'histoire, il a envoyé le "gaucho" Cisneros [général Cisneros Vizquerra, surnommé "le gaucho" pour avoir suivi une formation à la contre-insurrection en Argentine, NdT] combattre les "abigeos" [voleurs de bétail], qui étaient des terroristes, et a massacré des Peaux-Rouges. Mais pourquoi donc Belaúnde a-t-il cette image de “démocrate” ?

Parce que la bourgeoisie en fait un démocrate. La bourgeoisie les élève. Les médias, la justice, les majorités parlementaires, les procureurs, tout est aux mains de la bourgeoisie. Alors, la bourgeoisie nous prêche que c’ est un “grand démocrate”, entre guillemets.

L'histoire est écrite par les vainqueurs.

C'est ainsi. Obama est également un serviteur des transnationales ; Ollanta, pire encore.

Nous en venons maintenant au gouvernement militaire. Après la chute de Velasco, le plan Condor a été mis en place. Avez-vous été victime de cette politique d'élimination des opposants ?

J'étais en prison quand Velasco est arrivé et une dirigeante du parti communiste est venue me dire : « Tu es en prison depuis moins de 7 ans, il te reste encore beaucoup de temps pour purger tes 25 ans. Si tu veux, tu sors de prison demain ». « Si tu t'engages à travailler pour la réforme agraire que Velasco va réaliser, tu sortiras », m'a-t-elle dit. Je savais que ce serait une réforme agraire positive par rapport à l'autre [celle de Belaúnde], mais c'est une chose d'être député, sénateur, parlementaire, conseiller, que le peuple vous ait élu et que vous puissiez faire ce que vous pensez ; et c'en est une autre d'être un fonctionnaire du gouvernement, comme l'ancien gauchiste Yehude Simon qui a dit que le massacre de Bagua [5 juin 2009] était une bonne chose. Je n'allais donc pas devenir fonctionnaire parce que, en plus, nous pouvions avoir des divergences, comme c'était le cas. Je n'allais pas parler de politique avec cette dame et je lui ai dit « non merci, j'ai l'habitude ici en prison ».  Mais que s'est-il passé ? Deux autres prisonniers politiques ont accepté de travailler avec Velasco : Béjar et Tauro. Il a donc dû nous libérer tous. Une fois dehors, ils n'ont cessé de me marteler qu'il fallait que je travaille pour le gouvernement, sinon j'allais “rester en marge de l'histoire”. Je leur ai répondu que l'histoire ne m'intéressait pas. Jusqu'à ce que je dise : « Bon , vous avez gagné, je vais travailler, mais à une condition : qu’on ne réalise pas la réforme agraire que je veux, ni non plus celle que dit le gouvernement, que l'on demande à chaque secteur comment il veut la réforme ; s'il décide une distribution de parcelles, ce sera des parcelles ; s'il dit communauté, ce sera  communauté ; s'il dit coopérative, ce sera coopérative ; etc. ». On m'a interdit de quitter Lima et j'ai été expulsé au Mexique. C'est pourquoi, lorsqu'on me demande quel a été le meilleur gouvernement du Pérou, je réponds que le moins mauvais est celui qui m'a déporté, le gouvernement Velasco.

Mais nous parlions du plan Condor, est-ce que vous étiez ciblé ?

J'ai été déporté par Velasco. Quand Morales a fait le coup d'État, c'était un coup d'État de droite. Mais par démagogie, il a dit que les déportés peuvent revenir. Je suis revenu et ils n’est pas arrêter de me filer, jusqu'à ce que Morales m'expulse, vers la Suède cette fois. Ensuite, lorsque la grève du 19 juillet a secoué le pays, le gouvernement Morales a fait marche arrière et a convoqué des élections pour une assemblée constituante. Mes camarades ont proposé ma candidature. Je suis revenu et, par démagogie, ils ont dit qu'il y aurait un espace libre à la télévision pour que les différents partis puissent faire de la propagande politique. Cet espace m'a été accordé juste après le “paquetazo” [paquet de réformes libérales] et l'appel à la grève de deux jours lancé par la CGTP 19 juillet 1977]. Je suis donc allé dans l'espace libre et j'ai dit : « Eh bien, camarades, nous venons de subir un "paquetazo" terrible. Que vous votiez pour moi ou pour quelqu'un d'autre, cela n'a pas d'importance, on ne résoudra pas le problème avec des élections, on le résoudra avec l'action directe du peuple. La CGTP a appelé à une grève les 27 et 28 ; nous avons donc tous l'obligation d'être unis dans cette grève. N'oubliez pas, c'est notre obligation ». C'est tout ce que j'ai fait. Comme l'espace libre n'était pas destiné à la propagande pour la grève, mais à la propagande électorale, j'étais déjà en prison au bout de 5 heures. Ils en ont profité pour attraper d'autres gauchistes comme Ledesma et Javier Diez Canseco. Ils nous ont mis dans un avion et nous ont envoyés à Jujuy [Argentine] dans le cadre du plan Condor pour que nous disparaissions là-bas. Lorsque nous sommes descendus de l'avion, un général nous a dit : « Vous êtes des prisonniers de guerre » ; mais heureusement, un journaliste a pris une photo de l'avion, qui a été publiée, et ils n'ont pas pu nous faire disparaître.

Que vous ont appris les années passées en prison ? Comment avez-vous passé votre temps en prison ?

Le “démocrate” Belaúnde, foulant aux pieds les lois qui disent que l'accusé est présumé innocent, m'a tenu au secret absolu pendant trois ans. Je devais être emprisonné à Cuzco, mais on m'a envoyé à Arequipa. Tout ce que j'écrivais à mes proches devait être censuré. Lorsque ma famille venait me rendre visite, il y avait toujours un sergent qui écoutait, seuls les membres très proches de la famille pouvaient entrer. Lorsque ma mère venait me rendre visite, comme l'espagnol est une langue affectivement pauvre, je lui parlais en quechua et le sergent me l'interdisait.

Vous avez dû apprendre quelque chose en prison.

Bien sûr. Lorsque j'étais à El Frontón, j'étais plus détendu. Ils ne pouvaient pas me surveiller, car s'ils vérifiaient ma correspondance, j'envoyais mes lettres un autre prisonnier. Pour me détendre, j'ai dû faire une grève de la faim, parce qu'ils voulaient aussi m'isoler. J'ai beaucoup appris en prison. Je lisais les publications des camarades d'autres pays et tout ça.

D'autre part, dans ces luttes un peu guérilléras...

[Il m’interrompt] Le terme “guérilla”, oui et non. Parce que si une guérilla est un groupe armé mobile, oui, j'ai été un guérillero ; mais je ne suis pas d'accord avec la doctrine du "foco" : pour faire la révolution, il faut réunir quelques personnes courageuses qui vont commencer la lutte armée et le peuple va les suivre. En cela, je suis également démocrate, je crois que c'est le peuple qui doit décider. Là, c'est l'assemblée de la Fédération provinciale des paysans qui a décidé de se défendre de manière armée ; et c'est l'assemblée générale qui m'a proposé et voté à l'unanimité pour que j'organise l'autodéfense.

Des années plus tard, vous avez même été lié au MRTA.

Eh bien, si je devais répondre à toutes les accusations portées contre moi....


Mais vous étiez un ami du père de Polay Campos.

Oui, bien sûr, mais c'était un apriste, pas un mrtaiste. J'étais même en désaccord avec le MIR et l'ELN qui se sont soulevés lorsque j'étais en prison. De la Puente est venu me rendre visite lorsque j'étais à Chaupimayo en tant que fugitif, et il m'a dit : « Quand est-ce que vous allez exploser ? » [passer à la lutte armée]. Je lui ai répondu : « Je ne sais pas, c'est aux gens de décider ». Il m'a dit : « Ça ne devrait pas être comme ça, c'est au parti de décider ». Je lui ai dit que je le respectais beaucoup, mais que c'est précisément la différence que nous avons, « tu dis que c’est au parti de décider, pour moi le parti peut proposer, mais ce sont les gens qui décident ». C'est la conversation que nous avons eue avec lui ; et il s'est avéré que nous avons explosé les premiers.

Il faut reconnaître que De la Puente est mort au combat, c'était un homme courageux.

Il ne s'est pas battu. Ils l'ont tué sans qu'il ne tire un seul coup de feu. Ils l'ont attrapé, encerclé, capturé vivant et tué, comme le Che.

Avez-vous déjà tué ?

Oui, la police a décidé, sur ordre du gouvernement, de réprimer la réforme agraire à La Convención. Je me cachais à Chaupimayo, et j'ai entendu à la radio qu'ils disaient eux-mêmes qu'ils allaient d'abord réprimer Cuzco et tuer des paysans, puis La Convención et ensuite Chaupimayo. À La Convención, ils ont interdit les assemblées ; dans les syndicats situés près des routes, ils sont entrés dans les assemblées et ont interrompu les réunions, etc. Lors de l'un de ces outrages, un propriétaire terrien est allé avec un policier pour capturer le secrétaire général du syndicat. Il ne l'a pas trouvé et il y avait un garçon de treize ans à qui il a demandé où était son père. Le garçon lui a répondu qu'il ne le savait pas et il a demandé au garde qui l'accompagnait son arme et a menacé le garçon à bout portant : « Si tu ne dis pas où est ton père, je te tue ! » Le petit garçon ne sait pas et se met à pleurer. Il a tiré, mais a fait pivoter l'arme et a cassé le bras du garçon. Cela s'est passé en présence du policier qui lui avait donné l'arme. Ce paysan est venu me voir pour se plaindre. Il m'a demandé à quelle autorité il pouvait se plaindre, mais toutes les autorités étaient avec eux. Je lui ai dit de se plaindre à ses camarades et l'assemblée s'est mise d'accord pour envoyer des gens demander des comptes au propriétaire. Ils ont décidé d'envoyer un groupe armé que je dirigerais. Nous avons dû traverser deux postes de police avant d'arriver à destination. Nous avons réussi à passer le premier, mais pas le second. J'ai dit aux camarades que nous allions d'abord passer devant, un groupe avec des armes de petit calibre et que si nous passions, ils passeraient aussi. En passant, j'ai vu qu'un garde se tenait à la porte du poste et lisait le journal, le nez plongé dedans. Il nous avait déjà vus. Je lui ai dit que j'allais lui parler et je lui ai raconté ce qui s'était passé à l'hacienda Cayara. Je lui ai dit : « Ils nous envoient demander des comptes au propriétaire de l'hacienda, mais comme il est armé et que nous n'avons pas assez d'armes, nous venons chercher les armes ici ». Tout en disant cela, je sortais mon revolver et le pointais sur lui. « Alors vous, levez les mains. Nous allons sortir les armes, personne ne sera blessé et nous partons » ai-je dit. Mais ce que je ne savais pas, c'est qu'il s'agissait du garde qui était parti avec le propriétaire. C'est ce que j'ai appris plus tard. L'homme a sorti son arme de sa poche et j'ai tiré. Il a réussi à tirer mais la balle est allée se loger dans le plafond. Une seconde de plus et j'étais mort.

Qu'en est-il des autres policiers du poste ?

Après cela, je lui ai arraché l'arme, et des coups de feu ont commencé à sortir d'une autre pièce. Nous sommes tous sortis et mes camarades ont encerclé le poste. Je leur ai dit : « Vous avez un toit de chaume, nous avons des allumettes, rendez-vous. Ils n'ont pas voulu se rendre. Je leur ai fait mettre un bâton de dynamite dans un coin, mais ils ne se sont pas rendus non plus. Je leur ai demandé de mettre une grenade à main fabriquée à partir d'une boîte de lait Gloria, et les gens ont commencé à arriver ; le garde est sorti. J'ai dit « ne le touchez pas, un prisonnier est sacré ». Ils ont fait entrer le garde et il m'a dit qu'il n'y avait que deux gardes et de le laisser s'occuper de son compagnon. J'ai vu que mes camarades sortaient déjà avec leurs armes. L'autre était encore blessé et je leur ai demandé d’amener l’infirmier du village, mais ils n'ont pas voulu venir ; je leur ai dit d'aller avec le garde non armé et que s'ils avaient besoin de médicaments, ils devaient me demander, mais ce qu'ils nous ont demandé, c'était une bougie. Je m'étais rasé pour qu'ils ne me reconnaissent pas, mais comme un homme était tombé, j'ai dit au revoir au garde et je lui ai dit « je m'appelle Hugo Blanco, c'est moi qui l'ai tué », pour qu'ils ne fassent pas de chasse aux sorcières. Et nous sommes allés à l'hacienda.

Et pourquoi voulaient-ils la bougie, pour veiller sur lui ?

Je ne sais pas, c'est ton interprétation.

Si je n'ai pas bien compris et si j'ai bien lu, vous avez convergé avec Nicolás Lucar, le journaliste, lorsque vous avez formé le PUM.

Ici, nous avons formé le PRT [Partido Revolucionario de los Trabajadores], et Lucar était là ; et le PRT a décidé de rejoindre le PUM.

Comment voyez-vous Lucar, votre ancien camarade de parti ?

Tout le monde change. Yehude Simon a également changé.

                                    Lucar, à gauche, portant Blanco

Mais il y a même une photo sur laquelle Lucar vous porte sur ses épaules. Quelle était l'occasion de cette photo ?

Je ne sais pas, nous étions là à l'époque.

Mais enfin, pensez-vous que Lucar a trahi les idées de l'époque ?

[Rires] Non, je ne pense pas, tout le monde le sait. Même la droite le sait.

Mais n'a-t-on pas le droit de changer d'opinion politique ?

Bien sûr, tout le monde a le droit. [Ne s'étend pas sur le sujet].

En parlant de personnes qui ont changé, vous étiez à l'assemblée constituante de 1979, comment avez-vous vu Haya de la Torre cette année-là ?

Ah non, j'étais déjà désillusionné par l'APRA dès l'âge de 19 ans. Mon frère était le secrétaire de la cellule de l'APRA à La Plata, mais il l’a quittée. Avec Villanueva del Campo, nous étions en commission et il m'a dit : « Vous étiez aussi un sympathisant de l'APRA » Oui, Don Armando, lui ai-je dit, c'est grâce à vous que je ne suis pas devenu militant.

Avez-vous pensé pouvoir être président du Pérou ?

[Rire] Impossible. Nous, trotskystes, participons aux élections pour profiter de la campagne électorale pour diffuser nos idées. Je ne vais pas rêver de devenir président, c'est stupide de dire qu'un révolutionnaire va devenir président.

C'est ce qui s'est passé avec Mujica en Uruguay.

Quel révolutionnaire est-il s'il a adopté une loi minière sans consultation ? Nous soutenons certains gouvernements progressistes qui s'opposent à l'empire, à l'agression extérieure, comme Evo Morales, Chávez, Correa, etc.

Pensez-vous que l'on puisse parler de la gauche péruvienne aujourd'hui avec toutes ses divisions, subdivisions, alliances, contre-alliances, etc.

Je ne suis plus lié à la gauche péruvienne depuis longtemps, mais aux luttes en cours. Par exemple, avec la lutte anti-Conga, avec la lutte à Espinar contre l'exploitation minière, comme dans la lutte à La Convención, etc. Je suis avec les luttes populaires.

Exercez-vous toujours votre droit de vote ?

Non... car je suis déjà vieux.

Et qui aimeriez-vous voir comme candidat en 2016 ?

N'importe lequel d'entre eux. Ce sont tous les mêmes ordures. Les gens ont voté pour Castañeda parce qu’ « il vole, mais il travaille ». Qui ne vole pas ? Ils sont tous impliqués dans la mafia.

Qu'en est-il de Humala, avez-vous ressenti un sentiment d'espoir avec lui ?

Je savais déjà qui était Humala, mais j'ai été heureux qu'il gagne. Si l'un des quatre autres avait gagné, les gens auraient dit « wow, ils nous ont encore battus ». Mais avec Humala, ils avaient l'impression d'avoir gagné et il les a trahis, et il y a eu la marche de l'eau. Avec aucun des autres, il n'y aurait eu de marche de l'eau.

Comment saviez-vous déjà qui était Humala, vous aviez une intuition ?

Au début, lors de la rébellion de Locumba, j'étais un partisan de Humala. La dame qui se trouve ici [la maison où il vit] avait été l'enseignante d'Antauro, elle connaissait ses parents, et je suis allé les voir pour leur témoigner ma solidarité. Après cela, j'ai rencontré Antauro une fois à Trujillo dans une station de radio et je lui ai dit : « Vous dites que vous êtes un ethnocacériste, mais savez-vous que Cáceres a trahi les guérillas paysannes qui se sont battues avec lui ? » Il m'a répondu : « Non seulement il les a trahis, mais il les a fait fusiller ». C'était donc un ethnocacériste. En d'autres termes, l'Indien doit être commandé par les militaires, et si un Indien sort du rang, il doit être abattu. J'ai ensuite écrit quelque chose pour dire que les frères Humala étaient progressistes, mais cela ne va pas plus loin. Antauro m'a répondu dans le journal qui a été publié et il m'a dit : « Qu'est-ce que c'est que cette démocratie ? Si la démocratie avait existé jusqu'à présent, il n'y aurait pas eu le soulèvement de Locumba ». Cela m'a surpris, car je pensais que Humala avait harangué les soldats et qu'ils avaient décidé de se soulever contre la dictature. J'ai commencé à chercher sur Internet et j'ai trouvé ce que chacun d'entre vous peut trouver, à propos de Montesinos, qui l'a fait nommer à Locumba (...) Il se promenait dans Arequipa, Toquepala, Mollendo... un soulèvement contre le gouvernement et il n'y avait pas une égratignure !

Oui, au fil du temps, Locumba a pris une allure un peu étrange.

Il s'est vanté que lorsqu'il était à Madre Mia, ses supérieurs l'ont félicité. Qui les supérieurs ont-ils félicité pendant la guerre interne si des soldats ont dû fuir le pays pour éviter d'être tués parce qu'ils ne voulaient pas tuer des innocents ? Ses états de service ont été perdus, et maintenant celui qui les a fait disparaître est à un poste élevé.

D'autre part, lorsque vous étiez au Parlement, c’est vrai que portiez une corde au lieu d’une ceinture ?

Bien qu'il soit désormais possible de falsifier des photos, il n'en existe pas une seule qui le prouve.

Vous vous êtes déjà acheté une ceinture [blague].

C'est lorsque j'étais membre du Congrès que j'ai perdu le plus de temps, parce que la presse disait « il ne se lave pas, il porte des tongs, il porte une corde », mais elle ne disait rien sur ce dont je parlais.

Par ailleurs, vous étiez un supporter de l'Independiente [club de foot d’Avellaneda, Buenos Aires] lorsque vous étiez en Argentine, je crois.

Comme c’ étaient les “diables rouges” et qu'ici le club Cienciano du Cuzco était aussi appelé les “diables rouges” j'étais donc un fan d'Independiente. Un jour, mon frère m'a emmené au stade de Boca pour assister à un match et Independiente a gagné, et il y a eu un massacre. Et comme je ne suis pas religieux, mais athée, et que j'ai vu que le football est une religion, à partir de ce moment-là, plus de football. En fait, je n'ai jamais été fan de quoi que ce soit.


 Dites-moi, à votre âge, après avoir frôlé la mort à plusieurs reprises, y pensez-vous, en avez-vous peur ?

Je n'ai jamais eu peur de la mort. Lorsque j'étais en prison à Arequipa, où j'ai été détenu au secret pendant trois ans, ils ont dit “Celui-là, on l’a ramolli ». Ils ont dit qu'il y aurait une audience, qui aurait dû avoir lieu à Cuzco, mais ils l'ont tenue à Tacna. Ils m'ont dit : « Vous êtes entre 25 ans et la peine de mort ». « Oui, mon avocat me l'a dit », ai-je répondu. Ils m'ont dit qu'il y avait un moyen de me sauver en jouant au malade et qu'ils m'expulseraient vers le pays de mon choix. « Merci, je suis en parfaite santé », ai-je répondu. Je n'allais pas manquer cette audience où je devais dénoncer les grands propriétaires, le rôle de la police et tout le reste. Je ne me suis pas laissé corrompre. Lors de l'audience, la radio annonçait que les “criminels” allaient être jugés. L'audience s'est déroulée dans la caserne de la Guardia Civil. On avait déjà dit à mes camarades : « C'est facile pour vous de sortir. Vous n'avez qu'à dire que “nous sommes des paysans semi-lettrés et le communiste Hugo Blanco nous a trompés”. Lorsque je suis entré dans la salle d'audience et que j'ai revu mes camarades après trois ans, j'ai crié : « La terre ou la mort ! », et ils ont répondu : « Nous vaincrons ! »". Le tribunal était composé d'officiers de la Garde civile. Notre affrontement avait eu lieu avec eux, ils étaient donc juge et partie. Je me suis levé et j'ai dit : « Les seuls criminels dans cette salle d'audience sont ceux qui siègent au tribunal. Ce sont non seulement des criminels, mais aussi des lâches, car ils n'ont pas osé se battre, mais ont envoyé des cholitos [des lumpen] faire leur boulot». Ils m'ont crié de m'asseoir, et entre deux gardes, ils n'ont pas pu me faire asseoir parce que j'étais Tarzan... mais les gardes eux-mêmes, quand le capitaine est parti, m'ont dit « crie-leur encore “la terre ou la mort” ».  (...) Je leur ai dit que si les changements sociaux de la Convention méritaient la peine de mort, qu'ils me tuent, mais que ce soit « celui [qui m’a condamné] qui me tue de ses propres mains, qu'il ne salisse pas les mains des gardes civils et des républicains avec mon sang parce qu'ils sont des fils du peuple et donc mes frères », ai-je dit en désignant celui qui avait demandé la peine de mort. La dernière fois que j'ai crié “la terre ou la mort !”, non seulement mes camarades, mais toute la salle a répondu “nous vaincrons !”. Et ils n'ont pas osé me condamner à mort. J'ai écrit à mes proches et à mes camarades que s'ils me condamnaient à mort, personne ne devait demander la clémence, car Belaúnde voulait jouer le rôle de “pardonneur de vies”. Mes camarades ont dit : « Si ce que Blanco a fait mérite la peine de mort, nous devrions être fusillés aussi, parce qu'il ne l'a pas fait seul, c'était une action collective. Ils n'ont pas osé.

Quoi qu'il en soit, comment aimeriez-vous que la mort vienne à vous ?

Tout d'abord, je n'aime pas mourir. C'est pourquoi mon quatrième exil a été volontaire, car j'ai été condamné à mort par les services de renseignement et par le Sentier Lumineux. J'ai décidé de quitter le pays et je suis allé au Mexique pour être avec mes enfants. Je veux vivre parce qu'il faut mettre fin au système actuel pour que l'espèce humaine puisse survivre. Mais quand ça viendra, ça viendra, et c'est tout.

 


 

 

HAGAR SHEZAF
La moitié des terres de Cisjordanie saisies par Israël est exclusivement destinée à l'usage des colons, selon un rapport

Hagar Shezaf, Haaretz,15/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les terres expropriées qui doivent légalement servir à la fois aux colons israéliens et aux Palestiniens hébergent désormais des colonies et des routes réservées aux Juifs.

La route menant à la colonie de Kedar, en juin. Photo : Emil Salman


Selon un rapport publié mercredi, près de la moitié des terres de Cisjordanie expropriées à des fins publiques ne sont utilisées que par des colons juifs.

Ces terres ont été saisies principalement pour la construction d'infrastructures telles que des routes, mais au fil des ans, Israël a émis des ordres d'expropriation pour des parcelles sur lesquelles quatre colonies ont été établies. Les décisions de la Haute Cour de justice israélienne ont déterminé au fil des ans que les terres palestiniennes de Cisjordanie ne peuvent être saisies que pour un usage public qui bénéficiera également aux Palestiniens.

Le rapport, publié par les associations israéliennes Kerem Navot et Haqel, révèle que, sur les terres expropriées en Cisjordanie, seuls 2 % sont utilisés par les Palestiniens. Le reste des terres est utilisé en partie par les deux populations et en partie par les seuls colons.

Selon une étude menée par Dror Etkes et l'avocate Quamar Mishirqi-Assad, depuis l'occupation de la Cisjordanie en 1967 jusqu'en 2022, 313 ordonnances d'expropriation ont été émises à des fins publiques pour des terres couvrant une superficie d'environ 74 000 dunams (7400 ha). Les terres saisies qui servent à la fois aux Juifs et aux Palestiniens représentent environ 37 000 dunams (3700 ha) ; celles qui servent uniquement aux colons représentent plus de 36 000 dunams (3600 ha). Seuls 1532 dunams (153 ha) sont utilisés uniquement par les Palestiniens.

La plupart des ordonnances d'expropriation ont été émises pour la construction de routes utilisées à la fois par les Palestiniens et les colons. Dans certains cas, cependant, des ordonnances d'expropriation ont été émises pour la construction de chemins d'accès aux différentes colonies ou de routes à l'intérieur de celles-ci.

La construction de la route empruntée par les habitants de la colonie juive de Kedar en 2002 est un exemple clair de la manière dont des terres prétendument saisies pour un usage public sont finalement utilisées par les seuls colons. Pour construire cette route, l'armée israélienne a exproprié quelque 194 dunams (19,4 ha) du village d'Abu Dis, à la périphérie de Jérusalem.

Selon le plan initial, la route devait relier l'entrée de la ville palestinienne d'Al-Eizariya à la route principale menant à Bethléem. L'armée a cependant bloqué la route et, depuis 20 ans, elle est presque entièrement utilisée par les colons de Kedar. L'année dernière, l'armée avait prévu de lever le barrage et de permettre aux voyageurs palestiniens d'emprunter également la route, mais suite aux protestations des colons, le projet n'a jamais abouti.

La route qui mène à la colonie de Kedar, bloquée pour les Palestiniens, la semaine dernière. Photo : Emil Salman

À quatre reprises, des ordres d'expropriation ont été émis pour des terres sur lesquelles des colonies ont été construites par la suite. Le plus important d'entre eux est l'ordre de 1975 qui a exproprié plus de 28 000 dunams (2800 ha) de sept villages palestiniens.

La ville de Ma'aleh Adumim, le parc industriel de Mishor Adumim et une partie de la colonie de Mitzpe Yeriho ont été construits sur ces terres, mais ne couvrent qu'un quart environ de la superficie totale expropriée. Les colonies d'Ofra et de Har Gilo y ont également été construites, et le plan de construction controversé dans la zone E1 (entre Jérusalem et Ma'aleh Adumim) est censé être construit sur la base de cet ordre de 1975.

Ma'aleh Adumim, la semaine dernière. Photo :  Emil Salman

Israël a également émis des ordres d'expropriation pour des sites archéologiques. Par exemple, 139 dunams (13,9 ha) de terres proches des habitations du village palestinien d'Al-Auja ont été récemment expropriés pour le site archéologique d'Archelais. En revanche, parmi les ordonnances d'expropriation délivrées pour le seul usage palestinien, on trouve celles qui concernent la construction de stations d'épuration et de gares routières.

Les données montrent une corrélation entre le nombre d'ordonnances d'expropriation et l'augmentation de la construction de colonies. Selon le rapport, il ne s'agit pas d'une coïncidence. Quelque 56 % des 179 ordonnances émises à ce jour l'ont été entre 1977 et 1984, et c'est au cours de ces années que 70 nouvelles colonies ont été construites - une tâche qui a nécessité la construction d'infrastructures et de routes.

La position juridique israélienne acceptée est que l'expropriation de terres à usage public pour les colons n'est autorisée que lorsqu'elle sert également les Palestiniens. C'est ce qui ressort d'une pétition déposée contre la construction de la route 443 (qui relie Tel-Aviv à Jérusalem), qui a conclu que la route pouvait être construite parce qu'elle desservait les deux populations.

Le site archéologique d'Archelais dans la vallée du Jourdain, la semaine dernière. Photo : Emil Salman

En 2017, le procureur général de l'époque, Avichai Mendelblit, a présenté un avis juridique selon lequel des terres palestiniennes privées pouvaient être expropriées pour l'usage public des colonies. Cet avis s'inscrivait dans le cadre d'une tentative de légalisation de l'avant-poste juif de Harsha, compliquée par une route d'accès qui passait par des terres privées. Cet avis fait suite à une décision de l'ancien juge de la Cour suprême, Salim Joubran, qui avait estimé que les terres pouvaient être saisies au profit des colons israéliens parce qu'ils faisaient eux aussi partie de la “population locale” de la Cisjordanie.

En 2020, la présidente de la Cour suprême, Esther Hayut, a annulé une loi qui aurait légalisé le statut des colonies partiellement construites sur des terres palestiniennes privées, au motif qu'elle était “inconstitutionnelle”. Dans son arrêt, Esther Hayut a déclaré que la loi « cherche à légaliser rétroactivement des actes illégaux perpétrés par une population spécifique de la région tout en portant atteinte aux droits d'une autre population ».

 

 

Pour l’Aïd au Sénégal, au Maroc ou en Tunisie, quels moutons et à quels prix ?
Acheter un mouton, un vrai sacrifice

, Jeune Afrique, 23/6/2023

 Du Maghreb à l’Afrique de l’Ouest, l’inflation, les sécheresses et l’insécurité font flamber le prix des ovins, compliquant les célébrations de l’Aïd. Décryptage en infographies.

À Dakar, les foires au bétail ne connaissent pas la même effervescence qu’à l’accoutumée. Alors que les autorités religieuses ont annoncé que la plus importante des fêtes musulmanes, l’Aïd Al Adha – la Tabaski en Afrique de l’Ouest – serait célébrée entre le mercredi 28 juin et le jeudi 29 juin (soit le dixième jour du dernier mois du calendrier lunaire islamique), béliers et clients manquent encore à l’appel.

En cause, les émeutes meurtrières qui ont éclaté dans plusieurs villes du Sénégal après la condamnation, le 1er juin, de l’opposant Ousmane Sonko à deux ans de prison ferme.  Ces explosions de violence ont effrayé les éleveurs maliens et mauritaniens, qui acheminent chaque année près de 150 000 bêtes pour l’occasion. Une partie d’entre eux semble attendre le dernier moment pour amener leur cheptel en toute sécurité dans les marchés de la capitale. Signe qui ne trompe pas : dans la ville de Dakar, il manquait, le 18 juin, 40 000 moutons par rapport à 2022.

Pression sociale

Une rareté relative, qui vient accentuer les habituelles spéculations à l’approche de la Tabaski. D’autant qu’aux craintes de tensions s’ajoutent une très forte inflation (15,1 % sur les produits alimentaires en 2023 en Afrique) et des sécheresses historiques qui ont frappé durement plusieurs pays du continent. Un cocktail explosif qui a fait grimper les prix des bêtes et des denrées nécessaires à la préparation de la « grande fête », au point que certains, au Maroc et en Tunisie, envisagent d’annuler purement et simplement le sacrifice.

Pour les ménages les moins aisés, l’achat du mouton constitue une très lourde pression sociale. Combien coûtera-t-il cette année ? Quelles races sont les plus prisées ? La réponse en infographies.

 


 

25/06/2023

GIDEON LEVY
Et qui est censé protéger les Palestiniens ?

 Gideon Levy, Haaretz, 25/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Il n’y a pas beaucoup de populations dans le monde aussi démunies que les Palestiniens qui vivent dans leur propre pays. Personne ne protège leur vie et leurs biens, encore moins leur dignité, et personne n’a l’intention de le faire. Ils sont totalement abandonnés à leur sort, tout comme leurs biens. Leurs maisons et leurs voitures peuvent être brûlées, leurs champs incendiés. On peut leur tirer dessus sans pitié, tuer des vieillards et des bébés, sans aucune force de défense à leurs côtés. Pas de police, pas de militaires : personne. Si une telle force de défense désespérée est organisée, elle est immédiatement criminalisée par Israël. Ses combattants sont qualifiés de “terroristes”, leurs actions d’“attaques terroristes” et leur sort est scellé, la mort ou la prison étant les seules options possibles.

Voitures de Palestiniens incendiées par des colons israéliens dans la région d’Al Lubban Ash Sharqiya en Cisjordanie occupée la semaine dernière. Photo : AHMAD GHARABLI /AFP

Dans le chaos total créé par l’occupation, l’interdiction faite aux Palestiniens de se défendre est l’une des règles les plus folles : c’est une norme acceptée qui n’est même pas discutée. Pourquoi les Palestiniens ne sont-ils pas autorisés à se défendre ? Qui est censé le faire à leur place ? Pourquoi, lorsque l’on parle de sécurité”, ne s’agit-il que de la sécurité d’Israël ? Les Palestiniens sont davantage victimes d’agressions, d’effusions de sang, de pogroms et de violences - et n’ont aucun outil de défense à leur disposition.

En trois jours, la semaine dernière, 35 pogroms ont été perpétrés par des colons. Depuis le début de l’année, environ 160 Palestiniens ont été tués par des soldats, la grande majorité d’entre eux inutilement et la plupart du temps de manière criminelle. Du bébé Mohammed Tamimi au vieillard Omar As’ad, des Palestiniens ont été tués sans raison.

Il n’y avait personne pour empêcher les soldats de tirer sans discernement, personne pour faire face aux tireurs d’élite. Aucune autorité israélienne n’a même envisagé de retenir les centaines de colons déchaînés. Par ses actions et ses omissions, l’armée israélienne s’est rendue complice des pogroms, tout comme la police. Les Palestiniens ont été abandonnés à leur sort.

Abandonnés, les résidents palestiniens ont assisté, impuissants, à l’incendie de leurs maisons, de leurs champs et de leurs voitures par les abominables colons, craignant même de respirer. Essayez d’imaginer des centaines de voyous répugnants à l’entrée de votre maison, brûlant et détruisant tout, et vous-même espérant qu’ils n’entrent pas dans votre maison et ne blessent pas vos enfants, et ne pouvant rien y faire jusqu’à ce qu’ils partent enfin. Il n’y a personne à qui s’adresser pour demander de l’aide. Il n’y a ni police, ni autorités, ni personne à qui demander de l’aide. Toute mesure prise pour se défendre serait considérée comme un acte de terrorisme. Essayez d’imaginer ça.

Lorsque les courageux combattants du camp de réfugiés de Jénine - bien plus courageux que les soldats des FDI bien protégés et plus légitimes qu’eux - tentent d’arrêter les invasions militaires du camp avec leurs armes moins puissantes, ils sont bien sûr considérés comme des terroristes et n’ont qu’un seul sort à subir. L’envahisseur est légitime, et celui qui défend sa vie et ses biens est un terroriste. Les critères et les règles morales sont incompréhensibles dans leur absurdité. Chaque meurtre commis par un soldat est considéré comme juste, y compris celui de Sedil, une réfugiée de 15 ans tuée sur la terrasse de sa maison la semaine dernière. Tout tir d’autodéfense contre un soldat envahisseur est considéré comme un acte terroriste brutal.

Dans une autre réalité, on pourrait au moins rêver d’une force juive israélienne se mobilisant pour défendre les Palestiniens sans défense. On pourrait rêver d’une gauche israélienne se mobilisant pour défendre sa victime, comme l’ont fait certains individus remarquables, dont des Juifs exemplaires, pour aider à défendre les Sud-Africains noirs sous l’apartheid, en se battant avec eux et en étant blessés et emprisonnés pendant de nombreuses années à leurs côtés.

Accompagner les élèves à l’école pour les protéger est noble, mais ce n’est pas suffisant. Il est facile de parler mais difficile d’agir. Cette idée n’a jamais fait son chemin pendant toutes les années d’occupation, à l’exception d’une ou deux tentatives immédiatement bloquées par Israël. Il est difficile de blâmer la gauche pour cela, mais il est impossible de ne pas ressentir une certaine amertume face à son inaction. Cette semaine, d’autres Palestiniens seront tués sans raison et leurs biens seront détruits. Les enfants mouilleront leur lit, craignant le moindre bruit dans la cour, sachant que leurs parents ne peuvent rien faire pour les protéger. Une fois de plus, les Palestiniens seront laissés sans défense.

L’envahisseur est légitime et celui qui défend sa vie et ses biens est un terroriste. Les critères moraux sont incompréhensibles dans leur absurdité.

 

24/06/2023

ANNAMARIA RIVERA
Dino Frisullo, un militant hors norme

 Annamaria Rivera, 20/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Intervention lors d'une rencontre de commémoration “Vingt ans sans Dino Frisullo”, organisée par l'association Senza Confine (Sans Frontière) à Rome le 20 juin, à l’occasion de la Journée des réfugiés

L'un des nombreux et grands mérites de Dino est d'avoir parfaitement saisi que le sens de la “grande histoire” peut être retracé dans les “petites histoires” de domination, d'oppression, de discrimination d'une population, d'une minorité, d'un groupe, mais aussi dans le malheur et les drames de chacun·e de ses membres, de chaque réfugié·e, de chaque migrant·e, de chaque opprimé·e : la “petite” histoire d'un exilé étouffé dans la cale d'un bateau peut nous en dire plus sur le monde d'aujourd'hui qu'une froide dissertation géopolitique. Donner un sens et une valeur politique générale à ces “petites histoires”, c'est en somme saisir le sens profond du présent et des processus de mondialisation. 


Dino Frisullo (5 juin 1952 - 5 juin 2003)

S’occuper, comme l'a fait Dino, d’ un groupe de migrants bangladais, d’une collectivité de demandeurs d'asile, d’une minorité opprimée comme la minorité kurde, d’un groupe de Rroms déportés, prendre en charge leurs besoins existentiels et pas seulement politiques, lire leurs “petites histoires” comme des indices et des effets prégnants de la “grande histoire” : c'était pour lui la seule façon possible de pratiquer un savoir critique et un engagement social et politique adaptés au présent, et libres de toute politicaillerie et de tout enfumage idéologique.

Sa propension à regarder le monde à travers les yeux des autres était le fruit, rationnel mais aussi émotionnel et sentimental, d'un engagement qui n'avait pas expurgé la pietas et qui se nourrissait de rigueur morale, de sensibilité et de connaissance : un engagement totalisant et radical, généreux jusqu'à l'autodissipation, intransigeant jusqu'à l'obstination : en un mot, toute son existence en tant qu'engagement.

Dino était un militant hors norme, très différent du modèle qui s'était imposé au cours des années 1970 : parce qu'il savait combiner l'obstination, l'entêtement, inflexible et parfois même irritant, auxquels personne ne pouvait échapper (être réveillé au milieu de la nuit par lui qui vous investissait d'un problème urgent était assez courant), avec la douceur et la mansuétude, parce qu'il ne connaissait ni sectarismes ni idéologismes, parce qu'il ne pouvait en aucun cas être enrégimenté par un quelconque comité central, même celui de la plus ouverte des formations politiques de la nouvelle gauche, parce qu'il était irrévérencieux non seulement à l'égard des puissants mais aussi à l'égard de tout pouvoir, même celui d'un leadership de mouvement. Tout cela se combinait avec une sorte de légèreté ironique dans la façon dont il se présentait aux autres : son style était aussi celui d'une séduction et d'une douceur désarmantes, qui réussissaient souvent à arrêter des fleuves et à déplacer des montagnes. 

C'est surtout grâce à lui que nous avons fondé, ensemble et avec beaucoup d'autres, le Réseau antiraciste, une expérience brève et intense de liaison entre les associations antiracistes de toute l'Italie, qui a duré de 1994 à 1997. Une expérience que lui et moi (nous en étions les porte-parole), mais aussi d'autres camarades (mais pas tous, malheureusement) ne cesseront jamais de regretter. Parce qu'il s'agissait d'un antiracisme éclairé et radical, qui anticipait de plusieurs années des analyses, des thèmes et des revendications que certains considèrent aujourd'hui comme inédits : les personnes migrantes et réfugiées en tant que sujets exemplaires de notre époque, le thème de la citoyenneté européenne de résidence, la bataille pour le droit de vote et la civilisation des procédures administratives concernant les étrangers*, la critique des camps d'État.

C'était l'époque du premier “gouvernement ami” et la voix dissonante du Réseau antiraciste allait bientôt être réduite au silence.

Ce que peuvent dire celles et ceux qui l'ont fréquenté et qui ont vécu avec lui des saisons fertiles de lutte, c'est que son absence brille aujourd'hui de manière aussi aveuglante qu'un soleil inexorable qui ne se couche pas, pour paraphraser un poème de Jorge Luis Borges.

Aujourd'hui, devant le flux continu des exodes qui ont pour épilogue la mort en mer de centaines de réfugié·es ou le retour forcé aux tragédies et aux persécutions auxquelles ils·elles ont tenté d'échapper, on se surprend à penser : bien sûr, l'activisme frénétique de Dino ne parviendrait pas à lui seul à vaincre notre faiblesse politique et l'arrogance grossière et féroce des entrepreneurs politiques du racisme.

Mais combien nous manquent et combien nous seraient précieux, précisément à ce stade, ses dix communiqués par jour qui arrivaient dans toutes les rédactions et dans tous les coins d'Italie, son entêtement inflexible et irritant auquel personne ne pouvait échapper, son travail obstiné de vieille taupe qui découvre, met en lumière et dénonce les injustices et les crimes contre les damnés de la terre, sa capacité à opposer des données, des chiffres, des faits au baragouin des experts en xénophobie et en racisme.

NdT
* En Italie, c'est la police qui gère toutes les démarches administratives des étrangers, par exemple concernant l'état-civil, qui, pour les nationaux, est géré par les administrations communales

 

Présentation du livre In cammino con gli ultimi (En marche avec les derniers) le 29 juin à Bari

23/06/2023

AMIRA HASS
Pour expulser efficacement les envahisseurs palestiniens [!], un bon colon doit apprendre l’arabe

Amira Hass, Haaretz, 6/6/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Apprendre l'arabe parlé pour mieux chasser les agriculteurs et les bergers palestiniens de leurs terres. C'est la dernière mutation de la motivation des services de renseignement de sécurité pour l'étude de l'arabe en Israël. Tel est le message exprimé lors d'une conférence d'introduction à un cours en ligne d'arabe parlé, rédigé et promu par un homme de 28 ans, né aux USA, qui vit dans l'une des colonies de Cisjordanie en expansion constante, au nord de Ramallah.

Le concepteur du cours a invité trois “spécialistes du domaine”, comme il les appelle, à parler de l'importance de l'apprentissage de la langue : Mordechai Kedar (conférencier retraité de l'université Bar-Ilan et ancien officier du renseignement militaire), Ariel Osterreicher (ancien officier de liaison auprès du coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires, aujourd'hui assistant exécutif de l'attaché de défense d'Israël aux Philippines) et le premier orateur, Shabtay Kushelevsky, l'un des fondateurs de la milice connue sous le nom d'Hashomer Yosh (Yosh est un acronyme hébreu courant pour Judée et Samarie, les noms bibliques des régions de Cisjordanie ; il possède une ferme non autorisée dans le sud de la Cisjordanie). 

Shabtay, son chien juif et ses moutons juifs

 

Lors de la conférence Zoom, j'ai entendu parler de l'importance d'apprendre l'arabe du point de vue de la sécurité, du renseignement et de la sociologie régionale.

Les bénévoles de l'organisation font partie d'une machine bien huilée qui, avec l'encouragement et le soutien de l'État et des institutions chargées du maintien de l'ordre (les forces de défense israéliennes, la police israélienne et le ministère de la défense), est responsable des violences qui chassent les bergers et les agriculteurs palestiniens de leurs terres en Cisjordanie.

Lors de la conférence Zoom (à laquelle je me suis inscrite en utilisant mon nom complet et en payant pour trois participants), j'ai entendu parler de l'importance de l'apprentissage de l'arabe du point de vue de la sécurité, du renseignement et de la sociologie régionale. Le concepteur du cours m'a également parlé de l'importance de la mousse du café arabe et du fait que « beaucoup de gens ne savent pas à quel point la culture arabe et la langue arabe sont liées par un lien indéfectible » [ça alors, vraiment ? NdT].

Je n'ai pas entendu dire que l'arabe valait la peine d'être appris parce qu'il est riche et beau, une langue sémitique qui nous enseigne ses racines communes avec l'hébreu. Et il va sans dire que je n'ai pas entendu que c'était la langue des Palestiniens, les natifs de cette terre. Selon Kushelevsky, ils sont de toute façon des “envahisseurs”. Voici ce qu'il a dit lors de la conférence, édité si nécessaire pour des raisons de clarté et de style :

« Le judaïsme est la religion la plus agricole du monde : le calendrier tourne autour des événements agricoles. Hashomer Yosh est une organisation qui s'est donné pour mission d'aider les agriculteurs, en particulier les planteurs et les bergers, car en plus d'encourager toutes les formes d'agriculture juive et le retour au judaïsme, ils gardent également des territoires pour nous.

« En termes de droit, chaque agriculteur a des moutons qui vont aux pâturages. Nous avons un problème insensé dans tout le pays, pas seulement en Judée et en Samarie, et c'est l'invasion des terres. Chaque invasion de terre par les Arabes nécessite une sorte de hangar, et deux ans plus tard, vous avez un quartier entier que vous ne pouvez pas expulser. Si un agriculteur parvient à empêcher cette histoire de deux chèvres et d'un abri, il a empêché une invasion.

« La totalité de [la ville de] Bnei Brak, voisine de Tel-Aviv, représente [29 400 acres = 12 000 ha]. L'ensemble des colonies [juives] de Judée et de Samarie représente environ [260 000 acres= 105 000 ha]. Chaque ranch, quant à lui, occupe en moyenne [4 000 acres=1618 ha]. En d'autres termes, une seule famille contrôle la superficie d'une ville de taille moyenne, et aucune invasion [arabe] ne s'y produira. Quelque 200 ranchs d'une seule personne contrôlent environ [800 000 acres-323 000 ha].

"S'occuper des moutons est le travail le plus difficile au monde. N'importe quel enfant de 4 ans peut déplacer les moutons d'un endroit à l'autre. C'est ce qu'a fait Rachel [dans la Bible], qui a trouvé un mari. La région est magnifique, notre terre - étonnante : grottes, sources, ravins... mais vous êtes complètement seul. Tous nos ancêtres étaient des bergers. Moïse, le roi David, tous étaient des bergers.

« Les éleveurs de moutons possèdent les moutons, mais ils ne s'occupent pas nécessairement de la garde des troupeaux. Souvent, les éleveurs font appel à un berger, qui est un as et qui est en contact avec la nature, mais il ne reste que six mois, car c'est très monotone. Quelques-uns s'accrochent pendant un an. En Suisse, par contre, il faut être avec les moutons pendant trois ans pour devenir aide-berger.

« Le berger connaît le territoire. C'est-à-dire toutes les plantes du territoire et ce que chaque plante fait aux moutons. Par exemple, il est très sain pour les moutons de traverser une oliveraie [appartenant à des Palestiniens, comme l'expérience nous l'apprend]. Mais pas plus de 15 minutes, car la quantité devient alors toxique.

« Le berger connaît chaque ravin, chaque colline, chaque point d'eau. Il connaît aussi l'arabe parlé sur le terrain : Dieu soit loué, cette région se rétrécit et nous y entendons de plus en plus d'hébreu. Il y a dix ans, 70 % des moutons du pays, et pas seulement en Judée et en Samarie, étaient des moutons non juifs. Aujourd'hui, 60 % sont des moutons juifs. Ils occupent l'espace qu'ils sont censés occuper.

« Bien sûr, le berger connaît aussi la langue parlée dans les champs, le berger arabe qui crie quelque chose ou le clan que vous rencontrez en chemin. Si nous voulons nous emparer de la terre et la posséder, la connaissance de la langue est un élément important du rôle de propriétaire.

« Nous, à Hashomer Yosh, nous avançons sur le sujet des cours d'arabe pour les volontaires, afin qu'ils soient capables de s'orienter sur le terrain. Lorsqu'un berger [juif] rencontre un berger arabe et qu'il peut parler plus que l' « arabe des postes de contrôle » que nous connaissons tous grâce à notre service militaire, qu'il sait faire la différence entre les moutons et tout ce qui a trait à l'orientation sur le terrain, cela réduit considérablement les frictions. La dernière chose que nous voulons, ce sont des bagarres à coups de pierres. C'est la différence entre le ciel et la terre, être avec les moutons quand on connaît l'arabe et quand on ne le connaît pas. C'est encore plus important que de déplacer les moutons vers la gauche ou la droite. C'est ce qui préservera nos vies, les moutons et la terre ».

“Fascinant”, a commenté le concepteur du parcours en guise de remerciement à Kushelevsky.