Bethan McKernan et Quique Kierszenbaum (photos), The Guardian, 28/9/2022
Traduit
par Fausto
Giudice, Tlaxcala
L'une des plus grandes décisions d'expulsion depuis le début de l'occupation israélienne des territoires palestiniens en 1967 met toute une communauté en danger
La nouvelle année scolaire a commencé et la saison des récoltes approche, mais certains des hommes et des garçons de Masafer Yatta sont occupés à travailler sur un projet différent – emménager dans une grotte.
À Khribet Al Fakhiet, un village reculé au cœur de la Cisjordanie occupée, les habitants utilisaient un treuil improvisé monté sur une camionnette pour aider à dégager une caverne abritant des moutons et des chèvres. Des seaux descendus par l'entrée et par un trou dans le plafond de la grotte sont ressortis remplis de paille et de fumier ; l'intérieur poussiéreux et chaud était éclairé par des lampes alimentées par un générateur. Face à la démolition de leur maison, de leurs enclos à bétail et d'autres structures, une famille se prépare à se réinstaller dans la grotte avant l'hiver.
« Nous n'avons pas le choix », dit Mohammed Ayoub, le chef d'une famille élargie de 17 personnes. « Nous dormons dans le dispensaire du village depuis que notre maison a été détruite, mais nous devons trouver une alternative. »
Le Guardian a rencontré la famille en mai, juste après la décision de la Cour suprême israélienne qui a bouleversé la vie des quelque 1 000 Palestiniens vivant dans la série de hameaux de Masafer Yatta. La maison d'Ayoub a été démolie par des bulldozers lors d'une opération supervisée par les Forces de défense israéliennes quelques semaines après le jugement, les laissant dans une tente tout l'été.
Israël a désigné cette zone de 3 000 ha des collines arides du sud d'Hébron comme zone d'entraînement militaire – zone de tir 918 – dans les années 80. Après des décennies de batailles juridiques, cependant, il y a quatre mois, la Cour suprême a finalement accepté l'argument des FDI selon lequel les habitants de Masafer Yatta ne pouvaient pas prouver qu'ils étaient résidents avant la création de la zone de tir.
Cette décision, qui est contraire au droit international, a été l'une des plus importantes depuis le début de l'occupation israélienne des territoires palestiniens en 1967. Maintenant, les foyers et les moyens de subsistance de toute la communauté sont en danger, et l'armée, avec les colons israéliens illégaux, augmente la pression pour essayer de forcer les Palestiniens à partir.
La vie à Masafer Yatta était déjà difficile : la région est située dans la zone C, les 60% peu peuplés de la Cisjordanie sous plein contrôle israélien et sous la menace d'une annexion. Les citernes d'eau, les panneaux solaires, les routes et les bâtiments palestiniens sont souvent démolis au motif qu'ils n'ont pas de permis de construire, qui sont presque impossibles à obtenir, alors que les colonies israéliennes illégales environnantes fleurissent. La communauté est principalement constituée d’éleveurs, élevant des chèvres et des moutons tout au long des étés torrides et des hivers glacés.
Depuis que le vide juridique a pris fin en mai, la situation a rapidement empiré. Les démolitions se sont accélérées, les 80 personnes vivant à Khallet Athaba’ devant perdre leurs maisons lorsque les bulldozers arriveront jeudi 29 septembre. L'armée mène également davantage d'exercices de tir réel, endommageant parfois des bâtiments palestiniens ou laissant derrière elle des douilles et des débris dont les habitants craignent que ça soit des munitions non explosées.
Les bergers disent qu'on leur dit régulièrement de quitter les pâturages, qui sont ensuite repris par les colons. Les livraisons d'eau et d'aliments pour le bétail, ainsi que les visiteurs d'organisations caritatives et de militants qui aidaient à dissuader les colons de commettre des actes de violence, ont été arrêtés sur le périmètre de la zone de tir et renvoyés faute de permis de voyage.
De nouveaux postes de contrôle ont complètement isolé des villages tels que Janba, rendant difficile le départ des résidents : les Palestiniens sont parfois arrêtés et interrogés par des soldats pendant des heures, et une soixantaine de voitures sans permis ont été confisquées.
Pour éviter les FDI, les résidents font maintenant appel à d'autres villages pour essayer de comprendre le mouvement des véhicules blindés de transport de troupes, avant de se déplacer sur des routes non pavées.
De nombreuses familles ont recommencé à utiliser des ânes, plutôt que des voitures, pour se déplacer. Le Guardian a voyagé dans l'un des rares véhicules appartenant à des Palestiniens pour traverser la zone – et même à ce moment-là, personne n’osiat emprunter les routes avec des postes de contrôle de l'armée.
Les FDI ont répondu à une demande de commentaires : « La zone de tir 918 est une zone militaire fermée. Toute entrée dans la zone sans l'autorisation des FDI constitue une infraction pénale et met en danger des vies humaines. En conséquence, des soldats des FDI sont stationnés à l'entrée de la zone de tir afin d'empêcher toute entrée non autorisée dans la zone. En outre, les FDI opèrent afin de permettre à tous les civils de la région de mener une vie quotidienne normale. »
Le sentiment, comme l'a dit la famille Abu Aram, est d'être poursuivi en permanence. En dehors de leur maison à Markaz, un hameau sur un plateau venteux, Mina et Mohammed Abu Aram ont décrit la dernière fois qu'ils ont essayé d'emmener leur fils de trois ans, Ammar, pour un rendez-vous à l'hôpital dans la ville d'Hébron.
« Ammar est né avec une maladie cardiaque. Il a besoin de médicaments tous les jours, et doit aller souvent à l'hôpital. La semaine dernière, nous avons été arrêtés par des soldats, et ils ont pris la voiture, ils ont pris [Mohammed] à la base, et nous ont laissés, Ammar et moi, sur le bord de la route », raconte Mina.
« Nous leur avons dit qu'Ammar avait un rendez-vous médical, mais ils s'en fichaient. Il a fallu deux heures à mon mari pour revenir. »
La communauté de Masafer Yatta n’a pas seulement à faire avec l'armée, mais avec un nombre croissant de colons israéliens autour d'eux – dont certains sont notoirement violents.
« Les soldats poussent de l'ouest, et les colons de l'est, nous serrant dans toutes les directions », dit Nidal Younes, le chef du conseil du village de Masafer Yatta.
Dans le cadre de cette campagne d’usure, certaines personnes ont été forcées de partir pour la ville voisine de Yatta. L'effet est peut-être le plus perceptible dans la seule école secondaire de la région : les élèves sont maintenant en moyenne en retard d’ une heure chaque matin après avoir franchi les nouveaux points de contrôle, raconte le directeur, et le personnel venant de la ville de Yatta a été refoulé, arrêté ou s’est vu confisquer sa voiture.
Les FDI ont déclaré que lors d'un « cas particulier, spécifique dans lequel des étudiants ont été retardés, les directives ont été clarifiées sur la question afin d'éviter tout retard futur pour les étudiants », mais les résidents disent que cela se produit presque tous les jours. Les parents d'une vingtaine d'enfants ont déjà décidé de les déplacer dans une école à Yatta, où ils restent avec des parents pendant la semaine.
« Chaque jour est pire que celui d'avant », dit Bisan, une étudiante de 17 ans. « C'est une situation dangereuse et j'ai pensé à quitter l'école, mais je ne le ferai pas. C'est ce qu'ils veulent. »
Alors que les avocats des droits humains introduisent des injonctions provisoires pour essayer d'arrêter les exercices de tirs réels et de blouer les ordres d'évacuation, les voies légales en Israël pour sauver Masafer Yatta semblent être presque épuisées.
L'UE a adopté une position ferme contre la décision de la Cour suprême : son envoyé auprès des Palestiniens, Sven Kühn von Burgsdorff, a accusé les juges de ne pas respecter le droit international et de prendre une « décision politique, pas juridique du tout ». Il a également appelé la communauté internationale à faire pression sur Israël pour qu'il assume ses responsabilités à l'égard du peuple palestinien en tant que puissance occupante.
« Les choses allaient mal avant la décision du tribunal », dit Mohammed Ayoub, le fermier déplacé. « J'ai été berger toute ma vie. Je ne suis jamais allé en Israël, mais peut-être que je devrai vendre mes chèvres et demander un permis de travail là-bas. »
Sur le site où se trouvait autrefois le jardin des Ayoub un vieux bidon d'huile protège un olivier de la menace des bulldozers.
« C'est notre terre, c'est ma maison. Quoi qu'il arrive, nous ne partirons pas », dit Mohammed Ayoub.