09/02/2023

JOTAM CONFINO
Juifs et musulmans roulent pour la paix : MuJu & Co., un club de motards danois unique en son genre

Jotam Confino (bio), Haaretz, 11/1/2022

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les calottes ont remplacé les tête de mort : les membres du club de motards danois MuJu & Co. rêvent d'un voyage au Moyen-Orient.

 

MuJu & Co. en tournée sur l'île danoise de Bornholm, où ils ont visité des sites historiques et des églises, et célébré le Ramadan avec une famille musulmane locale. Photo : Dan Meyrowitsch

 COPENHAGUE - Ils célèbrent ensemble le Ramadan et Hanoukka, gardent les cimetières juifs lors de l'anniversaire de la Nuit de cristal et discutent d'un voyage en Pologne et d'une visite à Auschwitz. C'est une première mondiale : un club de motards juifs et musulmans qui sillonne les routes du Danemark pour promouvoir la coexistence entre les minorités religieuses.

 

Au lieu d'arborer des têtes de mort sur leurs vestes en cuir,

comme le font certains gangs de motards, les membres de MuJu & Co. MC Danmark portent un symbole qui unit juifs et musulmans : la hamsa, une amulette en forme de paume symbolisant la protection. Le club judéo-musulman a conçu sa propre version, remplaçant l'œil au centre de l'amulette par une roue de moto.

Pendant des années, on a associé les clubs de motards danois aux Hells Angels et aux Bandidos, deux bandes rivales qui se sont violemment affrontées dans les années 1990. Mais ils sont loin d'être les seuls clubs de ce type dans le pays. En fait, il y a bien plus de 200 clubs de motards au Danemark, selon l'organisation nationale danoise de la moto, et il est fréquent de voir des motards parcourir les routes du Danemark au printemps et en été. Mais il n'en existe aucun comme MuJu & Co.

 

Il a été cofondé en 2019 par Dan Meyrowitsch, un épidémiologiste juif de 60 ans de l'université de Copenhague, et Sohail Asghar, musulman et médecin de 44 ans. Les deux hommes sont amis depuis de nombreuses années et ont toujours partagé une passion pour les motos.

 

« En fait, tout a commencé par une blague », raconte Meyrowitsch. « J'ai suggéré à Sohail, qui est maintenant le vice-président du club, que nous devrions créer le premier club de moto juif-musulman au monde. Mais il a tout de suite aimé l'idée et a suggéré de le créer comme un club de motards à l'ancienne, avec un écusson, des gilets en cuir, une structure et une hiérarchie traditionnelles », ajoute-t-il.

 

Des membres de MuJu & Co. répondant à des questions lors d'un événement coordonné par le Centre d'information juif du Danemark dans une synagogue de Copenhague en novembre dernier.

Meyrowitsch, qui est aujourd'hui président du club, a grandi dans une famille juive traditionnelle dans la banlieue de Copenhague et a toujours eu une affinité avec les motos. Il dit qu'il a toujours été important pour lui de rompre avec les stéréotypes culturels sur les minorités religieuses. Et c'est exactement ce que fait son club.

 

« Nous voulons montrer aux gens que ce n'est pas parce que nous sommes juifs et musulmans que nous sommes si différents des autres Danois », dit-il. « Bien que je n'aie jamais été confronté à beaucoup de racisme, j'ai constaté une certaine distance entre les juifs et les musulmans au Danemark - et c'est une honte. C'est pourquoi notre club est un bon moyen de montrer que ça ne doit pas forcément être comme ça ».

 

Said Idrissi, 52 ans, est né au Maroc mais a passé la majeure partie de sa vie au Danemark, où il a grandi dans une famille musulmane traditionnelle dans l'un des quartiers les plus durs de Copenhague, Sydhavnen. Lorsqu'il a entendu dire que le premier club de motards judéo-musulmans était sur le point d'être créé, il a tout de suite su qu'il voulait en faire partie.

 

« Quand j'ai grandi, j'ai souvent entendu dire que les juifs et les musulmans ne s'entendent pas », raconte Idrissi, qui travaille comme charpentier. « Malheureusement, j'ai aussi entendu des musulmans dire qu'on ne peut pas faire confiance aux juifs. Et beaucoup d'entre eux vivent dans des régions où il n'y a pas de Juifs, donc ils n'ont aucune idée de qui ils sont vraiment. Mais quand je leur parle de ce club, ils sont curieux. Ils veulent savoir de quoi il s'agit. Je m'efforce toujours de leur faire part de mes expériences positives », note Idrissi.

 

Il occupe actuellement le poste de “capitaine de route” - ou, en termes plus simples, d'organisateur du club. Idrissi est chargé de vérifier les éventuels retards dans les tournées hebdomadaires prévues tout au long de la saison, qui commence en mars et se termine en octobre. Elles comprennent souvent des visites d'institutions juives, musulmanes et chrétiennes au Danemark : ils ont visité des églises, des mosquées, des synagogues, des musées et des cimetières dans ce petit pays, et ont été invités au festival annuel de la culture juive à Copenhague, où ils ont répondu à des questions sur le club et ses efforts pour promouvoir la coexistence

Des membres de MuJu & Co. écoutent l'Imam Abdul leur parler de la foi musulmane, au centre islamique de la ville danoise d'Albertslund. Photo : Dan Meyrowitsch

L'une de leurs traditions consiste à marquer ensemble le Ramadan. « Lorsque nous organisons des randonnées plus longues pendant le Ramadan, ceux qui ne sont pas musulmans font une version allégée du jeûne, c'est-à-dire qu'ils arrêtent de manger de midi à 22 heures, juste pour voir ce que ça fait et pour apprendre notre tradition », explique Idrissi.

Le club se réunit également à l'occasion de Hanoukka, pour partager des histoires sur l'ancienne fête juive, ce à quoi Idrissi prend grand plaisir. « C'est vraiment passionnant d'apprendre à connaître le judaïsme et de voir combien de similitudes il y a avec l'islam », dit-il. « Apprendre à se connaître les uns les autres est l'une des raisons essentielles de l'existence de ce club. Récemment, j'ai assisté à ma première bar-mitsva, ce qui a suscité ma curiosité. C'est l'une de ces choses que j'ai toujours vues dans les films mais que je n'avais jamais vécues. C'était vraiment intéressant de le voir enfin », raconte-t-il.

 

En mai dernier, le grand rabbin du Danemark, Jair Melchior, et l'un des principaux imams du pays, Abdul Wahid Pedersen, ont fait partie du club, visitant un centre islamique et un cimetière juif dans les environs de Copenhague. Abdul a roulé sur sa Harley Davidson, tandis que Jair a rejoint la tournée en tant que passager arrière sur la moto d'Abdul. Les deux autorités religieuses ont parlé au public de la coexistence et du renforcement du dialogue entre juifs et musulmans.

 

Le président de la communauté juive du Danemark, Henri Goldstein, qualifie de positif le voyage à moto du rabbin avec l'imam et MuJu & Co. « Je pense que les initiatives de coexistence promues par un club de motards sont inhabituelles mais constituent une idée amusante. Les événements nouveaux et non traditionnels peuvent ouvrir de nombreuses portes. La communauté juive a accueilli MuJu & Co, mais ce n'est pas un élément central de la vie des juifs danois. Je considère que c'est une bonne initiative ».

 

Des membres de MuJu & Co. célébrant Hanoukka ensemble dans un café de Copenhague en 2020.Photo : Dan Meyrowitsch

 

Gardiens de paix

Comme dans de nombreux pays d'Europe, la communauté musulmane du Danemark est beaucoup plus importante que sa communauté juive. On estime le nombre de musulmans à environ 320 000, tandis que la communauté juive compterait quelque 6 000 personnes. Et s'il y a très peu d'attaques antisémites dans le pays, il y a de temps en temps de vilains incidents. Lors de la Nuit de cristal en 2019, par exemple, un extrémiste de droite a vandalisé 84 pierres tombales dans un cimetière juif.

 

Depuis lors, le club de motards garde les cimetières juifs de Copenhague chaque année à l'occasion de l'anniversaire de la Nuit de cristal (le pogrom de novembre). Idrissi, qui a été actif sur le plan politique au niveau municipal pour un parti centriste danois, est pleinement conscient que certaines forces tentent de creuser le fossé entre juifs et musulmans.

 

« ça m'a toujours agacé de voir des politiciens sur les médias sociaux, capitaliser sur les différences entre les deux minorités », dit-il. « C'est pourquoi nous voulons raconter une histoire positive : qu'il est possible de coexister et de profiter de la vie ensemble, malgré nos différences ».

 
Les membres de MuJu & Co. en selle avec le défunt grand rabbin du Danemark, Bent Melchior, en 2020. Photo : Michael Altschul/Visuelmedie.dk

Le club s'efforce de promouvoir la coexistence et de se tenir à l'écart de toute discussion politique. C'est pourquoi ni Idrissi ni Meyrowitsch n'ont choisi de commenter la manière dont les événements en Israël affectent le club, comme les 11 jours de conflit entre Israël et les forces islamistes dirigées par le Hamas à Gaza l'année dernière.

 

Meyrowitsch note toutefois que certaines forces au Danemark tentent de diviser les minorités religieuses. « Je suis d'accord avec Said sur le fait que les conservateurs nationaux de droite jouent les juifs et les musulmans les uns contre les autres pour leur propre bénéfice politique », dit-il. « Cela m'a affecté, et c'est l'une des raisons pour lesquelles je pense que ce club est important - pour contrer ce récit négatif. Parce que les juifs et les musulmans interagissent de manière amicale tous les jours : il n'y a rien d'unique à cela. La différence est que nous le faisons de manière très visible ».

 

Comme beaucoup de clubs de motards, MuJu & Co. ne veut pas révéler le nombre de ses membres, mais Idrissi et Meyrowitsch affirment qu'une douzaine de motards se sont présentés à un événement du Ramadan sur l'île de Bornholm. Contrairement à de nombreux clubs de motards, l'association n'est pas exclusivement réservée aux hommes. Chaque candidat est évalué par le conseil d'administration, Indépendamment de son sexe ou de son orientation religieuse.

 

MuJu & Co. en visite dans l'une des plus petites synagogues du Danemark, dans la ville de Hornbæk, où un membre fait une démonstration du fonctionnement d'un shofar. Photo : Tomas Lundsgaard Bøgelund

Environ un tiers des membres sont juifs et un autre tiers musulmans. Tous, cependant, s'engagent à promouvoir la coexistence. Le club planifie actuellement ses futures aventures, qui verront les motards s'aventurer au-delà des frontières du Danemark.


MuJu & Co. en visite dans un musée de la ville de Gilleleje, qui présente une exposition sur la fuite des réfugiés juifs vers la Suède en 1943. Photo : Linda Herzberg

 

« Nous avons discuté de la possibilité d'aller en Pologne à moto, de visiter Auschwitz-Birkenau et de voir Cracovie », dit Meyrowitsch*. « Nous avons également envisagé de faire une sorte de tournée pour la paix au Moyen-Orient un jour, si c'est possible ».


NdT
* C’est chose faite entretemps : le club a organisé un voyage à Auschwitz en octobre dernier

 

Des membres de MuJu & Co au musée-mémorial d'Auschwitz-Birkenau en Pologne, le 1er octobre 2022. Photo : Dan Meyrowitsch

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