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01/07/2021

Saïd Al Kharumi, le député qui se bat pour les Bédouins d'Israël, pourrait décider du sort du nouveau gouvernement

David B. Green, Haaretz, 30/6/2021

Traduit par Fausto Giudice

Saïd Al Kharumi a été le seul membre de son parti à s'abstenir lors d'un vote sur la formation du gouvernement de Naftali Bennett. Pour obtenir son soutien, la coalition devra changer les politiques menées depuis des décennies à l'égard des Bédouins du Néguev.

 Saïd Al Kharumi lors de son entretien avec Haaretz à la Knesset. Photo David Green

Dans la soirée du 13 juin, le jour de la prestation de serment du nouveau gouvernement, on spéculait déjà sur le fait que le membre de la Knesset Saïd Al Kharumi pourrait devenir une « faction à lui tout seul », comme l'a dit le commentateur de Channel 13 News, Raviv Drucker, au sein de la coalition intrinsèquement fragile. Le député de la Liste arabe unie s'était abstenu lors du vote de confirmation du nouveau gouvernement à la Knesset dans l'après-midi, de sorte que celui-ci est entré en fonction avec une seule voix de majorité.

Al Kharumi, 49 ans, est originaire de la localité bédouine de Segev Shalom, et se déclare ouvertement le représentant des quelque 250 000 Arabes bédouins du Néguev - dont près de 75 % des électeurs ont effectivement voté pour la Liste Arabe Unie. Ils constituent la tranche la plus pauvre et la plus négligée de la population d'Israël, et pourtant, pour les partis sionistes religieux Yamina et surtout Sionisme religieux, dirigé par Bezalel Smotrich, ils représentent une minorité arabe sans foi ni loi et gâtée qui menace la souveraineté juive dans le Néguev, rien de moins. C'est pourquoi, pendant la décennie et plus de gouvernements de droite, la politique gouvernementale s'est concentrée sur l'éradication des constructions et des cultures illégales des Bédouins.

Environ 90 000 Bédouins du Néguev vivent dans l'un des 35 villages bédouins non reconnus de la région, qui, en raison de leur statut "illégal", ne disposent pas des services de base tels que les égouts, l'eau courante, le ramassage des ordures et les routes pavées. (Dans de nombreux cas, les conditions ne sont guère meilleures dans les 11 villages qui ont obtenu une reconnaissance officielle il y a 20 ans). 

Selon Attia Alasam, le président du Conseil régional des villages non reconnus, plus de 12 000 structures non autorisées ont été rasées au cours des cinq dernières années. En fait, dit Alasam, en 2020 - qui a été dominée par la pandémie de coronavirus, au cours de laquelle le gouvernement s'est engagé à geler la plupart des démolitions - le nombre a atteint 2 500, "plus que toute autre année".

L'élément le plus cruel de cette politique est sans doute le fait que les Bédouins sont contraints de procéder à la destruction de leurs propres résidences, à moins qu'ils ne veuillent payer les autorités pour effectuer le travail. Selon certains témoignages, les frais atteignent généralement 300 000 shekels (78 000 €), car de grandes équipes sont appelées pour entreprendre et sécuriser les démolitions, et chaque membre doit être payé pour une journée de travail.
 
L'accord entre la LAU et Yesh Atid, le plus grand parti de la coalition, stipule que dans les 45 jours suivant la formation du gouvernement - c'est-à-dire avant la fin du mois de juillet - celui-ci aura achevé le processus de reconnaissance officielle de trois villages non reconnus : Rahma, Abdih et Khasim Zannih.

 

En outre, l'accord prévoit la prolongation, jusqu'en 2024, d'un gel des démolitions de maisons qui aurait été introduit l'année dernière par le gouvernement Netanyahou. Pendant cette période, selon l'accord, le gouvernement réexaminera les termes de la loi dite Kaminitz, qui rationalise le processus de condamnation et de démolition des structures illégales et élimine la possibilité de faire appel de ces ordres.

 

Un enfant se tient au sommet des décombres après la démolition d'une maison dans le Néguev. Photo : Eliyahu Hershkovitz

 

Mais plus de deux semaines après le début du mandat du nouveau gouvernement, il n'y a aucun signe évident de progrès vers la reconnaissance des communautés non reconnues, y compris les trois mentionnées ci-dessus. Plus important encore, quelles que soient les intentions du nouveau gouvernement, la machine bureaucratique supervisée par l'Autorité pour le développement et l’installation de Bédouins dans le Néguev [sic] continue d'émettre des ordres de démolition dans les villages et de détruire les cultures qui, selon elle, ont été semées illégalement.

 

Selon Elianne Kremer, du Forum de coexistence du Néguev pour l'égalité civile, qui suit les démolitions, au cours des deux semaines qui ont suivi la prestation de serment du gouvernement, 30 ordres de démolition ont été émis dans le seul village (reconnu) de Bir Hadaj. Elle note également, par exemple, que le village non reconnu d'Al-Araqib a été démoli neuf fois rien qu'au cours des six premiers mois de 2021, période pendant laquelle « nous avons suivi le labourage de 13 000 dunams [1 300 hectares] de terres agricoles ».

 

De même, à Rahma, l'une des villes candidates à la reconnaissance, Salha Azazma, une veuve de 69 ans en mauvaise santé, a reçu le 6 juin l'ordre de démolir l'abri temporaire dans lequel elle vit depuis que son médecin a déclaré que le fait de continuer à vivre sous une tente mettrait sa vie en danger. Ses voisins de la communauté juive de Yeruham ont demandé aux autorités d'annuler l'ordre. Lors de son entretien avec Haaretz, M. Al Kharumi a pris soin de se présenter comme faisant partie de l'équipe de la LAU, dont tous les membres partagent les mêmes objectifs. Il a reconnu que peu de progrès ont été réalisés pour atteindre ces objectifs, mais a laissé entendre que lui et ses collègues sont prêts à être patients - jusqu'à un certain point.

 

« Vous ne pouvez pas avoir un nouveau gouvernement qui poursuit l'ancienne politique, comme si rien n'avait changé, alors que dans le même temps vous dites aux résidents, venez, parlons. S'ils veulent parler et construire un système de confiance, ils doivent, tout d'abord, geler les démolitions dans les villages non reconnus, et entamer un dialogue avec les résidents. Pour l'instant, ce n'est pas le cas, mais j'espère que ce sera le cas dans le mois à venir ».

 

Mais M. Al Kharumi a rejeté les accusations selon lesquelles il serait un "électron libre", affirmant que si le gouvernement s'effondre, ce ne sera pas parce qu'il l'a fait tomber. Si ces priorités ne sont pas traitées, a-t-il insisté, "l'ensemble de La LAU sera éliminé, et pas seulement Saïd Al Kharumi. C'est une question de principe pour la LAU, c'est très important ». Néanmoins, il s'est dit convaincu qu'"il existe des formules qui peuvent satisfaire toutes les parties".

 

Un village non reconnu dans le Néguev Photo Eliyahu Hershkovitz

La volonté d'Al Kharumi d'être patient pourrait également être liée à la décision apparente de son parti de lui confier la présidence de la commission de l'intérieur et de l'environnement de la Knesset : "Ce n'est pas encore définitif, mais il y a eu des discussions", a-t-il confirmé à Haaretz. Cette commission s'occupe, entre autres, des questions de zonage et de construction, de citoyenneté et de gouvernement local. Entre-temps, Al Kharumi se retrouve attaqué par Regavim, une organisation d'extrême droite qui se consacre à la cause de la colonisation juive dans chaque partie de la terre d'Israël, mais qui semble particulièrement préoccupée par la menace que les Bédouins représentent, selon elle, pour la souveraineté israélienne dans le Néguev.

 

Cette semaine, Regavim a distribué un article paru dans le quotidien de langue hébraïque Maariv le 26 juin, accusant le député de la LAU d'être intervenu au nom de sa mère et d'autres membres de sa famille pour empêcher leur expulsion d'un terrain situé dans la ville natale d'Al Kharumi, Segev Shalom. L'auteur, Kalman Liebskind, n'a fourni aucune preuve de la violation d'une quelconque loi et n'a pas précisé si Al Kharumi avait agi au nom de ses proches au détriment d'autres Bédouins de Segev Shalom, ou s'ils faisaient partie d'un groupe plus important dont il tentait d'éviter l'expulsion.

 

Al Kharumi, qui a évoqué l'article dans sa conversation avec Haaretz, a noté que l'Autorité pour le développement et l’installation de Bédouins dans le Néguev continue d'être gérée par des personnes nommées il y a des années par Uri Ariel, l'ancien ministre de l'Agriculture de ce qui est aujourd'hui le parti Sionisme religieux.

 

« Tous les responsables sont des sionistes religieux, des gens d'Uri Ariel. Et ils feront tout pour que la politique ne change pas ». Cela inclut, dit-il,  de« s'arranger pour faire publier, via leurs porte-paroles dans les médias, que je m'occupais de ma famille, une affirmation totalement contradictoire avec les faits, et l'ancien ministre [de l'Économie] Amir Peretz peut le confirmer, tout comme son directeur général, David Leffler, et toutes les personnes avec lesquelles j'étais en contact ». 

Le Premier ministre Naftali Bennett et le député Mansour Abbas se serrant la main à la Knesset. Photo Noam Moskovitz

Selon Al Kharumi, qui a tendance à parler de soi à la troisième personne, ce n'est pas non plus une coïncidence si, « le jour où le gouvernement a été approuvé et a prêté serment, il y a eu une distribution sans précédent d'ordres d'expulsion et de démolitions de maisons dans tout le Néguev, et en particulier à Bir Hadaj, [dont beaucoup d'habitants sont de] ma tribu, afin de faire pression sur Saïd pour qu'il ne soutienne pas le nouveau gouvernement ou le fasse tomber ».

 

Thabet Abu Rass, co-directeur de l’ONG Abraham Initiatives, explique que même lorsque le gouvernement change de politique, la mise en œuvre est une autre affaire. Selon Abu Rass, « peu importe ce que le gouvernement décide, c'est la bureaucratie dans le Néguev qui pose problème. Même si le gouvernement décide de reconnaître un village particulier, il faut toujours qu'un comité [lié à l'] appareil de sécurité l'approuve. Et le comité pour la préservation des terres agricoles dans les zones ouvertes a également un droit de veto ».

 

Mais Abu Rass est d'accord avec Al Kharumi pour dire que l'extrême droite religieuse - le parti Sionisme religieux - essaie très fort de faire échouer le gouvernement dirigé par le Yamina de Naftali Bennett. Il affirme que Regavim, l'association fondée par le leader de Sionisme religieux Smotrich, « travaille 24 heures sur 24 - non pas pour arrêter les constructions illégales, mais plutôt pour écarter ce gouvernement du pouvoir ».

Abu Rass pense que si la LAU et ses partenaires de coalition peuvent se mettre d'accord sur un gel des démolitions - une période de six mois pendant laquelle « les Bédouins ne construiront rien... et l'État ne détruira pas une seule maison », cela leur donnera le temps de négocier des plans à long terme pour résoudre les problèmes liés aux Bédouins. Ce qu'il faut, c'est de la confiance et de la bonne foi, des valeurs qui sont gelées depuis un certain temps dans la politique israélienne.

Abu Rass prévient que « les Bédouins observent [le président de la LAU] Mansour Abbas, pour voir ce qu'il fait. Ils veulent un succès maintenant. S'ils n'ont pas de succès, les choses vont se compliquer ».

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