20/06/2024

ANNA RAJAGOPAL
Pas besoin de “valeurs juives” dans la lutte pour la Palestine

Anna Rajagopal, Mondoweiss, 13/6/2024
Traduit par Layân Benhamed, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala

Anna Rajagopal, 24 ans, est une auteure usaméricaine de père blanc chrétien et de mère hindoue, convertie au judaïsme à l’âge de 11 ans et une stratège en médias vivant à Houston, au Texas. Anna a obtenu son diplôme avec distinction en recherche et créations artistiques, ainsi qu’avec mention honorable, de l’université Rice en 2023, où elle a reçu une licence en anglais et écriture créative. Anna est une poétesse et une auteure de non fiction publiée, et son travail a été publié localement, nationalement et internationalement. L’ensemble du travail d’Anna se concentre sur les géographies de l’identité de la communauté colonisées par l’empire et en résistance Anna est une coordinatrice de médias numériques qualifiée avec une expérience dans la gestion de médias pour des publications, des institutions et des marques de célébrités. Elle a fait l’objet de violentes campagnes de dénigrement de la part d’une obscure organisation sioniste la qualifiant, vi geventlikh [comme d'habitude en yiddish] d’ “antisémite”. @annarajagopal

Les Juifs n’ont pas besoin d’invoquer les “valeurs juives” pour justifier leur travail en faveur de la libération palestinienne. En fait, le faire renforce l’idéologie même que nous cherchons à démanteler.

La lutte populaire juive pour la libération palestinienne est souvent qualifiée par une invocation des « valeurs juives ». « Mes valeurs juives m’obligent à m’opposer au génocide » (ou des variantes) est une phrase populaire utilisée dans des discours, des déclarations et des slogans — donnant un sceau d’approbation juif légitime à ce qui suit.

« Le génocide n’est pas une valeur juive » : Des militants lors d’une manifestation contre le chanteur pro-israélien Matisyahu à Philadelphie, le 22 mars 2024. (Photo : Joe Piette/Flickr)

C’est ce que disent les fondateurs et les représentants d’organisations juives comme If Not Now, Independent Jewish Voices, Na’amod et Jewish Voice for Peace. C’est ce que disent des politiciens comme politicians such as Alexandra Ocasio-Cortez. Ainsi disent des tweets viraux et des vidéos populaires.

Que ce soit intentionnel ou non, ces organisations, individus et sentiments ont un point commun qui les aligne avec les groupes et mouvements sionistes populaires : un appel à la suprématie juive.

Quelles sont exactement les valeurs juives ? Bien sûr, les valeurs juives, comme celles de toute religion, couvrent un large spectre allant du libérateur au répressif. Mais si vous demandiez à Jonathan Greenblatt, directeur de l’Anti-Defamation League, il dirait probablement que cette notion abstraite de « valeurs juives » se résume à la nécessité de défendre la communauté juive en promouvant une politique pro-israélienne face à la montée des mouvements propalestiniens, ou qu’elle se résume à soutenir le sionisme lui-même. Si vous demandiez aux dirigeants militaires israéliens, ils diraient probablement que même l’attaque génocidaire contre Gaza a été guidée par les valeurs juives.

19/06/2024

REEM HAMADAQA
La noche en que Israel mató a mi familia

La noche del 2 de marzo, Israel acabó con cuatro generaciones de mi familia. Yo apenas sobreviví a la masacre. Ahora me toca a mí contar su historia.

Reem A. Hamadaqa, Mondoweiss, 13/6/2024
Traducido por Fausto Giudice, Tlaxcala

Reem A. Hamadaqa, de 24 años, es ayudante de cátedra en la Universidad Islámica de Gaza y traductora. Escribe para y sobre Palestina. Puedes seguirla en X @reemhamadaqa e instagram reemhamadaqa

La noche del 2 de marzo de 2024, Israel acabó con cuatro generaciones de mi familia en una sola noche. Un ataque israelí cerca de medianoche mató a 14 miembros de mi familia. Se llevó la esencia misma de mi vida, a mis seres más queridos, y me marcó como superviviente.

Reem Hamadaqa, en la extrema derecha, con sus padres Sahar y Alaa', y sus dos hermanas, Heba, de 29 años, y Ola, de 19 años. Estos cuatro miembros de la familia de Reem fueron martirizados junto con otros 10 familiares en un ataque israelí el 2 de marzo en el sur de la Franja de Gaza.

“Vayan al sur o haremos caer esta escuela sobre sus cabezas”, nos advirtieron los soldados israelíes cuando decidimos abandonar nuestro hogar en el norte de Gaza. Para entonces, mi familia ya había sobrevivido a 40 días de bombardeos, acogiendo a menudo a decenas de desplazados en nuestra casa. Tras este mensaje, no tuvimos más remedio que huir.

Nuestra primera parada fue una escuela cercana de la UNRWA. Fue nuestro primer intento de encontrar alguna apariencia de “seguridad”. Caminamos más de seis horas bajo un sol abrasador para llegar al sur, donde, al final, mataron a mi familia en una zona supuestamente “segura” a la que la ocupación israelí nos había dicho que fuéramos.

Sobrevivimos casi 100 días en la casa de mi tío materno en Jan Yunis. No era el mejor lugar para encontrar comida o agua, pero nos aseguraron que era seguro. Su casa estaba en el bloque 89, designado por la ocupación como bloque “verde”. Por eso nos quedamos y no huimos. Pero ya estábamos desplazados.

La casa estaba llena con una docena de mujeres y niños cuando, el 2 de marzo, empezó el bombardeo intensivo hacia las 22.30 horas.

Una hora más tarde, intercambié una última mirada con mis padres, mis hermanas, mis primos, mi abuela y, sin saberlo en ese momento, con toda mi vida. Leí el tercer capítulo de una novela, charlé con mis padres, llamamos a mi hermana que había sido trasladada a Rafah en una tienda de campaña. Me burlé de mi hermana pequeña. Me dormí, cerrando involuntariamente el último capítulo de mi vida.

Me despertaron bombardeos masivos, explosiones en cadena que parecían no tener fin.

Aterrorizada, me desperté gritando. Mi madre y mi padre estaban junto a la puerta. Heba, mi hermana mayor, estaba a mi lado. Gritábamos. A través de la ventana, todo lo que podía ver delante de la casa estaba en llamas. Estas escenas resonaban con el estado de nuestros corazones.

“¡Papi! ¡No abras la puerta!”, gritábamos. En cuestión de segundos, la casa estaba sobre nosotros. Sentí que las paredes y el techo se derrumbaban, que la habitación explotaba a mi alrededor. Vi las espaldas de mamá y papá y sentí a Heba a mi lado, gritando. Vi a Ola, dormida, ajena a la enorme explosión.

Me desperté bajo los escombros.

Había luna llena. Estaba tan oscuro que probablemente era medianoche, y hacía tanto frío. El invierno aún no nos había abandonado. Estaba sola, atrapada bajo los escombros, incapaz de moverme.

Incluso después de leer historias sobre lo que se siente al estar atrapado bajo los escombros, no era nada de lo que había imaginado. No sabía cuánto tiempo había estado inconsciente. Cuando desperté, pensé que era un sueño, una pesadilla. El dolor era insoportable.

Grité con todas mis fuerzas, buscando no sé qué. Me arranqué las piedras de las manos, del pecho y del estómago. Me pesaban, pero mi respiración era aún más pesada. Esperé al desconocido.

Oí a mi tío gritar, llamando a sus hijos, y oí a un hombre que corría desde los tanques llamando a mi tío por detrás. No podía sacar las piernas de entre los escombros. Casi una hora después, mi hermano y mi primo, que vivían en la casa de enfrente, me encontraron. Milagrosamente, Ahmad me salvó. Levantó toneladas de piedras que me aplastaban.

En vez de ambulancias, tanques

Ahmad me levantó y me cargó a la espalda mientras corría. Cada paso que daba me destrozaba el alma de dolor. Me llevó a su casa, a pocos metros de distancia. Esta casa también había sido alcanzada. El suelo estaba lleno de fragmentos de cristales y muebles que cortaban a cualquiera que entrara. Ahmad me dejó allí.

18/06/2024

REEM HAMADAQA
La nuit où Israël a tué ma famille

Dans la nuit du 2 mars, Israël a éliminé quatre générations de ma famille. J’ai à peine survécu au massacre. Il m’incombe désormais de raconter leur histoire.

Reem A. Hamadaqa, Mondoweiss, 13/6/2024
Traduit par Layân Benhamed, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala

Reem A. Hamadaqa, 24 ans, est assistante d’enseignement à l’Université islamique de Gaza et traductrice. Elle écrit pour et sur la Palestine. Vous pouvez la suivre sur X @reemhamadaqa et instagram reemhamadaqa

La nuit du 2 mars 2024, Israël a anéanti quatre générations de ma famille en une seule nuit. Une frappe israélienne vers minuit a tué 14 membres de ma famille. Cela a emporté l’essence même de ma vie, mes êtres les plus chers, et m’a marquée comme une survivante.

Reem Hamadaqa, à l’extrême droite, avec ses parents Sahar et Alaa’, et ses deux sœurs, Heba, 29 ans, et Ola, 19 ans. Ces quatre membres de la famille de Reem sont tombés en martyrs avec 10 autres membres de la famille lors d’une attaque israélienne le 2 mars dans le sud de la bande de Gaza.

« Allez vers le sud, sinon nous ferons tomber cette école sur votre tête », ont prévenu les soldats israéliens lorsque nous avons décidé de quitter notre maison dans le nord de Gaza. À ce moment-là, ma famille avait déjà survécu à 40 jours de bombardements, accueillant souvent des dizaines de personnes déplacées chez nous. Après ce message, nous n’avions pas d’autre choix que de fuir.

Notre premier arrêt fut une école voisine de l’UNRWA. C’était notre première tentative pour trouver un semblant de “sécurité”. Nous avons marché pendant plus de six heures sous un soleil brûlant pour atteindre le sud, où, en fin de compte, ma famille a été tuée dans une zone soi-disant “sûre” où l’occupation israélienne nous avait dit d’aller.

Nous avons survécu près de 100 jours chez mon oncle maternel à Khan Younès. Ce n’était pas le meilleur endroit pour trouver de la nourriture ou de l’eau, mais on nous avait assuré que c’était sûr. Sa maison se trouvait dans le bloc 89, désigné par l’occupation comme un bloc “vert”. C’est pourquoi nous sommes restés sur place et n’avons pas fui. Mais nous étions déjà déplacés.

La maison était remplie d’une douzaine de femmes et d’enfants lorsque, le 2 mars, les bombardements intensifs ont commencé vers 22h30.

Environ une heure plus tard, j’ai échangé un dernier regard avec mes parents, mes sœurs, mes cousins, ma grand-mère, et sans le savoir à l’époque, avec toute ma vie. J’ai lu le troisième chapitre d’un roman, j’ai discuté avec mes parents, nous avons appelé ma sœur qui était déplacée à Rafah dans une tente. J’ai taquiné ma sœur cadette. Je me suis endormie, fermant involontairement le dernier chapitre de ma vie.

J’ai été réveillée par des bombardements massifs, des explosions en chaîne qui semblaient interminables.

Terrifiée, je me suis réveillée en hurlant. Mon père et ma mère étaient près de la porte. Heba, ma sœur aînée, était à mes côtés. Nous avons crié. Par la fenêtre, tout ce que je pouvais voir devant la maison était en feu. Ces scènes résonnaient avec l’état de nos cœurs.

« Papa ! N’ouvre pas la porte ! » avons-nous crié. En quelques secondes, la maison était sur nous. J’ai senti les murs et le plafond s’effondrer, la pièce explosait autour de moi. J’ai vu le dos de papa et maman, et j’ai senti Heba à mes côtés, criant. J’ai vu Ola, endormie, insensible à l’explosion massive.

Je me suis réveillée sous les décombres.

C’était la pleine lune. Il faisait si sombre qu’il étaitprobablement minuit, et il faisait si froid. L’hiver ne nous avait pas encore quittés. J’étais seule, coincée sous les décombres, incapable de bouger.

Même après avoir lu des histoires sur la sensation d’être piégé sous les décombres, cela n’avait rien à voir avec ce que j’avais imaginé. Je ne savais pas combien de temps j’étais restée inconsciente. Quand je me suis réveillée, j’ai cru que c’était un rêve, un cauchemar. La douleur était insupportable.

J’ai crié de toutes mes forces, cherchant je ne sais quoi. J’ai retiré les pierres qui pesaient sur mes mains, ma poitrine, mon ventre. Elles étaient lourdes, mais ma respiration l’était encore plus. J’ai attendu l’inconnu.

J’ai entendu mon oncle crier, appelant ses fils, et j’ai entendu un homme fuyant devant les chars appeler mon oncle, venant de derrière. J’étais incapable de dégager mes jambes des décombres. Près d’une heure plus tard, mon frère et mon cousin, qui vivaient dans la maison en face, m’ont trouvée. Miraculeusement, Ahmad m’a sauvée. Il a soulevé des tonnes de pierres qui m’écrasaient.

Au lieu d’ambulances, des tanks

Ahmad m’a soulevée et m’a portée sur son dos en courant. Chaque pas qu’il faisait brisait mon âme de douleur. Il m’a emmenée chez lui, à quelques mètres de là. Cette maison aussi avait été touchée. Des éclats de verre et des meubles jonchaient le sol, coupant quiconque entrait. Ahmad m’y a déposée.

REINALDO SPITALETTA
Bananes sanglantes : Chiquita condamnée aux USA pour ses crimes en Colombie (ce n’est qu’un début...)

Reinaldo Spitaletta, El Espectador, 18/6/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Les actions de l’United Fruit Company, rebaptisée en 1989 Chiquita Brands International, dans une grande partie de l’Amérique centrale et de la Colombie sont terrifiantes. Son histoire d’iniquités comprend, parmi une vaste collection d’infamies, les méthodes d’acquisition des terres depuis la fin du XIXe siècle, y compris les manœuvres de sabotage propageant le sigatoka noir, l’exploitation impitoyable des travailleurs, souvent réduits en esclavage, et la participation à des massacres, comme celui de 1928 dans la zone bananière colombienne.

Détail d'une toile de Diego Rivera montrant le secrétaire d'État usaméricain John Foster Dulles tendant une bombe au colonel putschiste Carlos Castillo Armas.

Il convient de rappeler, par exemple, l’ingérence de la compagnie transnationale dans le coup d’État contre le président guatémaltèque Jacobo Árbenz en 1954, encouragé par la CIA, alors que ce président démocratiquement élu avait mis en œuvre des réformes agraires et du travail avec l’objectif social d’améliorer la situation des travailleurs. En substance, outre la production de bananes et d’autres fruits, l’entreprise, aux mains maculées de sang depuis ses origines, a soutenu des gouvernements autoritaires.


Récemment, un tribunal de Floride aux USA a condamné la compagnie que l’écrivain costaricien Carlos Luis Fallas avait baptisé “Mamita Yunai”*, fer de lance du néocolonialisme, pour avoir financé les Autodéfenses unies de Colombie et parrainé leurs actions criminelles, qui ont conduit à la violation systématique des droits humains de la population civile dans l’Urabá et le Magdalena. En 2007, comme on l’a peut-être déjà oublié, il avait été prouvé que Chiquita Brands avait soutenu les paramilitaires avec de l’argent et d’autres ressources entre 1997 et 2004.

Le tribunal du district sud de Floride a jugé la multinationale responsable des conséquences pénales de son financement du paramilitarisme, suite à l’action en justice intentée par certaines familles qui ont subi les conséquences désastreuses de ce parrainage. Bien qu’il existe des milliers de plaintes contre Chiquita Brands émanant de milliers de victimes de ses abus, dans ce cas-ci, la décision est favorable à huit des neuf familles qui, depuis près de vingt ans, persistent à demander justice pour l’assassinat de leurs proches.

ANNAMARIA RIVERA
L’activisme frénétique de Dino Frisullo et du Réseau antiraciste italien nous manque

Annamaria Rivera, il manifesto, 16/6/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

L’élection de Mimmo Lucano au Parlement européen et sa réélection à la mairie de Riace remet la question des droits des migrants sur le devant de la scène. Pour moi qui ai été, avec Dino Frisullo, la porte-parole du réseau antiraciste italien (1994-1998), cela me rappelle cette expérience d’où sont nés l’engagement et la culture de Mimmo Lucano lui-même.


Dino Frisullo (5 juin 1952 - 5 juin 2003)

Aujourd’hui, cette expérience, brève et intense, peut être un objet de réflexion pour la reconstruction d’un mouvement uni pour les droits des migrants.

Le 25 août 1989, Jerry Essan Masslo, ouvrier agricole, était assassiné à Villa Literno par une bande de criminels racistes : un réfugié de 29 ans qui, bien qu’ayant été contraint de fuir l’Afrique du Sud de l’apartheid, n’avait pas droit à l’asile en vertu de la législation italienne de l’époque. En conséquence, le 7 octobre suivant, la première grande marche nationale contre le racisme a eu lieu à Rome, à laquelle ont participé jusqu’à deux cent mille personnes, dont un grand nombre d’immigrés et de réfugiés.

C’est également cette grande manifestation qui a permis d’attirer l’attention de l’opinion sur la question du racisme et sur le sort des immigrés et des réfugiés, mais aussi de créer les conditions qui allaient conduire à la naissance du Réseau antiraciste.

Ce dernier a joué un rôle fondamental dans cette période, car il a donné - pour la première fois en Italie - une voix et une représentation politique à une myriade d’expériences locales, petites et importantes, et a formé toute une génération de militants, de bénévoles et de spécialistes de l’antiracisme.

Le Réseau a été baptisé du 6 au 8 octobre 1995, à Naples - la Naples du maire Bassolino [PCI puis PDS puis PD] - lorsque, après deux jours de confrontation entre les différentes réalités présentes, un document de base et une première forme de coordination nationale ont été lancés.

Pas moins de 140 associations et groupes de base de toute l’Italie ont adhéré au réseau antiraciste.

Dans le document d’intentions, présenté sous forme de projet lors de l’assemblée nationale de Naples, on peut lire : « Le réseau, décentralisé et pluriel, a pour but de faire circuler la connaissance, l’élaboration, l’information ; d’offrir une visibilité et un rayonnement national aux expériences locales, d’informer sur les dynamiques institutionnelles, de construire une orientation commune et un langage commun de l’antiracisme ».

C’est également grâce à Dino Frisullo que nous avons réussi à mettre en place un tel réseau, qui restera la seule expérience de coordination entre un grand nombre d’associations de dimensions régionale, provinciale et municipale, dans différentes parties de l’Italie.

C’est une expérience que lui, moi et d’autres n’avons jamais cessé de regretter, parce qu’elle était caractérisée par un antiracisme aussi cultivé que radical, anticipant de plusieurs années des analyses, des thèmes et des revendications que l’on croit aujourd’hui inédits : les migrants, les réfugiés et les personnes déplacées en tant que sujets exemplaires de notre époque, la critique de la vulgate différentialiste alors en vogue, la question de la citoyenneté européenne de résidence, la bataille pour le droit de vote le passage des préfectures aux communes de toutes les démarches administrative concernant le droit au séjour des étrangers, la critique sévère des centres de séjour temporaire et autres vilenies de la loi dite Turco-Napolitano.

Comparé à l’antiracisme radical et cultivé qui caractérisait le Réseau antoraciste, l’antiracisme actuel se manifeste par une remarquable pauvreté intellectuelle.

Dino, Udo Enwereuzor et moi-même étions initialement les porte-parole du Réseau. Même de grandes organisations telles que la CGIL et ARCI l’ont rejoint, avant de s’en distancer, comme on pouvait s’y attendre, lorsque le « gouvernement ami » (Prodi I) s’apprêtait à adopter l’infâme loi Turco-Napolitano mentionnée plus haut. Cette loi instituait, entre autres, les CPTA (généralement appelés CPT), dénommés alors, par un euphémisme absurde, Centres de séjour temporaire et d’assistance. En conclusion, la loi Turco-Napolitano instaure, pour la première fois en Italie, la détention administrative des immigrés « non réguliers », en violation flagrante de la Constitution.

Dès leur ouverture, les CPT allaient tuer leurs « hôtes ». À partir de la nuit de Noël 1999, sept personnes Y sont mortes en trois jours, toutes de nationalité tunisienne.

Déjà deux ans plus tôt, en 1997, le Réseau antiraciste, prévoyant que La loi Turco-Napolitano ne serait pas la merveille fabulée, avait élaboré trois propositions de loi d’initiative populaire, dont le contenu semble encore aujourd’hui très avancé. Je résume les points essentiels : le transfert des compétences en matière de résidence des préfectures de police aux communes locales ; la reconnaissance du droit de vote à tous les citoyens étrangers résidant en Italie depuis au moins cinq ans ; la réforme du régime juridique relatif à la citoyenneté italienne.

Pour les présenter au Parlement, nous aurions dû recueillir 50 000 signatures dans un délai de trois mois. Mais - inutile de le dire - grâce aussi à la défection de l’ARCI et de la CGIL, nous n’avons pas réussi à atteindre le nombre nécessaire ; et donc à empêcher l’adoption d’une loi qui allait ensuite ouvrir la voie aux aberrations de la loi Bossi-Fini.

Aujourd’hui, face aux exodes quotidiens qui ont pour épilogue la mort en mer de centaines de réfugiés ou le retour forcé aux tragédies et aux persécutions auxquelles ils ont tenté d’échapper, nous nous surprenons à penser : bien sûr, l’activisme frénétique de Dino Frisullo et du Réseau antiraciste ne parviendrait pas, à lui seul, à vaincre notre faiblesse politique et l’arrogance grossière et féroce des entrepreneurs politiques du racisme.

Pourtant, combien nous manquent et combien nous sont précieux, en ce moment même, les dizaines de communiqués quotidiens de Dino, qui arrivaient dans toutes les rédactions et dans tous les coins d’Italie, son obstination inflexible à laquelle personne ne pouvait échapper, son travail obstiné de vieille taupe qui découvrait, mettait en lumière et dénonçait les injustices et les crimes contre les damnés de la terre, sa capacité à opposer des données, des chiffres, des faits au baragouin des praticiens de la xénophobie et du racisme.


Dino, quant à lui, parmi ses nombreux engagements politiques, avait également épousé la cause de la libération du peuple kurde. À tel point que lorsque, entre 1996 et 1997, des barges remplies de réfugiés kurdes ont commencé à arriver sur les côtes du sud de l’Italie, deux d’entre elles portaient son nom de famille, bien qu’orthographié de manière imprécise, sur les flancs. L’un de ces épisodes a marqué les habitants de Riace et l’expérience de Mimmo Lucano.

C’était à l’époque du premier « gouvernement ami » (Prodi I) et la voix dissonante du Réseau antiraciste a été rapidement réduite au silence. Incroyablement (ou indignement, serait-il plus juste de dire), en 1998, alors que Dino était incarcéré dans la prison spéciale de Diyarbakir, accusé d’ « incitation à la révolte pour des motifs linguistiques, religieux ou ethniques », certains membres du réseau ont jugé bon de convoquer une assemblée nationale du 17 au 19 avril 1998 : curieusement à Lecco, dans le Nord profond de la Ligue. Et là, l’assemblée a décidé à la majorité de dissoudre la seule coordination antiraciste qui ait jamais existé en Italie. La seule à avoir réussi à unifier le maximum de ce qui pouvait l’être, qui a anticipé de plusieurs années l’idée que les migrants sont des sujets exemplaires de notre temps et qu’il peut exister une citoyenneté transnationale.

Et pourtant, comme je l’avais écrit dans le document que j’ai proposé à la discussion à l’assemblée nationale de Lecco, « le fait que les campagnes de collecte de signatures pour les trois lois d’initiative citoyenne se soient révélées être une fuite en avant n’enlève rien à la validité et à l’actualité impérieuse des objectifs que nous entendions proposer (...). Les objectifs du droit de vote et du passage des démarches aux communes doivent être relancés, même si c’est sous des formes et des modalités différentes, car c’est là que se mesure la différence entre une conception égalitaire et démocratique de l’intégration et une conception paternaliste-intégrative ».

L’un des grands mérites de Dino Frisullo, que je tiens à souligner vingt et un ans après sa mort, est d’avoir parfaitement saisi que le sens de la « grande histoire » se trouve dans les « petites histoires » de domination, d’oppression, de discrimination d’une population, d’une minorité, d’un groupe, mais aussi dans les malheurs et les drames de chacun de ses membres, de chaque réfugié, de chaque migrant, de chaque opprimé : l’histoire « mineure » d’un réfugié mort étouffé dans la cale d’un navire peut nous en dire plus sur le monde d’aujourd’hui qu’un froid essai géopolitique.

* Dino Frisullo, militant et journaliste, est décédé le 5 juin 2003, le jour de son 51e  anniversaire.    

 

ELEONORA CAMILLI
La revanche de Mimmo Lucano, élu au Parlement européen et réélu maire de Riace

Eleonora Camilli, La Stampa, 11/6/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Journaliste professionnelle, Eleonora Camilli travaille depuis 2007 à la rédaction romaine du Redattore Sociale, la première agence de presse italienne spécialisée dans les questions d'État-providence, de marginalité et d'exclusion. Elle s'intéresse en particulier aux droits, à la migration et aux diasporas contemporaines. Ses analyses et reportages ont également été publiés dans plusieurs journaux nationaux italiens, dont La Stampa. X @EleonoraCamilli
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Une réhabilitation après des années de calvaire judiciaire : « J'appartiens au Sud, je veux faire le possible et l'impossible pour cette terre ».

Une double élection qui a une saveur de rédemption. Domenico Lucano, dit Mimmo, ne cache pas son émotion. Non seulement il a recueilli plus de 188 000 voix aux élections européennes, ce qui lui permet de siéger au Parlement [liste Alliance Verts et Gauche], mais il sera à nouveau maire de Riace. Dans cette commune où il avait imaginé « un rêve d'hospitalité », mais qui lui a coûté des années d'enquêtes judiciaires, lesquelles se sont terminées par une sentence qualifiant les accusations d'infondées. Aujourd'hui, il entame un double travail, qu'il veut honorer du mieux qu'il peut, afin que ceux qui l'ont attaqué au fil des ans (en premier lieu le ministre Salvini) ne puissent plus mettre en doute sa bonne foi. « Ils m'ont traité de tout, mais maintenant ils se taisent. N'ont-ils plus rien à dire des années plus tard ? »

Lucano, vous attendiez-vous à ce double résultat ?

Oui, je m'y attendais et je ne peux qu'être satisfait. J'ai attendu ce moment pendant longtemps et il est enfin arrivé. Même pendant la période de mon histoire judiciaire, j'ai toujours été entouré d'une grande communauté. Nous avons transformé la douleur en espoir, comme Riace l'a enseigné au monde en accueillant des personnes qui venaient des situations les plus diverses, des guerres, de la faim, de la persécution. Comme Riace, je suis donc sorti de l'oubli grâce à cette communauté qui est aujourd'hui une icône dans le monde. La plus grande œuvre publique est immatérielle et ne se voit pas. Je veux être le témoignage de la Calabre la plus authentique, des villages abandonnés qui renaissent, des gens qui sortent de chez eux sans fermer la porte à clé, de l'intégration.

Votre double élection est-elle aussi une revanche sur ceux qui vous ont attaqué ces dernières années ?

Salvini s'est réjoui de ma première condamnation, m'a traité de zéro et d'autres mots injurieux. Et d'autres à droite, pareil. C'est la plus belle des revanches, mon élection comme maire de Riace prouve que le théorème du grand remplacement et des cargaisons résiduelles* n'a aucun sens. Je me demande cependant : comment se fait-il que personne ne parle aujourd'hui, que Salvini ne commente pas mon élection ? J'ai été réélu sans demander de vote ni aux élections administratives ni aux élections européennes. La première fois que je me suis présenté, même mon père n'a pas voté pour moi, je ne fais pas partie des amis de mes amis.

 

En tant que maire de Riace, allez-vous relancer ce modèle d'accueil qui vous a coûté si cher ?

Le village global a toujours continué à exister et nous continuerons à le faire. De nouveaux réfugiés sont arrivés et ont maintenu les activités ouvertes. C'est notre force, il ne sert à rien de faire uniquement des travaux publics, il faut travailler sur les communautés sinon la réalité sociale meurt.

17/06/2024

JUDY MALTZ
“Repousser les limites” : l'ancien élève de yeshiva devenu drag queen à l’origine de la ‘synagogue laboratoire avec dieu optionnel’ de New York, personnage du documentaire ‘Sabbath Queen’

Judy Maltz, Haaretz, 16/6/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le documentaire “Sabbath Queen”, dont la réalisation a pris 21 ans, a été présenté la semaine dernière au festival du film de Tribeca (New-York). Il retrace la vie extraordinaire d'Amichai Lau-Lavie, un rabbin sorti de l’ordinaire, issu d'une dynastie de rabbins vieille de mille ans.

Le rabbin Amichai Lau-Lavie et son alter ego la Rebbetzin [rabbine] Hadassah Gross, dans le documentaire “Sabbath Queen”. Photo : Simcha Leib Productions

NEW YORK - Il est issu d'une très longue lignée de rabbins, est le cousin germain du grand rabbin ashkénaze d'Israël, mais dirige une synagogue où Dieu est “en option”.

Fièrement homosexuel, il a eu trois enfants tout en étant drag queen.

Il a fréquenté une importante yeshiva de Cisjordanie, mais participe régulièrement aux manifestations hebdomadaires organisées à New York pour réclamer la fin de l'occupation israélienne et un cessez-le-feu à Gaza.

Son judaïsme réimaginé s'est traduit par des représentations théâtrales lors des offices du shabbat, des mariages entre juifs et bouddhistes zen de même sexe célébrés sous une houppa et des chants interconfessionnels lors des offices de Yom Kippour.

Est-il surprenant que l'expression “repousser les limites” revienne sans cesse dans le tout nouveau documentaire dédié au rabbin Amichai Lau-Lavie ?

C'est peut-être l'euphémisme de l'année, mais voici comment Lau-Lavie résume à l'écran son approche iconoclaste du judaïsme : « Tout ce dont nous avons hérité ne mérite pas d'être transmis ».


Après 21  ans de travail, “Sabbath Queen” a été présenté en première mondiale dimanche dernier au festival du film de Tribeca, à New York.

« Certains d'entre vous se demandaient s'ils allaient vivre assez longtemps pour me voir terminer ce film », a plaisanté le réalisateur Sandi DuBowski dans sa présentation  lors de la soirée d'ouverture.

16/06/2024

GIDEON LEVY
Un général qui a tué impunément un adolescent palestinien reçoit maintenant un doctorat honorifique pour “héroïsme israélien”

Gideon Levy, Haaretz, 16/6/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Les bottes militaires poignent sous la robe noire, chaque tête est couverte d’un mortier noir. Il s’agit des récipiendaires d’un doctorat honoris causa [ou plutôt opprobrii causa, NdT] de l’université Reichman* en 2024, décerné cette année « en reconnaissance de l’héroïsme israélien » : une propagandiste de quat’sous (Noa Tishby) ; la commandante d’une compagnie de chars [la première compagnie féminine de tankistes, hashtag #metooIcankill] (la capitaine Karni Gez) ; un fondateur de Frères et sœurs d’armes (Eyal Naveh) ; un dirigeant des communautés de la frontière de Gaza (Haim Jelin) et le général de brigade Yisrael Shomer, commandant de la 146e Division.

Shomer a été honoré pour avoir « consacré de nombreuses années à la force et à la sécurité de l’État d’Israël ». Selon le site ouèbe de l’université, « cet honneur est décerné à des personnes dont les actions illustrent les valeurs du sionisme, de l’esprit d’entreprise, de la responsabilité sociale et de l’intégrité académique, et en reconnaissance de leurs contributions importantes à l’État d’Israël, au peuple juif et à l’université Reichman ».

Le général Yisrael Shomer lors d'une réunion d’évaluation de la situation, en avril. Photo : Unité du porte-parole de l'armée israélienne

Retour en arrière : Vendredi matin, 3 juillet 2015, point de contrôle de Qalandiyah en Cisjordanie. La circulation est lente. Un adolescent palestinien s’approche de la voiture du commandant de la brigade Binyamin, le colonel Yisrael Shomer, lance une grosse pierre dans le pare-brise et s’enfuit. Personne n’est blessé. Le sang du futur docteur honoraire ne fait qu’un tour : il sort de sa voiture et se lance à la chasse.

15/06/2024

GIDEON LEVY
Israël figure sur la liste noire de l’ONU des pays qui portent atteinte aux enfants, et à juste titre

Gideon Levy, Haaretz, 9/6/2024
Traduit par Layân Benhamed, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala

Somalie, Syrie, Myanmar, Boko Haram – et Israël. Ensemble, et pas par hasard. La décision du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, d’ajouter Israël à la liste noire des pays qui portent atteinte aux enfants a insulté et choqué Israël.
Nous et la Syrie dans le même sac ?

Une enfant palestinienne est assise sur des décombres, dans la bande de Gaza, en juin. Photo Mohammed Salem/Reuters

Oui, nous et la Syrie. En Israël, tout le monde s’est lancé dans l’attaque, mais personne n’a demandé : qu’avons-nous pensé pendant que l’armée tuait des milliers d’enfants ? Que le monde resterait silencieux ? Que l’ONU ferait preuve de retenue ? Son rôle est de lancer des cris et c’est ce qu’elle a fait ce week-end .

Lorsqu’il s’agit de massacres d’enfants, toutes les excuses s’envolent, même celles avancées par Israël. Gilad Erdan peut continuer ses numéros grotesques à l’ONU : il a publié hier un enregistrement vidéo de sa conversation avec le secrétaire général, un acte sans précédent en termes de code de conduite diplomatique, le tout destiné aux oreilles du Comité central du Likoud, en prévision de son prochain poste.

Benjamin Netanyahu peut continuer à affirmer que « l’ONU s’est inscrite sur la liste noire de l’histoire ». L’ONU ? Combien d’enfants a-t-elle tué ? L’ armée israélienne en a tué 15 517, selon le ministère de la Santé de Gaza. Quelque 8 000 de ces décès ont été vérifiés par l’ONU. Beaucoup sont encore portés disparus.

FRANCO “BIFO” BERARDI
Désertez

Franco “Bifo” Berardi, il disertore, 15/6/2024
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Il semble que 32 % des Européens (UE) seraient prêts à tuer et à mourir pour défendre les frontières. C’est ce que dit un sondage publié par Gallup, mais je n’y crois pas.

« Le prix d'une tyrannie non contestée est le sang des jeunes et des braves »,  a déclaré Genocide-Joe Biden lors de la commémoration du Jour J, où les Russes manquaient à l’appel, peut-être un oubli du fait que l’Union soviétique a payé le prix de vingt-cinq millions de morts pendant la Seconde Guerre mondiale.

Dans son spot électoral, Ursula von den Leyden a déclaré que l’ennemi nous attaquait de l’intérieur et de l’extérieur et que, par conséquent, « NOUS SOMMES DANS UNE ÉPOQUE DE RÉARMEMENT ».

Mais selon un sondage d’opinion de Gallup International, seuls 32 % des Européens des pays membres de l’UE seraient prêts à se battre en cas de guerre.

Seulement ?

Il me semble que 32%, c’est beaucoup. Trop. Un sur trois est-il vraiment prêt à aller tuer et peut-être même mourir pour défendre les frontières et les valeurs d’une civilisation qui confisque ce que les générations passées ont gagné par des luttes sociales, qui a détruit l’environnement de la planète pour le profit d’une petite minorité ?

Est-ce qu’une personne sur trois est vraiment prête à voir son existence ruinée pour défendre... pour défendre quoi ?

La démocratie ? La démocratie qui a créé les conditions du réarmement et de la guerre atomique ?

Je ne le crois pas.

Écoutez

NdT

« Ô vous, les boutefeux
Ô vous les bons apôtres
Mourez donc les premiers, nous vous cédons le pas
Mais de grâce, morbleu
Laissez vivre les autres
La vie est à peu près leur seul luxe ici-bas
. »

Georges Brassens, Mourir pour des idées