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28/06/2022

MARIE KELLY
USA : Comment les « Janes » ont créé un accès clandestin à l'avortement avant l’arrêt Roe c. Wade
Un exemple à suivre aujourd’hui

Marie Kelly, Workers World, 24/6/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala 

Marie Kelly est une infirmière retraitée de Philadelphie, USA

On s'attend à ce qu'une décision de la Cour suprême des États-Unis (SCOTUS) dans l'affaire Dobbs v. Jackson Women's Health Organization annule l'arrêt Roe v. Wade rendu en 1973 par la SCOTUS à la fin du mois de juin - et ouvre la voie à une nouvelle criminalisation du droit à l'avortement. À l'heure actuelle, 26 États sont sur le point d'interdire l'avortement et d'affecter la vie de 64 millions de femmes - et de toute personne en âge de procréer qui a un utérus. (guttmacher.org/abortion-rights- supreme-court, U.S. Census Bureau)




Une banderole du Jane Collective, le service de conseil sur l'avortement de Chicago Women's Liberation, portée lors d'une manifestation pour l'accès à l'avortement.

Depuis la décision Roe, les réactionnaires anti-avortement ont exercé des mesures implacables - tant légales que violemment illégales - pour saper la liberté de reproduction.

L'oppression liée au genre par les forces de droite

Dès 1976, trois ans après Roe, le Congrès a adopté l'amendement Hyde interdisant l'utilisation de fonds fédéraux comme Medicaid pour les avortements, sauf pour sauver "la vie de la mère". Depuis, les États ont adopté de nombreuses autres lois restrictives, telles que l'obligation d'une assurance onéreuse pour les cliniques, l'obligation d'obtenir le consentement parental pour un avortement, le "conseil" obligatoire, les échographies forcées et les périodes d'attente. Les institutions religieuses exonérées d'impôts, comme les hôpitaux catholiques, ont interdit à leurs prestataires médicaux de pratiquer des avortements.

Les extrémistes de droite et les fondamentalistes religieux ont mené une guerre violente contre les prestataires et les demandeuses d'avortement, notamment en bombardant des cliniques et en assassinant des médecins, des membres du personnel des cliniques et des accompagnateurs de patientes.

L'avortement – l’IVG - a certainement existé avant l'histoire enregistrée de la société de classe. Mais avançons rapidement jusqu'à la révolution industrielle, lorsque la classe dirigeante patriarcale des pays industrialisés a systématiquement confisqué les droits reproductifs des individus.

 

Photo : People's History Project 
Au milieu du 19e siècle, la médecine institutionnalisée, dominée par les hommes, contrôlait les services de reproduction et dissimulait à ses patientes les connaissances en la matière. La classe supérieure blanche se tournait vers les hôpitaux stériles pour obtenir des soins, tandis que les sages-femmes, en particulier les sages-femmes noires, étaient vilipendées comme des praticiennes incompétentes, voire des sorcières. (v. "Traditions of health : Black midwives and doulas against racism", Workers World, 16 mars)

Au début du 20e  siècle, en plus de réclamer le droit de vote, les militantes des droits de la femme ont fait la promotion des contraceptifs en tant qu'alternative au cycle exténuant des grossesses fréquentes, souvent mortelles, qui se produisaient de manière disproportionnée dans les communautés urbaines d'immigrants, de Noirs et de Bruns.

27/06/2022

STEPHANIA TALADRID
Les dernières heures de l’arrêt Roe c. Wade dans l’une des plus grandes cliniques d’avortement des USA

Stephania Taladrid, photos de Meridith Kohut, The New Yorker, 25/6/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

À Houston, une journée de consternation, de confusion et d'effroi après que la Cour suprême a mis mis fin au droit constitutionnel à l'avortement.

Quelques instants après avoir appris que la Cour suprême avait annulé le l’arrêt Roe c. Wade, Ivy, la superviseure de la Clinique pour femmes de Houston (HWC), qui y travaille depuis près de vingt ans, s'est rendue dans une pièce voisine et a pressé ses doigts sur ses yeux, luttant contre ses larmes.

Vendredi matin, à sept heures, Ivy a allumé les lumières de la HWC, le plus grand pourvoyeur d'avortements de l'État, où elle travaille en tant que superviseure depuis près de deux décennies. Depuis le mois de mai, lorsque le projet de décision de la Cour suprême a fuité, révélant l'intention de la majorité conservatrice de renverser Roe c. Wade, Ivy, qui a cinquante-six ans et a demandé à n'être identifiée que par un pseudo, est allée travailler chaque jour en sachant que cela pourrait être son dernier. Mais ni la fin probable du droit des femmes à l'avortement, ni la réglementation lourde du Texas en la matière, n'ont modifié ses habitudes matinales. Formant ses cheveux grisonnants et longs jusqu’aux hanches en chignon et les couvrant d'un bonnet chirurgical noir, elle stérilise toutes les seringues, compte les curettes une par une et attend que ses collègues arrivent. Seul le message d'Ivy à ses patients a changé. Maintenant, chaque salutation doit être accompagnée d'un avertissement.

Un jugement sur l'arrêt Roe c. Wade est imminent et la procédure peut être interdite à tout moment, prévient Ivy les femmes enceintes qui s'approchent de la réception, après les salutations d’usage. Le vendredi, les patientes commencent à arriver à huit heures, après avoir négocié avec les piqueteurs (anti-avortement) qui squattent le parking. « Montre-moi ta carte d'identité, mija », dit Ivy à la première femme qui arrive dans le hall lumineux, où un grand aquarium murmure. La femme, vêtue d'un pantalon noir et d'un sweat à capuche gris, s'est vu attribuer un numéro de patiente pour protéger sa vie privée. Après seulement quatre semaines de grossesse, elle venait, comme la grande majorité des patientes de la matinée, pour sa deuxième visite sur deux. Selon la loi du Texas, les femmes doivent attendre au moins vingt-quatre heures après avoir reçu les documents et l'échographie qui confirment leur grossesse. Elle revient maintenant dans l'espoir de passer une seconde échographie et de subir un avortement. À droite du bureau où Ivy l'a enregistrée se trouve une proclamation encadrée, signée par le maire de Houston, honorant le quarante-quatrième anniversaire de l’arrête Roe contre Wade.

Ce jour-là, malgré les avertissements d'Ivy, seules quelques femmes à l'accueil semblent avoir compris que leur accès à l'avortement était menacé. La préoccupation dominante était de savoir si l'échographie déterminerait qu'elles étaient enceintes de plus de six semaines ou qu'elles présentaient une activité électrique dans les cellules fœtales - des éventualités qui, suite à l'adoption d'une loi d'État en septembre dernier, signifieraient qu'elles ne pourraient pas se faire avorter au Texas et devraient se faire traiter dans un autre État.

Une à une, les femmes sont appelées au fond de la clinique pour recevoir leurs échographies et leurs séances de conseil, ou pour attendre le médecin, qui n'est pas encore apparu. Une rangée de chaises en bois raides où elles attendent leur heure fait face à une photo encadrée de la baie céruléenne de Portofino. Tandis que les femmes fixent le village italien ou leur téléphone, une douzaine de membres du personnel inquiets se serrent les coudes à la réception. L'une des assistantes médicales a posé son téléphone contre une pile de dossiers de patientes afin que ses collègues puissent voir le programme de la Cour suprême pour la journée. Une infirmière a commencé à tresser les cheveux de la réceptionniste, teints en couleurs vives.

La patronne d'Ivy, Sheila, qui dirige la clinique, avait pris contact avec des avocats de l'A.C.L.U. [Union américaine pour les libertés civiles] « Ça peut arriver d'une minute à l'autre », a-t-elle dit à ses collègues en annonçant la décision, ajoutant avec un sourire nerveux : « Ma sœur essaie de me distraire. Elle vient de m'envoyer un article : "Comment arrêter de sortir avec des gens qui ne sont pas faits pour vous"»,  Quelqu'un a crié depuis une autre pièce : « Envoye-le-moi ! »

Malgré la tension, pendant l'heure qui suit, les employés essaient de se concentrer sur leurs responsabilités particulières, notamment répondre au téléphone, qui sonne constamment. Plus elles travaillaient vite, plus elles pouvaient préparer de patientes à voir le médecin, qui donnerait aux femmes admissibles des pilules pour entamer un avortement médicamenteux ou procéderait à un avortement chirurgical. Mais à 9 h 11, avant que le médecin ait franchi la porte et que les avortements aient commencé, un avocat de l'A.C.L.U. a appelé Sheila. « Roe, annulé », a-t-elle dit platement. Ivy, sortant du laboratoire, n'avait pas saisi les mots exacts de Sheila, mais elle les a compris en voyant ses mains trembler.

Priscilla et Nina, de l’équipe de la Houston Women's Clinic, le plus grand pourvoyeur d'avortement de l'État, ont réagi immédiatement après avoir appris la décision de la Cour suprême de revenir sur le droit constitutionnel des femmes aux USA à l'avortement.

Bernard Rosenfeld, le médecin de la clinique, a serré dans ses bras les membres de l’équipe Ivy et Nina le jour de la décision de la Cour.

Frontières de mort
Éditorial du quotidien El País sur le massacre de migrants à Melilla

Éditorial, El País, 27/6/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Les accords de l'Espagne avec le Maroc stipulent le respect strict des droits humains des migrants.


Manifestation ce dimanche à Barcelone contre les actions des forces de sécurité marocaines à Melilla. Toni Albir (EFE)

La frontière de Melilla avec le Maroc a été le théâtre d'un épisode ignominieux vendredi. Selon les données officielles fournies par le Maroc, au moins 23 migrants sont morts asphyxiés, écrasés ou des suites de blessures subies lors d'une tentative de franchissement de la clôture frontalière impliquant quelque 1 700 migrants ; 133 d'entre eux ont réussi à franchir la frontière et les autres ont été pris au piège dans une souricière. Les images enregistrées et transmises par les ONG humanitaires travaillant dans la région, dont certaines font état d'un bilan plus lourd, permettent de conclure que certains jeunes hommes ont agonisé sans que personne ne leur vienne en aide ou ne leur fournisse les soins qui auraient peut-être pu leur sauver la vie.

Même si les frontières sont inviolables et que l'obligation des forces de sécurité des deux côtés est d'empêcher les pénétrations massives, nous avons assisté à une violation flagrante et cruelle des droits humains. Un principe minimum d'humanité devrait permettre d'éviter des situations aussi déchirantes que la façon dont des dizaines de personnes ont été piégées dans une avalanche mortelle et la façon dont elles ont été traitées par la suite. Ces êtres humains recroquevillés sur le sol, dans pêle-mêle d’ont ne sait combien de corps blessés ou morts, constituent une scène insoutenable.

C'est l'épisode le plus sanglant et avec le plus grand nombre de victimes parmi tous ceux qui se sont produits de tentatives d’entrer en Espagne par Ceuta ou Melilla. Au moins de ceux qui sont enregistrés. Le précédent, le plus tragique, avec 15 morts, a eu lieu en 2014 dans la zone d'El Tarajal à Ceuta, lorsque des agents de la Garde civile ont tiré des balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes sur un groupe de migrants qui tentaient d’entrer dans l’enclave par la mer. Le dossier ouvert pour cette action a récemment été clos, mais la conviction que nombre de ces décès auraient pu être évités ne s'est pas éteinte. Ce qui s'est passé vendredi appelle une enquête supervisée par des organismes internationaux. Il est difficile de gérer un tel afflux massif, une telle avalanche humaine, mais l'action de la police, avec son utilisation de gaz lacrymogènes, ses coups de matraque, ses jets de pierres et la négligence des soins de santé à l'égard des migrants blessés et extrêmement affaiblis après des jours sans nourriture, pourrait avoir exacerbé les conséquences.

Le président Pedro Sánchez s'est empressé vendredi, alors que seuls cinq décès avaient été officiellement signalés, de faire l'éloge des actions des forces de police marocaines, et a eu tort samedi d'insister sur cet éloge, alors que des images avaient déjà été vues qui remettaient en question la manière dont l'opération s'était déroulée et le traitement ultérieur des détenus blessés. Il n'échappe à personne que c'était la première fois - après la crise diplomatique puis l'accord - que le pays voisin avait l'occasion de montrer qu'il respectait son engagement à garder sa frontière et à empêcher l'accès massif aux frontières espagnoles de Ceuta et Melilla. Après un bras de fer tendu avec le Maroc, le gouvernement a réussi à rétablir des relations bilatérales essentielles pour l'Espagne. Mais le gouvernement de Sánchez ne peut ignorer la manière dont l'accord est appliqué lorsque des indices de graves violations des droits humains sont constatées. Les pactes ont un prix, mais certains ne peuvent être payés.

Fronteras de muerte
Editorial de El País sobre la masacre en Melilla


 Editorial, El País, 27/6/2022

Los acuerdos de España con Marruecos incumben al cumplimiento estricto de los derechos humanos de los migrantes


Manifestación este domingo en Barcelona por la actuación de las fuerzas de seguridad marroquíes en Melilla. Toni Albir (EFE)

La frontera de Melilla con Marruecos fue escenario el viernes de un episodio ignominioso. Al menos 23 migrantes, según los datos oficiales facilitados por Marruecos, murieron asfixiados, aplastados o como consecuencia de las heridas sufridas en un intento de salto de la valla fronteriza en el que participaron unos 1.700 migrantes; 133 de ellos lograron cruzar la frontera y el resto quedó atrapado en una ratonera. Las imágenes grabadas y transmitidas por ONG humanitarias que trabajan en la zona, algunas de las cuales elevan la cifra de muertos, permiten concluir que algunos jóvenes agonizaron sin que nadie les socorriera ni les proporcionara una atención sanitaria que tal vez hubiera podido salvarles la vida.

Por mucho que las fronteras sean inviolables y que la obligación de las fuerzas de seguridad de uno y otro lado sea evitar penetraciones masivas, hemos asistido a una flagrante y cruel vulneración de los derechos humanos. Un mínimo principio de humanidad debería poder evitar situaciones tan desgarradoras como la forma en que quedaron atrapadas decenas de personas en una avalancha mortal y cómo fueron tratadas después. Aquellos seres humanos amontonados en el suelo en un amasijo no se sabe de cuántos heridos o cadáveres componen una escena insoportable.

Se trata del episodio más cruento y con mayor número de víctimas de cuantos se han producido hasta ahora para entrar en España por Ceuta o Melilla. Al menos de los que hay constancia. El anterior más trágico, con 15 personas muertas, se produjo en 2014 en la zona de El Tarajal de Ceuta, cuando agentes de la Guardia Civil dispararon pelotas de goma y gases lacrimógenos contra un grupo de migrantes que intentaba entrar nadando. La causa abierta por esta actuación ha sido recientemente archivada, pero no se ha apagado la convicción de que muchas de esas muertes podrían haberse evitado. Lo ocurrido este viernes exige una investigación supervisada por organismos internacionales. Es difícil de gestionar una entrada masiva, una avalancha humana así, pero la actuación policial, con uso de gases lacrimógenos, golpes de porra, lanzamiento de piedras y desatención sanitaria contra migrantes heridos y sumamente debilitados tras días sin comer pudo agravar las consecuencias.

26/06/2022

HAIDAR EID
Quinze ans de blocus de Gaza : ouvrez les portes de notre prison maintenant

Haidar Eid, Aljazeera, 24/6/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Ils nous garderont emprisonnés sur cette bande de terre et continueront à nous étouffer lentement pendant encore 15 ou même 150 ans si le monde ne se réveille pas et ne dit pas « assez ».

Des enfants palestiniens agitent des drapeaux palestiniens alors qu'ils jouent dans les décombres de bâtiments détruits par un bombardement israélien, à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, le 19 juin 2021 [Said Khatib/ AFP].

Ce mois-ci, alors que le blocus dévastateur de la bande de Gaza entrait officiellement dans sa 15e  année, j'ai relu le reportage explosif de David Rose, The Gaza Bombshell, pour me rappeler (comme s'il était possible d'oublier) comment les USA et Israël ont collaboré pour transformer ma patrie en ce que même les ONG les plus installées décrivent comme « la plus grande prison à ciel ouvert du monde ».

 L'histoire, aussi choquante qu'elle puisse être, est assez simple. Au début de 2006, l'administration Bush aux USA a gentiment « invité » la population de Gaza à se rendre aux urnes pour élire ses représentants lors d'une élection du conseil législatif. Alors que les Palestiniens de Gaza pensaient, comme il est d'usage dans les élections démocratiques, qu'ils devaient voter pour les candidats qui, selon eux, représenteraient le mieux leurs intérêts, ce ne fut pas le cas - Washington voulait que nous votions plutôt en fonction de ses intérêts, et de ceux d'Israël.

 Les Palestiniens ont donc fini par faire le « mauvais » choix, du moins aux yeux de nos oppresseurs coloniaux. Et nous avons été sévèrement punis pour cette « erreur » au cours des 15 dernières années.

 Le blocus mortel qui nous a été imposé pour avoir élu le Hamas a transformé Gaza non seulement en une prison à ciel ouvert, mais aussi en un camp de concentration : dans cette enclave autrefois belle, deux millions de personnes, dont près de la moitié sont des enfants de moins de 15 ans, tentent aujourd'hui désespérément de survivre sans approvisionnement sûr en eau, en nourriture, en électricité et en médicaments, en violation flagrante du droit humanitaire international consacré par les conventions de Genève.

 Au cours des 15 dernières années, alors que nous étions soumis à ce siège médiéval qui a fait de nous des prisonniers dans notre propre patrie, nous avons également subi quatre guerres génocidaires. Plus de 4 000 civils, dont de nombreux enfants, ont péri sous les bombardements israéliens, pour le seul crime d'être nés à Gaza.

24/06/2022

MAURO RAVARINO
Comment et pourquoi un affluent du Pô a disparu en un seul jour
Interview du professeur Stefano Fenoglio

 Mauro Ravarino, il manifesto, 17/6/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Mauro Ravarino, journaliste, travaille au bureau de presse de l'université de Turin et collabore au quotidien il manifesto depuis 2008, notamment avec des articles et des reportages sur les questions sociales et environnementales. Il a travaillé comme rédacteur à l'agence de presse LaPresse et au quotidien Il Secolo XIX. Il est également l'auteur de deux livres : Terzo valico. L'altra TAV (Round Robin Editrice, 2015) et Al di sotto della legge (Edizioni Gruppo Abele, 2015). Il a édité la nouvelle édition de La guerra in casa (Einaudi, 2020) de Luca Rastello. Également vidéaste, il a réalisé les documentaires Mare Mosso, présenté à CinemAmbiente, et Lontano dai confini (un webdoc interactif sur le droit à la mobilité).

Interview. Le professeur Stefano Fenoglio d'Alpstream, le Centre d'étude des rivières alpines situé dans le parc du Monviso, déclare : « Il ne s'agit pas d'une anomalie passagère, nous sortons de huit années d'hivers chauds, avec une réduction des précipitations. Nous devons intervenir en pensant à l'avenir, pas au jour suivant ».

Situation d'urgence due à la sécheresse dans la vallée du Pô où, dans certaines municipalités, il n'a pas plu depuis 110 jours – Photo Ansa

La surveillance quotidienne des rivières alpines, qui constituaient autrefois une riche source d'eau, révèle une situation dramatique. Et ce n'est pas seulement une question de quantité d'eau, la qualité et la survie des écosystèmes fluviaux sont en jeu. Avec Alpstream, point de référence pour l'étude, la gestion durable et la protection des systèmes fluviaux dans les Alpes, Stefano Fenoglio, zoologiste et enseignant au département des sciences de la vie et de biologie des systèmes de l'université de Turin, en fait l'expérience sur le terrain.

Professeur Fenoglio, nous parlons d'une urgence de sécheresse, mais cela dure depuis trop longtemps. Qu’en est-il exactement ?

Dans un certain sens, c'est l’étonnement que cela suscite qui est étonnant, malheureusement cette situation de sécheresse extrême était prévisible depuis des mois, compte tenu de l'anomalie thermique et pluviométrique enregistrée au cours de l'hiver. Si les rivières étaient dans un état d'épuisement en février, les conditions sont maintenant pires. Bien sûr, il y a aussi des aspects qui nous impressionnent. Il y a quelques matins, nous sommes passés par la rivière Varaita, un affluent du Pô dans la province de Cuneo, et si le matin il y avait un filet d'eau, lorsque nous sommes revenus dans l'après-midi pour faire quelques prélèvements, nous avons trouvé une étendue de blocs rocheux avec seulement un peu d'humidité résiduelle. La rivière a disparu en une journée, en raison de la chaleur et du prélèvement exceptionnel de l'agriculture. Il existe des causes mondiales et locales.

Nous sommes confrontés à trois mois d'été cruciaux. Comment pouvons-nous faire un meilleur usage de l'eau ?

Ce que nous vivons n'est pas l'anomalie de cette année, nous sortons de huit années d'hivers chauds, avec une nette diminution des précipitations. Et nous devons agir en pensant à l'avenir, pas au jour suivant. Nous devons laisser plus d'eau dans les rivières car cela dilue les rejets des épurateurs. Nous devons sélectionner des cultures moins gourmandes en eau, améliorer l'efficacité du système qui gère et distribue l'eau. Les rivières sont des écosystèmes et non des conduits. Nous avons un pendule qui oscille entre une sécheresse extrême et des précipitations intenses, en exploitant ces dernières nous devons retenir l'eau sur le territoire pour mieux la distribuer. Il s'agit d'une pratique méditerranéenne qui, dans le nord de l'Italie, ne semblait pas être une obligation mais qui l'est désormais. Ces interventions doivent être écologiquement durables, en harmonisant leur présence.

Nous parlons à juste titre de la réduction de la quantité d'eau, mais peu de la qualité. Pourquoi, au contraire, serait-il important de le faire ?

Ces jours-ci, nous menons une campagne de surveillance de la biodiversité et du débit des rivières du Piémont : la situation est dramatique. Il existe des rivières en sécheresse totale dans de nombreux environnements de piémont de l'arc occidental. Je parle de la Varaita, la Maira, la Grana et la Pellice, qui sont déjà à sec sur plusieurs kilomètres en juin. Elles ont un tiers de l'eau qu'elles devraient avoir en ce moment. Et avec Alpstream, nous étudions l'aspect de la qualité de l'eau : avoir moins signifie avoir pire. Nous continuons à déverser dans le cours d'eau les mêmes eaux usées provenant des stations d'épuration, des engrais et des pesticides. Cependant, le volume d'eau qui permettait de les diluer fait désormais défaut et augmente de manière disproportionnée la concentration de polluants et de bactéries. Si les rejets des épurateurs prévalaient, nous ne pourrions même plus l'utiliser pour l'irrigation. Avec moins d'eau et plus de vagues de chaleur, la température moyenne des rivières a augmenté de plusieurs degrés au-dessus de la moyenne. Les eaux plus chaudes sont moins oxygénées, ce qui affecte la biodiversité et la vie des poissons, favorisant les processus de croissance des algues, comme en ville (à Turin par exemple), ou la prolifération des bactéries, qui profitent de la rareté de l'eau.

Alpstream est basé à Ostana, sur le Mont Viso, non loin de l'endroit où le Pô prend sa source. Quelle est la situation ?

Dans les zones de haute montagne, la neige a fait défaut et la quantité d'eau a diminué, les lacs alpins sont plus bas que d'habitude. Cet hiver, nous avons eu un isotherme 0 °C  au-dessus de 4 000 mètres pendant plusieurs jours. Les sources du Pô sont restées à sec pendant un certain temps au cours des mois d'hiver. À l'embouchure, l’intrusion salée avance beaucoup : l'eau saumâtre risque de s'infiltrer dans la nappe phréatique, ce qui est également un problème pour l'agriculture. Les problèmes sont généralisés en Europe du Sud, l'Espagne est plus mal lotie que nous, mais c’est toujours impressionnant de voir nos zones alpines, si riches en eau, dans un tel état.