Mauro Ravarino,
il
manifesto, 17/6/2022
Traduit
par Fausto
Giudice, Tlaxcala
Mauro Ravarino, journaliste, travaille au bureau de
presse de l'université de Turin et collabore au quotidien il manifesto
depuis 2008, notamment avec des articles et des reportages sur les questions
sociales et environnementales. Il a travaillé comme rédacteur à l'agence de
presse LaPresse et au quotidien Il Secolo XIX. Il est également l'auteur de deux
livres : Terzo valico. L'altra TAV (Round Robin Editrice, 2015) et Al
di sotto della legge (Edizioni Gruppo Abele, 2015). Il a édité la nouvelle édition de La guerra in casa
(Einaudi, 2020) de Luca Rastello. Également vidéaste, il a réalisé les
documentaires Mare Mosso, présenté à CinemAmbiente, et Lontano dai
confini (un webdoc interactif sur le droit à la mobilité).
Interview. Le professeur Stefano Fenoglio d'Alpstream,
le Centre d'étude des rivières alpines situé dans le parc du Monviso, déclare :
« Il ne s'agit pas d'une anomalie passagère, nous sortons de huit années
d'hivers chauds, avec une réduction des précipitations. Nous devons intervenir
en pensant à l'avenir, pas au jour suivant ».
Situation d'urgence
due à la sécheresse dans la vallée du Pô où, dans certaines municipalités, il
n'a pas plu depuis 110 jours – Photo Ansa
La surveillance quotidienne des rivières alpines, qui
constituaient autrefois une riche source d'eau, révèle une situation
dramatique. Et ce n'est pas seulement une question de quantité d'eau, la
qualité et la survie des écosystèmes fluviaux sont en jeu. Avec Alpstream,
point de référence pour l'étude, la gestion durable et la protection des systèmes
fluviaux dans les Alpes, Stefano Fenoglio, zoologiste et enseignant au
département des sciences de la vie et de biologie des systèmes de l'université
de Turin, en fait l'expérience sur le terrain.
Professeur Fenoglio, nous parlons d'une urgence de sécheresse,
mais cela dure depuis trop longtemps. Qu’en est-il exactement ?
Dans un certain sens, c'est l’étonnement que cela
suscite qui est étonnant, malheureusement cette situation de sécheresse extrême
était prévisible depuis des mois, compte tenu de l'anomalie thermique et
pluviométrique enregistrée au cours de l'hiver. Si les rivières étaient dans un
état d'épuisement en février, les conditions sont maintenant pires. Bien sûr,
il y a aussi des aspects qui nous impressionnent. Il y a quelques matins, nous
sommes passés par la rivière Varaita, un affluent du Pô dans la province de
Cuneo, et si le matin il y avait un filet d'eau, lorsque nous sommes revenus
dans l'après-midi pour faire quelques prélèvements, nous avons trouvé une
étendue de blocs rocheux avec seulement un peu d'humidité résiduelle. La
rivière a disparu en une journée, en raison de la chaleur et du prélèvement
exceptionnel de l'agriculture. Il existe des causes mondiales et locales.
Nous sommes confrontés à trois mois d'été cruciaux.
Comment pouvons-nous faire un meilleur usage de l'eau ?
Ce que nous vivons n'est pas l'anomalie de cette
année, nous sortons de huit années d'hivers chauds, avec une nette diminution
des précipitations. Et nous devons agir en pensant à l'avenir, pas au jour
suivant. Nous devons laisser plus d'eau dans les rivières car cela dilue les
rejets des épurateurs. Nous devons sélectionner des cultures moins gourmandes
en eau, améliorer l'efficacité du système qui gère et distribue l'eau. Les
rivières sont des écosystèmes et non des conduits. Nous avons un pendule qui
oscille entre une sécheresse extrême et des précipitations intenses, en
exploitant ces dernières nous devons retenir l'eau sur le territoire pour mieux
la distribuer. Il s'agit d'une pratique méditerranéenne qui, dans le nord de
l'Italie, ne semblait pas être une obligation mais qui l'est désormais. Ces
interventions doivent être écologiquement durables, en harmonisant leur
présence.
Nous parlons à juste titre de la réduction de la
quantité d'eau, mais peu de la qualité. Pourquoi, au contraire, serait-il
important de le faire ?
Ces jours-ci, nous menons une campagne de surveillance
de la biodiversité et du débit des rivières du Piémont : la situation est
dramatique. Il existe des rivières en sécheresse totale dans de nombreux
environnements de piémont de l'arc occidental. Je parle de la Varaita, la
Maira, la Grana et la Pellice, qui sont déjà à sec sur plusieurs kilomètres en
juin. Elles ont un tiers de l'eau qu'elles devraient avoir en ce moment. Et
avec Alpstream, nous étudions l'aspect de la qualité de l'eau : avoir moins
signifie avoir pire. Nous continuons à déverser dans le cours d'eau les mêmes
eaux usées provenant des stations d'épuration, des engrais et des pesticides.
Cependant, le volume d'eau qui permettait de les diluer fait désormais défaut
et augmente de manière disproportionnée la concentration de polluants et de
bactéries. Si les rejets des épurateurs prévalaient, nous ne pourrions même
plus l'utiliser pour l'irrigation. Avec moins d'eau et plus de vagues de
chaleur, la température moyenne des rivières a augmenté de plusieurs degrés
au-dessus de la moyenne. Les eaux plus chaudes sont moins oxygénées, ce qui
affecte la biodiversité et la vie des poissons, favorisant les processus de
croissance des algues, comme en ville (à Turin par exemple), ou la
prolifération des bactéries, qui profitent de la rareté de l'eau.
Alpstream est basé à Ostana, sur le Mont Viso, non
loin de l'endroit où le Pô prend sa source. Quelle est la situation ?
Dans les zones de haute montagne, la neige a fait défaut et la quantité
d'eau a diminué, les lacs alpins sont plus bas que d'habitude. Cet hiver, nous
avons eu un isotherme
0 °C au-dessus de 4 000 mètres pendant plusieurs
jours. Les sources du Pô sont restées à sec pendant un certain temps au cours
des mois d'hiver. À l'embouchure, l’intrusion salée
avance beaucoup : l'eau saumâtre risque de s'infiltrer dans la nappe
phréatique, ce qui est également un problème pour l'agriculture. Les problèmes
sont généralisés en Europe du Sud, l'Espagne est plus mal lotie que nous, mais c’est
toujours impressionnant de voir nos zones alpines, si riches en eau, dans un
tel état.