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09/11/2022

SHEREN FALAH SAAB
Le livre de mémoires d’Ahed Tamimi sert mal la lutte contre l'occupation israélienne

Sheren Falah Saab, Haaretz, 9/11/2022
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Sheren Falah Saab est une journaliste druze israélienne qui écrit sur la culture dans le monde arabe pour le quotidien  Haaretz. Elle est titulaire d'une maîtrise en études sur les femmes et le genre et vit à Kafr Abu Snan en Galilée occidentale. Mère de deux filles, elle écrit un blog sur le site de Haaretz (en hébreu). @FalahSaab

 

Ahed Tamimi, l'adolescente qui est allée en prison en 2018 pour avoir giflé un soldat israélien, se présente comme une icône de la résistance, mais on aurait pu s’attendre à des perspectives plus approfondies

Ce n'était qu'un vendredi ordinaire dans le village palestinien de Nabi Saleh. Les résidents sont sortis pour manifester en brandissant des drapeaux palestiniens, se dirigeant vers la source d'Aïn al-Kus qui a été un point de friction entre la population locale et les colons depuis 2009.

La famille Tamimi a aidé à diriger la manifestation, qui a été organisée pour lancer un cri contre les injustices de l'occupation et du vol de terres. Ahed Tamimi, alors adolescente, s'est jointe à ses parents lors de la manifestation ; sa mère a été arrêtée par des soldats israéliens ce jour-là.

« Mon cœur n’a fait qu’un bon, et j'ai commencé à crier », écrit Tamimi dans ses mémoires, « Ils m'ont appelée une lionne », qui vient d’être publié en anglais. «Avec ce qui semblait être tous les habitants de Nabi Saleh, j'ai couru jusqu'à la rue principale à l'entrée du village. “Mama !”, ai-je crié frénétiquement avec une voix perçante alors que je la cherchais, craignant de la perdre à jamais. « “Maaaaamaaaaaa ! ” »

Ahed Tamimi, alors âgée de 11 ans, fait face à des soldats à Nabi Saleh en Cisjordanie, en 2012. Photo : Majdi Mohammed/AP

Quatre ans après que Tamimi a fait la une des journaux quand elle a été filmée en train de gifler un soldat israélien à son domicile de Nabi Saleh au nord-ouest de Ramallah, son livre emmène les lecteurs dans son voyage personnel. Elle raconte des souvenirs de son enfance, parle de parents qui ont été tués dans des affrontements avec des soldats israéliens et tente de se présenter comme une icône palestinienne et un symbole de résistance à l'occupation.

Après que la vidéo de Tamimi giflant le soldat est devenue virale dans le monde entier, elle a été reconnue coupable d'avoir agressé à la fois un officier et un soldat et condamnée à huit mois de prison. À cette époque, sa photo était brandie par des manifestants qui réclamaient sa libération.

La couverture du livre présente un portrait dessiné de Tamimi avec sa crinière luxuriante familière et un kefieh autour de son cou. Tamimi se rend compte que l'attention dont elle a bénéficié depuis sa libération de prison en 2018 et la publication de son livre ne dureront pas éternellement. Dans ses mémoires, elle dit à plusieurs reprises qu'elle n'est plus une fille, que huit mois dans une prison israélienne l'ont transformée en une femme attachée à lutter pour la libération de la Palestine.

Le livre ne dit rien de nouveau aux lecteurs sur une situation familière à quiconque a déjà visité la Cisjordanie occupée – la prise de terres palestiniennes par les colons, les constructions dans les colonies et les soldats qui sont toujours quelque part dans le paysage, arrêtant les manifestants et soutenant les colons.

Tamimi décrit en détail les événements qui ont précédé sa gifle au soldat, la nuit de son arrestation, son transfert en prison et sa rencontre avec les juges et son avocate, Gaby Lasky.

Surtout, Tamimi veut dire au monde qu'elle a été une partie importante de la lutte et a cherché à en rester une même après avoir été menottée et derrière les barreaux. Elle a écrit ses mémoires avec la journaliste d'Al Jazeera Dena Takruri, qu'elle a rencontrée en 2018 et avec laquelle elle est restée en contact.

L’aspect de Tamimi, en particulier ses yeux bleus et ses boucles dorées, ont attiré l'attention à la fois en Israël et à l'étranger. Elle l'admet dans son livre et note même que certaines personnes en Europe se sont identifiées à elle uniquement en raison de son apparence « blanche ».

Dans de nombreuses parties du livre, elle décrit comment elle est devenue un symbole palestinien. Pourtant, il n'est pas clair pourquoi il était si urgent pour une femme de 21 ans de raconter son histoire en ce moment particulier.

Il y a quelque chose de très immature dans la façon dont elle décrit la lutte palestinienne. Selon elle, le monde est divisé en bons et en méchants, Palestiniens et Israéliens, noirs et blancs.

Tamimi en garde à vue discutant avec son avocate, Gaby Lasky, en 2018. Photo : Ahmad Gharabli/AFP

Elle rate donc les zones grises qu'elle décrit elle-même dans des chapitres sur les manifestations et ses rencontres avec des militants israéliens de gauche, qui se sont souvent joints aux manifestations de Nabi Saleh. Précisément en raison de ses propres expériences et de ses rencontres avec des militants de gauche, nous nous attendions à ce qu'elle ait une meilleure compréhension du conflit israélo-palestinien. Elle aurait pu étendre la toile à cette lutte commune.

Mais apparemment Tamimi sentait qu'elle n'avait pas de temps à perdre. Elle voulait profiter de l'adoration qui l'entourait.

Dans le chapitre sur sa détention, elle décrit ses conversations avec d'autres prisonnières palestiniennes, dont Khalida Jarrar, membre du Conseil législatif palestinien représentant le Front populaire pour la libération de la Palestine. La chose la plus intéressante dans le livre est ce que Jarrar lui dit : « En même temps, en tant que Palestiniens, nous devons être honnêtes avec nous-mêmes et reconnaître que nos problèmes ne seront pas résolus instantanément une fois que nous aurons mis fin à l'occupation. »

Cette idée est probablement apparue plus d'une fois dans les conversations de Tamimi avec Jarrar, une marxiste laïque qui lutte pour la libération des femmes dans les sociétés arabes. Mais comme pour les chapitres précédents, Tamimi ne tient pas davantage compte des paroles de Jarrar. Elle passe immédiatement à autre chose.

Dans le passé, Tamimi a été critiquée par certains Palestiniens pour se concentrer uniquement sur elle-même et sur l'histoire de sa gifle. Dans le livre aussi, elle est profondément immergée en elle-même et ne fait pas la lumière sur les Palestiniens qui n'ont pas reçu la couverture médiatique qu'elle a eu, même si eux aussi ont des histoires à raconter, parfois plus cruelles que les siennes.

Il semble que tout le livre a besoin de quelques selfies pour compléter le portrait de la génération perdue de jeunes Palestiniens de Tamimi pris entre un passé douloureux et un avenir sans horizon.

En fin de compte, les mémoires de Tamimi servent mal la lutte palestinienne parce qu’elles adoptent un populisme nationaliste et ne jettent pas un regard plus profond sur la lutte palestinienne après plus de 55 ans d'occupation. Le livre laisse un goût amer parce que Tamimi s'accroche à l'approche de la lutte jusqu’à la dernière goutte de sang et croit même que c'est le travail des jeunes Palestiniens d'agir seuls pour libérer la Palestine et rester dans le cycle de l'effusion de sang.

La seule conclusion de ce livre est que Tamimi ne sera jamais le Mahatma Gandhi palestinien. La société palestinienne n'a pas de véritable dirigeant capable de redéfinir les limites de la lutte contre l'occupation tout en s'attaquant à des questions brûlantes comme les droits des femmes et des LGBTQ. Dans ce contexte, elle se sent à l'aise de se qualifier de « lionne » et de se présenter comme le visage moderne de la lutte palestinienne.


Ahed Tamimi
and Dena Takruri
They Called Me a Lioness

A Palestinian Girl's Fight for Freedom

Hardcover $27.00 Ebook  $13.99 Audio $17.50  

Lire la traduction d'un extrait du livre ici  

Note du traducteur : je trouve cette critique très injuste et même un tantinet choquante, et ne l'ai traduite que pour faire connaître l'état d'esprit qui peut régner dans certains milieux post-modernes "arabes israéliens" prônant "l'intersectionnalité"   "politically correct". Et j'ai des doutes sérieux quand au besoin qu'aurait le peuple palestinien d'un Mahatma Gandhi, lequel n'a, à ma connaissance, jamais combattu pour les droits des femmes, pour ne pas parler des LGBTQ+.-FGHaut du formulaire


08/11/2022

TAMAR KAPLANSKY
Le racisme fait partie de l'ADN de cet endroit (Israël)

Tamar Kaplansky, Haaretz, 7/11/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Tamar Kaplansly (Paris, 1973) est une journaliste, traductrice et musicienne franco-israélienne.

Les lamentations et les accusations ont commencé dès que les résultats des premiers sondages de sortie des urnes ont été communiqués. Merav Michaeli est à blâmer, tous ceux qui ont voté par idéologie plutôt que “stratégiquement” sont à blâmer, et bien sûr - ces ingrats, les Arabes, sont à blâmer. Grâce à eux, Benjamin Netanyahou, un homme qui a fait et continuera à faire tout son possible pour faire annuler son procès criminel, revient au pouvoir, avec le kahaniste Itamar Ben-Gvir et le raciste messianique Bezalel Smotrich à ses côtés.

Ben-Gvir guide le retour des kahanistes à la Knesset. Meir Kahane (1932-1990) fonda la Ligue de Défense Juive, un groupe terroriste, et le parti Kach, par la suite interdit en Israël pour racisme. Dessin d’Amos Bidermann, Haaretz

Ne vous y trompez pas : les 14 sièges de la Knesset revendiqués par les kahanistes messianiques sont une nouvelle épouvantable, même si elle était prévisible. La surprise feinte et la recherche de boucs émissaires du côté des perdants sont moins compréhensibles.

Nous ne devrions pas être surpris par la montée d'une droite ultra-extrémiste comme le "“Nouveau Sionisme”. Non seulement parce qu'un vide idéologique - que vous l'appeliez “Tout-sauf-Bibi” ou un “parti centriste” - n'est pas une alternative à une idéologie solide, qui est exactement ce que la droite ultra-extrémiste a à offrir ; non seulement parce que le camp qui s'appelle lui-même “centre-gauche” en Israël est dans l'ensemble un groupe bourgeois privilégié qui ignore les parties les plus faibles de la société ; et non seulement parce qu'un voyou violent comme Itamar Ben-Gvir, qui n'aurait jamais dû recevoir une arme, est devenu la coqueluche des studios médiatiques.

Ce qui s'est passé dans ces élections, et essentiellement dans les autres élections de ces dernières décennies où Israël s'est déplacé vers la droite, c'est que le racisme intégré au sionisme est revenu mordre le cul de ses adhérents. Vous ne pouvez tout simplement pas avoir le beurre et l'argent du beurre.

On ne peut pas se dire “de gauche” tout en accordant ou en refusant des droits sur la base de l'appartenance ethnique ; on ne peut pas déplorer les vues rétrogrades des droitiers sur les questions relatives aux LGBT et aux femmes tout en justifiant l'inégalité intrinsèque à l'égard des Palestiniens, tant dans les territoires occupés depuis 1967 qu'à l'intérieur des frontières |façon de parler, NdT] de l'État ; on ne peut pas parler de paix tout en soutenant continuellement la puissante et sainte armée, sans aucun doute, chaque fois qu'il y a une autre opération inutile ou un blanchiment officiel d'un incident de tir ; vous ne pouvez pas parler de paix et ignorer Al-Araqib, et Dahamsh, et les 36 villages non reconnus (ou, d'ailleurs, les quartiers mizrahis ouvriers de Ha'argazim et Hatikva à Tel Aviv qui font face à l'expulsion, et le deal méprisable par lequel lequel Ron Huldai [maire travailliste de Tel Aviv depuis 1998, NdT] et Yitzhak Tshuva [Président d'El-Ad Group, propriétaire du Plaza Hôtel à New York et du conglomérat Delek Group, NdT] ont rasé ce qui était jusqu'à récemment le quartier pauvre de Givat Amal).

Vous ne pouvez pas, car les droits humains avec astérisque, ça n'existe pas. Ou vous pouvez le croire, mais alors vous ne pouvez pas appeler ça “gauche”. Lorsque le camp qui s'appelait lui-même “gauche” a commencé à comprendre cela, beaucoup se sont mis à l'appeler “centre”, pour découvrir que le problème ne vient pas seulement de la marque. C’est juste que ça ne marche pas. Point barre.

Le racisme qui est si allègrement attribué à la droite fait partie de l'ADN de cet endroit. Celui qui a délibérément relevé le seuil électoral pour empêcher un cinquième des citoyens d'être représentés n'était pas Ben-Gvir : c'était le ministre des finances Avigdor Lieberman. Celui qui a qualifié les Palestiniens de “shrapnel dans les fesses” n'était pas Smotrich : c'était le Premier ministre suppléant Naftali Bennett. Celui qui s'est vanté de renvoyer Gaza à l'âge de pierre n'était pas le rappeur israélien d'extrême droite The Shadow, mais le ministre de la défense Benny Gantz ; celui qui a justifié la dernière guerre choisie en disant que les Israéliens étaient assiégés (bonjour l'ironie) n'était pas Orit Struck [députée de Sionisme Religeux, colon, mère de 11 enfants, NdT], mais la ministre [travailliste] des transports Merav Michaeli. Et celui qui, il y a près de dix ans, a inventé le terme ultra-raciste "“les Zoabi” n'était pas Yair Netanyahou ou son père, mais ce bon sioniste qui est “'un des nôtres” : Yair Lapid.

Vous rappelez-vous combien ils étaient furieux au Meretz contre la rebelle Ghaida Rinawie Zoabi, qui a osé voter contre la prolongation des règlements d'urgence qui permettent effectivement une politique d'apartheid - des systèmes juridiques distincts pour les différentes populations ethniques - en Judée et en Samarie, plutôt que d'avoir honte d'avoir voté en faveur ? C'est là que réside l'histoire.

Depuis la fondation de l'État, et certainement depuis 1967, le sionisme a été secoué par sa  contradiction interne. Le camp qui s'est effondré lors de cette élection a continué à claironner l'idée qu'il existe truc comme "“juif et démocratique”. Mais si un régime distribue des droits - des permis de construire à la citoyenneté (bonjour la loi du retour) sur la base d'un critère arbitraire de race, vous avez ici un racisme qui est intégré dans la loi et coulé dans les fondations. Appelez-le centre ou ce que vous voulez, mais le qualifier de démocratique est tout simplement un mensonge.

Beaucoup en Israël croient encore à ce mensonge. Ils parlent d'égalité, de paix et de démocratie, mais la vérité est que, dans les faits, ils pensent que les Juifs méritent plus. C'est pourquoi ils votent encore et encore pour des candidats qui excluent les représentants arabes en tant que partenaires à part entière - cela leur convient parfaitement. Et cela ne les dérange pas le moins du monde Et ils ne sont pas le moins du monde perturbés lorsque le tribunal bloque la possibilité d'une égalité civique totale, même si elle est évoquée. Une fois toutes les quelques années environ, quelque chose comme la loi sur l'État-nation est pondue, et alors ils font un peu claquer leur langue, mais autrement ils sont tout à fait à l'aise pour vivre dans un pays où la suprématie juive est la loi. Ce n'est que maintenant que les kahanistes sont soudainement devenus le troisième parti en importance à la Knesset qu'ils sont horrifiés et en état de choc.

Il n'y a aucune raison d'être choqué. Cela n'est pas arrivé tout d'un coup. Le peuple a parlé : quant à choisir entre une droite qui refuse de faire partie d'un gouvernement avec “les Zoabi” et une suprématie juive débridée, le peuple préfère l’original. Pas les masques.

S’en prendre aux Arabes insolents qui n'ont pas fait leur part pour sauver le pays qui les considère comme une menace démographique est tout simplement embarrassant. Si vous voulez présenter une alternative au kahanisme messianique, la première chose à faire est d'enlever le masque et de se regarder dans le miroir : c'est le sionisme, idiot. Tant que nous continuerons à justifier le racisme légal, quelle que soit l'excuse, nous soutenons la suprématie juive tout autant que Ben-Gvir. La tentative de nier cela est ce qui nous a conduit là où nous sommes aujourd'hui. Le temps est venu d'en assumer la responsabilité.

HILO GLAZER
Rencontrez cinq des familles arabes israéliennes les plus riches

Hilo Glazer, Haaretz, le 4/11/2022
Photos : Gil Eliahu

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

« Les jeunes d'aujourd’hui n'attendent ni la paix ni les opportunités. » Nous avons parlé à cinq des familles les plus riches et les plus influentes de la communauté arabe d'Israël

Personne de la communauté arabe n'a figuré sur la liste 2022 du magazine The Marker des 500 personnes les plus riches d'Israël. Ce n'est pas non plus inhabituel : très peu d’entrepreur·ses arabes figuraient sur des listes similaires ces dernières années, et quelques-un·es n'apparaissaient généralement que vers la fin de la liste. Cette piètre représentation dans les premiers rangs des super-riches d'Israël reflète directement les profondes disparités entre Juifs et Arabes sur le marché du travail du pays.

Néanmoins, en dépit des mauvaises cartes d'ouverture que l'État distribue à environ un cinquième de la population du pays, les hommes et femmes d'affaires arabes qui ont réussi à faire leur trou ne sont pas rares. Au fil des ans, la société arabe a engendré une élite commerciale qui a gagné la confiance des banques et entretient des relations réciproques avec des entreprises appartenant à des juifs israéliens fortunés.

Des conversations avec des militants sociaux, des politiciens arabes et des banquiers ont donné une liste d'une vingtaine de propriétaires d'entreprises arabes israéliens qui ont réussi. Haaretz a découvert que beaucoup sont issus de l'industrie alimentaire (comme la célèbre famille Dabbah, et Julia Zahar, qui possède la marque de tahini Al-Arz) et du marché des capitaux (par exemple, Samer Haj Yehia, président du conseil d'administration de la Banque Leumi, qui vit dans la communauté juive haut de gamme de Kfar Shmaryahu), tandis que d'autres proviennent des domaines de l'immobilier, du commerce, de l'hôtellerie et des médias.

L'écrasante majorité des membres les plus riches de la société arabe vivent à Nazareth et aux alentours ; la plupart des autres résident dans le Triangle, une concentration de villes et villages arabes adjacents à la Ligne verte dans le centre d'Israël. Haaretz a contacté un grand nombre de ces personnes, mais elles ont refusé d'être interrogées, citant, entre autres raisons, la montée de la criminalité dans les localités arabes. Plus précisément, elles ont expliqué qu’elles craignaient de devenir la cible de harcèlement ou de demandes d'argent de protection, et qu'elles préféraient rester discrètes. D'autres ont fait la grimace face à la qualfication de « magnats », notant que le fait d’étaler leur richesse face à la pauvreté profonde qui frappe généralement la société arabe pourrait être considéré comme une vantardise.

Néanmoins, cinq familles qui possèdent des entreprises florissantes ont accepté d'ouvrir leurs maisons et de parler à Haaretz, quelques semaines avant les élections de mardi. Voici leurs histoires... 
 
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06/11/2022

GIDEON LEVY
L'armée de Ben-Gvir en Cisjordanie

 Gideon Levy, Haaretz, 6/11/2022
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Deux soldats sur 10 ont voté pour Sionisme religieux, la liste qui comprend le parti Otzma Yehudit d'Itamar Ben-Gvir. Deux soldats sur 10 sont kahanistes. Deux soldats sur 10 sont en faveur du transfert, de l'annexion, de la mort aux terroristes, de la mort aux Arabes.

Soldats du bataillon haredi Netzah Yehuda priant dans une synagogue près de Jénine, en Cisjordanie, en 2014.Photo : Gil Cohen-Magen

Deux soldats sur 10 pensent qu'ils appartiennent à une nation supérieure et que les Palestiniens n'ont aucun droit ici. Ils pensent également que tout est permis aux soldats ; qu'ils sont toujours autorisés à tirer pour tuer, que les Arabes ne comprennent que la force et l'humiliation, qu'ils ne sont pas des êtres humains. Deux soldats sur dix sont kahanistes, mais parmi les soldats servant en Cisjordanie, ce nombre est beaucoup plus élevé.

Dans la brigade Kfir, et en particulier dans son bataillon Netzah Yehuda (“Éternité de Juda”), il y a certainement plus de kahanistes que dans la police aux frontières, l'unité 8200 du renseignement militaire ou le 140e     escadron (“Aigle doré”) de l'armée de l'air israélienne. Il n'est pas déraisonnable de penser qu'environ la moitié des soldats servant dans l'occupation ont voté pour Otzma Yehudit en votant pour Sionisme religieux. Pour eux, la décision n'est pas seulement théorique. Non seulement ils croient en Ben-Gvir, mais ils pratiquent ce qu'il prêche. C'est ce qui rend leur choix si horrible.

Des soldats israéliens arrêtent violemment un manifestant palestinien, dans le camp de réfugiés de Jalazoun, près de la ville de Ramallah en Cisjordanie, en 2015. Photo : Mohamad Torokman / REUTERS

L'avantage, cependant, du succès électoral de Ben-Gvir est qu'il fait remonter la vérité à la surface. Fini le temps des histoires de soldats tourmentés par leurs actes. Tout ce que nous avons toujours soupçonné sur le comportement brutal, parfois barbare, des soldats des FDI et des membres de la police aux frontières et de la police israélienne a été confirmé par le décompte des voix. Les électeurs de Ben-Gvir dans les FDI constituent l'une de ses plus grandes sources de soutien.

Quiconque voit le comportement des soldats dans les territoires ne peut qu'être surpris qu'Otzma Yehudit n'ait pas recueilli 100 % de leurs votes. Ben-Gvir les exhorte à être des stormtroopers [membres des Sturmtruppen, les troupes d’assaut allemande, NdT] et ils l'en remercient dans les urnes. Ils n'ont pas besoin d'entraînement, ils ne voient rien de mal à être des stormtroopers, surtout lorsque les réactions de leurs commandants à leurs actes vont de l'indifférence à l'encouragement. Ne vous y trompez pas : Les soldats du rang ne sont pas les seuls à avoir voté pour Ben-Gvir, certains de leurs commandants l'ont fait aussi. La tentative de prétendre que les soldats ont voté contre leurs commandants (Yoav Limor, Israel Hayom, 4 novembre) est un autre effort désespéré pour embellir et de tailler un uniforme d’apparat au magnifique haut commandement éclairé.

Prenez, par exemple, le commandant de la brigade régionale Menashe, le colonel Arik Moyal, un colon de Tapuah, qui a appelé à foutre son poing dans la gueule des “voyous” du camp de réfugiés de Jénine : pour quel parti a-t-il voté ? Et l'ancien commandant de la brigade régionale de Samarie, le colonel Roi Zweig, qui a déclaré aux étudiants de la Yeshiva Alon Moreh que le mouvement de colonisation et l'armée sont “une seule et même chose” ? Peu importe la façon dont ils ont voté, l'esprit est celui de Ben-Gvir ; l'heure, comme le disait son slogan de campagne, est l'heure de Ben-Gvir, parmi toutes les unités de Tsahal dans les territoires.

L'ancien soldat israélien Elor Azaria accueilli chez lui après avoir purgé neuf mois de prison militaire pour avoir tué un Palestinien blessé et invalide, en 2018.Photo : Ilan Assayag.

Les soldats qui assistent passivement aux pogroms et qui aident même les auteurs de ces actes sont la preuve de l'esprit de Tsahal. Le fait que le haut commandement accepte calmement les événements de ces derniers mois, y compris les meurtres de dizaines d'adolescents et de jeunes enfants, se contentant des mensonges et des dissimulations de l'unité du porte-parole de Tsahal, ne fait que prouver que Ben-Gvir est le véritable visage de Tsahal en Cisjordanie. Les élections l'ont confirmé.

Ces élections devraient mettre fin au mensonge selon lequel les FDI sont une armée morale. Les soldats et les commandants qui votent massivement pour un parti qui, en Europe, serait considéré comme néo-nazi, définissent l'image de l'armée. Depuis que les colons ont pris le contrôle des postes de commandement de l'armée, principalement en Cisjordanie, les FDI, qui ont toujours été politiques, sont devenues plus droitières que jamais.

Le fait que ceux qui sont au sommet n'aient pas levé le petit doigt pendant toutes ces années - et encore moins après l'affaire Elor Azaria, le dernier soldat à être poursuivi dans les FDI pour homicide involontaire - ne les exonère pas de leur responsabilité dans ce glissement vers la droite. Lorsque les soldats ne sont pas poursuivis pour homicide, même lorsque les preuves le réclament à cor et à cri, et lorsque les règles d'engagement ne sont pas seulement assouplies mais en pratique complètement annulées - lorsque tuer est autorisé et même souhaitable – c’est l'esprit de Meir Kahane qui est encouragé. Le chef d'état-major Aviv Kochavi et le reste du haut commandement peuvent détourner le regard et réciter de nobles déclarations sur les principes, mais ils sont responsables de l'établissement d'une nouvelle armée dans les territoires, l'armée de Ben-Gvir, la plus dangereuse des armées.

 Itamar Ben-Gvir vu par Carlos Latuff: "Épuration ethnique maintenant: demandez-moi comment !"

 

 

05/11/2022

GIDEON LEVY
Des soldats israéliens tirent, blessent, tuent et retardent les soins médicaux pour les victimes

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 4/11/2022

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Des villageois palestiniens protestent contre le vol de leurs terres et le harcèlement incessant des colons à partir d’un avant-poste illégal. L'armée et la police aux frontières tendent des embuscades aux manifestants et leur tirent dessus. Un jeune de 17 ans est tué et un jeune de 16 ans, laissé languir au sol par les soldats, est grièvement blessé

Une banderole commémorative pour Mahdi Ladadwa, devant la maison de sa famille à Mizraat al-Gharbiyeh. La méthode des soldats était la même dans son cas que dans celui de Nur Shreita : lancer d'abord des gaz lacrymogènes pour effrayer les mômes, puis tirer délibérément sur l'un d'eux.


Un adolescent blessé est allongé sur une civière placée sur la route. Il est partiellement déshabillé, son estomac est couvert d'un tissu blanc taché de sang, il saigne aussi. On ne dirait pas qu'il est conscient. Un Palestinien essaie de s'occuper de lui, puis quelques autres, dont un vieillard, lui prêtent main-forte. Alors qu'ils s'efforcent de ramasser la civière et d'amener les jeunes blessés à l'hôpital, les soldats israéliens les repoussent brutalement, leur aboyant dessus et les frappant avec les crosses de leurs fusils. Un soldat tire en l'air afin de disperser ce qu'il perçoit apparemment comme une meute de chiens errants – en réalité, les habitants de la localité essaient de sauver leur voisin et parent, qui est en train de perdre son sang sur la route. Des cris d'angoisse se font entendre en arrière-plan.

 

Ce sombre spectacle a été filmé par un témoin oculaire. L'événement s'est produit dans l'après-midi du 7 octobre, un vendredi, sur une colline rocheuse où poussent des oliviers et des figuiers sauvages et où le sol est parsemé de vestiges d'anciennes terrasses. C'est Khirbet Harasha, situé non loin de Ramallah en Cisjordanie. Sur la colline en face, appelée Jebel Harasha, se trouve une base militaire avec des casernes et des antennes, et à côté d'elles les maisons mobiles blanches d'un avant-poste de colons hors-la-loi appelé Harasha. La plupart des terres situées sur cette colline en face appartiennent à des particuliers et ont été volées, sous les auspices du gouvernement israélien, aux habitants du village de Mizraat al-Garbiyeh, également connu sous le nom de Qibliya. Et si la dépossession et le vol n'étaient pas suffisants, au cours des deux dernières années, les colons des avant-postes ont également harcelé les villageois avec une violence incessante. Ils volent leurs récoltes d’olives, jettent des pierres sur les maisons situées au pied de l'avant-poste, empêchent les agriculteurs d'accéder à leurs terres et utilisent la source du village, dont l'eau est nécessaire pour irriguer ses terres.

 

C'était nuageux quand nous avons visité Jebel Harasha lundi de cette semaine ; le ciel était gris. Un vent froid d'automne soufflait et le calme régnait dans l'abîme. Iyad Hadad, chercheur sur le terrain pour l'organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, nous a conduits à travers le sol rocheux, au milieu des oliviers et des figuiers ainsi que des taches de sang encore visibles, afin de récupérer et de documenter ce qui s'est passé ici ce vendredi noir il y a un mois, dans le cadre de l'enquête globale qu'il menait.

Il n'y a aucun signe de confrontation ici – pas de restes de pneus brûlés, très peu de cartouches de gaz lacrymogène, pas de terre brûlée – seulement une oliveraie bien cultivée sur les terrasses ravagées. C'est ici que les soldats ont tendu leur embuscade, dit Hadad. C'est là qu'ils ont créé un écran de fumée pour se cacher derrière, c'est là que le premier garçon est tombé, et c'est là que le second s’est effondré. Le premier a été grièvement blessé ; le second est mort. La méthode était la même dans les deux cas : lancer d'abord des gaz lacrymogènes pour effrayer les mômes, puis viser délibérément l'un d'eux.

 

Une vidéo de l'incident. Nur Shreita est sur une civière, son évacuation est retardée.

 

Un calme tendu, pesant, menaçant règne ici maintenant, personne n'ose descendre à la source du village, située dans la vallée et coincée entre les deux collines, sous lesquelles nous nous tenons maintenant.

 

C'est la terre des avant-postes dits de Talmonim au nord de Ramallah. Hadad raconte la brève histoire de l'avant-poste d'Harasha à partir de ses notes. L'histoire commence en 1995 avec l'établissement d'une base militaire ici, et l'expropriation de terres des résidents palestiniens, suivie immédiatement par l'infiltration illégale de colons, d'abord dans des tentes et ensuite dans des maisons mobiles qui ont été placées sur le versant, à côté de la clôture entourant la base militaire. En 2011, l'expropriation d'environ 1 000 dounams (100 hectares) de terres sur la colline, dont 700 dounams appartenant à des particuliers, a été légalisée.

En 2018, l'avant-poste a été établi sur les pentes du Jebel Harasha, en 2020 il a été agrandi, et une route, apparemment illégale, a été construite menant de l'avant-poste à la source et aux ruines de l'ancien village de Qibliya. Actuellement, une dizaine de mobil-homes blancs sont perchés sur la colline qui nous fait face. C'est l'avant-poste d'Harasha. Hadad rapporte que la plupart des villageois ont abandonné l'espoir de récupérer leurs terres, soit par la lutte, soit par le biais des tribunaux.

 

Le vendredi 7 octobre, quelques jeunes du village se sont dirigés vers la colline qui surplombe l'avant-poste. Les vendredis, les colons descendent habituellement à la source du village, se baignant et en prenant le contrôle Environ 20 jeunes Palestiniens ont décidé de monter une manifestation ce jour-là. Des unités des Forces de défense israéliennes et de la police aux frontières étaient arrivées sur les lieux plus tôt, afin de protéger les colons, bien sûr – peut-être même après une coordination préalable avec eux. Des affrontements ont éclaté immédiatement : les jeunes ont lancé des pierres ; les soldats ont tiré des balles en métal enrobé de caoutchouc et des grenades lacrymogènes, et ont été rejoints par la suite par des agents de la police aux frontières. En peu de temps, de plus en plus de jeunes du village sont arrivés, jusqu'à ce qu'ils soient finalement entre 100 et 150.

 


Mahdi Ladadwa

 

Dans la pauvre maison de Mizraat al-Garbiyeh - où il vivait avec son père, Mohammed, un ouvrier du bâtiment de 52 ans ayant des besoins spéciaux ; sa mère, Nawal, une femme au foyer de 43 ans ; et ses deux jeunes frères et sœurs – Mahdi Ladadwa, 17 ans, s'est réveillé vers midi ce vendredi-là. Mahdi, qui a abandonné l'école après la quatrième année, a fait des petits boulots avec des parents. Au cours de la dernière année, il a commencé à travailler comme assistant carreleur, et au cours des dernières semaines, il avait loué de l'espace dans un ancien bâtiment dans le village, où il prévoyait de mettre en place un café avec un espace pour le billard et les jeux de cartes. Ce jour-là, il avait prévu de se rendre sur le site pour prendre les dispositions finales avant sa réouverture : un café avait déjà opéré sur les lieux.