Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haaretz, 1/10/2022
Traduit par Fausto
Giudice, Tlaxcala
Des colons juifs commettent des dégâts dans une ville
palestinienne, lançant des pierres, brisant des fenêtres. La police et les
soldats israéliens regardent, mais ne font rien pour retenir les colons. Les
Palestiniens qui tentent de se défendre sont tabassés et arrêtés. C’est
l'histoire d'Ahmad Shaaweet
Ahmad Shaaweet,
cette semaine. Il est allé chercher le petit déjeuner pour ses collègues et a
essayé de défendre les passants palestiniens. Il a été tabassé et arrêté.
Tout a commencé à cause d'un drapeau. Un drapeau
palestinien a été accroché à un poteau électrique sur la rue principale
d'Hawara, une ville au sud de Naplouse. La route 60 se trouve également être la
principale route nord-sud en Cisjordanie, tant pour les Palestiniens que pour
les colons. Le drapeau n’a pas plu à un groupe de colons qui voyageaient sur la
route, alors ils l'ont déchiré et jeté.
Dans une région occupée, où la plupart des habitants
voit le drapeau de Palestine comme leur drapeau national et où il n'y a aucune
restriction légale à le faire flotter, mais où les drapeaux de l'État occupant
sont omniprésents et presque tous les panneaux routiers portent le nom de
colonies juives – dans cette région, chaque bâtard est roi, comme le dit le
proverbe, et chaque colon est seigneur de la terre.
Les incidents ont commencé à la mi-mai. Lorsque les
jeunes d'Hawara ont découvert que les colons avaient enlevé leur drapeau de la
route, ils ont décidé de lancer leur propre protestation. Le lendemain, la rue
principale de leur ville a été décorée de drapeaux palestiniens. Alors la
guerre du drapeau à Hawara a commencé. Les jeunes hissent leurs drapeaux, les
colons les déchirent et font des défâts dans toute la ville afin de punir les
habitants rebelles qui n'obéissent pas aux ordres des seigneurs du pays.
Pendant ce temps, la police et l'armée restent inactives et ne font que
défouler ensuite leur rage contre les Palestiniens, qui tentent simplement de
défendre leurs biens. Les soldats israéliens sont également mobilisés pour
l'opération de nettoyage et ont commencé à descendre les drapeaux, sans aucun
motif légal pour le faire, bien sûr. La police, pour sa part, n'hésite pas à
procéder à des arrestations, mais seulement parmi les citadins palestiniens,
victimes de la violence. Les policiers et les soldats sont également réputés
avoir tabassé occasionnellement des locaux. Après tout, l'ordre public doit
être préservé.
Cela dure depuis plus de quatre mois, presque sans
arrêt, avec des épisodes fréquents, presque quotidiens, de violence. Ce n'est
que cette semaine, pendant les vacances de Rosh Hashanah, quand les colons se
tenaient à l'écart de la ville, que le calme est revenu – quoique
momentanément. L'histoire d'Ahmad Shaaweet raconte tout.
Cette semaine, nous n'avons pas vu de drapeaux dans la
rue principale d'Hawara. Peut-être que les Palestiniens ont cédé ici aussi.
Dans la grande mais vide salle du conseil de Hawara, nous avons rencontré Shaaweet,
une victime de violence policière. Marié et père de deux filles, Shaaweet, 39
ans, travaille dans un atelier de pièces détachées automobiles dans la rue
principale de la ville. Son bras gauche est dans le plâtre. En mai dernier, un
habitant de la région a photographié un policier en train d'asperger ses yeux
de gaz poivré à bout portant, lors d'un des premiers raids de colons après un
hissage de drapeaux. L'image parle d'elle-même : des policiers projettent du
gaz dans les yeux d'un résident qui ne semble pas du tout les mettre en danger.
Lundi dernier, le 19 septembre, Shaaweet a quitté la
boutique lors d'un autre pogrom, pour aller chercher le petit déjeuner pour ses
collègues, comme il le faisait tous les jours. Il a vu des colons jeter divers
objets, y compris des chaises et des tables, jeter des pierres sur des voitures
palestiniennes sur la route, stopper de force la circulation et briser des
vitrines.
Il se souvient d'avoir vu un groupe de colons dans la
rue lancer des objets sur des voitures et une dizaine de véhicules de la police
et de l'armée stationnés à proximité. Les habitants ont commencé à se
rassembler ; les forces de sécurité ont tiré des grenades lacrymogènes pour les
disperser. Un certain nombre de colons pulvérisaient du poivre sur les
Palestiniens, tandis que d'autres se rendaient au restaurant où Shaaweet se
dirigeait, le Fast Meal, et commençaient à jeter par terre des saladiers placés
sur le comptoir et à jeter des tables et des chaises sur les passants.
Shaaweet a demandé aux soldats de disperser les
émeutiers qui agressaient les locaux. Un Palestinien handicapé à proximité a
photographié les événements avec son téléphone portable. Un colon les a
attaqués et a poussé Shaaweet et l'homme handicapé. Puis certains soldats se
sont joints et ont également commencé à attaquer les gens, se souvient-il. Un
colon l'a attaqué. Alors que Shaaweet essayait de le repousser, il a vu des
policiers approcher. Il était sûr qu'ils contiendraient les colons et
aideraient à mettre fin aux agressions. « Je suis avec vous, mais méfiez-vous
des colons », dit-il à un officier en hébreu cassé.
En réponse, cependant, l'agent lui a ordonné de dégager
vers une place voisine, où il a commencé à tabasser Shaaweet. D'autres
policiers se sont joints à lui, traînant Shaaweet derrière leur véhicule, où
ils lui ont ordonné de s'asseoir par terre, apparemment pour qu'ils puissent le
menotter. Pendant ce temps, les colons s'approchaient. Shaaweet avait peur de
rester là, immobilisé – les colons étaient susceptibles de le frapper. Il a dit
aux officiers : « Si vous avez peur de moi, alors menottez-moi, mais je ne vais
pas rester assis par terre. »
Un policier a
pulvérisé du poivre dans les yeux d'Ahmad Shaaweet lors d'une des premières
attaques de colons à Hawara, en mai. Photo fournie par Ahmad Shaaweet
Enragés, les officiers lui ont saisi le bras droit, le
tordant avec force et le liant derrière son dos. La douleur a été intense. Les
officiers ont alors commencé à le frapper sur tout le corps avec leurs crosses
de fusil. Quand il a baissé la tête pour se protéger, ils l’ont frappé là
aussi. La force du coup l'a jeté au sol.
Les policiers, remarquant apparemment que son bras
gauche était grièvement blessé à ce moment-là, lui ont menotté les mains par devant.
Ils lui ont aussi entravé les jambes. Cette personne qui est allée chercher le
petit déjeuner pour ses collègues et qui a essayé de défendre les passants
palestiniens, s'est retrouvée en état d'arrestation. Pendant ce temps, les
colons ont continué leur déchaînement, brisant la devanture du restaurant KFC
en bas de la rue et les fenêtres de quelques voitures. Personne ne les a
arrêtés. Shaaweet était assis, enchaîné et souffrant, par terre.
Il a ensuite été emmené au poste de police dans la
colonie urbaine d'Ariel, où il a été amené à s'asseoir devant un climatiseur
glacial. Sa douleur a augmenté. Il avait de la difficulté à respirer parce que
ses côtes étaient cassées. Ce n'est qu'au bout de deux heures qu'un officier de
la police israélienne s'est approché de lui. Shaaweet demanda, et reçut, un
verre d'eau mais ne put le tenir dans sa main à cause de la douleur. Il se
pencha, posa le verre sur son genou et le sirota. (Il nous montre comment il
l'a fait mais demande à ne pas être photographié, parce qu'il pense que c'est
humiliant.)
Shaaweet a demandé un médecin et on lui a dit qu'il
devrait d'abord subir un interrogatoire. Il a été emmené dans une cellule de
détention et a eu un déjeuner, qu'il n'est pas parvenu à manger à cause de la
douleur. Il y avait deux lits dans la cellule, mais quatre détenus
palestiniens. Les autres l'ont aidé à s'allonger sur l'un des lits et l'ont
couvert. Ses vêtements étaient déchirés et sales de la violence qu'il avait
endurée.
Vers 16 heures, il a été conduit à la salle d'interrogatoire.
Au début, Shaaweet a dit qu'il n'accompagnerait pas l'officier qui était venu
le prendre s’il ne recevait pas de soins médicaux, mais il a finalement changé
d’avis après avoir reçu la promesse qu'une ambulance était en route. Dans la
salle d'interrogatoire, les ambulanciers du service médical d'urgence de Magen
David Adom l'ont examiné. Il raconte qu'ils lui ont dit que s'ils l'évacuaient
à l'hôpital, il devrait payer pour ça.
Les colons à Hawara en mai. Photo : JAAFAR ASHTIYEH /
AFP
« Vous m'avez frappé et m'avez amené ici, et vous
voulez que je paie ? » a-t-il dit aux policiers. « Je révélerai demain au
tribunal tout ce qui m'est arrivé. »
Après quelques tractatives, il a été libéré sous
caution de 2 000 shekels (570€ ) et a reçu l'ordre d'appeler ses proches pour qu’ils
apportent l'argent. On lui a dit qu'il était soupçonné d'avoir agressé des
policiers de service, qui l'ont accusé d'avoir agressé l'un d'eux avec son
coude. « Qu’est-ce que vous portez ? », leur a-t-il demandé «
Vous portez un gilet et un équipement de protection du corps et [vous avez] un
fusil. Si j’avais attaqué un officier avec mon coude, vous verriez des marques
sur le coude. » Il a suggéré qu'ils vérifient son coude pour des bleus.
« Qui dit la vérité ? Moi ou les officiers ? », a-t-il
demandé, ce à quoi les officiers ont rétorqué qu'il était un menteur.
Nous avons demandé à la police israélienne : pourquoi
Shaaweet a-t-il été arrêté, battu et privé de soins médicaux ? Combien de
colons ont été arrêtés pendant le pogrom ? L'unité du porte-parole de la
police, ignorant certaines des questions, a répondu : « À la suite de troubles dans
le village d'Hawara, les FDI et les forces de police sont arrivées sur les
lieux. Lors de la dispersion des émeutiers, un suspect a été arrêté. Arrivé au
poste de police, il s'est plaint de ne pas se sentir bien et a été emmené par
Magen David Adom à l'hôpital pour y être soigné. L'enquête sur l'événement est
en cours. Naturellement, nous ne donnons pas de détails sur les enquêtes en
cours, mais nous continuerons à enquêter pour obtenir la vérité sur la
question. »
Contrairement à la déclaration de la police, le MDA
n'a pas emmené Shaaweet à l'hôpital pour un traitement médical.
Ahmad Shaaweet se
souvient comment il a été attaqué
À 19 H15, Shaaweet a appelé son beau-frère et lui a
demandé d'apporter l'argent de la caution et de le ramener à la maison. Le
beau-frère l'a emmené à l'hôpital Rafidia de Naplouse, où sa tête, sa poitrine
et son bras gauche ont été radiographiés. On a constaté qu'il souffrait d'une
commotion cérébrale, d'ecchymoses autour de ses côtes et d'une fracture du
bras. Dans deux semaines, une décision sera prise quant à savoir s'il aura
besoin d'une intervention chirurgicale sur le bras gauche qui impliquerait
l'implantation d'une tige de platine.
Shaaweet n'est pas encore retourné au travail. Le
lendemain de l'incident, les colons se sont à nouveau enfuis au même endroit.
Dimanche aussi, la veille de Rosh Hashanah, ils ont attaqué un camionneur à
Hawara.
Salma a-Deb'I, chercheuse sur le terrain pour
l'organisation de défense des droits humains B’Tselem, a documenté toutes les
attaques à Hawara depuis le 17 mai, date à laquelle la guerre du drapeau a
apparemment commencé.
À Hawara, ils attendent le 12 octobre, le premier jour
de la récolte des olives, avec une certaine inquiétude. Les habitants savent
exactement à quoi s'attendre dans leurs oliveraies. Là non plus, il n'y aura
personne pour les protéger.