03/02/2024

Tal Mitnick : « Je refuse de participer à une guerre de vengeance. Il n’y a pas de solution militaire»
Lettre d’un objecteur de conscience israélien

Tal Mitnick, Libération, 28/12/2023

Le 28 août dernier, 230 lycéen·nes de terminale israéliens avaient publié une lettre [lire ci-dessous*] annonçant qu’ils ne répondraient pas à l’appel pour le service militaire, pour protester contre le coup d’État judiciaire du gouvernement de coalition et contre l’occupation de la Cisjordanie et le siège de Gaza.

Un des signataires, Tal Mitnick, a été condamné à une première peine de 30 jours de prison militaire en décembre et à une deuxième le 22 janvier.

Interviewé par Oren Ziv en septembre dernier, il déclarait :

« Avec d’autres jeunes, j’ai réalisé que la dictature qui existe en Israël et celle qui existe depuis des décennies dans les territoires occupés sont indissociables. Le but ultime des politiciens et des colons est d’approfondir l’occupation et l’oppression d’un plus grand nombre de populations en Israël et dans les territoires occupés, et d’annexer la zone C de la Cisjordanie [qui est sous le contrôle total de l’armée israélienne]. Pour beaucoup d’entre nous, ces manifestations ont été une prise de conscience. Je n’étais pas actif politiquement avant les manifestations. Elles m’ont fait comprendre ce que signifie manifester en tant qu’appelé·e, avec des centaines d’autres avant leur enrôlement, et dire “nous ne servirons pas”. »

L’organisation Mesarvot [“refuseur·ses”] a publié le 26 décembre la lettre de Tal confirmant sa décision d’objection, même après le 7 octobre. Tal a la double nationalité usaméricaine et israélienne : son père Josh, né dans le New Jersey, était correspondant de médias US en Israël. Il est mort de cancer en 2021 à 50 ans. Ci-dessous la traduction de la lettre en français, telle que publiée par le quotidien Libération. -FG, Tlaxcala

8 des 230 signataires de la lettre « Jeunesse contre la dictature* ». Tal Mitnick est le 4ème à droite en haut. Photo Oren Ziv

Cette terre a un problème : deux nations y ont tissé un lien indéniable. Même avec toute la violence du monde, nous ne pourrions pas effacer le peuple palestinien ou son lien avec cette terre, tout comme le peuple juif ou notre lien avec cette même terre ne peuvent pas être effacés. Le problème ici relève d’une forme de suprématie, la croyance que cette terre n’appartient qu’à un seul peuple. La violence ne peut résoudre ce problème, ni de la part du Hamas, ni de la part d’Israël. Il n’y a pas de solution militaire à un problème politique. C’est pourquoi je refuse de m’enrôler dans une armée qui croit que le vrai problème peut être ignoré, sous le couvert d’une guerre civile, avec un gouvernement qui ne fait qu’entretenir le deuil et la douleur.

Le 7 octobre, la société israélienne a vécu un traumatisme sans précédent dans l’histoire du pays. Au cours d’une terrible invasion, l’organisation terroriste Hamas a assassiné des centaines de civils innocents et en a enlevé des centaines d’autres. Des familles ont été assassinées dans leurs maisons, des jeunes ont été massacrés lors d’une rave et 240 personnes ont été enlevées dans la bande de Gaza. Après l’attaque terroriste, une campagne de vengeance a commencé non seulement contre le Hamas, mais aussi contre l’ensemble du peuple palestinien : des bombardements aveugles de quartiers résidentiels et de camps de réfugiés à Gaza, un soutien militaire et politique total à la violence des colons en Cisjordanie, ainsi qu’une persécution politique d’une ampleur sans précédent à l’intérieur d’Israël. La réalité dans laquelle nous vivons est violente. Selon le Hamas, mais aussi selon Tsahal et la classe politique, la violence est la seule solution. La poursuite d’une logique “œil pour œil, dent pour dent”, sans réfléchir à une véritable solution qui nous apporterait à tous sécurité et liberté, ne conduit qu’à plus de tueries et de souffrances.

La violence ne nous protège pas

Je refuse de croire que plus de violence nous garantira plus de sécurité, je refuse de participer à une guerre de vengeance. J’ai grandi dans un foyer où la vie est sacrée, où le dialogue est valorisé, où la communication et la compréhension passent toujours avant la violence. Dans le monde plein de corruption dans lequel nous vivons, la violence et la guerre sont un moyen détourné pour accroître le soutien au gouvernement et faire taire les critiques. Nous devons reconnaître le fait qu’après des semaines d’opérations terrestres à Gaza, au bout du compte, ce sont des négociations et un accord qui ont permis le retour d’otages. Que c’est l’action militaire qui a causé la mort des autres. A cause du mensonge criminel selon lequel “il n’y a pas de civils innocents à Gaza”, même des otages agitant un drapeau blanc et criant en hébreu ont été abattus. Je n’ose pas imaginer le nombre de situations similaires qui n’ont pas fait l’objet d’une enquête parce que les victimes sont nées du mauvais côté de la barrière.

Les personnes qui ont dit : “pas de négociations avec le Hamas” se sont tout simplement trompées. Point à la ligne. La diplomatie et un changement de politique sont les seuls moyens d’empêcher de nouvelles destructions et de nouvelles morts des deux côtés.

La violence à laquelle l’armée recourt, y compris ces dernières années, ne nous protège pas. Le cycle de la violence est effectivement un cycle : la violence de l’armée, comme celle de toute armée, amène toujours plus de sang. Dans la pratique, elle n’est rien d’autre qu’une armée d’occupation qui cherche à se maintenir comme telle. La vérité c’est qu’elle a abandonné les habitants du Sud et le pays tout entier. Il est important de faire la distinction entre les gens ordinaires et les généraux ou les égoïstes qui trônent au sommet de ce système : aucun des citoyens ordinaires n’a décidé de financer le Hamas, aucun d’entre nous n’a choisi de perpétuer l’occupation et aucun d’entre nous n’a décidé de déplacer des troupes en Cisjordanie quelques jours avant l’invasion, parce que des colons avaient décidé de construire une soukka [cabane temporaire pour la fête de Souccot, ndlr] à Huwara. Et maintenant, après une politique de longue haleine destinée à imploser, c’est nous qui sommes envoyés pour tuer et être tués à Gaza. Nous ne sommes pas envoyés pour nous battre pour la paix, mais au nom de la vengeance. J’avais décidé de refuser de m’enrôler avant la guerre, mais depuis qu’elle a commencé, je suis d’autant plus convaincu de ma décision.

Le changement viendra de nous

Avant la guerre, l’armée gardait les colonies, maintenait le siège meurtrier de la bande de Gaza et préservait le statu quo de l’apartheid et de la suprématie juive sur les terres situées entre le Jourdain et la mer. Depuis le début de la guerre, nous n’avons vu aucun appel à un véritable changement de politique en Cisjordanie et à Gaza, pour mettre fin à l’oppression généralisée du peuple palestinien et au bain de sang, ni pour une paix juste. Nous assistons au contraire à l’aggravation de l’oppression, à la propagation de la haine et à l’expansion de la persécution politique fasciste en Israël.

Le changement ne viendra pas de politiciens corrompus ici, ni des dirigeants du Hamas, qui sont eux aussi corrompus. Il viendra de nous, les peuples des deux nations. Je crois de tout mon cœur que le peuple palestinien n’est pas un peuple mauvais. Tout comme ici, où la grande majorité des Israéliens veulent vivre une vie agréable et sûre, avoir un endroit où leurs enfants peuvent jouer après l’école, et joindre les deux bouts à la fin du mois. Il en va de même pour les Palestiniens. A la veille du 7 octobre, le soutien au Hamas dans la bande de Gaza était au plus bas, à 26 %. Depuis le début des violences, il s’est considérablement renforcé. Pour que les choses changent, il faut mettre en place une alternative – au Hamas, et à la société militariste dans laquelle nous vivons. 

Ce changement interviendra lorsque nous reconnaîtrons les souffrances endurées par le peuple palestinien ces dernières années, et le fait qu’elles sont le résultat de la politique israélienne. Cette reconnaissance doit s’accompagner de justice, et de l’édification d’une infrastructure politique basée sur la paix, la liberté et l’égalité. Je ne veux pas participer à la poursuite de cette oppression et de ce bain de sang. Je veux travailler directement à la recherche d’une solution, et c’est pourquoi je refuse de m’engager dans l’armée israélienne. J’aime ce pays et ses habitants, car c’est là d’où je viens. Je me sacrifie et je travaille pour que ce pays soit un pays qui respecte les autres, un pays où l’on peut vivre dans la dignité.

Tal Mitnick, 26 décembre 2023

Texte de la lettre de “Jeunesse contre la dictature”

Nous, jeunes hommes et femmes confrontés à la conscription, disons non à la dictature – tant en Israël que dans les territoires palestiniens occupés – et annonçons que nous ne nous enrôlerons pas tant que la démocratie ne sera pas garantie à tous, à tous ceux qui vivent sous la domination israélienne. Après six mois de lutte dans les rues pour une véritable démocratie, le gouvernement poursuit son plan de destruction. Nous avons peur pour notre avenir et celui de tous ceux qui vivent ici. Nous avons décidé que, compte tenu de la situation, nous devions prendre des mesures plus sérieuses et refuser. Un gouvernement qui détruit le système judiciaire est un gouvernement que nous n’accepterons pas de servir. Une armée qui conquiert une autre nation est une armée dans les rangs de laquelle nous ne voudrons pas combattre. Le coup d’État légal a déjà causé d’énormes dégâts à la société israélienne et au peuple palestinien. La dictature qui existe depuis des décennies dans les territoires afflue désormais vers Israël et se dirige vers nous. Les colons violents dirigent désormais le pays tout entier. Cette tendance n’a pas commencé maintenant – elle est fondamentale pour le régime d’occupation et la suprématie juive. Maintenant, les masques viennent de tomber. Face à cette réalité, nous disons non !”

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