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13/07/2023

SERGIO RODRÍGUEZ GELFENSTEIN
L’inéluctable dédollarisation du monde (II)

Sergio Rodríguez Gelfenstein,  13/7/2023
Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala

English version

Première partie

La semaine dernière, nous avons effectué un “voyage” à travers le processus de dédollarisation que nous avons qualifié d’inévitable. Aujourd’hui, nous poursuivons l’analyse en essayant de tirer quelques conclusions, tout en tenant compte du fait que l’alternative au dollar en tant que principale monnaie d’échange n’est toujours pas claire. Plusieurs options sont envisagées.


L’une d’entre elles découlera de la décision prise par les BRICS lors de leur sommet qui se tiendra en Afrique du Sud au mois d’août prochain. À cet égard, le gouverneur de la Reserve Bank of South Africa, Lesetja Kganyago, a déclaré que toute discussion visant à établir une monnaie commune conduirait à un autre débat, celui de la création et de la localisation d’une banque centrale. Le dirigeant sud-africain a exprimé son incertitude sur la question, disant qu’il ne savait pas comment on pourrait parler d’une « monnaie émise par un bloc de pays situés dans des lieux géographiques différents, parce que les monnaies sont nationales par nature ».

 Ce qui est certain, en revanche, c’est que lors du sommet, les pays membres du conglomérat discuteront - en tête de l’ordre du jour - des mesures nécessaires pour protéger la Nouvelle banque de développement (NDB) du groupe de l’hégémonie du dollar. Dans ce contexte, le Brésil a proposé de mettre en place des mécanismes de protection des transactions financières au sein de l’Union afin d’éviter
“l’abus de dollars”, selon le ministre des Affaires étrangères du pays, Mauro Vieira.

Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a déclaré que la dédollarisation avait déjà commencé, mais qu’il était nécessaire de développer d’autres initiatives pour donner forme au processus. Dans le cas de son pays, il a expliqué qu’il avait été obligé de « répondre fermement, par principe et de manière cohérente à la guerre qui nous a été déclarée ».

Dans le cadre de ce débat, le président sud-africain Cyril Ramaphosa a soutenu la proposition de son homologue brésilien Lula da Silva de créer de “nouvelles monnaies d’échange”.

Dans le prolongement de l’article précédent sur les mesures concrètes qui ont été prises pour faire avancer le processus de dédollarisation, il est important de souligner l’annonce faite par le ministre russe des Finances, Anton Siluanov, selon laquelle plus de 70 % des accords commerciaux entre la Russie et la Chine utilisent désormais soit le rouble, soit le yuan. De même, les échanges de pétrole entre la Russie et l’Inde ont commencé à se faire en roupies. Un accord a également été signé entre la Russie et le Bangladesh pour la construction de la centrale nucléaire de Rooppur, qui sera financée en dehors du dollar. Le premier paiement de 300 millions de dollars sera effectué en yuans, mais la Russie essaiera de le convertir en roubles.

Même en Occident, le processus a commencé à éclore. La China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) et la société française Total ont signé leur premier contrat de GNL en yuans par l’intermédiaire de la Bourse du pétrole et du gaz naturel de Shanghai.

En Amérique latine, des signes positifs ont également été observés dans le cadre de la dédollarisation. Ainsi, il y a quelques semaines, la banque brésilienne Bocom BBM est devenue la première banque latino-américaine à participer directement au système de paiement interbancaire transfrontalier (CIPS), qui est l’alternative chinoise au système de messagerie financière occidental SWIFT. Ces derniers jours, il a également été convenu que le commerce bilatéral entre la Russie et la Bolivie accepterait désormais les règlements en pesos boliviens. Cette mesure est cruciale à un moment où la société russe Rosatom va commencer à jouer un rôle clé dans le développement des gisements de lithium de la Bolivie.

Lors du récent sommet du Mercosur qui s’est tenu à Puerto Iguazú, en Argentine, le 4 juillet, la Bolivie a souligné la nécessité de réduire la dépendance à l’égard du dollar, de diversifier les relations économiques et de renforcer les liens commerciaux et financiers entre les pays afin d’encourager les investissements nationaux et de promouvoir la coopération en matière de politique monétaire. Le président bolivien Luis Arce a affirmé que « la réduction de la dépendance au dollar, par le biais d’une plus grande intégration et coopération régionales, implique de modifier les termes de l’échange qui, jusqu’à présent, ne favorisent que le pays du nord ». Il a donc proposé de renforcer les liens commerciaux et financiers entre les pays, notamment en renforçant les monnaies au niveau régional, en encourageant les investissements nationaux et en promouvant la coopération en matière de politique monétaire et financière, ainsi qu’en recherchant des alliances stratégiques avec d’autres acteurs internationaux, tels que la Chine, qui offrent des alternatives au dollar dans le domaine du commerce et de l’investissement.

Dans une perspective plus large, le dirigeant bolivien a déclaré : « Nous ne pouvons pas ignorer, dans l’analyse de ce monde en transition, l’émergence d’un bloc eurasien et asiatique qui, organisé au sein des BRICS et d’autres mécanismes d’intégration, est projeté comme un espace pour la construction d’un nouvel ordre économique mondial ».

Parallèlement, en Asie, les ministres des finances et les gouverneurs des banques centrales de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) ont également décidé, à l’issue de leur réunion des 30 et 31 mars en Indonésie, de réduire leur dépendance à l’égard du dollar usaméricain. À cette fin, ils ont convenu de « renforcer la résilience financière [...] par l’utilisation de monnaies locales pour soutenir le commerce et les investissements transfrontaliers ».

Dans la même logique, lors du récent sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), le président chinois Xi Jinping a jugé opportun d’augmenter le pourcentage de paiements en monnaies nationales au sein de l’organisation. Il convient de noter que la relation de Xi entre cette question et d’autres à l’ordre du jour international est extrêmement importante lorsqu’il a fait référence à la responsabilité de l’OCS de faire face aux “révolutions de couleur” et à l’ingérence de puissances extérieures dans les affaires des pays de la région.

Dans ce domaine, le dirigeant chinois a proposé aux pays de l’OCS d’augmenter leurs paiements en monnaie nationale, les exhortant à lutter contre les sanctions économiques unilatérales, l’hégémonisme et la politique de puissance. Il a également appelé à la “coopération plutôt qu’à la concurrence”, exposant l’engagement de son pays à travailler ensemble pour la sécurité mondiale. Manifestement, Xi a lié la question de la dédollarisation à celle de la sécurité et de la souveraineté mondiales, lui conférant ainsi un caractère stratégique.

Du point de vue de la Russie, la concrétisation de cette initiative passe par la mise en place d’une alternative au système d’échange de messages financiers SWIFT. À cet égard, le président du conseil d’administration de la banque russe VTB - l’une des plus grandes du pays - Andrei Kostine, a proposé à la Banque centrale de Russie de créer un nouveau système bancaire pour le Sud, dans le but de réduire la dépendance à l’égard de la réglementation internationale. Kostine a fait valoir que le moment était venu de procéder à une transformation plus profonde, car il ne suffisait pas que chaque pays s’attaque au problème individuellement. Il a estimé qu’il fallait « entreprendre une réforme fondamentale pour construire un nouveau système de paiement international et l’infrastructure nécessaire à un marché mondial des capitaux ».

Pour concrétiser cette décision, le directeur de la VTB a établi une feuille de route en quatre points : la première consisterait à établir une alternative à SWIFT, la plupart des grandes banques russes ayant été déconnectées en raison des sanctions occidentales. Bien que la Russie, la Chine et l’Inde disposent de leurs propres systèmes de messagerie financière, ceux-ci ne sont ni unis ni cohérents.

Le deuxième point propose de remplacer l’actuel système usaméricain de banques correspondantes par une interconnexion entre les banques qui rejoignent le partenariat grâce aux nouvelles technologies, telles que la blockchain.

De même, il est essentiel de rechercher de nouveaux outils pour attirer les capitaux, en évitant qu’ils ne proviennent de l’Union européenne, comme c’est le cas actuellement. De même, il faut construire une infrastructure parallèle qui ne soit pas située en Occident, ce qui crée une extrême faiblesse pour les ressources financières qui peuvent faire l’objet de sanctions et de blocus.

Enfin, pour éviter l’effet des sanctions, Kostine propose de créer un “hub” [plaque tournante] international dans un pays du golfe Arabo-Persique qui fonctionnerait comme une alternative de règlement des dépôts, en profitant du fait que cette région « a une forte concentration de capitaux ».

Cependant, ce processus ne peut être considéré comme une question technique ; son dépassement vient des implications politiques et géopolitiques qu’il génère. Au fond, il s’agit d’une expression de la crise de l’hégémonie usaméricaine qui a commencé dans l’avant-dernière décennie du XIXe siècle ou, si nous l’envisageons dans une perspective plus large, nous pourrions parler d’une crise de l’hégémonie anglo-saxonne qui a commencé en 1763 après la victoire anglaise sur la France dans la guerre de Sept Ans et s’est consolidée en 1815 après la défaite napoléonienne à Waterloo.

Cependant, force est de constater que nous n’en sommes qu’au début du processus. Bien qu’en net déclin d’un point de vue stratégique militaire face à la Russie et à la Chine, les USA conservent une force militaire puissante et un appareil culturel et médiatique qui favorise leur hégémonie. Toutefois, comme l’indique le sociologue argentin Gabriel Merino, « le déclin de 10 % au cours des dix dernières années du dollar en tant que monnaie de réserve et moyen de paiement mondial témoigne d’un processus qui risque de s’aggraver dans les années à venir ».

Merino ajoute que les conditions sont en train d’être créées pour le développement d’un scénario “multi-monnaie ou bloc monétaire”. Son argument est étayé par le fait que l’utilisation du dollar comme arme de guerre économique accélère ce processus. La secrétaire au Trésor usaméricain, Janet Yellen, a elle-même déclaré que : « Les sanctions économiques imposées par les USA, en particulier à la Russie, constituent un “risque” pour l’hégémonie du dollar, pour lequel les pays concernés cherchent des alternatives. ». Bien que, selon elle, ces alternatives soient difficiles à mettre en place.

Merino observe que « les cycles d’hégémonie du système capitaliste mondial, les étapes de sa crise et son expression dans l’orbite économique, s’observent d’abord dans la perte de la primauté productive de l’hégémon (de nouveaux “ateliers du monde” apparaissent), puis dans le commerce mondial et, enfin, dans la monnaie et la finance. Nous entrons probablement dans cette dernière phase et il y aura un conflit central, qui sera défini par rapport à un processus global ».

En d’autres termes, la voie de la dédollarisation doit être considérée - comme l’a dit le président Xi Jinping - comme un processus large, marqué par la nécessité de garantir la sécurité et la stabilité de la planète, ce qui est très complexe lorsque le système international évolue vers la multipolarité.

Une différence avec le passé est que cette approche ne se limite plus aux pays du Sud. La participation de la Chine, de la Russie et du groupe des BRICS en tant que protagonistes actifs du processus pourrait être la garantie que, cette fois-ci, il est possible d’avancer dans un processus qui fracturera définitivement l’un des piliers fondamentaux de l’hégémonie usaméricaine et occidentale.

GIDEON LEVY
Le système judiciaire pourri et raciste d’Israël “libère” Jérusalem
La judaïsation du Quartier musulman avance

Gideon Levy, Haaretz, 13/7/2023
Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala

Alors, maudits colons, vous avez dormi comment dans la maison du quartier musulman de Jérusalem que vous avez convoitée et volée à un couple âgé et malade qui en avait été chassé ? À quoi a ressemblé votre première nuit entre les anciens murs ?

Nora Sub Laban (à droite) réagit après l’expulsion de sa famille de sa maison à Jérusalem-Est pour faire place à des colons juifs, mardi. Photo : Olivier Fitoussi

Qu’est-ce que ça fait d’entrer dans une maison qui a sauvegardé 70 ans de souvenirs d’une famille, des souvenirs qui ne sont pas les vôtres ? Qu’est-ce que ça fait d’entrer, comme en 1948, dans les maisons des expulsés, avec les casseroles qui mijotent encore sur le gaz et les vêtements dans les placards ? Quel effet ça fait-il d’envahir la maison de quelqu’un d’autre ? Et qu’est-ce que ça fait de voir des policiers traîner un vieil homme hors de sa maison pour débarrasser la propriété pillée pour vous ?

Avez-vous vu les graffitis sur les murs, “Nous reviendrons” et “La Palestine sera libre” ? Je vois que vous avez déjà accroché le drapeau israélien à la fenêtre, comme un voleur qui s’empresse de changer les plaques d’immatriculation de la voiture qu’il a volée pour dissimuler des preuves. Maintenant, la maison est juive pour toujours et à jamais. Elle est maintenant à vous, grâce au célèbre système judiciaire israélien, qui est corrompu, pourri et raciste lorsqu’il s’agit des droits de votre nation. Comment les juges de Jérusalem ont-ils résolu la contradiction insoluble entre le sort des biens juifs d’avant 1948 et le sort des biens palestiniens ? Existe-t-il une autre façon de décrire le verdict que celle d’une véritable réponse d’apartheid ?

Comment avez-vous dormi la nuit, maudits colons ? Et comment dormirez-vous dans les nuits à venir ? Penserez-vous, ne serait-ce qu’un instant, au sort de Mustafa Sub Laban, un Palestinien poli de 74 ans, qui a servi dans la police israélienne et qui, aujourd’hui, dans sa vieillesse, est sans abri, s’entassant dans la maison de son fils à Shoafat ? Et le sort de son impressionnante épouse, Nora Gheith Sub Laban, née dans cette maison il y a 68 ans et hospitalisée mardi ? Avez-vous pris la peine de les regarder dans les yeux ? Leur image se dresse-t-elle devant vous ? On ne peut que souhaiter que l’image de leur expulsion de leur maison vous hante dans vos cauchemars jusqu’à la fin de vos jours. Que leur image surgisse devant vous chaque soir lorsque vous mettez vos enfants au lit.

Mais cela n’arrivera pas. Pour vous, ils ne sont pas des êtres humains, ils sont moins qu’humains - ils ne sont pas juifs. Et cette honte a été autorisée par le système judiciaire.

Avez-vous entendu parler de la parabole “la brebis du pauvre” ? Peut-être pourriez-vous ouvrir le livre de Samuel, chapitre 12, et la lire ? Vous êtes des Juifs religieux, n’est-ce pas ? L’image de l’un d’entre vous, un colon trafiquant portant une énorme kippa et une barbe, installant des haut-parleurs dans la maison, un sourire diabolique de triomphe étalé sur son visage, un officier de police à ses côtés, est comme un millier de mots d’accusation. Ahmad Sub Laban, le fils du couple expulsé, m’a raconté hier que l’homme barbu avait l’habitude de harceler la famille avec de la musique juive assourdissante diffusée par le grand haut-parleur qu’il transportait.

La nation israélienne a de nouveau gagné mardi, cette fois une victoire particulièrement glorieuse, une victoire sur un vieux couple. Les familles Sharabi, Wormser et Friedman, qui vivent déjà dans l’ancien bâtiment situé au cœur du quartier musulman, seront rejointes par une autre famille qui loue la propriété au Kollel Galicia trust. S’ils entrent dans l’appartement aujourd’hui, ils pourront encore manger le ragoût de riz et de poulet que la fille du couple avait préparé pour ses parents et qui se trouve dans le réfrigérateur, sur l’étagère du haut. Ce plat a été préparé en milieu de semaine et peut encore être mangé. Tous les biens de la famille sont encore dans l’appartement, à l’exception des albums de photos de famille qu’elle a emportés avec elle.

Entre-temps, la serrure de l’entrée principale a été changée et la famille n’a plus accès à ce qui a été sa maison, où le couple vivait en tant que locataire protégé. Une fois de plus, il est apparu que les Palestiniens ne bénéficient d’aucune protection, pas même en tant que locataires.

« Cette maison restera une prison jusqu’à ce que nous revenions », m’a dit Nora avec tristesse il y a environ un mois, dans sa maison. Mardi, le jour où la protestation israélienne [contre la réforme judiciaire, NdT] a remporté un nouveau succès impressionnant, où des voix rauques ont crié “démocratie” et “honte” aux quatre coins du pays, cette honte a eu lieu à Jérusalem. Nora et Mustafa n’y vivent plus. Le quartier musulman sera juif et Israël sera un État d’apartheid, officiellement aussi.

 

12/07/2023

SUSANN WITT-STAHL
Des nazillons allemands sur le front de l’Est

 Susann Witt-Stahl, junge Welt, 12/7/2023
Traduit par  Fausto Giudice, Tlaxcala
 Le “Corps des volontaires allemands” [Deutsches Freiwilligen-Korps] se situe dans la tradition de la Wehrmacht nazie - et se bat aux côtés de Kiev.

L’unité de combat a repris la campagne de Russie et est entrée sur les « champs de bataille du front de l’Est de l’Ukraine». « Toutes les roues roulent pour la victoire », annonçait fin juin le “Corps des volontaires allemands” (DFK). Il fait référence aux exploits de ses ancêtres : « Il y a 82 ans aujourd’hui, les soldats allemands et leurs alliés ont franchi les frontières de la Russie soviétique. Dans le ferme espoir d’arrêter Staline et le bolchevisme et de libérer les peuples de la prison soviétique » : le DFK avait déjà présenté sa lecture singulière de cet événement historique mondial à l’occasion de l’anniversaire de l’invasion allemande de l’Union soviétique le 22 juin.

Le groupe ne laisse par ailleurs aucun doute sur le fait que les soldats de la Wehrmacht, et plus encore les “guerriers raciaux” [Rassenkrieger] de la Waffen-SS, sont ses idoles. Leurs combattants portent, outre l’emblème du DFK avec un bouclier et une épée, le symbole de l’aigle du Reich avec une croix gammée dans une couronne de chêne. Sur leur canal Telegram, ils rendent hommage aux membres de la Leibstandarte SS “Adolf Hitler” [garde personnelle de Hitler, devenue division SS].

L’épine dorsale du DFK, qui s’est formé en février 2023 et ne devrait compter jusqu’à présent guère plus d’une poignée de guerriers, est constituée, selon ses propres dires, de membres du parti néonazi “Der III. Weg"”(La troisième voie)). Ce groupuscule, considéré comme anticonstitutionnel par les services de renseignement intérieurs allemands, avait été fondé en 2013 avec la participation de membres du NPD et de membres du “Freies Netz Süd” [Réseau libre sud]. “Der III. Weg” entretient de bonnes relations avec le mouvement fasciste “Azov” en Ukraine et son régiment - devenu entre-temps une brigade - au sein de la garde nationale, qui jouit d’un statut culte parmi les fascistes du monde entier depuis la bataille d’Azovstal au printemps 2022. « Toi et tes camarades avez accompli des choses inimaginables et vivrez éternellement dans l’histoire du peuple ukrainien », pouvait-on lire récemment dans un message d’anniversaire adressé au commandant d’Azov Denis Prokopenko. Le DFK a donc célébré le retour de ce dernier de son internement en Turquie le week-end dernier.

 

Le fondateur présumé du DFK, Stephan K. de Solingen, entretient des liens particulièrement étroits avec le “Corps des volontaires russes” (RDK). Depuis le printemps 2023, cette troupe dirigée par le hooligan néonazi Denis “White Rex” Kapustine, originaire de Moscou, attire l’attention des médias en attaquant des villages russes, la dernière fois début juin dans la région de Belgorod. Il est arrivé en Ukraine grâce à son “ami proche” Kapustine, a raconté Stephan K. dans une interview publiée le 14 janvier sur le site Internet de “Der III. Weg”. 

Denis Kapustine, alias Nikitine

Kapustin avait émigré en Allemagne en 2001 en tant que “réfugié juif du contingent”* et vivait à Cologne. Avant l’existence du DFK, K. aurait d’abord combattu au sein du RDK, puis aurait entre-temps rejoint le bataillon néonazi “Karpartska” des troupes régulières de Kiev et aurait notamment été en mission à Kharkov, Zaporijjia et Kupjansk.

« Les combattants du ‘Corps volontaire russe’ et de notre ‘Corps volontaire sont liés par une camaraderie de front, une communauté qui s’est endurcie sous la grêle d’obus russes et qui est restée ferme dans sa fidélité nibelungienne [=inconditionnelle] », explique le DFK. Cette alliance ténébreuse pourrait donner lieu à de bizarres manifestations revanchardes : selon Kapustine, le DFK reçoit le soutien de l’armée ukrainienne, par exemple dans les domaines du renseignement militaire et de la logistique. L’Allemagne étant actuellement le deuxième plus grand donateur pour l’armement et la formation des forces armées ukrainiennes, le DFK pourrait lui aussi, en tant qu’allié de ces dernières, bientôt obtenir des moyens mis à disposition par le gouvernement rose-vert-jaune de Berlin et lutter à nouveau pour la satisfaction de désirs de l’impérialisme allemand prétendument dépassés historiquement : « Nous sommes bien sûr pour la restitution de la Prusse orientale. Et pour le rétablissement général des anciennes frontières allemandes ». Il y aurait également une “lueur d’espoir” qu’une “section de soldats libres” se développe en Allemagne pour devenir « l’avant-garde de l’idée de la renaissance de la vérité historique » et de « l’unification de l’Europe blanche ».

Les libéraux/progressistes solidaires de l’Ukraine devraient froncer le nez devant de tels idéologèmes nazis moisis. Mais l’élément essentiel du fascisme diffusé par le DFK s’avère tout à fait acceptable parmi eux : Stephan K. a déclaré à “Der III. Weg” qu’il voulait combattre “le néo-bolchevisme de Poutine” et ne pas permettre que l’Europe soit “contaminée pour la deuxième fois” par “la peste rouge”. Aujourd’hui comme hier, un anticommunisme aussi agressif est bien accueilli. Les guerriers néonazis allemands et leur “entreprise Barbarossa 2.0” trouvent un écho favorable au sein de la communauté hipster de l’OTAN “North Atlantic Fella Organization” (NAFO/OFAN), qui collecte des fonds [en vendant des T-shirts, bikinis et caleçons] pour l’achat de pièces d’artillerie et d’autres outils de meurtre par l’Ukraine, car elle veut vraiment en découdre avec la Russie. « C’est quand même bien que même un nazi trouve encore le chemin du bien », a-t-on pu entendre dans la communauté des “fellas”. « Espérons que beaucoup d’autres suivront, quelle que soit leur couleur ».


NdT

*L’Allemagne a accueilli de 1991 à 2012 234 136 personnes successivement catégorisées en tant que « réfugiés du contingent », puis comme « migrants juifs », en provenance de l’ex-URSS.

 

11/07/2023

Communiqué du Sommet OTAN de Vilnius/NATO Vilnius Summit Communiqué

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Communiqué du Sommet de Vilnius  Vilnius Summit Communiqué

  • La porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a décrit le déroulement du sommet de l'OTAN en ces termes : “la situation va empirer ”. Selon elle, le sommet de l'alliance à Vilnius a commencé par un échec :
“Même les satellites chevronnés des USA ont été choqués par la décision de Washington sur les armes à sous-munitions, l'humiliation publique de l'Ukraine, l'absence de concept cohérent de ce qui se passe - voilà ce qu'est le sommet de Vilnius.”
 
  • Russian Foreign Ministry spokesperson Maria Zakharova has described the course of the NATO summit with the words “it will be worse from here”. According to her, the alliance's summit in Vilnius started with a failure:
“Washington's decision on cluster munitions, the public humiliation of Ukraine, the absence of any coherent concept of what is happening - this is the Vilnius summit, which shocked even old-timer US satellites.”

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LUIS CASADO
Jogging
Sur la culture et ceux qui la font, contre vents et marées...

Luis Casado, Politika, 6/7/2023

J’ai déjà raconté que je vis dans un hameau de moins de 40 habitants, à la campagne, à environ 80 km de Paris. La commune de Blennes, avec ses 17 hameaux, compte autour de 700 habitants. Nonobstant...

Tout près de là se trouve Samois-sur-Seine, où Django Reinhardt a imposé le jazz manouche dans les années 1940. Gitan vivant dans une roulotte, un incendie a brûlé sa main gauche et immobilisé deux de ses doigts. Cela ne l’a pas empêché de développer ses propres techniques de guitariste incomparable et inégalé et de rester à ce jour l’un des musiciens les plus respectés de l’histoire de France. À Samois, au printemps de chaque année, se tient un grand festival de jazz manouche, le Festival Django Reinhardt, avec des dizaines d’artistes venus du monde entier.

Les voisins d’en face, deux jeunes pianistes de Conservatoire, organisent des concerts tous les mois, et invitent des musiciens de toute l’Europe. Dans la vieille maison en pierre, deux pianos à queue occupent une grande partie de la salle. Mercredi dernier, trois papis anglais sont venus de la perfide Albion et nous ont offert un concert de jazz progressif.

Style John Coltrane, m’a dit un voisin qui s’y connaît. Au début, j’ai été étonné, mais peu à peu je me suis laissé entraîner par les rythmes endiablés du percussionniste, les envolées du saxophoniste et les arpèges très savants du claviériste. Le tout arrosé de bon whisky camouflé dans d’innocentes bouteilles d’eau minérale...

Derrière ma vieille maison décrépie, il y a Le Petit Univers de Blennes – appelé ici un pub - où les campagnards et les habitants de la commune viennent tous les jeudis et vendredis soirs. Ils apportent leurs guitares, commandent quelques bières et jouent de la voix et des cordes jusqu’au soir...

L’art, la culture (et la bibine...) ne sont jamais loin de Blennes...


Cette fin de semaine s’y est tenu un modeste festival de printemps. Musique, danses, cirque, jeux pour les enfants, à boire et à manger (nous sommes en France). Le point culminant du festival était une pièce de théâtre. Du théâtre de rue. Théât’ de rue, comme disent ses acteurs, ici, dans le village, et dans cette rue du bout du monde.

Deux artistes : un acteur et un musicien. Tous deux spectaculaires. Le comédien, Gildas Puget, connu dans le milieu du théâtre de rue sous le nom de Tchou, nous a fait rire et pleurer, rire de son intelligence, et pleurer de joie, d’émotion, de peine, de bonheur, et en même temps penser, penser, penser... car le texte de la pièce est le sien, Titre : Jogging.

Jogging a deux sens : tenue sportive et course ;  Courir. Courir... derrière quoi ?

Jogging, la pièce de théâtre, est un voyage dans le temps, dans une dystopie qui se déroule à rebours. La dystopie est une représentation fictive d’une société future, de caractéristiques négatives qui causent l’aliénation humaine. Mais notre aliénation actuelle ne se situe pas dans le futur.... Le texte nous emmène donc en 2118, puis en 1789. Dans chaque scène, le personnage apparaît vêtu d’un jogging différent, qui nous montre nous-mêmes, -la société dans laquelle nous vivons-, complètement nus.

Un fil conducteur : nous courons tous après la liberté, mais... comment l’attraper ? Mieux encore : si nous parvenons à l’attraper... de quoi serons-nous responsables ?

Un texte poético-philosophique, qui prend parfois un goût d’acide sulfurique, nous interroge tout au long de la pièce.

Au cours de nos vies, en courant après la liberté, nous avons perdu beaucoup de temps, et nous avons fini par nous perdre nous-mêmes ...

En 1789, ou plutôt en 1793, la Commune de Paris fit inscrire au fronton des mairies, de tous les bâtimentss publics et des monuments aux morts, le slogan bien connu : Liberté, Egalité, Fraternité...

Jusqu’ici, d’accord. Mais l’auteur/acteur nous interroge à nouveau : « Savez-vous comment ce slogan se terminait en réalité ? »

Stupéfaction dans le public - assis par terre, sur des planches, sur le cul, je rappelle que c’est du théâtre de rue - qui ne sait pas, n’a pas d’opinion, ne répond pas. 

Et Tchou d’enfoncer le clou qui nous donne la chair de poule, parce qu’on l’a oublié en chemin... La devise de la Révolution française, complète, se lit ainsi :

Liberté, Egalité, Fraternité... ou la mort

 

Parce qu’il fallait continuer à se battre pour que personne ne nous enlève jamais, jamais, le privilège de vivre dans le pays du Contrat Social, celui qui établit la Liberté pour tous, l’Égalité de tous, et la Fraternité entre tous. Et pour y parvenir, s’il le faut, nous devrions donner notre vie.

Présent au moment de la représentation de Tchou, ma mémoire me ramène -simultanément- à 1973... une époque où l’on courait aussi après la liberté...

Et où une poignée de traîtres, au service d’une puissance étrangère, ont sacrifié le plus grand président que le Chili ait jamais eu... et des milliers et des milliers de compatriotes, hommes, femmes, jeunes et enfants...

Un président et des compatriotes qui n’avaient pas oublié que la valeur des slogans réside dans la fidélité de chacun à ses convictions, à sa parole, à la noblesse de ses objectifs, à ses responsabilités, à son devoir, à son intégrité.

Très ému comme chacun, - y compris Pascal, notre maire - je me suis ensuite approché de Tchou, pour avoir le privilège de le féliciter. Et je lui ai acheté un de ses livres, Frères d’Art, un jeu de mots qui modifie le bien connu Frères d’Armes.

Tchou a eu la gentillesse de me dédicacer son livre, là, dans la rue, en improvisant, ce qui doit faire partie de ses talents de comédien. Voici ce qu’il a écrit :

Dans la lumière des étoiles

au reflet de nos yeux,

qui s’y embrasent des feux de joie,

et que nos luttes heureuses

accrochent l’espoir

au firmament !

Comme je le disais, Blennes est un village de moins de 40 habitants...

Au Petit Univers



 

 

 

 

 

10/07/2023

FAUSTO GIUDICE
Entrée des Vikings dans la Sainte Alliance
Les Ottomans et les Magyars ont donné leur feu vert

 Fausto Giudice, Tlaxcala, 10/7/2023

Maintenant que le calife d’Istanbul, Erdoğan, a donné son feu vert à l’adhésion de la Suède à l’OTAN et que le Chef des Magyars Orbán a dit qu’il ne s’y opposerait pas, les 31 membres de l’OTAN réunis ce mardi à Vilnius devraient ouvrir la porte sans renâcler à Stockholm, d’autant plus qu’Uncle Joe l’a dit et répété, il « fully, fully, fully supports Sweden’s membership in NATO ». Ce pas franchi, la Suède pourra ranger au magasin d’accessoires sa fameuse « neutralité » biséculaire et se préparer à sa seizième guerre contre la Russie.

 La Suède a en effet mené 15 guerres contre la Russie de 1321 à 1809. Elle a failli mener la seizième en 1939-1940, après l’occupation de la Finlande par l’Armée rouge en application du pacte Ribbentrop-Molotov. Contre l’avis d’une grande partie de la population suédoise, la Suède refusa cependant de s’engager dans la guerre d’hiver aux côtés des frères finlandais et les sociaux-démocrates constituèrent un gouvernement de cohabitation avec les centristes du Parti paysan, les libéraux du Parti populaire et les conservateurs de la Droite. Ce gouvernement pratiqua une “neutralité” très particulière jusqu’à la fin de la 2ème guerre mondiale, notamment par :

-l’internement de communistes, de sociaux-démocrates de gauche, d’anarcho-syndicalistes et autres « amis de l’Angleterre » ou « de l’URSS » dans des camps de concentration ;

-la censure de la presse, du courrier, les écoutes téléphoniques pour traquer toute expression d’antinazisme, avec saisies répétées de journaux

-la livraison de réfugiés antinazis à la Gestapo par le ministre social-démocrate Gustav Möller

-la livraison de minerai de fer (stratégique) à l’Allemagne nazie jusqu’en 1943

-l’autorisation donnée à des troupes allemandes [officiellement des soldats en permission] de traverser le territoire suédois entre la Norvège, le Danemark et la Finlande, tous occupés par les nazis. Ainsi, plus de 2 millions de soldats allemands traversèrent le territoire du pays « neutre » entre 1940 et 1944, dont les 15 000 hommes de la Division Engelbrecht.

Mais la Suède a-t-elle jamais été vraiment neutre ? Disons qu’elle a plutôt été « alliansfri », libre d’alliances militaires, ce qui entraînait une neutralité en cas de guerre dans ses environs. Mais elle ne s’est pas privée d’envoyer ses soldats aux quatre coins de la planète, en général sous casques bleus ou sous couvert de missions internationales, du Kossovo à l’Afghanistan, et du Congo à Chypre, en passant par la RCA, le Mali et la Somalie. En 2022, 327 militaires suédois étaient déployés à travers le monde. Et pour ce qui est de son rapport à lOTAN, il ne date pas non plus d'hier. Voici les données officielles :

En 1994, la Suède a rejoint le Partenariat pour la paix de l'OTAN.

- La Suède a également participé à divers exercices de l'OTAN au cours desquels elle s'est entraînée à se défendre avec des armes.

- En 2014, la Suède et la Finlande ont été autorisées à participer aux discussions de l'OTAN sur la manière de défendre les pays situés autour de la mer Baltique s'ils étaient menacés. Cela a également permis à la Suède et à la Finlande d'avoir accès à des informations qui ne leur avaient pas été communiquées auparavant.

- En 2016, la Suède a signé un accord pour accueillir l'OTAN, ce qui permet à l'OTAN d'organiser plus facilement des exercices sur le sol suédois, mais aussi à la Suède d'obtenir plus facilement le soutien de l'OTAN si un pays menace la Suède ou si une guerre éclate en Suède.

Riourik,  Grand-Duc de Novgorod, 862-879. Source : Царский Титулярник (Livre titulaire du tsar), 1672

En entrant dans l’OTAN, les Suédois font peut-être, en fin de compte, un retour aux sources. N’est-ce pas un Suédois qui a fondé le premier État russe ? À en croire la Chronique de Nestor (1111), c’est Riourik, un chef Varègue (Viking) qui le fonda à Novgorod en l’an 862, puis son parent Oleg qui établit le Rus’ de Kiev quelques années plus tard. Ru’s, le premier nom de la future Russie, vient du vieux-norrois et signifie « les hommes qui rament ». On le retrouve dans le nom de la région suédoise de Roslagen et dans le nom finnois de la Suède, Ruotsi.

Pour connaître la suite, il faudra attendre quelques années, le temps que Netflix produise sa 17ème saison de Vikings. Dans l’immédiat, on attend la troisième pour connaître la suite des aventures de Leif Eiriksson, Harald Sigurdsson et Freydis Eiríksdóttir. Mais patience, Allahou maâ saberine [Dieu est avec les patients].

Une robuste Viking "neutre" en action au Mali (MINUSMA)
Hanteras med försiktighet [À traiter avec précaution]



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Une enquête de haute technologie suggère que les garde-côtes grecs sont responsables du naufrage du chalutier Adriana (646 disparus)

Katy Fallon, Giorgos Christides, Julian Busch et Lydia Emmanouilidou, The Guardian, 10/7/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Les recherches menées sur le naufrage d’un chalutier ayant fait des centaines de morts contredisent fortement les comptes rendus officiels, tout en constatant l’absence de mobilisation des secours et la falsification des déclarations des survivants.

Un survivant utilise la modélisation 3D pour décrire ce qu’il a vécu la nuit où le chalutier a coulé. Photo : Forensis

Les tentatives des garde-côtes grecs de remorquer un chalutier transportant des centaines de migrants pourraient avoir provoqué le naufrage du navire, selon une nouvelle enquête menée par The Guardian et des médias partenaires, qui soulève de nouvelles questions sur l’incident, qui a fait environ 500 disparus.

Le chalutier transportant des migrants de la Libye vers l’Italie a coulé au large des côtes grecques le 14 juin. Il y a eu 104 survivants.

Les journalistes et les chercheurs ont mené plus de 20 entretiens avec des survivants et se sont appuyés sur des documents judiciaires et des sources des garde-côtes pour dresser un tableau des occasions de sauvetage manquées et des offres d’assistance qui ont été ignorées. De nombreux survivants ont déclaré que les tentatives des garde-côtes grecs de remorquer le navire avaient finalement causé le naufrage. Les garde-côtes ont vigoureusement nié avoir tenté de remorquer le chalutier.

La nuit où le chalutier a chaviré, à 47 milles nautiques au large de Pylos, dans le sud-ouest de la Grèce, a été reconstituée à l’aide d’un modèle 3D interactif du bateau créé par Forensis, une agence de recherche basée à Berlin et fondée par Forensic Architecture, qui enquête sur les violations des droits humains.


Des sacs mortuaires transportant des corps récupérés dans la mer arrivent à Kalamata. Photo : Stelios Misinas/Reuters

L’enquête menée conjointement par The Guardian, la chaîne publique allemande ARD/NDR [voir ici] et le média d’investigation grec Solomon [voir ici], en collaboration avec Forensis, a fourni l’un des comptes rendus les plus complets à ce jour de la trajectoire du chalutier jusqu’à son naufrage. Ils ont mis au jour de nouveaux éléments, tels qu’un navire de garde-côtes amarré dans un port plus proche mais jamais dépêché sur les lieux de l’incident, ainsi que le fait que les autorités grecques n’ont pas répondu, non pas deux fois, comme cela avait été signalé précédemment, mais trois fois, aux offres d’assistance de Frontex, l’agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes.

Forensis a cartographié les dernières heures avant le naufrage, en utilisant les données du journal de bord des garde-côtes et le témoignage du capitaine du chalutier, ainsi que les trajectoires de vol, les données sur le trafic maritime, l’imagerie satellite et les informations provenant de vidéos prises par des navires commerciaux à proximité et d’autres sources. Les derniers mouvements du navire contredisent ceux des garde-côtes et révèlent des incohérences dans le récit officiel des événements, notamment en ce qui concerne la direction et la vitesse du chalutier.

L’enquête a montré que le chalutier surchargé a commencé à se diriger vers l’ouest lorsqu’il a rencontré l’unique navire des garde-côtes grecs envoyé sur les lieux. Selon plusieurs témoignages de survivants recueillis par The Guardian et les procureurs grecs, les garde-côtes avaient dit aux migrants qu’ils les conduiraient en Italie, ce qui contredit la version officielle selon laquelle le chalutier a commencé à se diriger vers l’ouest de son propre chef. L’enquête a également montré que le chalutier avait viré vers le sud et était resté presque immobile pendant au moins une heure jusqu’à ce que, selon les survivants, une deuxième tentative de remorquage, qui a été fatale, ait lieu.


Des survivants utilisent le modèle 3D du bateau pour décrire ce qui s’est passé dans la nuit du 14 juin. Photo : Forensis

Deux survivants ont utilisé le modèle 3D pour décrire le remorquage lui-même, tandis que trois autres, qui étaient assis à l’intérieur ou sur le pont inférieur du navire, ont décrit avoir été propulsés vers l’avant “comme une fusée”, alors que le moteur ne tournait pas. Cela suggère une tentative de remorquage.

Un autre survivant a déclaré séparément avoir entendu des gens crier qu’une corde était attachée par “l’armée grecque” et a décrit avoir été remorqué pendant 10 minutes peu avant que le chalutier ne coule. « J’ai l’impression qu’ils ont essayé de nous pousser hors des eaux grecques pour mettre fin à leur responsabilité », a déclaré un survivant après avoir examiné la carte des événements et réfléchi à ses souvenirs de la nuit.

Maria Papamina, avocate du Conseil grec pour les réfugiés, l’une des deux organisations juridiques représentant entre 40 et 50 survivants, a déclaré que deux tentatives de remorquage avaient été rapportées à son équipe. Les documents judiciaires montrent également que sept des huit survivants ont déclaré au procureur civil la présence d’une corde, d’un remorquage et d’une forte traction, lors de dépositions effectuées les 17 et 18 juin.


Modèles 3D du chalutier et du navire des garde-côtes. Photo : Forensis

Les circonstances exactes du naufrage ne peuvent être prouvées de manière concluante en l’absence de preuves visuelles. Plusieurs survivants ont déclaré s’être fait confisquer leur téléphone par les autorités et certains ont indiqué avoir filmé des vidéos quelques instants avant le naufrage. Des questions subsistent quant à la raison pour laquelle le navire des garde-côtes grecs sur les lieux, récemment acquis, n’a pas enregistré l’opération sur ses caméras thermiques. Ce navire, appelé le 920, a été financé à 90 % par l’UE pour renforcer les capacités de Frontex en Grèce et fait partie des opérations conjointes de l’agence européenne des frontières dans le pays. Frontex recommande que « dans la mesure du possible, toutes les actions entreprises par […] les moyens cofinancés par Frontex soient systématiquement documentées par vidéo ».


Le  920. Photo : Garde-côtes grecs

Dans des déclarations officielles, les garde-côtes grecs ont affirmé que l’opération n’avait pas été enregistrée parce que l’équipage se concentrait sur l’opération de sauvetage. Mais une source au sein des garde-côtes a déclaré que les caméras n’ont pas besoin d’être utilisées manuellement en permanence et qu’elles sont là précisément pour filmer de tels incidents.

La présence d’hommes masqués, décrits par deux survivants comme attachant une corde au chalutier, est également documentée dans le journal de bord du navire, qui comprend une entrée concernant une équipe d’opérations spéciales connue sous le nom de KEA qui s’est jointe au 920 cette nuit-là.

Selon des sources des garde-côtes, il ne serait pas inhabituel de déployer des KEA - généralement utilisés dans des situations à risque telles que des suspicions de contrebande d’armes ou de drogue en mer - étant donné le statut inconnu du navire, mais une source a déclaré que leur présence suggérait que le navire aurait dû être intercepté pour des raisons de sécurité et de sûreté maritime uniquement.


Une source a qualifié d’“incompréhensible” l’absence de mobilisation d’une aide plus proche de l’incident. Le 920 a été déployé depuis La Canée, en Crète, à environ 150 milles nautiques du lieu du naufrage. La source a déclaré que les garde-côtes disposaient de navires un peu plus petits mais toujours capables, basés à Patras, Kalamata, Neapoli Voion et même à Pylos. Le 920 a reçu l’ordre du QG des garde-côtes de “localiser” le chalutier vers 15 heures, heure locale, le 13 juin. Le contact a finalement été établi vers minuit. Un témoin oculaire a confirmé qu’un autre navire était stationné à Kalamata le 14 juin et qu’il aurait pu atteindre le chalutier en quelques heures. « Il aurait dû s’agir d’une situation où il aurait fallu envoyer tout ce que l’on avait. Le chalutier avait clairement besoin d’aide », a déclaré la source.

Les garde-côtes grecs et Frontex ont été alertés de la présence du chalutier dans la matinée du 13 juin. Les deux agences l’ont photographié depuis les airs, mais aucune opération de recherche et de sauvetage n’a été menée - selon la partie grecque, parce que le bateau avait refusé toute assistance. Les autorités ont reçu un SOS urgent qui leur aurait été relayé à 17h53, heure locale, par la ligne d’urgence pour les petites embarcations Alarmphone, qui était en contact avec des personnes à bord.


Le chalutier en mer avant le naufrage. Photo : Anadolu Agency/Getty Images

Deux des sources des garde-côtes ont déclaré au Guardian qu’elles pensaient que le remorquage était une raison probable du chavirement du bateau. Cette situation n’est pas sans précédent. En 2014, une tentative de remorquage d’un bateau de réfugiés au large de Farmakonisi a coûté la vie à 11 personnes. Les tribunaux grecs ont innocenté les garde-côtes, mais la Cour européenne des droits de l’homme a rendu un jugement accablant en 2022.

Des allégations ont également été formulées selon lesquelles les déclarations des survivants auraient été falsifiées. Deux séries de témoignages ont été présentées - d’abord aux garde-côtes, puis à un procureur civil - toutes deux vues par le Guardian. Les témoignages de deux survivants de nationalités différentes auprès des garde-côtes sont identiques, mot pour mot, lorsqu’ils décrivent le naufrage : « Nous étions trop nombreux sur le bateau, qui était vieux et rouillé... c’est pourquoi il a chaviré et coulé à la fin ».

Sous serment devant le procureur civil, quelques jours plus tard, les mêmes survivants décrivent des incidents de remorquage et accusent les garde-côtes grecs d’être responsables du naufrage. Le même survivant syrien qui avait déclaré dans son témoignage devant les garde-côtes que le chalutier avait chaviré en raison de son âge et de sa surpopulation témoignera plus tard : « Lorsqu’ils sont venus sur nous, et je suis désolé de le mentionner, notre bateau a coulé. Je pense que la raison en est le remorquage par le bateau grec ».


Survivants du naufrage au port de Kalamata. Photo : Angelos Tzortzinis/AFP/Getty Images

Bruxelles a demandé une enquête “transparente” sur le naufrage, tandis que Frontex, qui a proposé à plusieurs reprises des moyens aux autorités grecques - un avion à deux reprises et plus tard un drone - n’a pas reçu de réponse. Bien que Frontex soit de plus en plus sollicitée pour se retirer de Grèce, le Guardian croit savoir qu’elle envisage des mesures moins radicales, comme l’arrêt du cofinancement des navires des garde-côtes grecs.

Neuf Égyptiens qui se trouvaient à bord du chalutier ont été arrêtés et accusés d’homicide involontaire, d’avoir provoqué un naufrage et d’avoir fait passer des migrants clandestinement ; ils nient avoir commis des actes répréhensibles. Selon les informations du Guardian, les accusés ont déclaré qu’il y avait eu deux tentatives de remorquage, la seconde ayant entraîné le naufrage du bateau. Un frère de l’un des accusés a déclaré que son frère avait payé environ 3 000 livres sterling pour être sur le bateau, ce qui prouve, selon lui, qu’il n’était pas un passeur.

En Grèce et ailleurs, les survivants et les familles des victimes tentent de comprendre ce qui s’est passé. Trois survivants pakistanais ont déclaré avoir pris un vol du Pakistan vers la Libye en passant par Dubaï ou l’Égypte. Deux d’entre eux pensaient qu’ils allaient voler de la Libye vers l’Italie et ont été choqués en voyant le chalutier. « Je n’arrive pas à dormir correctement. Quand je dors, j’ai l’impression que je m’enfonce dans l’eau et que je vais mourir », raconte l’un d’eux.


Un survivant pakistanais du naufrage montre la photo d’un compatriote disparu. Photographie : Forensis

Près de la moitié des quelque 750 personnes à bord auraient été des citoyens pakistanais empruntant une nouvelle route de migration clandestine vers l’Italie. Les autorités pakistanaises estiment que 115 d’entre eux venaient de Gujranwala, dans l’est du pays, une région connue pour ses plantations de riz et ses champs de coton, mais profondément enlisée dans la crise économique pakistanaise.

Ahmed Farouq, qui vit à la périphérie de la ville de Gujranwala, a perdu son fils dans le naufrage de Pylos. Parlant du remorquage présumé, il a déclaré : « Ils voulaient que le bateau coule. Pourquoi n’ont-ils pas d’abord sauvé les gens ? S’ils ne veulent pas d’immigrés clandestins, qu’ils nous expulsent, mais qu’ils ne nous laissent pas nous noyer ».

 

The Pylos Shipwreck - Situated Testimony (long version) from Forensis on Vimeo.