Matthew Gindin, 29/10/2023
Traduit par Layân Benhamed,
édité par Fausto
Giudice, Tlaxcala
Matthew Gindin est un
Canadien d’origine juive qui a été moine bouddhiste et pratique l’acupuncture
chinoise, la médecine ayurvédique et le yoga. Il enseigne à la synagogue Or
Shalom Bet Midrash de Vancouver (Colombie-Britannique) et contribue à diverses
publications anglophones sur des thèmes liés au dialogue interreligieux.
À l’heure où j’écris ces lignes,
cela fait 23 jours qu’Israël bombarde Gaza, une zone de 365 km² abritant 2,3
millions d’êtres humains précieux. Les bombes israéliennes ont tué, en moyenne,
110 enfants par jour. Les mères palestiniennes ont commencé à écrire les noms
de leurs enfants sur leurs corps, afin de pouvoir les identifier lorsque leurs
cadavres seront retirés des décombres laissés par les bombardements israéliens.
Joe Biden, le président du plus
grand soutien militaire du projet sioniste, a dit quelque chose que j’ai
également entendu de la part de certains de mes amis juifs : que le ministère
de la santé dirigé par le Hamas gonfle le nombre de morts. Il a dit cela sans
vérifier les preuves réelles ou les opinions des experts, qui affirment que les
rapports du ministère de la santé sur les victimes se sont avérés exacts lors
de conflits précédents. Le ministère a réagi en publiant une liste détaillée
des noms de tous les civils tués jusqu’alors, soit près de 7 000 personnes (ce
chiffre dépasse aujourd’hui les 8 000).
Le Premier ministre israélien, un
homme politique au long passé de corruption et d’idéologie d’extrême droite, a
décrit aujourd’hui l’assaut actuel contre Gaza en évoquant la mémoire de
l’ancienne tribu d’Amalek (vers 1400 avant notre ère).
Un passage de la Bible hébraïque
dit : « Vous devez vous souvenir de ce qu’Amalek vous a fait, dit notre
Sainte Bible. 1 Samuel 15:3 : “Va maintenant, frappe Amalek, et voue à la
destruction tout ce qui lui appartient; tu ne l’épargneras point, et tu feras
mourir hommes et femmes, enfants et nourrissons, bœufs et brebis, chameaux et
ânes” », a déclaré M. Netanyahou. Les rabbins qui ont créé le judaïsme que
nous connaissons aujourd’hui ont décidé il y a longtemps (il y a des siècles)
qu’aucune nation moderne ne pouvait être assimilée à Amalek, mais Netanyahou se
soucie peu des valeurs rabbiniques progressistes, c’est le moins que l’on
puisse dire. En citant ce passage, il signale explicitement son intention
génocidaire et achève le mariage du sionisme - à l’origine un mouvement laïc
qui répudie la religion juive - avec une vision tordue et cauchemardesque du
judaïsme.
Dans l’imaginaire religieux des
Juifs entre 136 de notre ère et le XIXe siècle, Israël était une terre magique. Les
Juifs priaient plusieurs fois par jour pour le retour messianique en Israël et
la rédemption du monde. La prophétie, disaient-ils, était plus facilement
accessible en Israël (ou seulement accessible en Israël selon certains) ; les
produits étaient énormes et avaient un goût incroyable ; le sol avait des
propriétés magiques. Pendant des siècles, cependant, bien que de nombreux
petits groupes de Juifs soient allés vivre en Palestine pour des raisons
religieuses, la loi juive elle-même a été interprétée comme interdisant un
retour massif en Palestine. Les rabbins du Talmud ont écrit que trois serments
empêchaient les Juifs de reprendre Israël par la guerre ou le transfert de
population : Le premier est que les Juifs ne doivent pas monter sur Eretz
Yisrael comme un mur (le reprendre en revenant en masse). Une autre est que le
Saint, béni soit-il, a recommandé aux Juifs de ne pas se rebeller contre les
nations du monde. Enfin, le Saint, béni soit-il, a recommandé aux nations du
monde de ne pas soumettre les Juifs de manière excessive.
Les trois serments mentionnés
ci-dessus, ou plutôt les deux qui s’appliquent aux Juifs, étaient pris très au
sérieux, tout comme l’enseignement rabbinique selon lequel les Juifs devaient
entretenir des relations non violentes avec les nations, même s’ils étaient
opprimés par elles. Avant 1890, la loi et le consensus juifs stipulaient que
les Juifs devaient se défendre hardiment devant les nations, mais seulement en
paroles. Dans les années 1890, certains ont soutenu que, puisque les nations
avaient rompu le troisième serment, les Juifs étaient libérés des deux
premiers. Les rabbins orthodoxes n’étaient pas d’accord, estimant au contraire
que si les nations rompaient le serment qu’elles avaient prêté à Dieu, celui-ci
s’en chargerait lui-même.
Au XIXe siècle, un
groupe a commencé à soutenir que les Juifs étaient un peuple comme les autres -
c’est-à-dire un peuple défini par son ethnie ou sa culture, et non par les
idées de la religion juive - et qu’à ce titre, ils devaient vivre dans
l’autodétermination et la liberté comme les autres. Selon eux, les Juifs ne
peuvent vivre dans la liberté, la paix et la force que s’ils se débarrassent de
la religion traditionnelle et de ses promesses et s’ils construisent leur
propre État-nation pour se protéger. Après quelques débats sur le lieu, il a
été décidé qu’il s’agirait d’un “Altneuland” (Vieux-nouveau pays) en Palestine.
Les rabbins de tous horizons -
orthodoxes et réformés - ont généralement exprimé leur désaccord. Les bundistes
- militants juifs non sionistes et non religieux - n’étaient pas non plus
d’accord, estimant que le seul moyen de trouver la liberté et la paix pour les
Juifs était de construire un monde de liberté et de paix pour tous. Cependant,
à mesure que le sionisme prenait de l’ampleur, les Juifs affluaient en
Palestine, où, entre 1878 et 1917, ils sont passés de 3 % à 10 % de la
population palestinienne.
Ahad Ha’am
lisant Altneuland, de Theodor Herzl, par Mark Anderson
Alors que la nouvelle colonie
juive se développe, une minorité de sionistes juifs critique le gratin sioniste
juif pour son racisme, son mépris des préoccupations des Arabes palestiniens et
son injustice à leur égard. Ahad Ha’am (1856-1927), le sioniste juif russe, a
écrit en 1891 :
« Nous devons certainement apprendre,
de notre histoire passée et présente, à quel point nous devons veiller à ne pas
provoquer la colère des autochtones en leur faisant du tort, à quel point nous
devons être prudents dans nos relations avec un peuple étranger parmi lequel
nous sommes revenus vivre, à traiter ce peuple avec amour et respect et, cela
va sans dire, avec justice et discernement. Et que font nos frères ? Exactement
le contraire ! Ils étaient esclaves dans leurs diasporas, et soudain ils se retrouvent
avec une liberté illimitée, une liberté sauvage que seul un pays comme la
Turquie [l’Empire ottoman] peut offrir. Ce changement soudain a semé dans leur
cœur des tendances despotiques, comme cela arrive toujours aux anciens esclaves
[‘eved ki yimlokh - quand un esclave devient roi - Proverbes 30:22]. Ils
traitent les Arabes avec hostilité et cruauté, les violent injustement, les
battent honteusement sans raison suffisante et se vantent même de leurs actes.
Il n’y a personne pour arrêter le flot et mettre fin à cette tendance
méprisable et dangereuse.
« Nous, qui vivons à l’étranger, avons
l’habitude de croire que les Arabes sont tous des sauvages du désert qui, comme
des ânes, ne voient ni ne comprennent ce qui se passe autour d’eux. Mais c’est
une grave erreur....Les Arabes, en particulier l’élite urbaine, voient et
comprennent ce que nous faisons et ce que nous voulons faire sur la terre, mais
ils se taisent et font semblant de ne rien remarquer. Pour l’instant, ils ne
considèrent pas que nos actions représentent un danger futur pour eux. ... Mais
si le temps vient où la vie de notre peuple en Eretz Yisrael se développe à un
point tel que nous prenons leur place, que ce soit légèrement ou de manière
significative, les indigènes ne vont pas s’écarter si facilement ».
Ahad Ha’am, sioniste juif russe,
1891 – « Vérité de la terre d’Israël [Eretz Israël] »
En 1907, dans un article paru
dans HaShiloah, l’une des premières publications modernes en hébreu et
reprenant une intervention faite au 7ème congrès sioniste de Bâle en
1905, l’enseignant et militant Yitzhak Epstein, né à Odessa, revient sur les
propos d’Ahad Ha’am. Epstein appartenait au Hovevei Tzion, la première
organisation sioniste. Il avait assisté à l’achat des terres de Ras al-Zawiya
et al-Metulla (aujourd’hui connues en hébreu sous le nom de Rosh Pina et
Metullah) plusieurs années auparavant. Lorsque les sionistes achetaient ces
fermes à leurs propriétaires arabes, ils dépossédaient les métayers arabes et
les remplaçaient par de la main-d’œuvre juive. Il se souvient de la colère des
fermiers druzes dépossédés :
« Les lamentations des
femmes arabes ... résonnent encore à mes oreilles » », écrit-il. « Les
hommes montaient sur des ânes et les femmes les suivaient en pleurant
amèrement, et la vallée était remplie de leurs lamentations. En chemin, ils
s’arrêtaient pour embrasser les pierres et la terre».
Epstein a averti que les
relations avec les Arabes étaient la “question
cachée” que le mouvement sioniste n’abordait pas. Il affirme que les
sionistes ont tendance à « oublier un petit détail : il y a sur notre
terre bien-aimée un peuple entier qui y est attaché depuis des centaines
d’années et qui n’a jamais envisagé de la quitter....Que feront les fellahin
[éleveurs de faisans arabes] après que nous aurons acheté leurs champs ? »
demande-t-il, « nous devons admettre que nous avons chassé des gens
appauvris de leur humble demeure et que nous leur avons ôté le pain de la
bouche ». Son argumentation n’a guère suscité de réactions, comme celle
d’Ahad Ha’am avant lui.
Buber (à g.) et Scholem
Martin Buber (1878-1965), le
grand philosophe et mystique juif, a proposé au 12e congrès sioniste
de 1921 une résolution exhortant les Juifs à rejeter « avec horreur les
méthodes de domination nationaliste dont ils ont eux-mêmes longtemps souffert »
et à renoncer à tout désir « de supprimer un autre peuple ou de le dominer »,
puisque dans le pays « il y a de la place à la fois pour nous et pour ses
habitants actuels ».
Buber et d’autres, notamment des
universitaires affiliés à la toute nouvelle université hébraïque de Jérusalem,
comme Gershom Scholem, le grand spécialiste de la mystique juive, ont créé en
1925 Brit Shalom, le premier grand groupe sioniste arabo-juif pour la paix.
L’association existait pour « parvenir à une entente entre Juifs et Arabes
[...] sur la base de l’égalité politique absolue de deux peuples culturellement
autonomes, et pour déterminer les lignes de leur coopération pour le
développement du pays ».
Les fondateurs de Brit Shalom
venaient d’horizons politiques et personnels différents. Certains d’entre eux
étaient des dirigeants du Yichouv bien établis, qui considéraient la
réconciliation avec les Arabes comme une nécessité pratique (comme Arthur
Ruppin, un haut fonctionnaire sioniste chargé de la colonisation). D’autres
encore étaient inspirés par des convictions morales et voyaient la nécessité
d’intégrer les besoins et les préoccupations des populations locales - et pas
seulement des Juifs - dans la mission sioniste.
Ruppin, en tant que haut
responsable de la colonisation, est critiqué par ses alliés travaillistes qui
considèrent Brit Shalom comme “délirant”. Ruppin, à son tour, craint que le
sionisme ne « se détériore en un chauvinisme inutile » et qu’il
devienne impossible « d’attribuer une sphère d’action à un nombre
croissant de Juifs en Palestine sans opprimer les Arabes ».
Le courant sioniste dominant a
toujours affirmé que le nationalisme palestinien était superficiel et qu’il
résultait de la manipulation des “masses ignorantes” d’Arabes par une élite désireuse de détruire le projet sioniste. Il s’agit là
d’un dangereux malentendu. En fait, comme l’ont constaté d’autres sionistes,
les non-Juifs de Palestine étaient profondément attachés aux fermes et aux
villages où leurs familles vivaient depuis des générations et s’identifiaient à
leur terre et à leur culture tout autant que les Juifs s’identifiaient à la
leur.
Hans Kohn (1891-1971), sioniste,
philosophe et critique du nationalisme, a écrit : « Je ne peux pas être
d’accord avec cette politique lorsque le mouvement national arabe est dépeint
comme l’agitation gratuite de quelques grands propriétaires terriens. Je ne
sais que trop bien que la presse impérialiste la plus réactionnaire
d’Angleterre et de France dépeint souvent les mouvements nationaux en Inde, en
Égypte et en Chine de la même manière - en bref, partout où les mouvements
nationaux des peuples opprimés menacent les intérêts de la puissance coloniale ».
Il écrit : « Nous sommes en
Palestine depuis douze ans [depuis 1917] sans avoir une seule fois fait une
tentative sérieuse pour rechercher par la négociation le consentement des
populations indigènes. Nous nous sommes appuyés exclusivement sur la puissance
militaire de la Grande-Bretagne. Nous nous sommes fixé des objectifs qui, par
leur nature même, devaient conduire à un conflit avec les Arabes. Nous aurions
dû reconnaître que ces objectifs seraient la cause, la juste cause, d’un
soulèvement national contre nous... Mais pendant douze ans, nous avons prétendu
que les Arabes n’existaient pas et nous étions heureux qu’on ne nous rappelle
pas leur existence ».
Avec une prescience lucide, Kohn
écrit que sans le consentement des Arabes locaux, l’existence des Juifs en
Palestine ne sera possible que « d’abord avec l’aide britannique, puis
plus tard avec l’aide de nos propres baïonnettes ... mais à ce moment-là, nous
ne pourrons pas nous passer des baïonnettes. Les moyens auront déterminé le
but. La Palestine juive n’aura plus rien de ce Sion pour lequel j’ai risqué ma
vie ».
Judah Magnes, par Bernard Sanders, 1932
Ihud (Unité) est un nouveau
mouvement bi-nationaliste qui succède à Brit Shalom. L’association appelle à un
« gouvernement en Palestine basé sur l’égalité des droits politiques pour
les deux peuples ». Elle était dirigée par Judah Magnes (1877-1948) et
Martin Buber, critiques chevronnés de la politique traditionnelle, ainsi que
par la célèbre intellectuelle juive antifasciste Hannah Arendt (1906-1975).
Dans une lettre adressée en 1942 à un rabbin réformiste américain, Magnes
définit le nationalisme juif comme « malheureusement chauvin, étroit et
terroriste dans le meilleur style du nationalisme d’Europe de l’Est ».
Lorsque cette déclaration a été
rendue publique, Magnes a été sévèrement critiqué. Il a défendu son point de
vue : « Ce que j’avais à l’esprit, ce n’était pas les quelques extrémistes
... mais plutôt des actes précis que certains dirigeants et groupes importants
n’ont pas répudiés et qui prennent l’aspect, pour le moins, de ne pas être
contraires à leur politique nationale ».
En Palestine même, le leader
émergent du nouveau Yichouv est David Ben-Gourion (1886-1973), qui joue un rôle
clé dans l’élaboration des politiques du courant sioniste dominant. Celles-ci
comprenaient un gouvernement de gauche (B-G était un socialiste modéré) et
l’espoir d’une paix avec les Arabes qui serait basée, comme il le disait, sur
le “pouvoir juif”.
En 1948, la population totale
était composée de 68 % d’Arabes et de 32 % de Juifs. En novembre 1947, à la
suite des horreurs de l’Holocauste, les Nations unies ont approuvé une
résolution visant à partager le pays entre les deux parties, 61 % des terres allant
à l’État juif et 39 % à l’État arabe.
Les Nations unies votent en
faveur de la partition, un résultat accueilli avec enthousiasme par le Yichouv,
alors même que des violences intercommunautaires éclatent entre les populations
juives et arabes. Ben-Gourion déclare l’indépendance, puis une guerre
internationale éclate entre l’État juif naissant et cinq pays arabes. Buber
déplore que l’État ait été « construit dans le sang » et déclare que
même si le Yichouv l’emportait, ce serait une fausse victoire, car ce serait
une défaite du véritable idéal sioniste de renaissance nationale – « pas
simplement la sécurité de l’existence de la nation », mais la renaissance
de sa mission éthique. Pour Buber, la normalisation de l’État juif équivalait à
l’assimilation. Les Juifs réussissaient à devenir un État normal, écrivait-il, « à
un degré terrifiant »
« Je ne peux pas me réjouir
en anticipant la victoire », écrit-il, « car je crains que
l’importance de la victoire juive ne soit la chute du sionisme »
Le premier gouvernement israélien
a choisi de ne pas autoriser les réfugiés palestiniens à retourner dans leurs
villages et sur leurs terres, dont certaines appartenaient à leurs familles
depuis des générations. Le jeune gouvernement israélien, confronté à la tâche
colossale de construire un pays quasiment à partir de zéro et d’intégrer des
réfugiés juifs venus de nombreux pays différents, dont beaucoup parlaient des
langues différentes, considérait les réfugiés palestiniens comme un fardeau
indésirable et dangereux.
Les appels de pacifistes juifs
comme Martin Buber à les accueillir dans le nouvel Israël ont été ignorés. La
société israélienne se préparait à ce qui est certainement l’une des
réalisations les plus remarquables de l’histoire de l’humanité : la naissance
intentionnelle d’un pays, doté d’une nouvelle langue et d’une infrastructure
économique, politique, technique, agricole et sociale fonctionnelle, y compris
une riche communauté d’artistes, d’écrivains, de musiciens et de philosophes,
ainsi que la création d’une nouvelle patrie pour les Juifs orthodoxes (même si
nombre d’entre eux continuaient à être officiellement antisionistes et à ne pas
reconnaître l’État).
Les réfugiés arabes palestiniens
se sont installés dans des camps ou sont devenus des citoyens de seconde zone
en Égypte, en Jordanie, en Syrie et au Liban. Un homme d’État arabe de l’époque
a déclaré que les camps de réfugiés n’étaient pas une mauvaise chose : ils
produiraient les futurs combattants qui détruiraient l’État sioniste injuste.
L’entrée du camp de réfugiés palestiniens d’Al
Aida, à Bethléhem
La destruction de la société
palestinienne d’avant Israël est connue des Palestiniens sous le nom de “Nakba”,
ou Catastrophe, et est commémorée aujourd’hui le lendemain du jour de
l’indépendance d’Israël, bien que le gouvernement pénalise financièrement toute
institution israélienne qui la reconnaîtrait. Certains Palestiniens portent les
clés de leurs anciennes maisons sur des colliers transmis dans leur famille ou
fabriquent des “symboles de clés” pour marquer le “droit au retour” qu’ils
estiment avoir.
C’est ainsi qu’est né le conflit
israélo-palestinien, qui, 76 ans plus tard, fait toujours rage comme une plaie
suppurante.
Aujourd’hui, le sionisme est un
échec juif et humain.
Le rêve sioniste était qu’Israël
fournisse un refuge sûr pour les Juifs, une base à partir de laquelle la
culture juive s’épanouirait, et une solution à l’antisémitisme.
Dans la pratique, Israël a connu
un état de guerre quasi permanent depuis sa création. Bien qu’à bien des
égards, la culture juive y ait effectivement prospéré grâce à ses grandes
réussites technologiques et créatives, le maintien et la défense d’un État dont
l’identité est exclusivement juive et qui donne la priorité aux Juifs par
rapport aux autres a compromis les valeurs éthiques juives fondamentales. Il a
totalement échoué à réaliser la vision fondamentale de la culture juive
traditionnelle : la création d’une société utopique dédiée à ce que nous
croyions être les valeurs de Dieu : une justice édifiante et une bonté
réparatrice (chesed u’ mishpat).
Aujourd’hui, en Israël, nous
avons une société fondée, fondamentalement, sur la croyance que le pouvoir est
synonyme de sécurité, un État-nation qui est une incarnation du golem en grand.
Afin de maintenir ce pouvoir, Israël est devenu un marchand d’armes mondial
pour les super-vilains et les États tyranniques, un fournisseur de technologies
d’espionnage pour les services secrets les plus perfides du monde, et une
société qui, afin de préserver son caractère juif, dispose d’une armée massive.
Elle est un leader mondial dans le développement d’armes, dispose d’un réseau
d’espionnage infâme et rejette et brutalise les réfugiés africains et autres
qui cherchent refuge en son sein. Plus grave encore, il persiste dans une
occupation illégale et extrêmement destructrice de la Cisjordanie et de Gaza
qui s’accompagne, depuis des décennies, d’une oppression routinière et
omniprésente et de violations des droits de l’homme, et qui est une source
permanente de violence à l’encontre des civils israéliens.
Il est incendiaire de dire cela,
mais je pense que la vérité est que le projet sioniste est l’une des
principales causes de la haine des Juifs dans le monde aujourd’hui. J’en veux
pour preuve le fait que depuis le début du siège israélien de Gaza, les incidents
antisémites au Royaume-Uni ont augmenté de près de 1 500 %. (Mise à jour le 9
novembre avec des informations sur les sondages américains). C’est cela notre
protection ? C’est notre guérison ? C’est la fin de l’antisémitisme ? Chaque
agression violente d’Israël contre les Palestiniens au cours des dernières
décennies entraîne une recrudescence du vandalisme antijuif, des discours de
haine et des agressions violentes dans le monde entier. Ces mêmes agressions
sont ensuite invoquées comme la raison pour laquelle nous avons besoin d’Israël
en premier lieu.
Il est peut-être temps de se
demander si les Bundistes - des socialistes juifs non sionistes du début du XXe
siècle - avaient raison. Ils affirmaient que la liberté juive ne serait acquise
que par la liberté pour tous, et non par la construction d’une forteresse
militarisée pour nous-mêmes. Une comparaison rapide entre la situation du
Canada pluraliste et multiculturel et celle d’Israël semble indiquer qu’ils
avaient raison.
Mais qu’en est-il du Hamas ? Son
désir d’éliminer l’État sioniste ne prouve-t-il pas que nous avons besoin d’une
forteresse militarisée et ne justifie-t-il pas les attaques éclair d’Israël
contre ses camps de réfugiés ?
Stephen M. Walt, chroniqueur à Foreign
Policy et professeur de relations internationales Robert et Renée Belfer à
l’université de Harvard, note qu’ « Israël a pilonné la bande de Gaza
lors de l’opération Plomb durci en décembre 2008, l’a refaite lors de
l’opération Bordure protectrice en 2014, puis l’a refaite (à plus petite
échelle) en mai 2021. Ces attaques ont tué plusieurs milliers de civils (dont
peut-être un quart d’enfants) et appauvri davantage la population piégée de
Gaza, mais elles ne nous ont pas rapprochés d’une solution durable et juste ».
Sur la plupart des points, le
sionisme est donc un échec, un échec qui s’est fait au détriment des droits et
de la dignité de millions de Palestiniens et qui a piégé des générations de
civils israéliens dans la guerre, la violence et les traumatismes.
Certains Israéliens diront, bien
sûr, avec colère et de manière compréhensible : « Êtes-vous en train
de dire que tout mon pays bien-aimé est un échec ? »
Il y a beaucoup, beaucoup de
choses belles et étonnantes dans la société juive de l’Israël moderne. Mais
oui, tout pays qui repose sur les fondations de trois millions de réfugiés
déplacés, contrôlés par un appareil de sécurité élaboré et une guerre sans fin,
est, jusqu’à présent, un échec.
On est loin de l’ancien rêve juif
d’être une lumière pour le monde.
Il y a cependant un moyen par
lequel le régime sioniste peut encore être une telle lumière, et c’est dans son
échec même.
Le sionisme démontre avec des
détails douloureux et horribles la faillite totale de l’idée selon laquelle la
solution au problème juif réside dans la puissance et le pouvoir.
L’État moderne d’Israël est un
avertissement pour toutes les nations et tous les peuples : la suprématie
ethnique, le chauvinisme, l’isolationnisme et la violence non seulement ne sont
pas des solutions à nos problèmes, mais les aggraveront considérablement et les
propageront au-delà de nos frontières pour infecter le corps politique de
l’humanité en général.
Je n’écris pas cela pour inciter
à la haine du sionisme ou d’Israël, Dieu m’en garde, mais plutôt pour affirmer
que la seule façon d’avancer passe par le démantèlement de la suprématie juive
en Israël, le retour des droits politiques aux Palestiniens et un effort de
vérité et de réconciliation dans l’ensemble d’Israël/Palestine, comme cela
s’est produit en Afrique du Sud.
Ceux qui affirment que nous ne
devrions pas critiquer les structures de l’occupation et de l’apartheid en
Israël au milieu de cette guerre sont comme ceux qui disent qu’un patient qui
se frappe au visage ne devrait pas être diagnostiqué avec la tumeur cérébrale
qui en est la cause.
Oui, il faut faire quelque chose
d’humain pour immobiliser son bras ; oui, il peut avoir besoin de médicaments
contre la douleur, mais nous devons aussi comprendre que la tumeur est la
source des problèmes. Les cris "Comment pouvez-vous parler de tumeurs
cérébrales alors qu’ils ont des blessures si graves après s’être frappés
eux-mêmes !" n’aident pas, surtout quand c’est ce qu’ils crient chaque
fois que le patient commence à s’automutiler, année après année après année.
C’est d’autant plus vrai lorsque
les personnes présentes dans la pièce injectent activement au patient des
produits chimiques qui aggravent la tumeur - si je peux me permettre de pousser
la métaphore un peu plus loin - pour couvrir le financement à l’étranger et
l’aide militaire que le gouvernement israélien, ouvertement juif et
suprémaciste, reçoit des USA et du Canada.
Les dangers très réels associés à
une telle voie ne sont pas plus grands que ceux associés à la voie sur laquelle
Israël est actuellement engagé. De nombreux Israéliens voient et savent que le
statu quo actuel est intolérable, et qu’aucun “État juif” ne vaut la peine de
maintenir une prison à ciel ouvert pour 2,3 millions de personnes.
Pendant ce temps, à l’heure où
j’écris ces lignes, l’assaut sur les civils palestiniens à Gaza, qui risque
d’être génocidaire, se poursuit. La communauté juive ne doit pas soutenir cet
effort de guerre, pas plus qu’elle ne doit soutenir l’État d’Israël jusqu’à ce
qu’il devienne une démocratie pluraliste et juste pour tous ses peuples.