26/05/2024

MANUEL TALENS
Le dieu des mots américain

Manuel Talens (1948-2015), janvier 2006
Original :
El dios americano de las palabras

Ce texte du cofondateur du réseau de traducteur·rices Tlaxcala, a conduit ses membres à décider, après un débat, de ne plus utiliser les termes États-Unis, Amérique, Américain·e, américain·e pour désigner les USA, leurs habitants et leurs entités, mais d’utiliser les termes USA, USAmérique, USAméricain·e (substantif) et usaméricain·e (adjectif), dans toutes les langues où cela est possible (anglais, espagnol, italien, français, portugais, allemand, néerlandais, suédois, catalan, esperanto).-FG, Tlaxcala


« Au début était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu ». C’est sur ce mode tout sémiotique que débute l’Évangile selon saint Jean. Les trois autres, Mathieu, Luc et Marc sont moins imaginatifs, et c’est la raison pour laquelle l’exégèse leur attribue une valeur littéraire inférieure par rapport au chef d’œuvre de Jean, l’auteur de L’Apocalypse. Jean, qui était un homme cultivé et un excellent romancier avant la lettre, n’a pas hésité B affirmer que l’Être commence avec le mot. En d’autres termes, sans les mots, rien n’existe, car tout objet, réel ou fictionnel, comme tout concept doit être nommé pour commencer à traverser cet espace que nous appelons la vie. Mais les noms ne naissent pas du hasard, ils appartiennent à la catégorie des codes inconscients, comme l’ont signalé les psychanalystes lacaniens, dévots du sens caché de la langue. L’un d’entre eux, Aldo Naouri, raconte dans son livre de divulgation Les filles et leurs mères le cas d’un jeune Parisien qui quitta en claquant la porte l’usine dont il allait hériter de son père parce qu’il ne supportait pas la façon dont celui-ci, un fieffé raciste, traitait le personnel maghrébin. Plus tard, le jeune homme eut une fille, dont le prénom « Houria » déclarait à la perfection sa rupture avec le passé : Houria signifie « liberté » en arabe. Et voici, pour compléter, une blague : l’histoire de cette dame qui avait souffert toute sa vie de rhume, et qui appela son fils Geffroy…

Voici maintenant les éléments du débat acharné que nous avons eu, entre traducteurs plurinationaux du groupe auquel j’appartiens, sur le nom d’un certain pays, les États-Unis d’Amérique, alias, l’Amérique. Oui, les citoyens de ce pays appellent leur pays Amérique, et se qualifient d’Américains, alors qu’il s’agit d’un continent qui contient plus de trente pays, grands et petits, dont chacun pourrait réclamer le même nom. Il s’agit donc d’un cas d’appropriation indue et unilatérale d’un nom collectif, ce qu’en rhétorique on appelle synecdoque ou métonymie, la désignation de la partie par le tout.

Conscient de cet abus de langage, le plus jeune interprète de l’ONU, un Argentin du nom d’Emilio Stefanovich, implanta à l’époque de la guerre froide la dénomination d’Etats-Unis d’Amérique du Nord, mais sans grand succès, car la nouvelle métonymie n’est pas plus licite : en effet, l’Amérique du Nord comporte également le Canada et le Mexique, comme on peut le constater sur n’importe quel atlas.

J’ai vu récemment le dernier film de Jean-Luc Godard, Éloge de l’amour, exercice lucide et impitoyable sur la mémoire ; le metteur en scène y fait état du larcin nominal opéré par les USA. Dans la scène qui m’a le plus impressionné, on voit un avocat d’Hollywood acquérir les droits cinématographiques sur le récit des avatars d’un vieux couple juif durant la Résistance. Il lit le contrat en anglais, et un interprète le traduit à leur fille. À un moment donné, lorsqu’il est mentionné que les acheteurs sont Américains, la petite-fille, militante contre la globalisation néo-libérale, l’interrompt : « Comment ça, Américains ? » « Oui, des États-Unis », répond l’autre surpris. « Mais les Brésiliens aussi sont des États-Unis », reprend la jeune fille. « Des États-Unis du nord », rétorque l’avocat. « « Mais les Mexicains aussi sont au nord, et sont des États-Unis. Votre problème, c’est que vous n’avez ni nom ni mémoire ». Peu après, dans un contrepoint extraordinaire, nous apprenons que le couple, dont le nom d’origine était Samuel, a gardé jusqu’à ce jour celui qu’ils utilisaient à l’époque de la résistance, Baillard, parce qu’ils ont, eux, un nom et n’ont pas envie de l’oublier.

Bien entendu, les fauteurs de la métonymie Amérique ne se demandent même pas si leur imposture fait des dégâts, mais sur le pourtour de l’empire, il y a eu des efforts pour venir à bout de cet écueil sémantique. Les termes « yankee » ou « gringo » auraient pu faire l’affaire, mais ils sont péjoratifs, comme « Usano » ("Usien"), que suggère le journaliste espagnol Julio Camba, qui sonne comme « gusano », en espagnol, c’est-à-dire ver de terre [terme par lequel les Cubains désignent les contre-révolutionnaires exilés à Miami, NdT].

Enfin est apparue la désignation « étatsunien », qui semble plus neutre, mais ce n’est pas une solution, dans la mesure où le nom officiel de l’ancienne Nouvelle-Espagne est Etats-Unis Mexicains, ce qui fait donc, au moins en théorie, des descendants de Cuauhtémoc (le premier résistant à la colonisation européenne) des étatsuniens de plein droit eux aussi.

Non seulement les citoyens des États-Unis se trouvent donc en manque de nom, ce qui est grave, mais le binôme États-Unis ne constitue même pas un nom au sens strict. En général, les pays ont un nom qui les distingue clairement, Australie, Gabon, Venezuela, par exemple, et personne n’utilise de circonlocutions bizarres pour les nommer ; mais il y a plus : la République Française ou le Royaume du Maroc figurent comme tels sur leurs documents légaux, mais nous n’avons nul besoin de nous y référer en ces termes. Au contraire, l’absurdité de ces États-Unis d’Amérique a exigé l’apparition d’abréviations. En anglais, c’est USA ; en Espagne, certains recommandent EE.UU, d’autres EE UU, et d’autres encore EEUU ; enfin l’agence EFE préfère EUA, tandis que les Mexicains ou les Chiliens hésitent entre EEUU et EE. UU. Choisir, dans ce cas, relève de la loterie. Une solution, suggérée par un ami, serait de renoncer à traduire le sigle anglais, et d’en faire dériver le nom des habitants, qui deviendraient Usaméricains, ce qui règlerait tout. Mais le poids politique planétaire du pays en question ne permet pas de s’en tenir là ; tous ces atermoiements ou divergences soulignent le rapport conflictuel que nous entretenons, nous gens de la périphérie, avec cette nation qui depuis le début du XXème Siècle s’est arrogé le rôle gendarme universel.

Reprenons notre bon Lacan, pour qui il n’y a pas de hasard, s’agissant des mots : s’il était vrai que nous sommes ce que nous dicte le nom que nous portons, certains patronymes très chargés de sens imprimeraient leur caractère au porteur. Ainsi par exemple Fidel Castro reste « fidèle » à certains postulats qui le bloquent, le retiennent de tout déviationnisme ; son nom de famille, qui vient du latin castrum (camp, fortification) me rappelle le temps du lycée, où nous traduisions de longs extraits de la Guerre des Gaules de Jules César. Je suppose qu’on le lui aura déjà fait remarquer : pour moi c’est là une évidence : le dirigeant cubain était prédestiné à devenir un soldat inflexible, (« castrense », dirions-nous en espagnol), ses études initiales d’avocat ne furent qu’un détour passager.

Autre exemple, très amusant. Jacques Chirac fit installer des cabinets d’aisance pour les piétons de Paris quand il en était maire. C’étaient des édicules assez luxueux, on y accédait moyennant quelque menue monnaie. Aurait-il obéi là inconsciemment à la prédestination par son nom, comme les Français l’entendirent aussitôt, en répandant le slogan humoristique, né de la rue : « Avec Chirac, tu chies et tu raques » ?

Et combien d’ingénieurs des Ponts et Chaussées qui s’appellent Dupont… Selon Lacan, tout cela ne relève pas seulement du hasard… Et voilà pourquoi, le pays qui s’autodénomme l’Amérique a peut-être bien un ADN spécifique, au cœur de ses chromosomes d’État, de prédateur et d’oppresseur : après avoir dépouillé ses voisins d’un nom qui était à tous, voilà qu’il nous impose sa langue mercantiliste, celle de son industrie du spectacle, celle de ses multinationales, de gré ou de force….

Qui aurait dit à saint Jean que le dieu de fiction de son évangile, dont la métaphore était le Verbe, prendrait vie des siècles plus tard, prendrait le nom du continent où il se situe, et depuis le bureau « ovale » d’une maison peinte en blanc, telle une métaphore embryonnaire de l’œuf fondateur, créerait un nouvel ordre mondial, et le mettrait à son service au moyen du contrôle des télécommunications et de la propagande, c’est-à-dire des mots ? 


 

MANUEL TALENS
El dios americano de las palabras

 

Manuel Talens (1948-2015), enero de 2006

Este texto, redactado por el cofundador de la red de traductor@s Tlaxcala, llevó a sus miembr@s a decidir, tras un debate, dejar de utilizar los términos Estados Unidos, América, American@, para referirse a los Estados Unidos de América., sus habitantes y sus entidades, y utilizar en su lugar los términos USA, USAmerica, usamerican@ en todas las lenguas en que esto sea posible (inglés, español, italiano, francés, portugués, alemán, neerlandés, sueco, catalán, esperanto). -FG, Tlaxcala


«En el principio existía aquel que es la Palabra y aquel que es la Palabra estaba con Dios y era Dios». Así, de una manera tan semiótica, arranca el evangelio de San Juan. Los otros tres, de Mateo, Marcos y Lucas, son menos imaginativos y, por eso, la exégesis suele atribuirles un valor literario inferior cuando los compara con la obra maestra del autor del Apocalipsis. Juan, que era un hombre culto y un magnífico novelista avant la lettre, no dudó en afirmar que el ser comienza con la palabra. Dicho de otra manera, sin palabra nada existe, pues cualquier ente real o de ficción, cualquier objeto o cualquier idea, necesitan ser nombrados para poder atravesar ese espacio que llamamos vida.

Pero los nombres no se deben al azar y pertenecen a la categoría de los códigos inconscientes, como bien han señalado los psicoanalistas de estirpe lacaniana, tan devotos del significado oculto del lenguaje. Uno de ellos, Aldo Naouri, cuenta en su libro de divulgación Madres e hijas el caso de un joven parisino que se fue dando un portazo de la fábrica que iba a heredar, porque no soportaba la manera en que su padre -un racista convencido- trataba al personal magrebí. Más tarde, el joven tuvo una hija, cuyo nombre, Huria, plasmaba a la perfección dicha ruptura con el pasado: Huria, en lengua árabe, significa «libertad». Otro caso, mucho más simpático, era el de una mujer que padeció toda su vida de resfriados. Como por casualidad, llamó a su hijo Geffroy, que en francés significa fonéticamente «tengo frío».

Y ahora, sentadas las premisas de mi exposición, me centraré en el nombre de un país que recientemente fue objeto de enconados debates en los intercambios internéticos del foro plurinacional de traducción al que pertenezco. El nombre no es otro que The United States of America, alias America. Sí, los ciudadanos de Estados Unidos llaman América a su propio país y, en consecuencia, se autodenominan «americanos». Sin embargo, América es todo un continente, con más de treinta países, grandes y pequeños, que podrían reclamar con el mismo derecho llamarse así. Nos encontramos, por lo tanto, ante un caso flagrante de apropiación indebida y unilateral de un nombre común, algo que en clave retórica podríamos calificar de sinécdoque o metonimia, es decir, el trasvase de significado desde un término que designa un todo hasta una sola de sus partes.

Consciente del disparate, un argentino llamado Emilio Stevanovich -el intérprete más joven que ha tenido la ONU-, acuñó durante la guerra fría la denominación de Estados Unidos de Norteamérica, pero tuvo poco éxito, pues conduce a una nueva metonimia igual de ilícita: la del gentilicio «norteamericano». Basta con echar un vistazo a cualquier atlas para ver que en América del Norte, además de Estados Unidos, también «existen» Canadá y México, asimismo norteamericanos.

Recientemente he visto la última película de Jean-Luc Godard, Éloge de l’amour, un lúcido y despiadado ejercicio sobre la memoria, y en ella el director deja bien claro que Estados Unidos ha robado el nombre que utiliza. En la escena que a mí más me impresionó vemos a un abogado hollywoodense adquiriendo los derechos cinematográficos de los avatares durante la Resistencia francesa de un viejo matrimonio de judíos. Lee el contrato en inglés y un intérprete traduce para la familia. En un momento dado, cuando dice que los compradores son americanos, la nieta del matrimonio -militante contra la globalización neoliberal- lo interrumpe: «Qué americanos?», pregunta. «De Estados Unidos», responde sorprendido el otro. «Pero los brasileños son también Estados Unidos», replica la joven. «De los Estados Unidos del Norte», continúa el abogado. «Los mexicanos también están en el norte y son Estados Unidos. Lo que pasa es que ustedes no tienen nombre, ni memoria.» Poco después, en un contrapunto extraordinario, aprendemos que el matrimonio, cuyo apellido original era Samuel, ha conservado hasta la fecha el que utilizaban en tiempos de la Resistencia, Baillard, porque ellos sí tienen nombre, y no lo quieren olvidar.

Por supuesto, los causantes de la metonimia America ni siquiera se plantean el trastorno que causa su impostura, pero en los aledańos del imperio se ha intentado remediar este escollo semántico. Los términos «yanqui» o «gringo» hubieran servido, pero son despectivos, como también lo es el malévolo «usano» -de USA, pero peligrosamente limítrofe con gusano- sugerido por el periodista español Julio Camba.

Por fin, apareció la designación «estadounidense» (los mexicanos lo escriben “estadunidense” y los franceses han comenzado tímidamente a utilizar états-unien), que parece más neutral, pero el arreglo dista de ser perfecto, ya que el nombre oficial de la antigua Nueva España es Estados Unidos Mexicanos y, al menos en teoría, los nietos de Cuauhtémoc son también -y con toda la razón- estadunidenses.

Las complicaciones no terminan aquí, pues no solamente los ciudadanos de Estados Unidos carecen de nombre -lo cual ya es grave-, sino que el binomio «Estados Unidos» tampoco es un nombre en sentido estricto. En general, los países suelen tener un apelativo claramente identificable -Australia, Gabón o Venezuela, por citar tres al azar- y nadie utiliza circunlocuciones extrañas a la hora de nombrarlos, pues una cosa es que existan la República Francesa o el Reino de Marruecos y otra muy distinta que nos refiramos a ellos así, salvo en documentos legales. En cambio, un nombre tan absurdo como Estados Unidos de América ha necesitado la creación de abreviaturas. En inglés la sigla es USA. ¿Y en nuestra lengua? La discusión en el foro al que me refería antes empezó cuando se intentó unificar la grafía castellana de la abreviatura de marras, con vistas a establecer los criterios editoriales de una revista electrónica que hemos empezado a publicar. Fue entonces cuando nos dimos cuenta del galimatías en que se ha enredado la cuestión, pues, en España, el libro de estilo de El País recomienda EE UU -separado y sin puntos-, El Mundo opta por EEUU -junto y sin puntos-, el Abc y La Vanguardia se ciñen al académico EE.UU. -junto y con puntos- y el Diccionario de dudas y dificultades de la lengua española de Manuel Seco escribe EE. UU. -separado y con puntos-, mientras que el Manual de español urgente de la Agencia EFE prefiere EUA (Estados Unidos de América) y una rápida visita a la red permite ver que, por ejemplo, el periódico mexicano La Reforma utiliza EU y El Mercurio chileno indistintamente EEUU o EE.UU. Elegir, en tales condiciones, equivale a una lotería.

Una última posibilidad, que recientemente me ha sugerido un compañero, sería renunciar por completo a traducir la sigla inglesa del país y derivar de ésta el nombre de sus habitantes, que pasarían a ser «usamericanos», es decir, americanos de USA. Eso acabaría de una vez por todas con la metonimia original y con las discordancias citadas más arriba.

Está claro que, a estas alturas de la historia, y dado el peso político planetario de Estados Unidos, nos enfrentamos a un problema insoluble, susceptible de análisis, pero carente de remedio. Es irrebatible que tantas discrepancias sugieren, como poco, una relación conflictiva de todos nosotros, los periféricos, con esa nación que desde principios del siglo XX se arrogó el papel de gendarme del universo.

Pero volvamos a Lacan, para quien nada en las palabras es casual: si fuese cierto que somos lo que nos dicta el nombre o el apellido que llevamos, algunos patronímicos muy cargados de sentido imprimirían carácter a su portador. Veamos un ejemplo: Fidel Castro permanece «fiel» a unos postulados que le bloquean en gran medida la posibilidad de desviacionismo; su apellido, del latín castrum («campamento», origen del término castellano «castrense»), me recuerda los tiempos del bachillerato, cuando traducíamos en clase largos fragmentos de La guerra de las Galias, de Julio César. Supongo que alguien habrá señalado ya estos detalles del líder cubano, que me parecen de una evidencia cristalina: tengo para mí que estaba predestinado a ser un inflexible soldado y que sus estudios iniciales de abogacía fueron solamente un desvío fugaz.

Veamos un segundo ejemplo, éste graciosísimo: Jacques Chirac, el actual Presidente francés, instaló un circuito de retretes para alivio de paseantes en las calles de París cuando fue alcalde de dicha ciudad. Eran bastante lujosos y se accedía a ellos a cambio de unas monedas. Quién sabe si, muy a su pesar, cumplió inconscientemente con el destino de su apellido -o al menos los franceses lo entendieron así-, pues en lenguaje vulgar las dos sílabas de Chirac complementan lo escatológico (del verbo chier, cagar) y lo económico (del verbo raquer, pagar), de tal manera que a los pocos días de inaugurar los retretes corría por toda Francia el siguiente eslogan humorístico, nacido en la calle: avec Chirac, tu chies et tu raques, es decir, «con Chirac, cagas y pagas».

No es nada extraño tropezarse con ingenieros de caminos que se llaman Puente, con policías Alguacil o con dermatólogos Pellejero, y así hasta el infinito. Todos ellos -siempre según Lacan- eligieron la profesión que les dictó el apellido. De la misma manera, el país America (es decir, su maquinaria política, no sus habitantes, a pesar de que la contaminación existe) incluye en el ADN de sus cromosomas estatales la esencia del depredador que luego ha sido, pues ya en 1787 inició su andadura expoliando un nombre colectivo y, después, ha impuesto el lenguaje mercantilista de su industria del espectáculo y de sus multinacionales, tanto por las buenas como por las malas.

Quién le iba a decir a San Juan que el dios de ficción de su evangelio, aquel cuya metáfora era la Palabra, cobraría vida muchos siglos después, adoptaría el nombre del continente en que está situado y, desde el despacho «oval» de una casa pintada de blanco -símil embrionario del huevo fundador-, crearía un nuevo orden mundial -imitando así el primer versículo del Génesis: «En el principio Dios creó los cielos y la tierra»- y lo pondría a su servicio a través del control de las telecomunicaciones y la propaganda, es decir, de las palabras.

 

24/05/2024

ALAN MACLEOD
Suivez l’argent : Comment des milliardaires liés à Israël ont fait taire les manifestations sur les campus usaméricains

Alan Macleod, Mint Press News, 22/5/2024
Traduit par Layân Benhamed, édité par Fausto Giudice, Tlaxcala
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Les universités usaméricaines sont en feu. Un mouvement de protestation contre la violence à Gaza et la complicité des universités usaméricaines a déferlé sur le pays, avec des campements sur les campus universitaires dans 45 des 50 États. La répression a été rapide : des milliers d’étudiants ont été arrêtés, inculpés, condamnés à des amendes, ont perdu leur diplôme ou ont même été expulsés. Alors que les médias capitalistes réclament un “Kent State 2.0”, la police anti-émeute, les véhicules blindés et les tireurs d’élite ont été déployés dans tout le pays pour terrifier et réduire au silence ceux qui militent pour la justice.


Pourquoi des manifestations pacifiques à une écrasante majorité contre les actions d’une puissance étrangère ont-elles été accueillies par une réponse aussi musclée ? Une enquête de MintPress News révèle que ces mêmes institutions d’élite ont des liens financiers et idéologiques profonds avec l’État d’Israël, sont financées par des milliardaires pro-israéliens qui leur ont demandé de prendre des mesures pour écraser le mouvement étudiant, sont partiellement financées par le gouvernement israélien et existent dans un climat où Washington a clairement fait savoir que les manifestations ne devaient pas être tolérées.

Les milliardaires qui soutiennent Israël

Le mouvement a débuté le 17 avril à l’université de Columbia, où un modeste campement de solidarité avec Gaza a été établi. Les manifestants ne s’attendaient guère à être accueillis par les autorités universitaires, mais ils ont été choqués lorsque la présidente de l’université, Minouche Shafik, a immédiatement fait appel à la police de New York. C’était la première fois que l’université autorisait la police à réprimer la dissidence sur le campus depuis les célèbres manifestations de 1968 contre la guerre du Viêt Nam.

La décision de Mme Shafik a sans aucun doute été influencée par l’énorme pression exercée sur elle par les principaux donateurs de l’université, dont beaucoup ont des liens étroits avec l’État israélien et son armée.


Bob et Bibi


Robert Kraft

L’homme d’affaires milliardaire et dirigeant sportif Robert Kraft, par exemple, a annoncé publiquement qu’il privait l’université de son généreux financement parce qu’elle n’avait pas su réprimer les manifestations avec suffisamment d’efficacité. « Je suis profondément attristé par la haine virulente qui continue à se développer sur le campus et dans tout notre pays », a-t-il déclaré dans un communiqué, affirmant que Columbia ne protégeait pas ses étudiants juifs.

Le tournant, selon M. Kraft, est arrivé lorsqu’il a regardé un coup de publicité de Shai Davidai, un universitaire israélo-usaméricain de Columbia, qui a prétendu que son accès au campus avait été révoqué. M. Davidai avait auparavant qualifié les étudiants protestataires de “nazis” et de “terroristes” et demandé que la Garde nationale se rende au campement, faisant ainsi indirectement référence au massacre de l’université d’État de Kent.

Kraft est l’un des plus importants donateurs de Columbia. Il a donné à l’institution des millions de dollars, dont 3 millions pour financer le Centre Kraft pour la vie étudiante juive.

Il entretient également des liens étroits avec Israël, où il s’est rendu plus de 100 fois, notamment pour un déjeuner privé avec son ami, le Premier ministre Benjamin Netanyahou, qui a déclaré : « Israël n’a pas d’ami plus loyal que Robert Kraft ».

Netanyahou a raison. Kraft est l’un des principaux bienfaiteurs du lobby israélien, faisant don de millions à des groupes tels que l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC), The Israel Project et StandWithUs. Il s’est engagé à verser la somme énorme de 100 millions de dollars à sa propre Fondation pour la lutte contre l’antisémitisme, un groupe qui accuse les détracteurs de la politique israélienne de racisme antijuif. Il a également financé une multitude de politiciens pro-israéliens dans des élections face à des adversaires progressistes et anti-guerre. Une récente enquête de MintPress News a examiné de plus près la façon dont Kraft est un acteur clé dans la tentative de blanchir l’image d’Israël en Amérique (article ici).


Leon Cooperman

Leon Cooperman est un autre bienfaiteur milliardaire qui a cessé de financer Columbia. Le gestionnaire de fonds spéculatifs a suspendu ses dons en octobre, invoquant le soutien des étudiants à la Palestine. « Ces jeunes sont complètement fous. Ils ne comprennent pas ce qu’ils font ou ce dont ils parlent », a-t-il fulminé, ajoutant qu’ils « doivent être contrôlés ». Une personne qui sait de quoi elle parle sur cette question est le professeur de politique arabe moderne et d’histoire intellectuelle de Columbia, Joseph Massad. Pourtant, Cooperman a exigé que Massad soit licencié après que l’universitaire a pris des positions sur la Palestine qu’il désapprouvait.

Cooperman a une énorme influence à Columbia, précisément parce qu’il est l’une de ses principales sources de revenus. En 2012, par exemple, il a fait don de 25 millions de dollars pour soutenir la construction du nouveau campus de l’université à Manhattanville.

Cependant, Columbia est loin d’être la seule organisation à recevoir de l’argent de Cooperman. Il est également un donateur régulier des Amis des forces de défense israéliennes (FIDF), un groupe qui collecte de l’argent pour acheter des fournitures, des équipements et du soutien pour les soldats israéliens en service actif. En outre, il a été le premier à fournir une dotation à Birthright Israel, une organisation qui propose des voyages de propagande gratuits en Israël pour les jeunes juifs.


Len Blavatnik

L’oligarque d’origine soviétique Len Blavatnik, qui a exigé que les manifestants de l’université « rendent des comptes », est un troisième bailleur de fonds milliardaire qui a utilisé son influence financière pour faire pression sur Columbia. Des messages divulgués révèlent que pour Blavatnik, cela signifiait utiliser tout le poids de la loi contre les manifestants.

M. Blavatnik était membre d’un groupe WhatsApp secret créé en octobre 2023, qui comprenait de nombreuses personnalités usaméricaines, les anciens premiers ministres israéliens Naftali Bennett et Benny Gantz, ainsi que l’ambassadeur d’Israël aux USA, Michael Herzog. Sa mission était, selon ses propres termes, de « changer le récit » en faveur d’Israël et d’ »aider à gagner la guerre » pour l’opinion publique usaméricaine. Il a notamment fait des dons à des candidats politiques pro-israéliens et tenté de faire pression sur des célébrités noires telles qu’Alicia Keys, Jay-Z et LeBron James pour qu’elles « condamnent publiquement l’antisémitisme », c’est-à-dire pour qu’elles fassent l’amalgame entre les manifestants et les racistes.

Blavatnik finance également Birthright et l’association britannique Friends of the Association for the Wellbeing of Israel’s Soldiers et a financé au moins 120 bourses d’études pour d’anciens soldats de Tsahal. Ensemble, Kraft, Cooperman et Blavatnik auraient donné près de 100 millions de dollars à Columbia.


Idan Ofer

À partir de Columbia, les manifestations se sont rapidement propagées dans toute l’USAmérique, y compris dans les institutions les plus prestigieuses du pays, dont Harvard.

Dès le début, l’université s’est montrée activement hostile au mouvement de protestation et a suspendu des dizaines de manifestants, les empêchant ainsi d’obtenir leur diplôme. Cette hostilité est sans doute en partie due au fait que les grands donateurs de l’université se sont retirés en masse depuis le 7 octobre. Le principal d’entre eux est le magnat israélien du transport maritime Idan Ofer, qui a cité ce qu’il a appelé « l’absence de preuves claires du soutien de la direction de l’université au peuple d’Israël » et a exprimé sa consternation quant au fait que l’université du Massachusetts ne condamnait pas le Hamas avec suffisamment de fermeté.

Ofer est un acteur crucial du renseignement israélien. Comme l’a révélé une précédente enquête de MintPress News, les cargos Zodiac Maritime de sa famille ont régulièrement été utilisés pour transporter secrètement des commandos israéliens au Moyen-Orient dans le cadre d’opérations d’assassinat. C’est ainsi que Mahmoud al-Mabhouh, représentant du Hamas, a été tué à Dubaï et Khalil al-Wazir, dirigeant de l’Organisation de libération de la Palestine, en Tunisie.


Leslie Wexner

Leslie Wexner, ancien PDG de Victoria’s Secret, est un autre milliardaire apparemment « stupéfait et écœuré » par les positions pro-Hamas de Harvard. Outre les liens exceptionnellement étroits et très médiatisés de Wexner avec les trafiquants d’enfants et l’agent de renseignement israélien Jeffrey Epstein, Wexner est l’un des principaux donateurs pour les causes israéliennes.

Une liste de 2007 de donateurs politiques potentiels compilée par Benjamin Netanyahou inclut Wexner de manière proéminente. (Le frère d’Ofer, Eyal, Blavtnik et Donald Trump y figurent également). En 2023, Wexner a fait don d’une somme à six chiffres à l’AIPAC, la principale force pro-israélienne dans la politique usaméricaine.


Marc Rowan

Nulle part, cependant, la réaction de l’élite aux manifestations étudiantes n’a été aussi forte qu’à l’université de Pennsylvanie (UPenn). C’est Marc Rowan qui a mené la charge pour supprimer le sentiment pro-palestinien sur le campus. L’investisseur milliardaire a exigé que son camp « fasse payer le prix » aux étudiants qui expriment leur solidarité avec la Palestine. « Ces jeunes qui défilent n’y pensent pas parce qu’il n’y a pas de prix à payer », a-t-il expliqué, suggérant qu’ils ne devraient plus jamais être autorisés à travailler : « Je ne vous embaucherais pas si vous étiez anti-Noirs. Je ne vous embaucherais pas si vous étiez anti-homosexuels. Je ne vous embaucherais pas si vous étiez contre quoi que ce soit. Pourquoi embaucherais-je un antisémite ? », a-t-il déclaré, faisant l’amalgame entre l’antisémitisme et la critique du gouvernement israélien.

M. Rowan s’est fermement opposé à l’organisation par UPenn d’un festival de littérature palestinienne en 2023, exigeant que la présidente de l’université, Liz Magill, et le président du conseil d’administration d’UPenn, Scott Bok, soient licenciés. Après le 7 octobre, M. Rowan et ses alliés ont réussi à les forcer à quitter leur poste.

Rowan a une influence considérable sur son alma mater, principalement en raison de ses poches extraordinairement profondes. En 2018, par exemple, il a fait don de 50 millions de dollars à la Wharton School of Business de Pennsylvanie. Mais à l’instar des bienfaiteurs de Columbia et de Harvard, il est loin d’être un acteur neutre sur la question d’Israël et de la Palestine. En fait, il a des intérêts commerciaux considérables en Israël. Il s’est décrit comme quelqu’un qui a un « engagement fort et massif » envers le pays et qui « se tourne vers les Forces de défense israéliennes et ce que fait Israël » pour se guider.

M. Rowan et d’autres oligarques, Jonathon Jacobson et Ronald Lauder, ont aidé à organiser une grève du financement des universités jusqu’à ce que leurs demandes soient satisfaites. M. Jacobson, qui a affirmé que l’université refusait de défendre les valeurs usaméricaines, est le président de l’Institut des études de sécurité nationale, un groupe de réflexion israélien dont le directeur actuel est l’ancien chef des services de renseignement de Tsahal, Amos Yadlin. Il n’est donc pas surprenant que, pour un homme de ce milieu, il fasse depuis longtemps des dons à des groupes pro-israéliens aux USA.

Lauder, quant à lui, est encore plus lié à l’establishment israélien que Jacobson. Proche confident et partisan de Netanyahou, il a été nommé négociateur d’Israël avec le gouvernement syrien en 1998. Sa présence à un rassemblement « One Jerusalem » devant des extrémistes religieux et nationalistes en 2001 a conduit à un boycott de la marque Estée Lauder dans le monde musulman.

 Collaboration universitaire

Outre la pression exercée par les donateurs, les universités usaméricaines d’élite entretiennent des liens académiques et commerciaux étroits avec Israël. Par exemple, Columbia a annoncé l’année dernière qu’elle ouvrirait un “centre mondial” à Tel Aviv, qui servirait de centre de recherche pour les universitaires et les étudiants de troisième cycle. Cela permettrait à l'université d'étendre ses activités en Israël, où les étudiants peuvent déjà obtenir un diplôme conjoint avec l'université de Tel-Aviv ou étudier à l'étranger à Tel-Aviv ou Jérusalem. Cette évolution ne profitera toutefois qu'aux Israéliens, car les Palestiniens de Cisjordanie, de Gaza et d'ailleurs sont généralement interdits d'entrée en Israël.

Le projet de nouveau centre mondial a suscité de vives critiques de la part des enseignants de Columbia, dont près de 100 ont signé une lettre demandant à l’université de reconsidérer sa décision, compte tenu du bilan d’Israël en matière de droits humains. En outre, ces dernières années, de nombreux universitaires de Columbia se sont vu interdire l’entrée en Israël, probablement en raison de leurs opinions politiques. Il s’agit notamment de Rashid Kalidi, professeur d’études arabes modernes Edward Saïd, et de Katherine M. Franke, professeure de droit, qui a été détenue et interrogée par les autorités israéliennes pendant 14 heures avant d’être expulsée.

Pourtant, en ce qui concerne les établissements d’enseignement usaméricains, la collaboration israélienne de Columbia n’est pas inhabituelle. En 2003, l’université Cornell et le Fonds binational israélo-américain de recherche et de développement agricoles ont mis en place un programme de recherche agricole conjoint. En 2014, la Woodrow Wilson School of Public and International Affairs de l’université de Princeton a annoncé un programme commun avec la Lauder School of Government, Diplomacy and Strategy de l’IDC Herzliya en Israël. (L’école Lauder porte le nom de son fondateur et bienfaiteur, Ronald Lauder, défenseur de longue date de la cause sioniste). L’université de Californie a signé un protocole d’accord avec l’autorité nationale israélienne pour l’innovation technologique afin de renforcer la coopération entre les deux organisations.

Malgré le mouvement croissant appelant au boycott académique des institutions israéliennes, la collaboration intellectuelle entre les universitaires usaméricains et israéliens s’est développée. Entre 2006 et 2015, le nombre d’articles publiés dans des revues universitaires et dont les auteurs étaient des chercheurs affiliés à des universités usaméricaines et israéliennes a augmenté de 45 %.

Cette collaboration s’est surtout manifestée au sein d’institutions d’élite. En tête de liste des écoles, le Massachusetts Institute of Technology (Institut de technologie du Massachusetts, MIT), qui, entre 2006 et 2015, a publié 1 835 articles en collaboration avec des chercheurs d’institutions israéliennes. Le MIT est suivi par l’Université de Californie, Berkeley, Columbia, Harvard et Stanford, respectivement. Les domaines de recherche les plus courants sont la médecine, la physique et l’astronomie, la biochimie et la biologie. L’université de Tel Aviv est le collaborateur israélien le plus fréquent.

La police réprime les manifestations des étudiants propalestiniens sur le campus de l’UCLA, à Los Angeles, le 2 mai 2024. Photo Jae C. Hong | AP

Payés par Israël

Cependant, le financement direct d’établissements d’enseignement usaméricains par le gouvernement israélien est plus controversé que la collaboration universitaire. Le MIT, par exemple, est inondé d’argent israélien. Scientists Against Genocide (Scientifiques contre le génocide), un groupe du MIT, rapporte que, depuis 2015, l’université a reçu plus de 11 millions de dollars de financement autorisé pour la recherche de la part du ministère israélien de la Défense. Cet argent a atteint divers départements, notamment le génie électrique et l’informatique, le génie biologique, la physique, l’aéronautique et l’astronautique, la science et l’ingénierie des matériaux, ainsi que le génie civil et environnemental.

Les laboratoires et centres du MIT qui ont reçu des fonds comprennent le laboratoire des systèmes d’information et de décision, le laboratoire d’informatique et d’intelligence artificielle et le laboratoire de recherche en électronique.

L’argent a servi à financer des recherches qui profitent directement à l’armée israélienne et l’aident dans ses campagnes contre la population civile de Palestine. Par exemple, un projet du MIT financé par Israël depuis 2022 s’intitule « Essaims robotiques autonomes : Coordination et perception distribuées ». Selon Scientists Against Genocide, ces recherches ont aidé Tsahal à effectuer des bombardements aériens par drone, à surveiller les manifestants et à lancer des gaz lacrymogènes sur les Palestiniens. On sait qu’Israël met au point des volées de petits drones autonomes guidés par l’intelligence artificielle pour localiser des cibles, diriger des frappes aériennes et faciliter les avancées militaires.

Dans le cadre d’un autre projet, intitulé « Planning and Sensing Algorithms for Underwater Persistent Monitoring » (Algorithmes de planification et de détection pour la surveillance sous-marine persistante), le ministère israélien de la défense a accordé au MIT 1,5 million de dollars pour développer une technologie destinée à l’aider à surveiller la mer Méditerranée. Scientists Against Genocide a suggéré que cela a aidé Israël à mettre en œuvre un blocus naval contre Gaza, notamment en ciblant les navires de pêche pour empêcher les habitants de Gaza de se nourrir.

Israël a longtemps limité la quantité de nourriture entrant dans la bande de Gaza, maintenant les habitants au « régime ». Toutefois, au cours des sept mois qu’a duré l’assaut contre cette bande de terre densément peuplée, la crise alimentaire a atteint un niveau critique. Les Nations unies ont prévenu que la famine était imminente et leur haut-commissaire aux droits humains, Volker Türk, a suggéré qu’Israël commettait un crime de guerre en utilisant la famine comme arme.

Liens avec le complexe militaro-industriel

On pourrait faire valoir que le MIT peut raisonnablement être accusé d’être directement complice d’un génocide à Gaza. Toutefois, le MIT et d’autres institutions d’élite subissent d’énormes pressions gouvernementales de la part de l’autre camp. Sa présidente, Sally Kornbluth, ainsi que Claudine Gay, présidente de Harvard, et Magill, de Pennsylvanie, ont été traduites devant le Congrès et interrogées sur le soutien présumé de leurs universités au Hamas et sur leur indifférence à l’égard de l’antisémitisme. L’affaire a fait la une des journaux nationaux et a suscité des vagues de pression sur les universités du pays.

Les USA entretiennent bien entendu des relations extrêmement étroites avec Israël, qu’ils utilisent comme avant-poste de leur puissance au Moyen-Orient. Washington a opposéson veto à plusieurs projets de résolutions aux Nations unies qui tentaient de remédier à la situation désastreuse, y compris ceux qui appelaient à un cessez-le-feu et à la création d’un État palestinien à part entière. Les USA fournissent chaque année à Tel-Aviv une aide militaire d’une valeur de près de 4 milliards de dollars et, en avril, le Congrès a voté l’envoi de 17 milliards de dollars supplémentaires provenant de l’argent des contribuables uséricains. Les critiques ont dénoncé cette aide comme étant, au mieux, inutile et, au pire, le soutien à un génocide. Mais le président Biden maintient que chaque centime donné à Israël est de l’argent bien dépensé et a déclaré que si Israël n’existait pas, les USA devraient l’ inventer.

Le soutien usaméricain à Israël n’a pas qu’un coût monétaire. La réputation internationale des USA est en train de sombrer. Un récent sondage montre qu’une majorité de personnes en Asie du Sud-Est choisiraient désormais la Chine plutôt que les USA si elles étaient obligées de choisir, le soutien continu de Washington à Israël étant un facteur essentiel de ce changement. Un certain nombre de fonctionnaires usaméricains ont également démissionné publiquement de leurs fonctions en signe de protestation. Lily Greenberg Call, la première personnalité juive nommée par M. Biden à démissionner publiquement à propos de Gaza, a quitté son poste d’assistante spéciale du chef de cabinet du ministère de l’intérieur. Expliquant sa décision, Lily Greenberg Call a écrit :   

« Le président a le pouvoir d'appeler à un cessez-le-feu durable, de cesser d'envoyer des armes à Israël et de conditionner l'aide. Au cours des huit derniers mois, les États-Unis n'ont pratiquement pas utilisé de moyens de pression pour demander des comptes à Israël, bien au contraire. Nous avons permis et légitimé les actions d'Israël en opposant notre veto aux résolutions de l'ONU destinées à lui demander des comptes. Le président Biden a le sang d'innocents sur les mains.

Les États-Unis ont longtemps permis les crimes de guerre israéliens et le statu quo de l'apartheid et de l'occupation. Ce statu quo n'assure pas la sécurité des Israéliens, ni celle des Juifs du monde entier ».

 Chaque manifestation sur un campus est différente. Mais elles partagent généralement le même objectif : faire pression sur leurs universités pour qu’elles désinvestissent leurs dotations d’Israël et des entreprises liées à l’occupation israélienne en cours. Certains ont appelé à couper les liens académiques avec les universités israéliennes, tandis que d’autres, comme Cornell et Yale, ont demandé à leurs écoles de cesser d’investir dans les entreprises d’armement qui tirent profit de l’effusion de sang.

Ces demandes ont un précédent. Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, une multitude d’institutions usaméricaines ont interrompu leur collaboration avec la Russie presque du jour au lendemain. Plus loin dans le temps, les manifestations étudiantes ont contraint de nombreuses universités usaméricaines à rompre leurs liens financiers avec l’Afrique du Sud de l’apartheid.

Mais Israël et le complexe militaro-industriel sont tellement imbriqués dans l’économie usaméricaine qu’un boycott à grande échelle pourrait s’avérer difficile, surtout si l’on considère les liens étroits qu’entretiennent les universités d’élite usaméricaines avec l’industrie de la défense. Le MIT, par exemple, a conclu des partenariats à long terme avec un grand nombre de fabricants d’armes de premier plan, dont RTX (anciennement Raytheon), Lockheed Martin et Boeing, qui a loué 100 000 mètres carrés d’espace de recherche et de laboratoire dans le nouveau bâtiment à usage mixte du MIT à Kendall Square, à Cambridge (MA).

Alors que les médias ont diabolisé les étudiants en les qualifiant de partisans du terrorisme, ceux-ci jouissent d’un large soutien de la part de leurs pairs. Les étudiants ont approuvé une résolution demandant au MIT de rompre toute recherche et tout lien financier avec l’armée israélienne, 63,7 % des étudiants de premier cycle et 70,5 % des diplômés ayant voté en faveur de cette résolution. Les adultes usaméricains âgés de 18 à 44 ans soutiennent les manifestations nationales dans une proportion de 4:3.

 

Un manifestant est arrêté sur la 34e  rue près du campus de l’université de Pennsylvanie à Philadelphie, le 17 mai 2024. Steven M. Falk | AP

 La répression

Les autorités, cependant, ne sont guère disposées à négocier, et les images de la police anti-émeute vêtue de noir frappant et traînant des étudiants et des membres de la faculté sont devenues virales dans le monde entier.

MintPress s’est entretenu avec Bryce Greene, un étudiant organisateur à l’université d’Indiana Bloomington, qui nous a expliqué comment l’administration a collaboré avec la police pour réprimer le mouvement qui prenait de l’ampleur :

« La nuit précédant l’installation de notre campement, l’administration a modifié les règles de l’espace que nous utilisions et s’en est servie pour lancer un assaut policier de niveau militaire contre des manifestants pacifiques. L’université a autorisé des véhicules blindés, des troupes anti-émeutes, des armes d’assaut, des fusils de chasse, des lance-grenades, un hélicoptère qui tournait au-dessus de nous, un drone de surveillance et même un tireur d’élite sur le toit ».

« Le premier jour, la police militarisée a envahi le camp et arrêté des dizaines de personnes », a déclaré  Greene. Sans se décourager, les manifestants sont revenus deux jours plus tard et ont été accueillis par une force similaire. Greene a été arrêté et s’est vu interdire l’accès au campus pendant cinq ans, ce qu’il attribue à sa longue activité d’organisateur étudiant.

L’histoire de l’Indiana est loin d’être unique. Au MIT, plus de 200 policiers anti-émeute armés ont pris d’assaut le camp de protestation à 4 heures du matin le 11 mai, détruisant le campement et arrêtant les manifestants pacifiques. Harvard a suspendu le comité de solidarité avec la Palestine de l’université et a pris des mesures à l’encontre de certains étudiants. Nombre d’entre eux risquent à présent d’être expulsés de leur logement étudiant, voire d’être expulsés du pays. De son côté, l’université UPenn a bloqué l’accès au campus aux leaders de la contestation. Les étudiants seniors pensent que cela affectera leur capacité à obtenir leur diplôme. Depuis le 22 mai, plus de 3 000 arrestations ont eu lieu dans tout le pays.

Le premier amendement réduit en miettes

Après une attaque surprise du Hamas, Israël a entamé sa campagne de violence à Gaza le 7 octobre. Les bombardements incessants de cette bande de terre exiguë ont fait des dizaines de milliers de morts et entraîné le déplacement de près de 2 millions de personnes dans ce qui constitue le pire épisode de violence génocidaire en Palestine depuis la Nakba de 1948, lorsque trois quarts de million de Palestiniens ont été chassés de chez eux sous la menace des armes pour préparer le terrain à la création d’un État juif. De nombreux organismes internationaux, dont les Nations unies, la Cour pénale internationale et Amnesty International, ont utilisé le terme « génocide » pour qualifier les actions israéliennes à Gaza. Le président Biden a toutefois rejeté cette interprétation et a apporté son soutien total à Israël.

Ce soutien inconditionnel nuit gravement à la cote de M. Biden dans les sondages. Une majorité d’électeurs démocrates considèrent que les actions d’Israël constituent un génocide, et les jeunes USAméricains abandonnent massivement leur soutien à M. Biden.

Ces groupes, en particulier, se tournent vers d’autres sources d’information sur Israël et la Palestine. Les sondages montrent que les jeunes qui s’informent sur TikTok et d’autres médias sociaux (et non à travers le filtre de l’information institutionnelle) sont les plus susceptibles d’avoir une opinion négative des actions d’Israël. La réponse de l’administration Biden a consisté à menacer de fermer complètement TikTok aux USA. Mais il est loin d’être évident que cette mesure autoritaire parviendra à endiguer la vague croissante de solidarité palestinienne qui se développe depuis des années, en partie grâce au travail inlassable des activistes sur les campus à travers le pays.

Bien que les manifestations sur les campus soient majoritairement pacifiques, les autorités ont choisi de les réprimer sévèrement, bafouant au passage le premier amendement. Pourquoi les universités et le gouvernement ont-ils fait preuve d’une tolérance quasi nulle à l’égard de ceux qui protestent contre le génocide ? Tout d’abord, parce que de nombreux bienfaiteurs universitaires très riches sont eux-mêmes des sionistes convaincus et entretiennent des liens étroits avec l’État israélien.

Cela soulève la question de savoir si ces dons soi-disant caritatifs sont si caritatifs que cela. D’une part, les grandes fortunes usaméricaines bénéficient souvent de déductions fiscales pour leurs contributions. D’autre part, cela leur donne un pouvoir excessif pour contrôler les orientations des institutions qu’ils financent. Les riches devraient-ils pouvoir dicter la politique universitaire à des dizaines de milliers de personnes ? Beaucoup diront que c’est profondément antidémocratique.

Comme nous l’avons vu, les universités elles-mêmes ont des liens académiques et même financiers étroits avec l’État d’Israël, ce qui rend les demandes de désinvestissement des étudiants particulièrement sensibles. Tout cela se produit dans un contexte où le gouvernement continue de s’engager à soutenir pleinement Israël et ses objectifs de guerre et a pris des mesures pour réprimer le discours anti-israélien, en essayant de rendre fonctionnellement illégal le fait de s’opposer ouvertement aux politiques expansionnistes d’Israël. Israël est depuis longtemps un troisième rail politique aux USA. Les milliers d’étudiants arrêtés l’apprennent en temps réel.

Alan MacLeod est rédacteur principal pour MintPress News. Après avoir obtenu son doctorat en 2017, il a publié deux livres : Bad News From Venezuela : Twenty Years of Fake News et Misreporting et Propaganda in the Information Age : Still Manufacturing Consent, ainsi qu’un certain nombre d’articles universitaires. Il a également contribué à FAIR.org, The Guardian, Salon, The Grayzone, Jacobin Magazine et Common Dreams.