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12/02/2023

ANNAMARIA RIVERA
Comme Clara Gallini nous manque
Une grande anthropologue à sortir des oubliettes

Annamaria Rivera, Comune-Info, 8/2/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Cet article est paru la première fois sous le titre Clara Gallini, antropologa anche di se stessa e dei gatti [Clara Gallini, anthropologue aussi d’elle-même et des chats], dans Nostos, revue de l’Associazione Internazionale Ernesto de Martino n° 3, dicembre 2018

Bien avant l’anthropologie réflexive proposée par Clifford Geertz et certains courants post-modernistes, pour ainsi dire, l’histoire de la discipline a été traversée par un courant, certes minoritaire, qui inclut et explicite la subjectivité de l’anthropologue et les motifs autobiographiques dans le texte et la structure du discours (dans la narration, si l’on veut le dire avec un terme à la mode dont on abuse).

Pour tous, il convient de citer l’œuvre, aussi illustre que controversée, de Michel Leiris, notamment L’Afrique fantôme, parue en 1934. Dans cet ouvrage, l’auteur réalise une sorte de pratique autobiographique de l’ethnographie. Et il affirme ouvertement que c’est précisément par la subjectivité que l’objectivité peut être atteinte. Leiris ébranle ainsi le postulat épistémologique fondamental de l’ancienne démarche scientifique (ou peut-être devrait-on dire scientiste, héritière du positivisme) : celle qui obligeait à cacher le sujet de l’énoncé derrière l’objet de l’énoncé.  Et qui aspirait à la neutralité par le biais d’un texte qui ne se confondait jamais avec le personnel et le subjectif.


 De cette obligation, Clara Gallini s’est souvent moquée, notamment dans certaines de ses œuvres, obtenant néanmoins d’excellents résultats. Je ne fais pas seulement référence à son dernier ouvrage courageux, Incidenti di percorso. Anthropologia di una malattia [Accidents de parcours, anthropologie d’une maladie](Nottetempo, Rome 2016). Ses autres écrits sont également parsemés d’indices autobiographiques, qui n’enlèvent rien à leur valeur anthropologique et, au contraire, rendent son écriture et son style originaux et captivants.

Notamment parce que, lorsqu’elle raconte son histoire avec l’ironie et l’auto-ironie qui lui sont coutumières, elle ne concède rien au narcissisme ; au contraire, elle devient en quelque sorte une anthropologue d’elle-même, pour employer une expression paradoxale.

Elle l’a même fait dans le texte d’un rapport sur Gramsci, préparé pour le Festival dell’Etnografia de Nuoro, qui a eu lieu du 23 au 26 juin 2007. Je le cite, ce document, également parce qu’il m’est particulièrement cher, ayant été précédé d’une dense discussion en ligne entre certains de mes collègues, dont moi-même. Même dans ce texte, Clara parle d’elle ici et là, et d’une manière qui n’est pas du tout suffisante. Comme dans ce passage :

Mes recherches en Sardaigne m’avaient déjà confrontée à l’évidence d’institutions culturelles - par exemple, des festivals, des fêtes foraines - qui se présentaient comme “populaires”, mais qui étaient en fait interclassistes. Ce qui m’a posé pas mal de questions, précisément dans ces années où le “populaire” était trop souvent essentialisé, idéologisé et non étudié comme une production culturelle très complexe.

En parlant d’indices autobiographiques, on pourrait citer de nombreux autres exemples. Je ne m’attarderai que sur deux d’entre eux : Incidenti di percorso, déjà mentionné, et le court essai Divagazioni gattesche  (Divagations cataires, ou chattesques, NdT], contenu dans un recueil de 1991, Tra uomo e animale. Édité par Ernesta Cerulli et publié par la maison d’édition Dedalo (Bari), il rassemble les contributions d’anthropologues illustres : de Bernardi à Cerulli elle-même, de Faldini à Grottanelli, de Lanternari à Tullio Altan.

La raison pour laquelle j’ai choisi Incidenti di percorso comme exemple est assez évidente. Par son écriture lucide et courageuse, Clara démontre ici sa capacité singulière à devenir une véritable observatrice participante d’elle-même et de sa maladie, ainsi que du contexte humain, social, sanitaire et symbolique dans lequel elle était plongée depuis qu’elle était gravement malade.

Paul Klee, Chat et oiseau, 1928. MOMA, New-York

Je m’attarderai également sur Divagazioni gattesche, non seulement parce qu’il est dense en indices autobiographiques, mais aussi parce que le sujet me tient particulièrement à cœur : entre autres, j’ai longtemps partagé une ailurophilie [amour des chats, NdT] prononcée avec Clara. L’un de mes livres les plus récents s’intitule La città dei gatti [La Cité des chats]. Et il s’agit, comme l’indique le sous-titre, d’une anthropologie animaliste (l’oxymore est intentionnel) d’Essaouira, une ville du sud-ouest du Maroc.

Mais il y a une autre raison qui m’incite à mentionner Divagazioni gattesche : le recueil contenant la contribution de Clara date de vingt-sept ans, alors que l’animalisme et l’antispécisme étaient encore pratiquement inconnus en Italie. Pourtant, elle se distingue, parmi d’autres auteurs, par son approche animaliste et, pourrait-on oser, même antispéciste, s’il est vrai qu’elle évoque même l’historicité du concept d’espèce lui-même (ibid. : 102). En même temps, elle se vante, avec son ironie habituelle, de son “observation participante de longue date, à la manière d’un chat, des intrigues historiques qui tissent le grand savoir des anthropologues” (ibid. : 100) et déplore qu’il n’y ait pas d’anthropologie qui montre comment le chat, comme le veau des Nuer, peut servir (comme il le faisait dans un passé lointain) à penser le monde (ibid. : 101).

 Pour en revenir à Incidenti di percorso, il convient de dire qu’en réalité, cette œuvre n’est pas seulement « le récit d’un voyage dans un corps malade » (ibid. : 11), pour reprendre ses mots, mais aussi une véritable autobiographie. Clara, en effet, raconte son histoire à partir de son enfance, avec un récit teinté d’une ironie légèrement mélancolique - comme je l’ai dit, un de ses traits de caractère - et pas du tout complaisant.

 Par exemple, elle ne cache pas du tout ses faiblesses ou la rigidité éducative d’une famille bourgeoise et consciente de sa classe, qui était également complaisante envers le régime de Mussolini. Elle admet également avoir connu Marx et Gramsci « avec un certain retard " »et seulement grâce à son déménagement à Cagliari, sur l’invitation d’Ernesto de Martino en 1959. À l’époque, écrit-elle, elle n’avait lu que Le monde magique, de Martino. « Je n’y comprenais rien », avoue-t-elle honnêtement, si ce n’est qu’« il y avait là quelque chose de fort, de perturbateur, une pensée vivante et active, qui combinait nos vies avec celles des autres » (ibid. : 245).

Comme on le sait, sa formation anthropologique s’est déroulée là-bas, au contact de de Martino et dans cette université qui «  fut pendant quelques années un heureux îlot de savoir «  : s’y rassemblait une intelligentsia, composée principalement de savants provenant de diverses parties du continent, qui était « considérée comme communiste « (ibid. : 251).

« Quand on est vieux et triste, écrit-elle encore dans son œuvre ultime, on reste seul et les relations se réduisent à celles que nous avons avec notre corps et nos différents médecins « (ibid. : 58). En réalité, Clara n’a jamais été seule, pas même pendant la période la plus pénible de sa longue maladie. Elle ne l’a pas été grâce à la présence habituelle de sa chatte Mirina, son interlocutrice depuis vingt ans, mais aussi de celle qui l’a assistée dans ses derniers jours avec le plus grand soin et le plus grand dévouement : une femme d’origine péruvienne, « très vive et très attentive aux choses « (ibid. : 277), qu’elle mentionne à plusieurs reprises dans son œuvre ultime, sous le pseudonyme d’Abilia, lui dédiant même le dernier chapitre.

11/02/2023

GIDEON LEVY
Ce manifestant palestinien ne mettait personne en danger : la police israélienne l'a abattu
Youssef Muhaisen a vécu chik chak, et il est mort chik chak

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 11/2/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Youssef Muhaisen a été tué deux jours avant son 23e  anniversaire lors d'une manifestation près de Jérusalem.

Yahya Muhaisen, le père endeuillé, avec sa petite-fille cette semaine.

 Le clip vidéo : un groupe d'une douzaine de jeunes portant des sweats à capuche noirs est éparpillé dans la rue, la plupart s'abritant derrière une benne à ordures calcinée sur laquelle ils ont placé un lanceur improvisé de pétards. Des lumières clignotantes et des bruits d'explosifs. Trois autres jeunes hommes se tiennent sur le côté, lançant des pierres. À distance, et hors du cadre, se trouve un autre groupe de jeunes gens d'à peu près le même âge - des agents de la police des frontières, au nombre d'une dizaine, armés et blindés de la tête aux pieds. Ils tirent des balles réelles sur le premier groupe ; on peut entendre les coups de feu.

Amer Aruri, chercheur sur le terrain pour l'organisation israélienne de défense des droits humains B'Tselem, a mesuré la distance entre les policiers et les jeunes Palestiniens : 90 mètres. Aucun pétard n'a touché les policiers, ni aucune pierre, dit-il. Selon l'enquête d'Aruri, les jeunes hommes ont tiré 14 pétards et les officiers ont tiré sept balles réelles sur eux. Pétards contre balles : c'est toute l'histoire.

Quelques heures à peine après le massacre de Jénine, le 26 janvier, au cours duquel dix Palestiniens, dont une femme de 60 ans, ont été tués par les forces de sécurité israéliennes, toute la Cisjordanie est en ébullition. Des jeunes d'A-Ram, situé entre Jérusalem et Ramallah, sont également venus protester, à l'entrée de leur ville. Ils ont traîné la benne à ordures sur place, l'utilisant comme une barricade, près d'un magasin appelé le Royaume du tabac.


Une vidéo montrant Youssef Muhaisen en train d'être abattu

Une unité de la police aux frontières, dépêchée depuis une base voisine, leur fait face, à des dizaines de mètres de distance, et ouvre le feu : d'abord avec des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc, puis avec des balles réelles. Soudain, l'un des lanceurs de pierres s'est effondré près de la benne à ordures, apparemment touché à l'abdomen par la balle d'un policier. Le groupe a battu en retraite, portant le blessé jusqu'à une voiture garée à proximité. Puis une deuxième personne est tombée au sol. Youssef Muhaisen. En criant, le groupe s'est précipité pour le ramasser lui aussi et l'a transporté dans la même voiture, qui est partie en trombe.

Muhaisen a succombé à ses blessures ; l'autre homme était toujours soigné à l'hôpital du gouvernement palestinien à Ramallah, en début de semaine.

A-Ram est l'un des endroits qui a le plus souffert de la construction de la maudite barrière de séparation, qui a commencé il y a une vingtaine d'années. L'immense mur de ciment a coupé la ville en deux, laissant une partie de celle-ci à Jérusalem et le reste en Cisjordanie. Même la rue principale de la ville a été coupée en deux. Le résultat : d'une banlieue de Jérusalem, A-Ram est devenu un bidonville dont la misère crie vers le ciel à chaque coin de rue. Du haut de la petite montagne sur laquelle il est implanté, on peut voir une partie de la barrière de séparation qui serpente dans la vallée en contrebas. Une vue particulièrement bizarre est celle d'une habitation abandonnée près du mur, devenue une maison hantée - abandonnée comme toute la vallée escarpée et spectaculaire où les gens faisaient autrefois des randonnées. Personne n'ose plus s'en approcher.


Le Mur d’apartheid, serpentant à travers la ville d'A-Ram, laissant une partie de celle-ci à Jérusalem et le reste en Cisjordanie.

10/02/2023

Ada Colau annonce que la mairie de Barcelone suspend ses relations avec Israël

La mairesse précise que cela inclut la suspension de l’accord de jumelage avec Tel-Aviv signé en 1998.

 

Maria Ortega et Elena Freixa , ARA, 9/2/2023

 Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

 

Barcelone - Cinq ans après avoir signé son accord de jumelage avec la ville israélienne de Tel-Aviv, la mairie de Barcelone a décidé qu’il était temps d’arrêter. La mairesse Ada Colau a annoncé cette décision, ainsi que la suspension temporaire de toutes les relations entre la ville et l’État d’Israël. Elle a déjà envoyé une lettre au premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, dans laquelle elle l’informe de cette mesure en répudiation de la politique de “persécution” et d’“apartheid” envers le peuple palestinien. Quelques heures plus tard, le ministère israélien des Affaires étrangères a réagi : le porte-parole du ministère, Lior Haiat, a déclaré que la décision de Colau « est un renforcement pour les extrémistes, les groupes terroristes et les antisémites ».

"Suite à l'appel de 100 organisations et de plus de 4 000 citoyens de Barcelone exigeant la défense des droits humains des Palestiniens et en ma qualité de maire, j'ai informé par courrier le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, de ma décision de suspendre toute relation institutionnelle entre Barcelone et Tel-Aviv." (Ada Colau, 8/2/2023)

Cette mesure, temporaire, selon la mairesse, relève le gant de l’initiative citoyenne qui, depuis des mois, se mobilise pour demander l’annulation de l’accord d’amitié et de coopération que le maire Joan Clos avait signé en 1998 avec Tel-Aviv et Gaza. Il a été scellé dans le cadre des accords d’Oslo, le processus de paix qui avait débuté quelques années plus tôt. Et le mouvement citoyen, qui a rassemblé 108 organisations et a reçu l’aval du syndic de Barcelone, David Bondia, considère que le contexte actuel n’est plus le même qu’à l’époque de la poignée de main entre Yitzhak Rabin et Yasser Arafat, et qu’il est devenu évident que le processus de paix n’a pas fonctionné. Pour cette raison, la mairie demande la révocation de cet accord et la rupture des relations institutionnelles avec l’État d’Israël. Finalement, la demande ne passera pas par une séance plénière, comme ces organisations s’y attendaient, mais la maire elle-même a choisi de suspendre l’accord.

 

« Il s’agit d’une mesure contre la politique d’un gouvernement, pas contre une communauté, un peuple ou une religion », a insisté Colau lors d’une apparition avec l’adjointe chargée de la justice globale, Laura Pérez, et les organisations à l’origine de l’initiative, qui ont recueilli les 3 750 signatures nécessaires pour que cette question soit inscrite à l’ordre du jour de la session plénière de février. Une étape qui ne sera plus nécessaire. Il n’y aura plus de débat. Si Clos a décidé en tant que maire de le signer sans que la question soit soumise à la plénière, Colau choisira de le suspendre, comme le syndic de la ville lui a recommandé de le faire. Et comme ses partenaires gouvernementaux, le PSC [Parti des socialistes de Catalogne, branche régionale du PSOE], l’ont déjà sévèrement critiquée, ils se sont empressés de faire savoir qu’ils y sont totalement opposés et qu’ils présenteront une initiative en séance plénière pour demander le rétablissement des relations aujourd’hui rompues.


Selon la mairesse-adjointe Laia Bonet (PSC), ce que Colau a fait est une « erreur très grave » et elle l’accuse d’avoir agi "unilatéralement" après avoir été “certaine” que la proposition de rompre le jumelage aurait été rejetée en séance plénière. En fait, seuls les votes des Comuns [membres de Barcelona en Comú, le parti de Colau] étaient garantis. Le reste des forces avait soit fait savoir qu’elles étaient contre, soit n’avaient pas encore pris position. « En tant que capitale de la Méditerranée, nous nous asseyons pour parler avec toutes les villes et l’Union pour la Méditerranée inclut à la fois Israël et la Palestine », a déclaré Mme Bonet. Le candidat de Junts [parti de Carles Puigdemont], Xavier Trias, a lui aussi sévèrement critiqué la décision : « C’est une grave erreur », a-t-il déclaré, et il a appelé à une Barcelone qui fonctionne « sans sectarisme » et « engagée dans le dialogue et la compréhension ».

Un accord “caduque”

Ce que les organisations promouvant l’initiative Barcelona con el apartheid no n’ont pas demandé au gouvernement municipal, c’est de renforcer la coopération avec les organisations palestiniennes et internationales, y compris israéliennes, qui travaillent pour mettre fin à la violation des droits humains de la population palestinienne, et d’entamer le processus de suspension des relations institutionnelles avec l’État d’Israël. La première étape, soulignent-ils, est de rompre un accord de jumelage qu’ils considèrent comme “caduque” et qui, selon eux, contredit les avertissements d’organisations telles qu’Amnesty International et Human Rights Watch (HRW) concernant les “crimes d’apartheid” commis par l’État d’Israël. Ils affirment qu’Israël a imposé un « système de discrimination et de fragmentation de la terre et de la population palestiniennes » et que la mairie de Barcelone elle-même admet qu’il n’a pas été possible de mener à bien la collaboration entre les territoires qui avait été convenue en 1998.

 

L’initiative a été promue par des organisations telles que La Fede [cartel de 125 ONG], la Comunitat Palestina de Catalunya, l’Associació Catalana de Jueus i Palestins Junts [Juifs et Palestiniens Unis] et la coalition Prou Complicitat amb Israel [Assez de complicité avec Israël], et bénéficie du soutien de syndicats tels que l’UGT et les Commissions Ouvrières et de mouvements tels que le Sindicat de Llogateres [locataires]  et Aigua és Vida [L’eau c’est la vie], entre autres. Au niveau politique, le mouvement a reçu le soutien de Barcelona en Comú et de la CUP [Candidature d’Unité Populaire, indépendantistes] (qui n’est désormais plus représentée au conseil municipal). Si elle avait été discutée en plénière, elle aurait été la première initiative de ce type à répondre aux exigences du nouveau règlement sur la participation municipale. Et il aurait fallu qu’elle soit approuvée par un groupe politique autre que Barcelona en Comú.

GIDEON LEVY
La vague de protestation en Israël ne concerne pas la démocratie : c’est une guerre de classe

Gideon Levy, Haaretz, 9/2/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

En fin de compte, c’est une guerre de classe. La lutte pour la démocratie sert de toile de fond, de manteau respectable en termes de principe et d’idéologie. Mais la véritable bataille est interclasses et interculturelle. La guerre tourne supposément autour de la nature du régime en Israël, entre deux camps qui prétendent être les vrais démocrates. Aucun d’eux ne l’est. Les partisans du coup d’État constitutionnel prétendent qu’il mènera à la démocratie, qui à leurs yeux est la tyrannie de la majorité (qui n’est pas la démocratie).

Manifestants à Tel Aviv samedi dernier contre les projets du nouveau gouvernement visant à affaiblir le système judiciaire. Photo : Corinna Kern/Reuters

Ses opposants affirment avec la même passion que ce plan détruira la démocratie, même si celle-ci ne peut absolument pas exister dans un État d’apartheid. Aucun des deux camps ne compte de véritables démocrates. Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, qui est certainement aussi motivé par sa colère contre le système judiciaire et sa tentative d’échapper à son procès, le ministre de la Justice Yariv Levin et Simcha Rothman, président de la commission de la Constitution, des lois et de la justice de la Knesset, ne sont pas des démocrates, ce sont des ennemis de la démocratie.

Mais les organisateurs de la manifestation de protestation ironique du Shabbat à Efrat ne sont pas non plus des démocrates. Le changement de régime proposé est un désastre, il annonce le fascisme, mais la guerre contre ce dernier ne concerne pas la démocratie, vu que la plupart de ceux qui la mènent ne sont pas des démocrates. Un démocrate se battrait pour la démocratie pour tous dans son pays. La plupart des héros de l’opposition actuelle ne se sont jamais intéressés à l’état de la démocratie à une heure de route de chez eux, c’est pourquoi il est difficile de les considérer comme des démocrates.

Ceux qui sont en train de provoquer le coup d’État ne sont certainement pas intéressés par la démocratie. Pour eux, ce n’est qu’un moyen de combattre l’ordre ancien, de punir et de se venger des classes et de la culture qui ont déterminé la conduite d’Israël depuis sa création. La guerre actuelle est donc menée pour quelque chose de plus profond que le régime : l’ordre social.

Les opposants au coup d’État du régime sont l’ancienne élite, même si cela ne sonne pas bien. Les enseignants, les architectes, les psychiatres, les généraux, les écologistes, les gens de la haute technologie, les économistes, les juristes et, bien sûr, Aharon Barak [ancien président de la Cour suprême de 1995 à 2006, NdT] et Ehud Barak. Ils sont tous issus d’une classe très spécifique de la société israélienne. En face d’eux se dresse la nouvelle élite, qui tente de se frayer brutalement un chemin vers le centre de la scène, après de longues années au sein d’un gouvernement qui n’y est pas parvenu.

C’est pour cela qu’ils se battent, pour faire reconnaître qu’ils sont une élite. Ils veulent une clause de dérogation judiciaire et une composition différente pour le comité de nomination des juges afin que ce soit eux qui décident qui seront les juges, afin que les juges soient comme eux, à leur image. Au passage, ils veulent éliminer tout contrôle juridique du gouvernement - un coup mortel pour la démocratie, mais cela est également dû à ce qu’ils considèrent comme la composition déformée de la Cour.

Si l’avocat Zion Amir était le président de la Cour suprême, il est douteux qu’ils s’attaquent au contrôle constitutionnel ou qu’ils modifient la composition du comité de nomination des juges. Les opposants ne veulent pas changer la composition du comité pour la même raison : Ils veulent que les juges continuent à être à leur image.

Peu de gens savent si la présidente de la Cour suprême Esther Hayut est une juriste importante et si elle est vraiment meilleure qu’un candidat que les politiciens de droite parachuteraient. Mais elle est l’une des nôtres. Peu importe que la Cour ait trahi son rôle pendant des années et n’ait pas surveillé les autorités qui ont commis des crimes de guerre. D’autre part, personne n’a menacé de déclencher une guerre civile, ni d’utiliser des armes à feu.

La guerre de classe est menée par des personnes qui sont également issues de l’ancienne élite. Netanyahou, Levin et Rothman n’ont pas grandi à Hatzor Haglilit [ville de Haute-Galilée habitée par des mizrahim, NdT], mais ils ont réussi à être considérés comme la voix fidèle et authentique des classes inférieures. Vous ne les convaincrez pas qu’ils ont tort. Leur amour pour Netanyahou n’est pas quelque chose qui peut être facilement changé. Il est beaucoup plus facile de lutter contre le coup d’État légal si nous acceptons les courants profonds qui le motivent.

La moitié d’Israël se sent exclue. Quelqu’un a réussi à les convaincre que la réforme est l’espoir d’un changement de son statut, que la nouvelle Knesset d’Israël, assemblage assez embarrassant de dignitaires, est sa représentante, et qu’il faut lui donner tous les pouvoirs : que c’est ça la démocratie. Il n’y a pas de mensonge plus dangereux, mais pour pouvoir le neutraliser, il faut commencer par comprendre ses motivations.

 

09/02/2023

CRISTINA MARTÍNEZ
Première visite en quatre ans à Mohamed Lamine Haddi, prisonnier politique sahraoui.

Cristina Martínez, Mouvement pour les prisonniers politiques sahraouis (MPPS), 8-2-2023

Mohamed Lamine Haddi, un prisonnier politique du groupe de Gdeim Izik, a été condamné par le Maroc à 25 ans de prison lors d'un procès entaché d'irrégularités de procédure.


Outre les tortures avant le procès, Mohamed Lamine souffre de conditions de détention dramatiques. Il est placé à l'isolement depuis septembre 2017. Il ne reçoit pas de soins médicaux malgré ses multiples affections, même lorsqu'il a organisé, entre autres, deux impressionnantes grèves de la faim de 69 et 63 jours au cours de la même année 2021. Pas même à ces moments-là, on n'a permis à sa famille de lui rendre visite : elle avait parcouru 1 300 km pour savoir s'il était vivant ou mort, car ils ne pouvaient pas communiquer avec lui et n'avaient aucune nouvelle.

Hier, le 7 février, il a reçu sa première visite en quatre ans. Son frère Mohamed Ali lui a rendu visite et ne l'a pas reconnu, tant son apparence s'est dégradée. Il est très maigre, ses traits et sa structure physique ont changé. Son état d'esprit est aussi malade que son corps.

La visite a duré moins de quinze minutes. Le frère a voyagé d'El Ayoun à la tristement célèbre prison de Tiflet 2, pour n'avoir le droit de le voir qu'un quart d'heure après quatre ans. Pendant ce temps, Mohamed Lamine toussait, il avait l'air malade. Il n'avait pas le droit à une assistance médicale, ni à ce moment-là ni jamais.

Après la première grande grève de la faim qui s'est terminée le 22 mars 2021, il a souffert d'une « paralysie partielle du côté gauche, de tremblements dans les jambes, de la sensation d'avoir une pierre dans la main gauche, de pertes de mémoire et de douleurs sévères à l'estomac et aux reins ». Tout cela n'a pas été traité et n'a pas été soigné, et la grève de la faim a entraîné des complications qui l'accompagnent toujours, telles que, comme la famille continue de l'énumérer, « l'énurésie, des brûlures d'estomac, le syndrome du côlon irritable, des vomissements et des nausées en raison de la pourriture de la cellule, de la toilette à côté de laquelle où il dort, et de graves douleurs à la tête et aux articulations dues à la torture, ainsi qu'une mauvaise vision de l'œil gauche en raison du coup qu'il a reçu le 15 mars 2022. Il a très mal à l'oreille gauche, d'où sort du pus ». Une fois encore, l'administration pénitentiaire lui refuse la visite du médecin.

Son frère lui a apporté des livres, des stylos et du miel, mais les gardiens de la prison ne lui ont pas permis de les lui remettre.

Les photos que nous avons de Mohamed Lamine datent de plus de 12 ans. Ce jeune homme beau, souriant, courageux, correspondant radio de la RASD, amoureux de la vie et de la cause sahraouie, n'existe plus. À sa place se trouve un homme malade, âgé, déformé et rongé par la torture, les grèves, la maladie, la solitude et le désespoir. La souffrance de 12 ans s'est matérialisée dans un corps dégradé.

Des souffrances qui ont été gravées sur tous les membres de la famille. Parmi eux, la mère, Munina, qui est allée le voir et s'est retrouvée en détention, et qui a propagé la cause de Mohamed Lamine jusqu'à ce que son autre fils, Ahmed, soit emprisonné pour acheter le silence de la famille ; la sœur, Tfarah, qui a fait trois fausses couches, dont deux lorsque Mohamed Lamine a fait deux grèves de la faim. L'horreur d'une grève de la faim de 69 jours et d'une autre de 63 jours est insupportable, inimaginable. D'autant plus pour la famille qui ne pouvait ni le voir ni lui parler, qui n'avait aucune nouvelle, qui ne savait pas s'il était vivant ou mort. Le troisième avortement a eu lieu lorsque son frère Ahmed a été arrêté.

La violation des droits humains par le Maroc vient d'être condamnée par l'Union européenne (avec quelques exceptions déshonorantes : le PSOE a voté contre, le PP s'est abstenu). Plus précisément, la cruauté du Maroc envers les prisonniers politiques sahraouis est notoire, mais il est nécessaire de personnaliser l'histoire de la torture pour découvrir la véritable dimension de la cruauté du Maroc envers les innocents et sans défense. Le cas de Mohamed Lamine Haddi est significatif.

Dans deux semaines, cela fera cinq ans que Mohamed El Ayoubi, un autre prisonnier de Gdeim Izik, est décédé, le 21 février 2018, des séquelles des tortures et des négligences médicales qu'il avait subies en prison. Sa mort n'a servi à rien. Personne n'a pris de mesures pour s'assurer que cela ne se reproduise pas.

 

CRISTINA MARTiNEZ
Primera visita en cuatro años a Mohamed Lamine Haddi, preso político saharaui

Cristina Martínez, Movimiento por los Presos Políticos Saharauis (MPPS),  8-2-2023

Mohamed Lamine Haddi, preso político del grupo de Gdeim Izik, fue sentenciado por Marruecos a 25 años de prisión en un juicio plagado de irregularidades procesales.

Aparte de las torturas previas al juicio, Mohamed Lamine sufre unas condiciones carcelarias dramáticas. Desde septiembre de 2017 está en aislamiento. No recibe atención médica a pesar de sus múltiples dolencias ni siquiera cuando protagonizó, entre otras, dos huelgas de hambre impresionantes de 69 y 63 días en el mismo año de 2021. Tampoco en esos momentos permitieron la visita de la familia que se había desplazado 1.300 km para saber si estaba vivo o muerto porque no podían comunicarse con él ni tenían noticias.

Ayer, 7 de febrero, recibió la primera visita después de 4 años. Le ha visitado su hermano Mohamed Alí y no le ha reconocido, tanto se ha deteriorado su aspecto. Está muy delgado, le han cambiado los rasgos y la estructura física. Su estado de ánimo está tan enfermo como su cuerpo.

Menos de quince minutos duró la visita. El hermano viajó desde El Aaiún hasta la infame cárcel de Tiflet 2, para que sólo le permitieran estar un cuarto de hora con él tras cuatro años. Durante ese tiempo Mohamed Lamine estuvo tosiendo; se le veía enfermo. Sin derecho a asistencia médica, ni en esos momentos ni nunca.

Tras la primera gran huelga de hambre que terminó el 22 de marzo de 2021, sufría de “parálisis parcial en el lado izquierdo, temblores en las piernas, sensación de tener una piedra en la mano izquierda, pérdida de la memoria y dolor severo en el estómago y los riñones”. Todo esto no se trató ni se curó, y la huelga de hambre resultó en complicaciones que todavía lo acompañan, como, según sigue enumerando la familia, “enuresis, acidez estomacal, síndrome del intestino irritable, vómitos y nauseas como resultado de la podredumbre de la celda, que es un retrete junto al que duerme, y fuertes dolores en la cabeza y articulaciones producto de las torturas, así como mala visión en el ojo izquierdo por el golpe que recibió el 15 de marzo de 2022. Le duele mucho el oído izquierdo de donde sale pus”. También en este caso la administración penitenciaria le niega una visita del médico.

El hermano le llevaba libros, bolígrafos y miel, pero los carceleros no permitieron su entrega.

Las fotos que tenemos de Mohamed Lamine son de hace más de 12 años. Ese joven guapo, sonriente, valiente, corresponsal de radio de la RASD, enamorado de la vida y de la causa saharaui, ya no existe. En su lugar hay un enfermo avejentado, deformado y consumido por la tortura, las huelgas, la enfermedad, la soledad, la falta de esperanza. El sufrimiento de 12 años materializado en un cuerpo degradado.

Sufrimiento que se ha venido clavando en todos los miembros de la familia. Entre ellos, la madre, Munina, que le fue a visitar y acabó detenida, y que difundió con ahínco la causa de Mohamed Lamine hasta que encarcelaron a su otro hijo, Ahmed, para comprar el silencio de la familia; la hermana, Tfarah, que lleva tres abortos espontáneos, dos ocurridos cuando Mohamed Lamine entró dos veces en huelga de hambre. El horror de una huelga de hambre de 69 días y de otra de 63 es algo inasumible, inimaginable. Tanto más para la familia que no podía ni verle ni hablarle ni tenía noticias, que no sabía si estaba vivo o muerto. El tercer aborto sucedió cuando arrestaron a su hermano Ahmed.

La vulneración de los derechos humanos por Marruecos acaba de ser reprobada por el Parlamento Europeo (con algunas deshonrosas excepciones: el PSOE se opuso, el PP se abstuvo). Más concretamente, es notorio el ensañamiento de Marruecos con los presos políticos saharauis, pero es preciso personalizar el relato de la tortura para descubrir la verdadera dimensión de la crueldad de Marruecos con los inocentes e indefensos. El caso de Mohamed Lamine Haddi es significativo.

Dentro de dos semanas se cumplirán 5 años del fallecimiento, un 21 de febrero de 2018, de Mohamed El Ayoubi, otro preso de Gdeim Izik, por las secuelas de las torturas y la negligencia médica que había padecido en la cárcel. Su muerte no sirvió de nada. Nadie ha tomado medidas para que esto no se repita.