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30/04/2023

GIDEON LLEVY
A Jénine, de nouvelles tombes sont prêtes pour la prochaine incursion de l’armée israélienne

Gideon Levy et Alex Levac (photos), Haaretz, 29/4/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Le camp de réfugiés de Jénine s’est transformé en une véritable forteresse : des chevaux de frise en acier à chaque coin de rue, des caméras de sécurité, la surveillance de tout étranger qui ose entrer, des centaines d’hommes armés qui se préparent à la prochaine incursion de l’armée. Et le sang va couler.

Le cimetière du camp de réfugiés de Jénine, avec les photos de ceux qui sont tombés récemment, affichées sur les murs

 

Dans le camp de réfugiés de Jénine, trois tombes à ciel ouvert attendent les prochains habitants tués par les forces de défense israéliennes. Ici, les tombes sont creusées à l’avance et, malheureusement, elles ne restent pas vides très longtemps. Près de 50 combattants armés et autres ont été tués ici au cours de l’année écoulée par des soldats israéliens. Le camp, situé dans le nord de la Cisjordanie, traverse sa période la plus difficile et la plus violente depuis la seconde Intifada, il y a une vingtaine d’années.

 

Le cimetière regorge de tombes - c’est déjà la troisième nouvelle section créée depuis l’Intifada et la plupart des tombes sont occupées. À la fin de la semaine dernière, le premier matin de la fête de l’Aïd El Fitr marquant la fin du mois sacré du Ramadan, comme le veut la coutume, l’endroit était animé par des milliers de personnes, des familles endeuillées et des amis des morts, dans le camp le plus militant des territoires occupés.

 

Pour ceux qui cherchent une autre similitude entre nous et eux : comme lors du Jour du Souvenir en Israël, lors de cette importante fête musulmane, des familles ne se sont pas rendues sur la dernière demeure de leurs proches en raison de la présence de politiciens - dans ce cas, de l’Autorité palestinienne - qui n’osent normalement pas entrer dans le camp. Pour protester contre la présence des politiciens, les familles se sont rendues au cimetière de Jénine la veille de la fête ou ont attendu qu’elle soit terminée.

 

Le dernier jour de l’Aïd El Fitr, lundi dernier, une mère endeuillée a arrosé les fleurs sur la tombe fraîchement creusée de son fils à l’aide d’un arrosoir en plastique. Les parents à qui nous avons parlé ont évoqué leurs fils avec un mélange de douleur et de fierté. Comme en Israël.

 

 

Une mère endeuillée au cimetière de Jénine

 

D’un point de vue visuel, le cimetière est à couper le souffle. D’immenses photographies aux couleurs vives des derniers chouhada (martyrs) du camp sont accrochées tout le long de la clôture extérieure, tandis que d’autres portraits s’affichent sur les nouvelles tombes. Les tombes des combattants, issus de toutes sortes de groupes militants, se ressemblent et sont mieux entretenues que les autres. De petits parterres de fleurs entourent chaque tombe, comme dans nos cimetières militaires. Les trois tombes ouvertes rendent la scène encore plus obsédante.

 

Au coin de la rue, à l’extérieur, des photographies grand format marquent le mémorial improvisé où la journaliste d’Al Jazeera, Shireen Abu Akleh, a été le 11 mai dernier - probablement par les forces de défense israéliennes, selon les enquêtes menées par les principaux médias internationaux et les groupes de défense des droits humains. Une fumée blanche s’élève des tas d’ordures en feu autour de l’endroit où elle est tombée.

 

Ce cimetière, situé à la périphérie du camp, raconte l’histoire des morts. Une visite au cœur du camp révèle l’étonnante histoire des vivants.

 

Nos hôtes ont d’abord eu peur de nous emmener au cimetière, puis ont transigé en nous permettant de l’apercevoir depuis la fenêtre de la voiture. Finalement, ils nous ont permis de sortir pour prendre une photo, mais nous ont demandé de revenir rapidement et de disparaître derrière les vitres sombres de leur SUV Toyota dernier modèle, une voiture volée dont les plaques d’immatriculation ont été arrachées, qui s’est élancée dans les allées du camp. Notre chauffeur portait un fusil M16 en bandoulière et des chargeurs de munitions étaient coincés dans la pochette de la banquette arrière. Bienvenue dans le camp de réfugiés de Jénine.

 

Chevaux de frise à Jénine cette semaine

 

Lors de nos précédentes visites, nous ne nous étions jamais sentis aussi menacés ; nos hôtes n’avaient jamais craint autant pour notre sécurité. Mais cette fois-ci, quelques instants seulement après que notre voiture immatriculée en Israël a franchi l’entrée du camp, les groupes WhatsApp et Facebook locaux bruissaient déjà de la nouvelle de la présence d’Israéliens dans le camp.

 

Il y a plus de photos de chouhada dans les allées aujourd’hui que lors de la grande invasion des forces israéliennes, pendant l’Intifada. Presque tous les garçons tiennent un fusil jouet, et nous avons vu une fille avec un fusil. Mais la véritable innovation de ces derniers mois, ce sont les chevaux de frise qui ont été érigés dans le but de ralentir toute incursion de l’armée israélienne. À chaque intersection et à chaque entrée du camp, à l’exception d’un seul, ces chevaux de frise en acier se trouvent sur le bord de la route pendant la journée et, chaque nuit, vers 23 heures, ils sont mis en travers pour bloquer la circulation.

 

Ces chevaux de frise, que les FDI enlèvent parfois à l’aide d’énormes bulldozers ou en les faisant exploser, retardent l’entrée des forces et donnent aux militants du camp le temps de s’organiser. Les caméras de sécurité, installées à chaque coin de rue, sont une autre nouveauté dans le paysage de ce camp devenu forteresse. En cas de raid imminent de l’armée, les observateurs placés aux portes d’entrée sonnent l’alarme dans tout le camp. Parfois, les soldats qui s’approchent tirent sur les transformateurs électriques, coupant l’électricité et laissant le camp dans l’obscurité totale.

 

Il n’y a pas une seule nuit de calme ici.

 

Les maisons du camp de Jénine sont plantées sur le flanc d’une colline, qui est surmontée d’un certain nombre d’habitations relativement nouvelles et plus spacieuses. L’acteur israélo-palestinien assassiné Juliano Mer-Khamis et sa famille ont vécu là-haut, tout comme l’activiste local Zakaria Zubeidi avec sa femme, ses enfants et sa famille élargie.

 

Des hommes armés au cimetière de Jénine cette semaine

 

L’histoire de la famille Zubeidi en quelques mots : sur six frères, deux ont été tués et trois sont emprisonnés en Israël, tous après avoir purgé de longues peines derrière les barreaux. Aujourd’hui, un seul d’entre eux, Abed, est libre ; il a également été incarcéré dans le passé, pendant six ans. La mère des Zubeidi, Samira, a été tuée lors de l’invasion des FDI en 2002 ; leur père, Mohammed, est mort d’un cancer en 1993, à l’âge de 45 ans, après avoir été empêché, à un moment donné, de se rendre au centre médical Hadassah de Jérusalem pour y recevoir un traitement médical. Après la mort de Mohammed, deux de ses fils, Zakaria et Obed, alors détenus dans une prison israélienne, n’ont pas été autorisés à assister aux funérailles.

 

Jamal Zubeidi, l’oncle des frères, qui les a élevés comme un père par la suite, a perdu son propre fils, Na’im, l’année dernière, ainsi que son gendre Daoud, qui était marié à la fille de Jamal et était un autre des frères de Zakaria et Obed. Les photos des morts, que nous connaissions depuis des années, depuis l’enfance, sont accrochées dans le salon de la maison de Jamal. C’est un homme noble, impressionnant et raffiné - un Job local.

 

En roulant à toute allure dans les ruelles du camp, nous voyons des choses plus sinistres que par le passé. Quelque chose de lourd et de menaçant plane sur ce camp densément peuplé ; il y règne un sentiment inquiétant que l’on ne retrouve pas dans les autres camps de réfugiés de Cisjordanie. Des hommes armés passent comme des ombres dans les rues, un pick-up conduit par des membres de la katiba (bataillon) se fraye un chemin, couvert avec un filet de camouflage militaire. Sous la partie ouverte à l’arrière, il peut y avoir des armes, des combattants ou des barrières métalliques à déposer à différents endroits du camp, selon les besoins. La katiba est une union de toutes les forces combattantes présentes ici. Les combattants du Fatah, du Hamas, du Jihad islamique, des bataillons des martyrs d’Al Aqsa, d’Ezzedine Al Qassem et des bataillons d’Al Quds sont tous réunis dans le cadre de la katiba et travaillent de concert. Lors des funérailles et des événements commémoratifs, des centaines de ces militants se présentent, faisant étalage de leur puissance et de l’armement en leur possession.

 

Le mémorial improvisé à l’endroit où la journaliste d’Al Jazeera Shireen Abu Akleh a été tuée le 11 mai dernier, à Jénine

 

La dernière incursion à Jénine a eu lieu une semaine avant notre visite ; la dernière personne tuée dans cette ville est tombée il y a environ 40 jours. Lors de notre visite vendredi dernier, une cérémonie commémorative était organisée pour ce jeune homme - Nidal Hazem, un cousin de Raad Hazem, qui a perpétré l’attaque terroriste dans la rue Dizengoff qui a tué trois Israéliens en avril 2022, pendant le Ramadan. Nidal a été tué dans la rue Abou Bakher à Jénine avec un ami et un garçon de 14 ans, lors d’un raid de l’armée. D’où la méfiance qui règne dans le camp. Les chefs des milices ne font pas confiance aux journalistes israéliens, qui les ont presque tous déçus en adoptant ce qu’ils considèrent comme le récit israélien tordu de ce qui se passe réellement à Jénine. Ils ne font pas non plus confiance aux médias internationaux.

 

Les militants locaux et les autres personnes figurant sur la liste des personnes recherchées par Israël se cachent beaucoup moins qu’auparavant. « Quoi qu’il arrive, ça arrivera », nous ont dit certains avec insistance. Cela explique aussi pourquoi ils sont plus prompts que jamais à appuyer sur la gâchette. Ils n’hésitent pas à ouvrir le feu partout où se trouvent des soldats. Si la vie a toujours été bon marché ici, la mort est désormais proposée à un prix défiant toute concurrence. Le soutien de l’opinion publique aux militants atteint également un nouveau sommet. S’il y avait autrefois des gens qui avaient des réserves sur les actions des militants, aujourd’hui le camp est derrière eux, comme un seul homme. Il n’y a plus rien à perdre.

 

En face de l’hôpital gouvernemental de Jénine, à l’entrée du camp, se trouve toujours la sculpture d’un cheval créée par l’artiste allemand Thomas Kilpper à partir de la ferraille de divers véhicules, dont des ambulances, que l’armée israélienne a détruits lors de l’opération “Bouclier défensif” en mai-juin 2002. Aujourd’hui, 20 ans plus tard, la sculpture est ornée de photos de ceux qui sont tombés au cours de l’année écoulée.

 

Si le temps semble parfois s’arrêter dans le camp de réfugiés de Jénine, il semble aussi ne jamais s’arrêter, ne serait-ce qu’un instant.

28/04/2023

Imposture militaire* : des Pieds Nickelés chez les Cosaques
Ces volontaires yankees en Ukraine qui mentent, font du business et se chamaillent

Justin Scheck et Thomas Gibbons-Neff, The New York Times, 28/3/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Justin Scheck, journaliste d’investigation internationale, et Thomas Gibbons-Neff, correspondant en Ukraine, ont rédigé cet article à partir de l’Ukraine et de l’Europe. Najim Rahim a contribué au reportage depuis Berkeley, en Californie, et Maria Varenikova et Daria Mitiuk depuis Kiev, en Ukraine.

*NdT : On parle de "Stolen Valour" (anglais british) ou "Valor" (anglais yankee) lorsqu’un individu prétend avoir accompli des exploits militaires et qu’il porte des médailles, un uniforme ou des décorations auxquels il n’a pas droit, ou qu’il possède des documents l’identifiant à tort comme militaire ; ce faisant il “souille l’honneur et les sacrifices de ceux et celles qui portent l’uniforme à juste titre” et il enfreint donc la loi. La Stolen Valor est sanctionnée par la loi aux USA, au Canada et dans la plupart des pays de l’UE. Les contrevenants s’exposent à des peines de 6 mois à un an de prison et à des amendes.

Des personnes qui ne seraient pas autorisées à s’approcher du champ de bataille dans une guerre menée (directement) par les USA sont actives sur le front ukrainien et ont un accès facile aux armes usaméricaines.

Des volontaires ont formé des soldats ukrainiens l’année dernière dans le cadre du Groupe Mozart, créé par deux anciens Marines pour aider l’Ukraine. Le groupe a été dissous après que l’un des fondateurs a intenté un procès à l’autre, alléguant un vol et un harcèlement.  Photo : Laura Boushnak pour le New York Times

Ils se sont précipités en Ukraine par milliers, beaucoup d’entre eux étant des USAméricains qui ont promis d’apporter leur expérience militaire, de l’argent ou des fournitures sur le champ de bataille d’une guerre juste. Les journaux locaux ont salué leur engagement et les donateurs les ont soutenus à hauteur de millions de dollars.

Aujourd’hui, après un an de combat, nombre de ces groupes de volontaires se battent entre eux et sapent l’effort de guerre. Certains ont gaspillé de l’argent ou pratiqué l’imposture militaire. D’autres ont joué les caritatifs tout en essayant de tirer profit de la guerre, comme le montrent les archives.

Un lieutenant-colonel de marine à la retraite originaire de Virginie fait l’objet d’une enquête fédérale usaméricaine sur l’exportation potentiellement illégale de technologies militaires. Un ancien soldat de l’armée de terre est arrivé en Ukraine pour ensuite trahir et passer à la Russie. Un homme du Connecticut qui a menti sur son service militaire a publié des mises à jour en direct du champ de bataille - y compris sa position exacte - et s’est vanté d’avoir facilement accès à des armes usaméricaines. Un ancien ouvrier du bâtiment concocte un plan visant à utiliser de faux passeports pour faire entrer clandestinement en Ukraine des combattants pakistanais et iraniens.

Et dans l’un des cas les plus curieux, l’un des plus grands groupes de bénévoles est mêlé à une lutte de pouvoir impliquant un homme de l’Ohio qui a faussement prétendu avoir été à la fois un marine usaméricain et un manager assistant de LongHorn Steakhouse [une chaîne de malbouffe carnée, NdT]. Le litige porte également sur un incident vieux de plusieurs années survenu dans le cadre d’une émission de télé-réalité australienne.

De tels personnages ont leur place dans la défense de l’Ukraine en raison du rôle d’intermédiaire joué par les USA : l’administration Biden envoie des armes et de l’argent, mais pas de troupes professionnelles [ça reste à voir, NdT]. Cela signifie que des personnes qui ne seraient pas autorisées à s’approcher du champ de bataille dans une guerre menée directement par les USA sont actives sur le front ukrainien, souvent avec un accès non contrôlé aux armes et à l’équipement militaire.

De nombreux volontaires qui se sont précipités en Ukraine l’ont fait de manière désintéressée et ont agi avec héroïsme. Certains ont perdu la vie. Des étrangers ont secouru des civils, aidé des blessés et combattu férocement aux côtés des Ukrainiens. D’autres ont collecté des fonds pour acheter des fournitures essentielles.

Mais dans la plus grande guerre terrestre qu’ait connue l’Europe depuis 1945, l’approche do-it-yourself [démerde et bricolage]ne fait pas de distinction entre les volontaires formés et ceux qui n’ont pas les compétences ou la discipline nécessaires pour apporter une aide efficace.

Membres d’une unité expérimentée comprenant des volontaires des USA, du Canada, de Grande-Bretagne et d’Australie à Bakhmout en décembre. Les étrangers ont secouru des civils, aidé les blessés, collecté des fonds et combattu aux côtés des Ukrainiens. Photo : Tyler Hicks/The New York Times

Le New York Times a examiné plus de 100 pages de documents provenant des groupes de volontaires et a interrogé plus de 30 volontaires, combattants, collecteurs de fonds, donateurs et responsables usaméricains et ukrainiens. Certains ont parlé sous le couvert de l’anonymat pour évoquer des informations sensibles.

Les entretiens et les recherches révèlent une série de déceptions, d’erreurs et de querelles qui ont entravé la campagne de volontariat qui a commencé après l’invasion totale de la Russie en février 2022, lorsque le président ukrainien Volodymyr Zelensky a lancé un appel à l’aide. « Tous les amis de l’Ukraine qui veulent se joindre à elle pour défendre le pays sont priés de venir », a-t-il déclaré. « Nous vous donnerons des armes ».

Des milliers de personnes ont répondu à l’appel. Certains ont rejoint des groupes militaires comme la Légion internationale, formée par l’Ukraine pour les combattants étrangers. D’autres ont joué un rôle dans le soutien ou la collecte de fonds. Avec  Kiev sous attaque, la capitale de l’Ukraine, le temps manquait pour contrôler les arrivants. C’est ainsi que des personnes ayant un passé problématique, notamment des dossiers militaires douteux ou inventés de toutes pièces, se sont enrôlées dans la Légion et dans une constellation d’autres groupes de volontaires.

Interrogée sur ces problèmes, l’armée ukrainienne n’a pas abordé de questions spécifiques, mais a déclaré qu’elle était sur ses gardes parce que des agents russes tentaient régulièrement d’infiltrer des groupes de volontaires. « Nous avons enquêté sur ces cas et les avons transmis aux forces de l’ordre », a déclaré Andriy Cherniak, représentant des services de renseignement militaire ukrainiens.

Un million de mensonges

L’un des USAméricains les plus connus sur le champ de bataille est James Vasquez. Quelques jours après l’invasion, Vasquez, un entrepreneur en rénovation du Connecticut, a annoncé qu’il partait pour l’Ukraine. Son journal local a raconté l’histoire d’un ancien sergent d’état-major de l’armée usaméricaine qui a laissé derrière lui son travail et sa famille pour prendre un fusil et un sac à dos sur la ligne de front.

Depuis lors, il a mis en ligne des vidéos du champ de bataille, et au moins une fois, il a diffusé l’emplacement précis de son unité à tout le monde, y compris à la partie adverse. Il s’est servi de son histoire pour solliciter des dons. « J’étais au Koweït pendant l’opération Tempête du désert et en Irak après le 11 septembre », a déclaré Vasquez dans une vidéo de collecte de fonds. Il a ajouté : « C’est un animal complètement différent ».

En fait, Vasquez n’a jamais été déployé au Koweït, en Irak ou ailleurs, a déclaré une porte-parole du Pentagone. Il était spécialisé dans les réparations de carburant et d’électricité. Il a quitté l’armée de réserve non pas en tant que sergent comme il le prétendait, mais en tant que soldat de première classe, l’un des grades les plus bas de l’armée.

Capture d’écran d’une vidéo de collecte de fonds montrant James Vasquez

Pourtant, Vasquez avait facilement accès à des armes, notamment des fusils usaméricains. D’où venaient-elles ? « Je ne sais pas exactement », a déclaré Vasquez dans un texto. Les fusils, a-t-il ajouté, étaient « tout neufs, sortis de leur boîte et nous en avons beaucoup ». Il a également tweeté qu’il ne devrait pas avoir à s’inquiéter des règles internationales de la guerre lorsqu’il se trouve en Ukraine.

Il a combattu aux côtés des Loups de Vinci, un bataillon ukrainien d’extrême droite, jusqu’à la semaine dernière, lorsque le Times l’a interrogé sur ses fausses déclarations de service militaire. Il a immédiatement désactivé son compte Twitter et déclaré qu’il pourrait quitter l’Ukraine parce que les autorités avaient découvert qu’il combattait sans le contrat militaire requis.

Vasquez a déclaré qu’il avait déformé son dossier militaire pendant des décennies. Il a reconnu avoir été renvoyé de l’armée, mais n’a pas voulu en dire publiquement les raisons. « J’ai dû raconter un million de mensonges pour avancer », a déclaré Vasquez lors d’une interview. « Je n’avais pas réalisé que j’en arriverais là ».

Querelles publiques

La Légion internationale, formée à la hâte par le gouvernement ukrainien, a passé 10 minutes ou moins à vérifier les antécédents de chaque volontaire au début de la guerre, a déclaré un responsable de la Légion. C’est ainsi qu’un fugitif polonais qui avait été emprisonné en Ukraine pour des violations des règles sur les armes a obtenu un poste de chef de troupe. Des soldats ont déclaré à The Kyiv Independent qu’il avait détourné des fournitures, harcelé des femmes et menacé ses soldats.

Les autorités ukrainiennes se sont d’abord targuées d’avoir 20 000 volontaires potentiels pour la Légion, mais ils ont été beaucoup moins nombreux à s’enrôler. Actuellement, l’organisation compte environ 1 500 membres, selon des personnes connaissant la Légion.

Certains sont des combattants expérimentés qui travaillent pour les services de renseignement de la défense ukrainienne. Mais il y a eu des problèmes très médiatisés. Un ancien soldat de première classe de l’armée, John McIntyre, a été éjecté de la Légion pour mauvais comportement. McIntyre a fait défection en Russie et est récemment apparu à la télévision d’État, qui a déclaré qu’il avait fourni des renseignements militaires à Moscou.

Des documents internes montrent que la Légion est en difficulté. Le recrutement stagne. Le Counter Extremism Project, basé à Washington, a écrit en mars que la Légion et les groupes affiliés « continuent de présenter des individus largement considérés comme inaptes à exercer leurs fonctions ».

Malcolm Nance, ancien cryptologue de la marine et commentateur à MSNBC, est arrivé en Ukraine l’année dernière avec l’intention de ramener l’ordre et la discipline dans la Légion. Au lieu de cela, il s’est retrouvé plongé dans le chaos.


Malcolm Nance dans la ville de Lviv/Lvov, dans l’ouest de l’Ukraine, l’année dernière. Expert en contre-terrorisme et ancien analyste de MSNBC, il a rejoint la légion des combattants étrangers en Ukraine. Photo : Finbarr O’Reilly pour le New York Times

Nance, dont les apparitions télévisées ont fait l’un des USAméricains les plus visibles soutenant l’Ukraine, était un opérateur militaire expérimenté. Il a rédigé un code d’honneur pour l’organisation et, de l’avis général, a fait don d’équipements.

Aujourd’hui, Nance est impliqué dans une lutte de pouvoir désordonnée et distrayante. Cela se passe souvent sur Twitter, où Nance a raillé un ancien allié en le qualifiant de “gros lard” et d’associé d’un “escroc avéré”.

Il a accusé un groupe de collecte de fonds pro-Ukraine de fraude, sans fournir de preuves. Après s’être disputé avec deux administrateurs de la Légion, Nance a rédigé un rapport de “contre-espionnage” pour tenter de les faire licencier. L’élément central de ce rapport est l’accusation selon laquelle une responsable de la Légion, Emese Abigail Fayk, aurait tenté d’acheter frauduleusement une maison dans le cadre d’une émission de télé-réalité australienne avec de l’argent qu’elle n’avait pas. Il l’a qualifiée d’“espionne russe potentielle”, sans fournir de preuves. Fayk a nié les accusations et reste à la Légion.

Nance a déclaré qu’en tant que membre de la Légion ayant une formation dans le domaine du renseignement, lorsqu’il a développé des inquiétudes, il “s’est senti obligé de le signaler au contre-espionnage ukrainien”.

Le litige porte sur la question de savoir à qui l’on peut faire confiance pour parler au nom de la Légion et collecter des fonds pour elle.

Nance a quitté l’Ukraine mais continue à collecter des fonds avec un nouveau groupe d’alliés. L’un d’entre eux, Ben Lackey, est un ancien membre de la Légion. Il a dit à ses collègues volontaires qu’il avait été Marine et a écrit sur LinkedIn qu’il avait récemment été manager assistant à la LongHorn Steakhouse. En réalité, le Pentagone a déclaré qu’il n’avait aucune expérience militaire (et il a travaillé comme serveur, selon la steakhouse).

Dans une interview, Lackey a déclaré qu’il avait menti en prétendant être un Marine usaméricain pour pouvoir rejoindre la Légion.

La croissance de la Légion étant au point mort, Ryan Routh, un ancien ouvrier du bâtiment de Greensboro, en Caroline du Nord, cherche des recrues parmi les soldats afghans qui ont fui les talibans. Routh, qui a passé plusieurs mois en Ukraine l’année dernière, a déclaré qu’il prévoyait de les transférer, parfois illégalement, du Pakistan et de l’Iran vers l’Ukraine. Il a indiqué que des dizaines de personnes avaient manifesté leur intérêt.

« Nous pouvons probablement acheter des passeports par l’intermédiaire du Pakistan, car c’est un pays tellement corrompu », a-t-il déclaré lors d’une interview depuis Washington.

On ne sait pas s’il a réussi, mais un ancien soldat afghan a déclaré qu’il avait été contacté et qu’il souhaitait se battre si cela signifiait quitter l’Iran, où il vivait illégalement.

Dons détournés

Grady Williams, un ingénieur retraité de 65 ans sans expérience militaire et condamné en 2019 pour consommation de méthamphétamine, était guide touristique bénévole au ranch de Santa Barbara de Ronald Reagan lorsqu’il a entendu l’appel à volontaires lancé par M. Zelensky.

« Je tire au fusil depuis l’âge de 13 ans », a-t-il déclaré lors d’une interview. Je n’avais aucune excuse pour dire : “Eh bien, je ne devrais pas y aller” ».

Il a expliqué qu’il avait pris l’avion pour la Pologne, fait de l’auto-stop jusqu’en Ukraine et pris le train pour Kiev. Il est tombé sur deux USAméricains en tenue militaire. Ils lui ont dit : « Viens avec nous, mec ».

Les volontaires ont amené Williams à une base proche du front et lui ont donné une arme. Quelques jours plus tard, il a failli se faire exploser alors qu’il combattait aux côtés de soldats ukrainiens depuis une tranchée près de Boutcha. Au bout d’une semaine, l’armée s’est rendu compte qu’il ne s’était pas enregistré pour combattre et l’a renvoyé à Kiev.

À partir de là, il a emprunté un chemin détourné qui l’a amené à collecter des fonds pour des volontaires de la République de Géorgie. Il a recueilli environ 16 000 dollars, expliquant aux donateurs que leur argent servirait à acheter des motos électriques pour les combattants. Mais les Géorgiens l’ont mis à la porte après qu’il était entré en conflit avec un autre volontaire. Il a déclaré avoir dépensé environ 6 900 dollars des contributions en acomptes pour des motos et le reste en frais de voyage et autres dépenses.

Grady Williams dans son garage de Santa Barbara, en Californie, le mois dernier. « Je tire au fusil depuis l’âge de 13 ans, a-t-il déclaré à propos de sa décision d’aller en Ukraine. Je n’avais aucune excuse pour dire : “Eh bien, je ne devrais pas y aller” ». Photo : David Butow pour le New York Times

Il s’est depuis rapproché d’un nouveau groupe, qui lui a promis le commandement d’une unité de motocyclistes s’il réunissait suffisamment d’argent. Il a donc déménagé ce mois-ci à Odessa, en Ukraine, et espère recevoir bientôt une moto.

Les exemples d’argent gaspillé par des personnes bien intentionnées sont fréquents. Mriya Aid, un groupe dirigé par un lieutenant-colonel canadien en service actif, a dépensé environ 100 000 dollars provenant de donateurs pour l’achat d’appareils de vision nocturne de haute technologie de type usaméricain. Des documents internes montrent qu’il s’agissait en fin de compte de modèles chinois moins efficaces.

« Nous avons rencontré un problème avec la vision nocturn », a déclaré Lubomyr Chabursky, un bénévole de l’équipe de direction de Mriya Aid. Il a toutefois précisé que cet achat ne représentait que 2 % de l’aide apportée par le groupe.

Au début de l’année, le Mozart Group, créé par deux anciens Marines pour venir en aide à l’Ukraine, a été dissous après que l’un d’eux a intenté un procès à l’autre pour vol et harcèlement.

Absence de trace écrite

Au printemps dernier, un groupe de bénévoles appelé Ripley’s Heroes a déclaré avoir dépensé environ 63 000 dollars pour l’achat de matériel de vision nocturne et d’optique thermique. Certains de ces équipements font l’objet de restrictions à l’exportation depuis les USA car, entre de mauvaises mains, ils pourraient donner à l’ennemi un avantage sur le champ de bataille.

Des volontaires sur le front ont déclaré que Ripley’s avait livré l’équipement à l’Ukraine sans les documents requis indiquant les acheteurs et les destinataires réels. Les autorités fédérales ont récemment commencé à enquêter sur ces livraisons, ont indiqué des responsables usaméricains.

Pour sa défense, le fondateur du groupe, un marine à la retraite nommé lieutenant-colonel Hunter Ripley Rawlings IV, a fourni au Times des documents relatifs à la transaction. Mais ces documents montrent que, comme l’ont dit les volontaires, Ripley’s n’a pas été révélé au Département d’État comme étant l’acheteur.


Photographie du lieutenant-colonel Hunter Ripley Rawlings IV tirée de sa biographie sur le site officiel des Marines

Ripley’s affirme avoir récolté plus d’un million de dollars, dont une partie grâce à l’ancien entrepreneur du Connecticut, Vasquez, qui a prétendu être le directeur de la stratégie du groupe et a fait la promotion de Ripley’s auprès de son public en ligne.

Ripley’s a dépensé environ 25 000 dollars pour l’achat de voitures de reconnaissance télécommandées l’année dernière, mais elles ne sont jamais arrivées, comme le montrent les registres d’expédition. Le colonel Rawlings a déclaré que les autorités polonaises les avaient retenues pour des raisons juridiques.

Le colonel Rawlings a déclaré que son groupe attendait le statut d’association usaméricaine à but non lucratif. Mais il n’a pas révélé ses dépenses ou la preuve d’une demande de statut d’association à but non lucratif au Times ou aux donateurs qui l’ont demandé. On ne sait donc pas exactement où va l’argent. « J’ai cru ces gens », a déclaré Shaun Stants, qui dit avoir organisé une collecte de fonds en octobre à Pittsburgh, mais qui n’a jamais reçu les documents financiers qu’il avait demandés. « Ils m’ont pris pour un imbécile ».

Les registres des sociétés en Pologne et aux USA montrent que le colonel Rawlings a également créé une société à but lucratif appelée Iron Forge. Dans une interview, il a déclaré qu’il s’attendait à ce que son organisation caritative et d’autres payent Iron Forge pour le transport, ce qui signifie que l’argent des donateurs serait utilisé pour financer son entreprise privée. Il a toutefois précisé qu’il n’y avait pas de conflit d’intérêts car Iron Forge renverrait finalement l’argent aux organisations caritatives. Les détails sont en cours d’élaboration.

Dans les jours qui ont suivi l’approche de Vasquez et d’autres personnes par le Times, les membres des groupes en conflit - Ripley’s, la Légion, les membres dissidents de la Légion et d’autres encore - ont intensifié leur querelle. Ils se sont accusés mutuellement de détourner des fonds et de mentir sur leurs références.

Après qu’un ancien allié se fut retourné contre Vasquez, Nance a pris sa défense.

« James n’était PAS un imposteur, il était perturbé », a déclaré Nance sur Twitter. « Il a fait beaucoup pour l’Ukraine, mais il avait des défis à relever ».