Moran Sharir, Haaretz, 13/1 /2023
Traduit par Fausto
Giudice, Tlaxcala
Il a été arrêté pour ne pas s’être présenté à un
interrogatoire de police à la suite d’un tweet qu’il avait posté. La droite
israélienne l’a catalogué comme un ennemi de l’État, pour d’autres, il est le
héros du jour. Qui est le journaliste ultra-orthodoxe juif Israel Frey ? Qu’est-ce
qui le motive et pourquoi ne regrette-t-il pas ses actes malgré le prix élevé
qu’il paie ?
Israel Frey. « Comment ces franges ésotériques sont-elles devenues
celles qui gèrent tous nos systèmes de vie ? Par une seule chose : la haine des
Arabes, le racisme, le fascisme - dont les fondations sont posées dans les
territoires ». Photo Ilya Melnikov
Israel
Frey attend devant une shul [synagogue] au nord de Tel Aviv. La rue
tranquille exhale un parfum de laïcité israélienne : vieilles maisons dans le
quartier de Ramat Hahayal, villas dans le quartier huppé de Tzahala, bureaux de
haute technologie et de communication dans le complexe de Kiryat Atidim ; tours
d’habitation dans le quartier autrefois pauvre, aujourd’hui embourgeoisé, de
Neve Sharett.
Au
milieu de tout cela se niche une petite île ultra-orthodoxe, ou haredi.
Des maisons basses d’une teinte rosée, des synagogues, des affiches mettant en
garde contre les dangers d’Internet. Dans les rues voisines, les gens promènent
leurs chiens ; ici, ils marchent avec des sacs à phylactères en velours. La
tradition a préservé le caractère de ce micro-quartier comme dans du formol.
Israel
Frey a grandi ici avec trois frères et sœurs dans une famille affiliée à la
secte hassidique Gur. Non loin de la shul, il y a une petite allée qui porte le
nom de son grand-père, le rabbin Yehuda Meir Abramovicz, qui a été maire
adjoint de Tel Aviv et membre de la Knesset pour le parti Agudat Israel. Frey
vit aujourd’hui à la frontière entre Ramat Gan et Bnei Brak, une ville
majoritairement haredi, mais il vient prier dans cette shul qu’il
connaît depuis son enfance.
En
ce jour particulier de mi-décembre, il était toujours recherché pour un interrogatoire de police à la suite d’un tweet qu’il avait posté deux mois
plus tôt. Frey avait fait l’éloge de Mohammed Minawi, originaire de Naplouse,
qui avait éveillé les soupçons de la police et avait été arrêté par celle-ci à Jaffa alors qu’il allait commettre un
attentat à Tel Aviv. Selon les rapports de
l’époque, Minawi - porteur d’un engin explosif et d’une arme improvisée - avait
pour objectif de tuer des soldats israéliens mais pas de blesser des civils.Haut du formulaire
« Regardez
quel héros il est », a gazouillé Frey dans son désormais célèbre message.
« Il a fait tout le chemin de Naplouse à Tel Aviv, et même si tous les
Israéliens qui l’entourent participent d’une manière ou d’une autre à l’oppression,
à l’écrasement et au meurtre de son peuple - il a quand même cherché des cibles
légitimes et a évité de blesser des innocents. Dans un monde juste, il aurait
reçu une médaille ».
Ce
tweet a finalement conduit Frey à être licencié de son poste de journaliste sur
la chaîne internet DemocraTV (le prétexte exact de son licenciement est
contesté ; nous y reviendrons plus tard). En outre, il a fait de lui une
personne recherchée par la police, et à la fois la cible d’une aversion
généralisée dans le pays et un symbole de courage et de liberté d’expression aux yeux des autres.
Le
fait que Frey ait été convoqué pour être interrogé au sujet d’un tweet
politique moins d’un mois après les élections du 1er novembre a conduit à la conclusion logique qu’il
s’agissait simplement de l’ouverture de la persécution des journalistes et de
la réduction au silence des opinions de gauche. Il est vrai que le tweet de
Frey était très inhabituel, puisqu’il apportait essentiellement un soutien
implicite au meurtre de soldats en plein cœur de Tel Aviv. Fin décembre, il a
été placé en garde à vue par la police pour avoir refusé de se présenter à un
interrogatoire, après avoir été accusé d’incitation présumée au terrorisme et à
la violence.
L’histoire
de Frey est inquiétante et suscite de réelles craintes quant à la politique de
répression du nouveau gouvernement de droite dure. Immédiatement après l’arrestation
de Frey, Rogel Alpher, chroniqueur au Haaretz et critique de télévision,
a établi un parallèle entre cette arrestation et celle des opposants au régime
en Russie ; Anat Kamm a averti dans sa chronique que « demain, cela
pourrait être chacun d’entre nous ».
Frey,
qui aura 36 ans le mois prochain, a attiré beaucoup d’attention. Il est
impossible de l’ignorer, mais il est facile de le considérer comme une sorte d’anomalie.
Avec ses opinions de gauche que le courant dominant en Israël ne peut tolérer,
Frey, barbu et portant la kippa, est perçu par beaucoup comme
"farfelu", "hors norme", "bizarre",
"extraterrestre" et autres termes péjoratifs. Certains affirment, à
tort, qu’il appartient à la secte hassidique antisioniste Satmar ou au groupe
Neturei Karta, qui ne reconnaît pas l’État d’Israël. D’autres le considèrent
comme faisant partie d’un nouveau courant de jeunes haredim de gauche. La
vérité est que Frey est un homme-orchestre, totalement individualiste au sein d’une
communauté hassidique homogène qui ne sait pas quoi faire de lui.
Ses
papillotes sont repliées derrière ses oreilles et il porte des lunettes à
monture moderne. C’est une personne calme et affable qui ne semble pas s’énerver
; il est poli et parle avec raison. Il aime s’exprimer, mais il est
manifestement stressé par l’exposition qu’il reçoit dans ce journal et
ailleurs.
Le tweet qui a fait que Frey a été convoqué pour un interrogatoire : « Regardez
quel héros il est. Il a fait tout le chemin de Naplouse à Tel Aviv, et même si
tous les Israéliens qui l’entourent participent d’une manière ou d’une autre à
l’oppression, à l’écrasement et au meurtre de son peuple - il a quand même
cherché des cibles légitimes et a évité de blesser des innocents. Dans un monde
juste, il aurait reçu une médaille ».
« Je
suis très vigilant à propos de ma vie privée », dit Frey, tout en
conduisant et en fumant une cigarette électronique, une jambe rebondissant
nerveusement.
« Pour
tous ceux qui me voient de l’extérieur, il semble que j’aime vraiment être l’histoire »,
note-t-il. « Je me distingue parce que je suis un Haredi et que je
me retrouve de temps en temps dans des tempêtes comme celle-ci. J’essaie
vraiment de ne pas être l’histoire. Je veux faire passer mes idées. C’est
terriblement intéressant de faire de moi une curiosité. Pas dans le sens négatif,
mais pour être le journaliste courageux, courageux, courageux, courageux,
courageux et toute cette merde ».
Frey
se gare au cœur du quartier aisé de Tzahala, qui était autrefois principalement
habité par d’anciens officiers des Forces de défense israéliennes et qui est
aujourd’hui caractérisé par des hôtels particuliers. Le café est bondé à l’heure
du midi. Le menu n’est pas casher, la clientèle est très clairement laïque.
Frey hésite, il n’est pas sûr de se sentir à l’aise ici. Il propose de s’asseoir
pour l’instant et commande un grand cappuccino. Quand il arrive, il n’oublie
pas de réciter la bénédiction appropriée.
Pourquoi refuses-tu de te présenter pour un
interrogatoire ?
« Parce
qu’ils n’ont aucune raison de me convoquer. J’ai écrit un tweet, j’ai exprimé
une idée très simple, très légitime, très importante. Dans le nouveau climat,
qui devient de plus en plus fasciste, les gens pensent qu’il est normal de
convoquer [d’autres personnes] pour les interroger parce qu’elles ont exprimé
une opinion qui, en fin de compte, est une simple perception de la réalité ici.
Quiconque n’accepte pas qu’il y ait une différence entre attaquer des innocents
et attaquer des soldats ne veut pas parler du fait qu’il y a un conflit ici.
Sans parler de la base des faits : que nous vivons dans un endroit où un côté
est plus haut et un autre côté est plus bas. Que veulent-ils de ma vie ? C’est
vous tous qui êtes le problème - je ne suis pas le problème ».
Est-ce qu’ils continuent à te convoquer ?
« Hier
matin, le policier m’a encore appelé et m’a dit... » - au milieu de la
phrase, le smartphone de Frey sonne. C’est un numéro non identifié. Frey : « C’est
peut-être eux. Bonjour. Oui. Salutations ».
Il y a une lutte de personnes sous oppression active
contre un oppresseur. Cela doit faire partie de notre définition, c’est ce que
je veux exprimer. Il y a une différence entre blesser des innocents et blesser
des soldats en uniforme.
Israel Frey
La
voix à l’autre bout de la ligne : « Je t’ ai convoqué pour un
interrogatoire le 19 à 9 heures à la station Lev de Tel Aviv ».
« Ok ».