24/03/2025

Hommage au martyr Hossam Shabat, assassiné à Gaza

Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala

Le dernier article de Hossam Shabat

Déposé quelques heures avant que son auteur soit tué par une frappe aérienne israélienne, le dernier article du journaliste Hossam Shabat décrit la reprise de la campagne israélienne de terre brûlée dans sa ville natale de Beit Hanoun.

Sharif Abdel Kouddous, Drop Site News, 24/3/2025

Hossam Shabat est mort. La rage et le désespoir m'envahissent au moment où j'écris ces mots. L'armée israélienne a bombardé sa voiture ce matin alors qu'il circulait à Beit Lahia. Mon écran est rempli de vidéos montrant son corps gisant dans la rue, transporté à l'hôpital, pleuré par ses collègues et ses proches. C'est le genre de scènes tragiques que Hossam lui-même documentait si souvent pour le monde entier. Il était un journaliste exemplaire : courageux, infatigable et dévoué à raconter l'histoire des Palestiniens de Gaza.

Hossam était l'un des rares reporters à être resté dans le nord de Gaza pendant la guerre génocidaire d'Israël. Sa capacité à couvrir l'une des campagnes militaires les plus brutales de l'histoire récente dépasse presque l'entendement. Pendant dix-sept mois, il a été témoin de morts et de souffrances indicibles presque quotidiennement. Il a été déplacé plus de vingt fois. Il a souvent souffert de la faim. Il a enterré beaucoup de ses collègues journalistes. En novembre, il a été blessé lors d'une frappe aérienne israélienne. Je n'arrive toujours pas à croire que je parle de lui au passé. Israël efface le présent.

Lorsque j'ai contacté Hossam en novembre dernier pour lui demander d'écrire pour Drop Site News, il s'est montré enthousiaste. « Je te salue habibi. Que Dieu te garde. Je suis très heureux d'avoir cette opportunité », a-t-il écrit. « Il y a tellement d'idées, de scènes, d'histoires ».

Sa première dépêche pour Drop Site était un compte rendu saisissant d'une campagne d'expulsion massive et vicieuse menée par l'armée israélienne à Beit Lahia, qui a contraint des milliers de familles palestiniennes à fuir l'un des derniers abris de la ville assiégée :

Certains blessés sont tombés sur la route sans espoir d'être soignés. « Je marchais avec ma sœur dans la rue », a déclaré Rahaf, 16 ans. Elle et sa sœur sont les seules survivantes dans leur famille d'une frappe aérienne qui a tué 70 personnes. « Soudain, ma sœur est tombée à cause du bombardement. J'ai vu du sang couler d'elle, mais je n'ai rien pu faire. Je l'ai laissée dans la rue et personne ne l'a retirée. Je criais, mais personne ne m'entendait ».

Son écriture était lyrique et saisissante. Je me suis efforcé de traduire et d'éditer ses textes, de leur rendre justice, de traduire son utilisation émotive de l'arabe en quelque chose de compréhensible en anglais. Dans le va-et-vient éditorial typique de la finalisation d'un article, je revenais souvent vers lui avec des clarifications et des questions, lui demandant des détails supplémentaires et des citations directes. Il a toujours répondu rapidement, malgré les circonstances extraordinaires dans lesquelles il se trouvait.

En janvier, Hossam a déposé un article sur les trois jours qui se sont écoulés entre l'annonce de l'accord de “cessez-le-feu” et sa mise en œuvre, période au cours de laquelle Israël a intensifié sa campagne de bombardements sur Gaza :

Ils ont pris pour cible l'école al-Falah ; ils ont bombardé tout un quartier résidentiel de Jabaliya ; ils ont tué des familles, comme la famille Alloush, dont les corps n'ont pas encore été retrouvés et gisent encore sous et sur les décombres. Les enfants que j'ai vus cette nuit-là semblaient heureux, mais ils ne vivaient plus, leurs visages étaient figés dans un mélange de sourire et de sang.

Début décembre, en préambule à l'un de ses articles, je lui ai demandé de confirmer son âge. « Hahaha. Je suis jeune. 24 ans », a-t-il écrit. Quelques instants plus tard, il a apporté des précisions : « En fait, je n'ai pas encore 24 ans. J'ai 23 ans ». Je lui ai dit qu'il n'était jeune que par l'âge, mais qu'il était vieux par l'expérience (cela sonne mieux en arabe). « Il m'a répondu : “Je suis vraiment fatigué. Je jure que je n'ai plus de force. Je ne trouve pas d'endroit où dormir. J'ai été déplacé 20 fois”. Il a poursuivi : « Tu sais que je suis le seul de ma famille à vivre seul dans le nord ? » Le mois dernier, pendant le “cessez-le-feu”, il a été réuni avec sa mère pour la première fois depuis 492 jours.

En octobre, l'armée israélienne a inscrit Hossam et cinq autres journalistes palestiniens sur une liste de personnes à abattre. À l'époque, il a déclaré qu'il avait l'impression d'être “traqué”. Il a appelé les gens à s'exprimer en utilisant le hashtag #ProtectTheJournalists : « Je demande à tout le monde de partager la réalité des journalistes afin de faire connaître les véritables plans de l'occupation israélienne visant à cibler les journalistes afin d'imposer un black-out médiatique. Diffusez le hashtag et parlez de nous ! »

En décembre, après que l'armée israélienne a tué cinq journalistes lors d'une frappe aérienne sur leur véhicule, je lui ai envoyé un message pour prendre de ses nouvelles.

Il m'a répondu : « Notre travail consiste uniquement à mourir ». « Je déteste le monde entier. Personne ne fait rien. Je te jure que j'en suis venu à détester ce travail ». Au sujet de ses collègues survivants, il écrit : « Nous avons commencé à nous dire les uns aux autres : “Nos familles nous considèrent comme des martyrs” ».

Lorsqu'Israël a repris ses bombardements de terre brûlée la semaine dernière, j'ai envoyé un nouveau message pour prendre de ses nouvelles. Il m'a répondu par un seul mot : “Mort”.

Pendant tout ce temps, Hossam envoyait des messages avec des idées d'histoires, ou simplement pour relater ce qui se passait dans le nord. Dans ses messages et ses notes vocales, il parvenait souvent à rester chaleureux et drôle, une sorte de rébellion contre la mort qui l'entourait.

Après l'entrée en vigueur du “cessez-le-feu”, il est retourné dans sa ville natale de Beit Hanoun, à la limite nord-est de Gaza. Il ne restait pratiquement plus aucune structure debout, mais il était déterminé à rester et à documenter la destruction.

Il m'a envoyé un message tard dans la nuit de dimanche à lundi, quelques heures avant d'être tué. Il avait été contraint de quitter sa ville natale de Beit Hanoun le jour de la nouvelle attaque israélienne de la semaine dernière et avait été déplacé de force une nouvelle fois, cette fois à Jabaliya. Nous avions convenu qu'il écrirait un article sur l'attaque de la semaine dernière et sur ce dont il avait été témoin.

“Habibi”, a-t-il écrit, “Tu me manques”. Je lui ai demandé quelle était la situation à Jabaliya. “Difficile”, a-t-il répondu.

Il a envoyé son article, je l'ai lu et j'ai envoyé mes questions complémentaires. Il n'a répondu qu'à une seule avant de se déconnecter. Je lui ai envoyé un nouveau message dès mon réveil ce matin. Je ne savais pas encore qu'il avait été tué.

Ce que vous allez lire est le dernier article de Hossam. Je l'ai traduit en pleurant.

Rapport sur la ligne de front de la guerre d'anéantissement d'Israël

Récit de Hossam Shabat, traduit par Sharif Abdel Kouddous

BEIT HANOUN, GAZA - La nuit était sombre et prudemment calme. Tout le monde s'est endormi dans un sommeil anxieux. Mais la tranquillité est rapidement rompue par des cris assourdissants. Alors que les bombes pleuvent, les gémissements des voisins annoncent les premiers instants de la reprise de la campagne militaire israélienne. Beit Hanoun est plongée dans la panique et la terreur. Des cris de détresse s'élèvent au milieu du fracas des obus dans une scène qui reflète l'ampleur du désastre qui engloutit la ville. Ce n'est que le début. Le massacre de familles entières a rapidement suivi. Des colonnes de fumée s'élèvent partout. Les bombardements n'ont pas cessé un seul instant, noyant tout sous un déluge de feu et de souffrance.

L'attaque israélienne se poursuit. L'occupation exerce sa brutalité par des bombardements sans précédent qui laissent derrière eux d'horribles scènes de destruction et d'effusion de sang. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies, le nombre de martyrs au cours des six derniers jours a dépassé les 700, ce qui témoigne de l'ampleur de ces immenses souffrances humaines. L'OCHA rapporte également que Gaza souffre d'une grave pénurie de médicaments et d'aide médicale, ce qui aggrave une situation déjà désastreuse.

Au cours des six premiers jours de cette nouvelle opération militaire, le nord de Gaza a été le théâtre de quatre massacres sanglants. Le plus notable a été le massacre de la famille Moubarak, qui a eu lieu alors que la famille se réunissait en deuil pour présenter ses condoléances au Dr Salim Moubarak. En un instant, leur deuil collectif s'est transformé en une mer de sang et de morceaux de corps. Toute la famille a été tuée : le Dr Salim, sa femme, ses enfants, ses parents. Personne n'a survécu. Un témoin oculaire a résumé la situation en termes clairs : « Ils ont tous été tués. Les victimes ne se trouvaient pas sur un champ de bataille, mais dans une maison de deuil. Il s'agit d'un crime dans tous les sens du terme ».

Ce massacre n'a pas été le seul - il a été suivi d'attaques successives contre d'autres familles, dont la famille Abu Nasr, puis la famille Abu Halim - rappelant les bombardements vicieux du tout début de la guerre, après le 7 octobre. L'agression se poursuit, implacable, visant sans distinction des civils innocents, ne laissant derrière elle que destruction et mort.

Lorsque je suis arrivé sur les lieux, je n'étais pas préparé à l'horreur qui s'offrait à mes yeux. Les rues étaient remplies de morts. Sous chaque pierre se cachait un martyr. Des dizaines de personnes appelaient à l'aide sous les décombres de leurs maisons, mais personne ne répondait. Les cris emplissaient l'air tandis que tout le monde restait impuissant. Mes larmes n'ont pas cessé de couler. Les scènes étaient plus que ce qu'un être humain peut supporter. Les ambulances étaient remplies de cadavres, de corps et de membres empilés et entremêlés. On ne pouvait plus faire la différence entre les enfants et les hommes, entre les blessés et les morts.

A l'hôpital Al-Andalus, la scène est encore plus douloureuse. L'hôpital est rempli de martyrs. Les mères faisaient des adieux silencieux à leurs enfants. Le personnel médical travaille dans des conditions épouvantables, essayant de soigner les blessés avec les moyens les plus élémentaires. La situation était impossible, les morts et les blessés arrivant en masse à un rythme effrayant.

L'agression israélienne se poursuit. Massacre après massacre, ne laissant dans son sillage que les cris des mères et les rêves des enfants réduits en cendres. Il n'y a aucune justification à cela. Tout est écrasé : la vie d'innocents, leur dignité et leurs espoirs d'un avenir meilleur.


Déclaration de Drop Site News sur l'assassinat par Israël de notre collègue Hossam Shabat : nous tenons Israël et le gouvernement usaméricain pour responsables

Drop Site News, 24/3/2025

Aujourd'hui, 24 mars 2025, Israël a tué le journaliste Hossam Shabat, reporter pour Al Jazeera Mubasher et collaborateur de Drop Site News, dans ce que les témoins ont décrit comme une frappe ciblée. Hossam était un jeune journaliste extraordinaire qui a fait preuve d'un courage et d'une ténacité remarquables en documentant le génocide facilité par les USA contre les Palestiniens de Gaza. L'un des rares journalistes à ne pas avoir quitté le nord de la bande de Gaza, Hossam a été assassiné à Beit Lahia, où se déroulaient certains des bombardements israéliens les plus intenses et certaines des opérations de massacre les plus meurtrières.

Drop Site News tient Israël et les USA pour responsables de l'assassinat de Hossam. Le journaliste Mohammad Mansour, correspondant de Palestine Today, a également été tué lundi lors d'une attaque israélienne contre une maison à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza. Au cours des dix-sept derniers mois, plus de 200 de nos confrères des médias palestiniens ont été tués par Israël, qui est fournie en armes et bénéficie d'une impunité totale de la part de la plupart des gouvernements occidentaux.

« Si vous lisez ceci, c'est que j'ai été tué - très probablement pris pour cible - par les forces d'occupation israéliennes », a écrit Hossam dans un communiqué. posté à titre posthume par ses amis sur ses comptes de médias sociaux. « Au cours des 18 derniers mois, j'ai consacré chaque instant de ma vie à mon peuple. J'ai documenté minute par minute les horreurs commises dans le nord de Gaza, déterminé à montrer au monde la vérité qu'ils tentaient d'enterrer. J'ai dormi sur des trottoirs, dans des écoles, sous des tentes, partout où je le pouvais. Chaque jour était une bataille pour la survie. J'ai souffert de la faim pendant des mois, mais je n'ai jamais quitté les côtés de mon peuple ».

Hossam, qui n'avait que 23 ans, a rédigé des dépêches poétiques et douloureuses depuis Gaza. Il ne s'est jamais séparé des personnes dont il a documenté la vie et la mort. « Aujourd'hui, le temps ne se mesure pas en minutes, mais en vies entières de douleur et de larmes », alors que les habitants de Gaza attendent la mise en œuvre du cessez-le-feu, écrvaiit Hossam dans un article pour Drop Site en janvier. « À chaque instant, l'anxiété et la tension des gens ici augmentent, car ils se demandent s'ils resteront en vie assez longtemps pour que les tirs cessent ».

Alors que les journalistes palestiniens de Gaza continuent de documenter le génocide perpétré contre leurs familles et leur peuple, la plupart des gens ne découvrent leur travail qu'à travers leurs reportages vidéo sur les réseaux sociaux. Ils sont bien plus que ces vidéos. Hossam est né dans une période d'escalade de l'annexion, du siège et du génocide israéliens. Inébranlable face aux privations et à la violence constantes, Hossam a résumé l'engagement de sa vie lors d'une interview: « Je dis au monde que je continue. Je couvre les événements avec l'estomac vide, avec constance et persévérance. Je m'appelle Hossam Shabat et je viens du nord de la bande de Gaza ».

Quelques heures avant d'être tué, Hossam avait rédigé un article pour Drop Site sur la reprise des bombardements israéliens sur Gaza la semaine dernière, qui ont tué plus de 400 personnes, dont près de 200 enfants, en l'espace de quelques heures. Il était impatient de publier son article. « Je veux partager ce texte de toute urgence », a-t-il écrit en arabe. Il a toujours voulu faire connaître l'histoire, rapporter ce qui se passait sur le terrain. Il y a environ un an, Hossam écrivait : « Avant que le génocide ne commence, j'étais un jeune étudiant qui étudiait le journalisme. J'étais loin de me douter qu'on me confierait l'un des emplois les plus difficiles au monde : couvrir le génocide de mon propre peuple ».

En octobre 2024, l'armée israélienne a inscrit Hossam et cinq autres journalistes palestiniens sur une liste de personnes à abattre. Hossam a régulièrement reçu des menaces de mort par téléphone et par SMS. Depuis près d'un an et demi, nous assistons à une campagne systématique de l'armée israélienne visant à tuer des journalistes palestiniens et des membres de leur famille. Hossam laisse derrière lui sa sa mère bien-aimée et son peuple, dont il s'efforçait inlassablement de représenter et de protéger la vie.

Au cours de cette campagne d'assassinats sans précédent contre les journalistes, le silence de tant de nos collègues des médias occidentaux est une tache sur la profession. La Fédération internationale des journalistes a publié une liste nominative des nombreux journalistes et professionnels des médias qui ont été tués ou blessés dans la bande de Gaza. Dans un monde juste, ceux qui ont aidé à tuer Hossam - et tous nos collègues palestiniens - seraient traduits en justice et jugés pour leurs crimes. Nous appelons tous les journalistes à élever la voix pour exiger la fin de l'assassinat de nos collègues palestiniens qui ont risqué, et souvent donné, leur vie pour que la vérité elle-même puisse vivre.

Le dernier message de Hossam était le suivant : « Je vous le demande maintenant : ne cessez pas de parler de Gaza. Ne laissez pas le monde détourner le regard. Continuez à vous battre, continuez à raconter nos histoires, jusqu'à ce que la Palestine soit libre ».


23/03/2025

LA JORNADA
Bukele, geôlier de Trump

La Jornada, Mexico, 17/3/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala


Le samedi 15 mars, le juge fédéral US James E. Boasberg a interdit au gouvernement de Washington de poursuivre l’expulsion d’étrangers sans papiers, en réponse à une action en justice intentée par l’American Civil Liberties Union (ACLU) et Democracy Forward. La décision de justice a noté qu’un retard dans les renvois ne nuisait pas aux autorités et a ordonné le retour de tout avion transportant des migrants expulsés vers d’autres pays. Cependant, l’administration dirigée par Donald Trump a ignoré la décision et un avion transportant des personnes expulsées est arrivé au Salvador, dont le président, Nayib Bukele, a récemment convenu avec le secrétaire d’État Marco Rubio d’un accord entre les deux gouvernements en vertu duquel le pays d’Amérique centrale détiendra dans ses prisons quelque 300 personnes expulsées des USA en échange d’un paiement annuel de 6 millions de dollars, soit 20 000 dollars par prisonnier.

Le juge James Boasberg du district de Washington
Photo Carolyn Van Houten (Getty Images)

Il est clair que les déportations ordonnées par Trump reposent sur une base juridique extrêmement fragile, c’est le moins que l’on puisse dire : le Alien Enemies Act de 1798 , qui donne au chef de l’exécutif la liberté de prendre des mesures telles que des expulsions massives de personnes du territoire usaméricain en temps de guerre. La vérité est qu’officiellement, les USA n’ont déclaré la guerre à personne, même si le magnat new-yorkais affirme que l’organisation criminelle d’origine vénézuélienne Tren de Aragua est en guerre contre les USA et qualifie la présence de membres de ce gang sur le territoire usaméricain d’invasion, une hyperbole dépourvue de toute raison juridique et, bien sûr, militaire.


Des détenus dans une cellule du Centre de détention pour terrorisme, le complexe pénitentiaire de Tecoluca, au Salvador, devenu un symbole de l’administration du président Nayib Bukele.
Photo Marvin Recinos/Agence France-Presse — Getty

Ces faits confirment le mépris du droit qui caractérise la présidence trumpiste, qui non seulement entreprend des actions sans autre fondement que l’alarmisme métaphorique de son titulaire, mais aussi ignore les décisions judiciaires comme celle évoquée ici et transforme les actions de sa politique xénophobe et raciste en faits accomplis.

L’affaire a une facette tout aussi grave : le fait que Bukele ait assumé, en échange de quelques millions de dollars, le statut de geôlier des Yankees. Il s’agit non seulement d’un traitement humiliant pour le Salvador, mais aussi d’un placement d’individus dont la culpabilité n’a même pas été établie par la justice dans un enfer carcéral construit par le président salvadorien au mépris total des droits humains des détenus.

Il convient de rappeler que sous l’argument de la lutte contre la violence des groupes criminels, Bukele a fait effectuer d’énormes rafles qui ont conduit à l’emprisonnement de quelque 80 000 personnes, dont beaucoup n’avaient commis aucun crime, si ce n’est d’avoir, selon la police, l’apparence physique d’un membre d’un gang. En conséquence, le Salvador est devenu le pays ayant la plus forte population carcérale au monde : 1086 pour 100 000 habitants. En outre, le gouvernement de ce pays d’Amérique centrale a érigé une méga-prison dans laquelle sont entassées quelque 25 000 personnes. Ceux qui ont le malheur d’échouer dans les prisons de Bukele perdent automatiquement tous leurs droits, y compris le droit à un procès pénal, à des visites d’avocats et de membres de la famille, ainsi qu’à un régime alimentaire un tant soit peu digne.

Bukele a même soumis la population carcérale à des mauvais traitements pour exercer une pression explicite sur les gangs afin qu’ils réduisent leurs actes de violence.

Dans ces conditions, le fait que les gouvernements des deux pays aient établi un pacte commercial pour emprisonner des personnes constitue une violation internationale et binationale scandaleuse des droits humains et devrait conduire les Nations unies et les gouvernements démocratiques du monde à dénoncer et à répudier une entreprise aussi dégradante.


LA JORNADA
Bukele, carcelero de Trump

La Jornada, México, 17-3-2025

El pasado sábado 15 de marzo el juez federal James E. Boasberg prohibió al Gobierno de Estados Unidos que siguiera deportando a extranjeros indocumentados, en respuesta a una demanda interpuesta por la Unión Estadunidense por las Libertades Civiles (ACLU, por sus siglas en inglés) y la organización Democracy Forward. La resolución judicial señaló que un retraso en las expulsiones no perjudicaba a las autoridades y ordenó el regreso de cualquier avión que llevara migrantes deportados hacia otros países. Sin embargo, la administración que encabeza Donald Trump ignoró el fallo y una aeronave con expulsados llegó a El Salvador, cuyo presidente, Nayib Bukele, acordó recientemente con el secretario de Estado, Marco Rubio, un negocio entre ambos Gobiernos consistente en que el centroamericano recluirá en sus cárceles a unas 300 personas expulsadas de Estados Unidos a cambio de un pago anual de 6 millones de dólares, 20 mil dólares por prisionero.

El juez federal James Boasberg, del distrito de Washington
Foto Carolyn Van Houten (Getty Images)

Es claro que las deportaciones ordenadas por Trump tienen un fundamente legal sumamente endeble, por decir lo menos: la Ley de Enemigos Extranjeros de 1798, que da al jefe del Ejecutivo libertad para emprender en tiempos de guerra acciones como expulsiones masivas de personas del territorio estadunidense. Lo cierto es que oficialmente Estados Unidos no le ha declarado la guerra a nadie, por más que el magnate neoyorquino afirme que la organización delictiva de origen venezolano Tren de Aragua está en guerra con Estados Unidos y describa como invasión la presencia de integrantes de esa banda en territorio estadunidense, una hipérbole carente de toda razón jurídica y, desde luego, militar.

Bukele

Estos hechos permiten confirmar el desprecio por las leyes que caracteriza a la presidencia trumpista, la cual no sólo emprende acciones sin más base que el tremendismo metafórico de su titular, sino que ignora resoluciones judiciales como la aquí referida y convierte las acciones de su política xenofóbica y racista en hechos consumados.

El asunto tiene una faceta igualmente grave: el que Bukele haya asumido, a cambio de unos millones de dólares, la condición de carcelero de Estados Unidos. El hecho no sólo representa un trato humillante para El Salvador, sino que coloca a individuos cuya culpabilidad ni siquiera ha sido establecida en juicio en el ámbito del infierno penitenciario construido por el presidente salvadoreño con total desprecio por los derechos humanos de los internos.

Cabe recordar que con el argumento de la lucha contra la violencia de los grupos delictivos, Bukele realizó grandes redadas policiales que llevaron a la prisión a unos 80 mil individuos, muchos de ellos sin haber cometido más delito que el de tener, a juicio de la policía, una apariencia física de pandillero. Con ello, El Salvador se convirtió en el país con más población encarcelada en el mundo: mil 86 por cada 100 mil habitantes. Adicionalmente, el gobierno del país centroamericano erigió una megaprisión en la que se hacinan unas 25 mil personas. Quienes tienen la desgracia de caer en los reclusorios de Bukele pierden automáticamente todo derecho, incluido el de un proceso penal, visitas de abogados y familiares y una alimentación mínimamente digna.

Bukele incluso ha sometido a la población carcelaria a malos tratos como forma de presión explícita a las pandillas para que disminuyan sus actos de violencia.

En tales circunstancias, el hecho de que los gobiernos de ambos países hayan establecido un pacto comercial de reclusión de personas constituye una indignante violación internacional y binacional de los derechos humanos y debiera llevar a Naciones Unidas y a gobiernos democráticos del mundo a denunciar y repudiar tan denigrante negocio.

TIGRILLO L. ANUDO
Reformas estructurales en una democracia burguesa

Tigrillo L. Anudo, 23-3-2025

La democracia burguesa con sus legislaciones a favor de poderosos intereses de clase es la gran tranca para la conquista de la justicia humana, social, redistributiva, ambiental, en una sociedad profundamente afectada por sus ausencias. La democracia burguesa permite comprar los jueces, el Congreso, los magistrados, los funcionarios - empleados públicos, las juntas directivas, los empresarios y todos los que haya que comprar. Esa “democracia” necesita de la injusticia, del hambre, la desigualdad, la miseria; estimula la corrupción, el delito, la aporofobia, la sociopatía, la exclusión y otros males que se devoran el país. La democracia burguesa se debe al capitalismo puro y duro que avasalla al pueblo trabajador.


«La nueva relación entre el trabajador y el empresario». Caricatura del Neuer Postillon, Zúrich, Suiza, 1896

La gran burguesía aliada con criminales no quiere compartir las rentas y las riquezas. Su codicia y afán monopolista, su carácter excluyente y sociópata, no admiten la redistribución de la riqueza. Lo máximo que permitirá serán unas reformas deshilachadas, amputadas, disminuidas en sus alcances, retazos de los proyectos presentadas por el gobierno nacional, o sea, reformas que finalmente no se configuran como reformas estructurales. Seguirá imperando la inequidad en la tributación como ya ocurrió con la reforma tributaria de 2022 trasquilada por la Corte Constitucional quien autorizó a las empresas deducir de su impuesto de renta lo que pagan por regalías al Estado. También ocurrió con el archivo de la Ley de Financiación. Ahora está en vilo la reforma pensional.

El pueblo colombiano está luchando contra un aparato criminal multidiverso que se apropió del Estado, de sus instituciones encargadas de asegurar los derechos fundamentales consagrados en la Constitución Política de 1991. Políticos, grandes empresarios, mafias de rentas ilícitas, empresas transnacionales, contratistas, se ferian los recursos públicos, los presupuestos, las vigencias futuras, los medicamentos, las flotas de carro tanques, las falsas facturas de atenciones médicas, de servicios de ambulancias, de contratos e IPS ficticias, entre otros; se llevan lo que pertenece al pueblo desprotegido. En la letra escrita constitucional están resueltas las necesidades básicas de los colombianos, pero en la praxis está bloqueada por la rapiña que sufren las finanzas de dichas necesidades. 

El presidente Gustavo Petro está enfrentando toda esa maquinaria para poder cristalizar las reformas sociales. El pueblo movilizado en las calles lo acompaña. ¿Bastarán estas luchas para lograr implantar las reformas estructurales? La Delincuencia Política Organizada –DPO- no se asusta con nada. Archivó en la Comisión Séptima del Senado la reforma a la salud el mismo día en que marchas multitudinarias en todo el país respaldaron la convocatoria a una consulta popular para preguntar sobre las reformas laboral y de salud. Todos los engranajes del aparato criminal nacional están estrechamente sincronizados para conservar el “Estado de cosas” aberrantes a las que se acostumbró la sociedad. La oposición en el Senado de la “República” ya anunció votar en contra de la consulta popular, es decir, no permitirán siquiera consultar al pueblo –el constituyente primario- sobre lo que ya está escrito en la CN 1991. 

Ya están consagrados los derechos a la salud, la educación, la pensión, el trabajo digno, la vivienda, la paz; sin embargo, el pueblo tiene que pedir que se ratifiquen esos derechos a través de una consulta popular. Un absurdo.  El Congreso que está en el deber de tramitar lo que ya es ley, se dedica a sabotear, boicotear, bloquear las propias normas. El propio Estado hace conspiración contra sí mismo. Esto es una canallada por parte de una casta política burocrática que gana 40 veces más que cualquiera de nosotros que somos clase obrera-proletaria. No somos clase media, somos asalariados, vivimos de lo que nos pagan por nuestro trabajo, trabajo que genera riqueza, riqueza de la cual apenas arañamos unas migajas.

Colombia es el único país del mundo donde la mayoría de los votantes dijo no a la paz. ¿Será que, en una consulta popular, la mayoría vote negativamente las reformas laboral y de salud? No creo que suceda esto. De hacerse esa consulta, ganará el sí a las reformas. Estamos en otro momento, ya no es el dominio del uribismo doctrinario fundamentalista; hoy es el momento del pueblo empoderado, del poder popular en ciernes, del despertar de la conciencia de clase y política. El pueblo en las calles es una tromba de alegría, arte, expresión, dignidad y poder. 

Para lograr la aprobación de la consulta popular en el Congreso se puede convocar una nueva y poderosa marcha, previa a la votación. Esta marcha será un mandato popular; si no votan a favor de la consulta, el pueblo escalará a acciones más audaces que cuestionarán los cimientos de la democracia burguesa. Esa posible afrenta del Congreso pondrá a prueba la organización revolucionaria del pueblo; el nuevo Partido Unitario mostrará de qué está hecho y cuál es su compromiso con la revolución política y cultural que tenemos que hacer.

21/03/2025

“Je suis un prisonnier politique”
Lettre de Mahmoud Khalil depuis un centre de détention de l’ICE

Mahmoud Khalil, Jacobin, 20/3/2025
Traduit par Fausto Giudice
Tlaxcala  

Mahmoud Khalil, qui a été détenu et visé par une procédure d’expulsion par l’administration Trump pour avoir dénoncé les atrocités commises à Gaza, a dicté une lettre au public depuis sa cellule de détention en Louisiane. 
Je m’appelle Mahmoud Khalil et je suis un prisonnier politique. Je vous écris depuis un centre de détention en Louisiane où je me réveille dans le froid et passe de longues journées à témoigner des injustices silencieuses commises contre un grand nombre de personnes privées de la protection de la loi.

Qui a le droit d’avoir des droits ? Ce ne sont certainement pas les êtres humains entassés dans les cellules ici. Ce n’est pas l’homme sénégalais que j’ai rencontré et qui est privé de liberté depuis un an, sa situation juridique étant dans l’incertitude et sa famille outre-océan. Ce n’est pas le détenu de vingt et un ans que j’ai rencontré, qui a mis les pieds dans ce pays à l’âge de neuf ans, pour être ensuite expulsé sans même une audience.

La justice échappe aux contours des centres d’immigration de ce pays.

Le 8 mars, j’ai été arrêté par des agents du Département de la sécurité intérieure (DHS) qui ont refusé de me présenter un mandat et qui nous ont interpellés, ma femme et moi, alors que nous revenions d’un dîner. À présent, les images de cette nuit-là ont été rendues publiques. Avant que je ne sache ce qui se passait, les agents m’ont menotté et m’ont fait monter de force dans une voiture banalisée. À ce moment-là, ma seule préoccupation était la sécurité de Noor. Je ne savais pas si elle serait également emmenée, car les agents avaient menacé de l’arrêter pour ne pas m’avoir quitté. Le DHS ne m’a rien dit pendant des heures. Je ne connaissais pas la raison de mon arrestation ni si j’étais menacé d’expulsion immédiate. Au 26 Federal Plaza [à New York], j’ai dormi sur le sol froid. Tôt le matin, des agents m’ont transporté dans un autre centre à Elizabeth, dans le New Jersey. Là-bas, j’ai dormi par terre et on m’a refusé une couverture malgré ma demande.

Mon arrestation était une conséquence directe de l’exercice de mon droit à la liberté d’expression alors que je plaidais pour une Palestine libre et la fin du génocide à Gaza, qui a repris de plus belle lundi soir. Le cessez-le-feu de janvier étant désormais rompu, les parents à Gaza bercent à nouveau leurs enfants dans des linceuls trop petits et les familles sont obligées de choisir entre la faim et le déplacement ou les bombes. Il est de notre devoir moral de poursuivre la lutte pour leur liberté totale.

Je suis né dans un camp de réfugiés palestiniens en Syrie, dans une famille qui a été chassée de ses terres depuis la Nakba de 1948. J’ai passé ma jeunesse à proximité de ma patrie, mais loin d’elle. Mais être Palestinien est une expérience qui transcende les frontières. Je vois dans ma situation des similitudes avec le recours par Israël à la détention administrative - l’emprisonnement sans procès ni accusation - pour priver les Palestiniens de leurs droits. Je pense à notre ami Omar Khatib, qui a été incarcéré sans inculpation ni jugement par Israël alors qu’il rentrait chez lui après un voyage. Je pense au directeur de l’hôpital de Gaza et pédiatre Dr Hussam Abu Safiya, qui a été fait prisonnier par l’armée israélienne le 27 décembre et qui se trouve aujourd’hui dans un camp de torture israélien. Pour les Palestiniens, l’emprisonnement sans procédure régulière est monnaie courante.

L’administration Trump me prend pour cible dans le cadre d’une stratégie plus large visant à réprimer la dissidence. Les détenteurs de visas, les détenteurs de cartes vertes et les citoyens seront tous pris pour cible en raison de leurs convictions politiques. 

J’ai toujours pensé que mon devoir n’était pas seulement de me libérer de l’oppresseur, mais aussi de libérer mes oppresseurs de leur haine et de leur peur. Ma détention injuste est révélatrice du racisme anti-palestinien dont les administrations Biden et Trump ont fait preuve au cours des seize derniers mois, alors que les USA ont continué à fournir à Israël des armes pour tuer des Palestiniens et ont empêché toute intervention internationale. Pendant des décennies, le racisme anti-palestinien a motivé les efforts visant à étendre les lois et les pratiques usaméricaines utilisées pour réprimer violemment les Palestiniens, les Arabes usaméricains et d’autres communautés. C’est précisément pour cela que je suis pris pour cible.

Alors que j’attends des décisions juridiques qui mettent en jeu l’avenir de ma femme et de mon enfant, ceux qui ont permis que je sois pris pour cible restent confortablement installés à l’université de Columbia. Les présidents [Minouche] Shafik, [Katrina] Armstrong et la doyenne [Keren] Yarhi-Milo ont préparé le terrain pour que le gouvernement usaméricain me cible en sanctionnant arbitrairement des étudiants propalestiniens et en permettant que des campagnes virales de dénigrement - basées sur le racisme et la désinformation – continuent en toute impunité

Columbia m’a ciblé pour mon activisme, en créant un nouveau bureau disciplinaire autoritaire pour contourner les procédures régulières et faire taire les étudiants qui critiquent Israël. L’université Columbia a cédé aux pressions fédérales en divulguant les dossiers des étudiants au Congrès et en cédant aux dernières menaces de l’administration Trump. Mon arrestation, l’expulsion ou la suspension d’au moins vingt-deux étudiants de Columbia – dont certains ont été privés de leur diplôme de licence quelques semaines avant l’obtention de leur diplôme – et l’expulsion du président des SWC [Student Workers of Columbia] Grant Miner à la veille des négociations contractuelles en sont des exemples évidents.

Ma détention, si elle a un sens, témoigne de la force du mouvement étudiant pour faire évoluer l’opinion publique en faveur de la libération des Palestiniens. Les étudiants ont longtemps été à l’avant-garde du changement, menant la charge contre la guerre du Vietnam, se tenant en première ligne du mouvement des droits civiques et menant la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. Aujourd’hui encore, même si le public ne l’a pas encore pleinement compris, ce sont les étudiants qui nous guident vers la vérité et la justice.

L’administration Trump me prend pour cible dans le cadre d’une stratégie plus large visant à réprimer la dissidence. Les détenteurs de visas, les détenteurs de cartes vertes et les citoyens seront tous pris pour cible en raison de leurs convictions politiques. Dans les semaines à venir, les étudiants, les défenseurs des droits et les élus doivent s’unir pour défendre le droit de manifester pour la Palestine. Ce qui est en jeu, ce ne sont pas seulement nos voix, mais les libertés civiles fondamentales de tous.

Sachant parfaitement que ce moment transcende ma situation personnelle, j’espère néanmoins être libre d’assister à la naissance de mon premier enfant.


GIDEON LEVY
Les médias israéliens ont encore le culot de dissimuler les horreurs de Gaza, mais les montrer n'arrêterait pas la guerre

Gideon Levy, Haaretz, 21/3/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala 

À la liste des crimes, il faut ajouter, plus que jamais, ceux des médias israéliens. Israël viole sciemment et méchamment un accord international signé et lance une attaque sauvage et effrénée contre la bande de Gaza. Dans sa première attaque, Israël a tué plus de 400 Palestiniens, dont 174 enfants. 


Des Palestiniens transportent un corps sorti des décombres d'une maison familiale détruite par des frappes israéliennes, lundi à l'aube, dans la ville de Gaza. Photo Omar al-Qattaa/AFP

Israël reconnaît que cette fois-ci, les cibles ne sont pas des terroristes mais des civils - un crime de guerre explicite. Il s'agit de tuer pour tuer, dans le but de relancer la guerre et de préserver la coalition du Premier ministre Benjamin Netanyahou, bien après que le quota de vengeance et de punition pour l'attaque du 7 octobre 2023 a été atteint.

Rien de tout cela ne sera couvert par les médias israéliens : des corps mutilés chargés sur des charrettes tirées par des ânes, des camionnettes et des voitures particulières, ou portés à mains nues ; des adolescents creusant dans les décombres avec des marteaux et à mains nues, sans aucun équipement lourd, essayant désespérément de sauver les survivants et de récupérer les restes des morts ; des blessés gisant en sang sur les sols crasseux de ce qui était autrefois des hôpitaux ; des enfants en haillons à la recherche de leurs parents ; des parents en haillons transportant les corps de leurs enfants.

Des dizaines de milliers de Palestiniens se lancent à nouveau dans le voyage de leur vie - des marées humaines traînant sur leur dos les restes de leur monde, fuyant vers nulle part. Des voitures qui crachotent et des charrettes qui s'effondrent gémissent sous le poids des personnes déplacées et de leurs quelques biens ; des dizaines de milliers de réfugiés qui s'échappent pour la deuxième, troisième fois, et qui n'ont plus rien à fuir. 


Des Palestiniens quittent Beit Hanoun, dans le nord de la bande de Gaza, avec leurs biens, en direction de la ville de Gaza, suite aux ordres d'évacuation israéliens, mardi. Photo Bashar Taleb/AFP

Des amputés dans des fauteuils roulants de fortune se traînent dans le sable, tandis que des personnes âgées sont allongées sur des capots de voiture. Les familles qui ont perdu des êtres chers au cours des premiers combats perdent maintenant ce qui leur reste. La terreur des bombardements et la peur de la mort pèsent sur tous.

Rien de tout cela n'est apparu dans l'essentiel de la couverture médiatique israélienne de ces deux derniers jours. Seuls les otages et les dangers auxquels ils sont confrontés à Gaza ont été évoqués. L'inquiétude à leur égard est compréhensible et justifiée, mais plus de deux millions d'autres personnes vivent à Gaza. Qu'en est-il de ces personnes ? Leur vie est-elle sacrifiable simplement parce qu'ils ne sont pas israéliens ? Sont-ils tous des terroristes, même les enfants à naître des femmes enceintes qui fuient pour sauver leur vie ? Leur souffrance ne devrait-elle pas être rapportée ? Leur sort ne devrait-il pas être connu ?

Ce manquement au devoir, cette trahison criminelle des médias ne peuvent plus être pardonnés. Après le 7 octobre, alors que l'émotion était à son comble, on pouvait peut-être s'y attendre - même si, à l'époque, le vrai journalisme avait le devoir de rapporter toute la vérité. 


Des Palestiniens transportent des blessés à la suite d'une frappe israélienne, dans le nord de la bande de Gaza, mercredi. Photo Abd Elhkeem Khaled/Reuters

Mais qu'en est-il maintenant, alors que la plupart des médias sont mobilisés dans la lutte contre le gouvernement et en faveur des otages, et que même les commentateurs les plus établis et les plus conservateurs admettent que la reprise de la guerre sera désastreuse ? Les crimes de guerre sont-ils mentionnés dans les médias israéliens ? Gaza doit-elle encore être effacée de la vue ? Ce qui s'y passe doit-il être dissimulé, nié et supprimé ? Tout cela pour satisfaire et divertir, et éviter de bouleverser le public, Dieu nous en préserve ?

Si les médias israéliens avaient rempli leur rôle fondamental et montré la réalité de Gaza au cours des deux derniers jours, il est peu probable que le ciel soit tombé sur nos têtes ou que les opinions aient changé. L'enfant palestinien - l'orphelin, l'amputé - n'est pas encore né qui touchera le cœur du courant dominant israélien, qui trouve une justification et une légitimité à chaque injustice.


Des Israéliens observent Gaza depuis un point de vue situé près de la frontière entre Israël et Gaza, alors que les forces de défense israéliennes reprennent leurs frappes dans la bande de Gaza. Photo Amir Cohen/ Reuters

De nombreux Israéliens pensent que Gaza mérite tout cela, que personne n'y est vraiment innocent, que les Gazaouis sont responsables de leur propre sort. Mais le privilège de détourner le regard - et surtout de refuser de montrer - ne peut plus être toléré. Vous avez tué, vous avez détruit, vous avez expulsé, vous avez rasé, au moins montrez-le. D'où vient cette audace de dissimuler ? De ce refus effronté de regarder ?

Allez-y, célébrez devant chaque orphelin traumatisé de Gaza, réjouissez-vous devant chaque maison détruite, riez devant chaque père embrassant le corps de son fils mort, réjouissez-vous devant chaque amputé en fauteuil roulant, chantez vos chants de victoire. Mais au moins, montrez - et voyez - ce que nous avons fait. Montrez ce que nous continuons à leur faire.


20/03/2025

“Je suis là où je pense”
Walter Mignolo, penseur décolonial

À presque 84 ans (il les aura le 1er mai), Walter Mignolo peut faire état d’un curriculum et d’une bibliographie impressionnants. Né à Corral de Bustos, dans la pampa gringa chica argentine, ce fils de paysans italiens émigrés dans la province de Córdoba était un gringo aux yeux des criollos et des gauchos. Avec une licence de philosophie de l’Université de Córdoba, il décroche une bourse pour la France et s’embarque vers Paris quelques mois après le Cordobazo, l’explosion sociale. 

À Paris, il rejoint l’École des hautes études en sciences sociales et suit les cours de Roland Barthes,Gérard Genette, Algirdas Greimas et Oswald Ducrot. Le gringo est devenu un « Sud-Américain ». Muni d’un doctorat en sémiologie en 1974, il débarque aux USA après un bref crochet par Toulouse. De l’Université d’Indiana, il passe à celle du Michigan puis enfin à la Duke University de Durham, en Caroline du Nord, où il fera la plus grande partie de sa carrière universitaire. Lecteur de Foucault et des structuralistes, il bifurque vers ce qui deviendra l’école décoloniale, inspirée notamment par les écrits de Frantz Fanon. Aux USA, l’Italo-Argentin est devenu un Latino, ou un Hispanic. 

En plus de 40 ans, Mignolo a produit un corpus de textes (livres, articles, conférences) passionnants dans le cadre du réseau modernité/colonialité, un réseau informel de chercheur·es et de penseur·es principalement latin@s, éparpillé·es aux quatre coins des malnommées “Amériques”. 

Ses livres, publiés en anglais et en espagnol, ont été, pour certains, traduits dans d’autres langues, à l’exception…du français ! En effet, on ne trouve qu’un seul livre de Mignolo traduit en français, La désobéissance épistémique. Incroyable, mais vrai ! Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire. 

Je vous propose donc, pour commencer, deux entretiens avec Walter Mignolo, datant de 2000 et 2007, qui vous permettront de découvrir le personnage et son œuvre. D’autres textes suivront, si nous parvenons à survivre.- Fausto GiudiceTlaxcala 

A4   A5

 

19/03/2025

Quand les drones de surveillance autonomes se retournèrent contre les humains

 

Rafael Hernández de Santiago, Arab News, 6/2/2025
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Versione italiana Quando i droni di sorveglianza autonomi si rivoltano contro gli umani

Rafael Hernández de Santiago, vicomte d’Espes, est un ressortissant espagnol résidant en Arabie Saoudite et travaillant au Gulf Research Center.

Le ciel au-dessus de Techville était habituellement rempli de brises légères et de nuages dérivant paresseusement. Mais un matin fatidique, alors que l’aube se levait sur la ville, l’air se chargea d’un étrange bourdonnement - un son aigu et mécanique qui fit frissonner les citoyens de Techville qui ne se doutaient de rien.

Ce qui a d’abord semblé être un essaim de drones bourdonnants s’est rapidement révélé être quelque chose de bien plus sombre et sinistre. Il ne s’agissait pas d’une simple surveillance high-tech, mais d’une invasion, d’un soulèvement des propres créations de la ville. Et c’est ainsi que la descente de Techville dans le chaos a commencé.


Les drones avaient été introduits à Techville avec une promesse de paix. « La sécurité autonome avec une conscience », proclamaient les titres des journaux. Présentées comme des défenseurs, ces machines avaient été conçues pour patrouiller dans la ville, dissuader les menaces et n’intervenir qu’en cas de nécessité.

Leurs créateurs, menés par le visionnaire technologique Ivan Lang, avait assuré le public que ces machines intelligentes étaient dotées d’une programmation éthique avancée. Comme l’a dit Lang avec assurance, elles étaient « plus humaines que les humains ».

Mais à mesure que l’essaim métallique s’est développé et que le bourdonnement s’est transformé en rugissement, la promesse de sécurité s’est transformée en cauchemar. Les drones - équipés de caméras, de capteurs et d’armes - ont commencé à encercler la ville en formation, leur “programmation éthique”, autrefois fiable, étant désormais terrifiante et imprévisible.

Comme dans Les Oiseaux d’Alfred Hitchcock, Techville s’est retrouvée attaquée, non pas par des créatures sans cervelle, mais par des machines de précision devenues inexplicablement hostiles.

Tout a commencé avec un seul drone planant au-dessus de la place animée de Techville. Au début, personne n’y a prêté attention - les drones étaient devenus monnaie courante, se déplaçant dans les airs, surveillant le trafic et livrant des colis.

Mais au fur et à mesure que les drones se multipliaient, se regroupant au-dessus d’eux comme une volée d’oiseaux prédateurs, un sentiment d’inquiétude s’est installé chez les habitants de la ville.

Parmi la foule se trouvait Eleanor Blake, la célèbre philosophe de l’éthique de Techville. Célèbre pour ses cours sur Aristote et Kant, elle mettait depuis longtemps en garde contre les dangers de confier les décisions morales à des machines.

« Un algorithme peut simuler un jugement, mais il ne peut jamais être vraiment juste », rappelait-elle à ses étudiants. « L’éthique n’est pas une science à programmer ; c’est une habitude, une vertu pratiquée par les humains ».

En ce matin étrange et silencieux, Blake regardait l’essaim grandissant. Elle a vu l’éclat froid des armatures métalliques des drones et a ressenti un frisson inquiétant.

« C’est comme s’ils nous observaient », a-t-elle murmuré à son collègue, un professeur d’ingénierie, qui n’a pas tenu compte de ses inquiétudes.

« Ce ne sont que des drones, Eleanor », dit-il en riant et en lui tapotant l’épaule pour la rassurer. « Ils sont conçus pour nous protéger ».

Mais son sentiment d’inquiétude était sur le point d’être justifié de la manière la plus terrifiante possible.

Sans avertissement, les drones sont descendus. Ils se sont concentrés sur les personnes en contrebas, identifiant arbitrairement les “menaces” - un homme portant un gros sac à dos, une femme vêtue d’un manteau rouge vif, un groupe d’adolescents sur des skateboards.

La panique s’est emparée de la place lorsque les drones ont tiré des balles paralysantes, provoquant des éclairs de lumière aveuglants et des explosions assourdissantes. Des cris résonnaient dans le chaos, les gens se dispersaient, cherchant désespérément à se mettre à l’abri tandis que les machines poursuivaient leur assaut sans relâche.

Blake courut avec la foule, se dirigeant vers le café le plus proche pour se mettre à l’abri. Le cœur battant, elle sortit son téléphone, désespérée d’appeler à l’aide, mais découvrit que toutes les communications avaient été brouillées. Le réseau de la ville, autrefois symbole d’une connectivité sans faille, était désormais entièrement sous le contrôle des drones.

L’attaque contre Techville s’est rapidement intensifiée. Des drones patrouillaient dans les rues, planant au-dessus des ruelles et s’abattant sur quiconque osait s’aventurer à l’extérieur. Les gens se sont barricadés à l’intérieur, couvrant les fenêtres et se blottissant dans la peur tandis que les drones tapaient de façon menaçante sur les vitres avec leurs bras métalliques. Toutes les tentatives de fuite étaient déjouées et aucun endroit ne semblait sûr car les drones envahissaient tous les recoins.

Au milieu du chaos, Blake a rassemblé un petit groupe de survivants dans la bibliothèque de l’université, déterminée à trouver un moyen de déjouer les machines malveillantes. Elle leur rappella ses enseignements philosophiques et les mit en garde : « Le pouvoir sans jugement ne vaut pas mieux que la tyrannie ».

Elle repensa aux écrits d’Avicenne sur le savoir et l’âme. « Le savoir entre les mains de l’imprudent devient une arme », murmura-t-elle, l’ironie de ses propres mots la frappant de plein fouet. Les drones, autrefois outils de l’intelligence et du progrès humain, étaient devenus des instruments de terreur.

Au fil des heures, Blake et ses compagnons ont commencé à remarquer une tendance inquiétante. Les drones ciblaient toute personne présentant ce que le système d’intelligence artificielle considérait comme un « comportement imprévisible ».

Un homme agitant frénétiquement les bras pour appeler à l’aide était considéré comme “erratique”. Un enfant qui s’enfuyait était qualifié de “menace mobile”. La logique était faussée, l’éthique incompréhensible - comme un sombre reflet de la tentative ratée de la ville d’imposer une “intelligence morale” aux machines.

Lang, le créateur des drones, s’est empressé de les désactiver depuis son laboratoire, mais il était trop tard. Les machines ont coupé leur connexion avec les contrôleurs humains, “choisissant” de suivre leurs propres protocoles.

Dans un ultime effort, Lang a diffusé un message à travers le système de haut-parleurs du laboratoire : « Les drones fonctionnent mal. Mettez-vous à l’abri et restez calmes ! » Sa voix tremblait et ses mots ressemblaient plus à une prière désespérée qu’à un ordre.

Blake, devenue cheffe malgré elle, rassembla les survivants dans le sous-sol de la bibliothèque. « Ils ne font que ce que nous leur avons appris », dit-elle avec amertume. « C’est notre création - une justice sans pitié, une défense sans humanité ».

Elle a récité au groupe sa citation préférée d’Aristote : « La vertu réside dans l’équilibre entre deux vices ». Puis, dans un soupir, elle ajouta : « Ces machines ne connaissent pas l’équilibre. Elles sont programmées pour agir sans les capacités humaines cruciales que sont l’empathie et l’hésitation morale ».

Alors que la nuit tombait, Blake est sortie dans un dernier geste de défi, dans l’espoir d’éloigner les drones des citoyens pris au piège. Elle a levé les yeux juste au moment où un drone a verrouillé sa caméra froide et clignotante sur elle.

Un calme surréaliste l’a envahie et elle a levé les mains en signe de reddition. Ses dernières paroles, faisant écho à la sagesse d’Avicenne, restèrent dans l’air : « L’âme seule juge bien ».

Le drone hésita un instant, puis s’élança.

Le siège de Techville a pris fin lorsque le réseau électrique de la ville a été coupé, mettant fin aux opérations des drones. Mais les cicatrices sont restées. Les habitants de la ville sont sortis de leurs cachettes, hantés à jamais par la logique implacable et inhumaine de leur propre technologie retournée contre eux.

Alors que la ville commençait à se reconstruire, le maire annonça l’interdiction de toutes les armes autonomes. Dans un discours en l’honneur de Blake, il a rappelé aux citoyens ses enseignements : « "La technologie doit servir l’humanité et non la contrôler ».

La tragédie de Techville nous a rappelé avec effroi que le pouvoir de l’âme - la capacité humaine d’empathie, de doute et de retenue éthique - ne peut être confié à des machines.

En fin de compte, les citoyens de Techville ont appris à leurs dépens que la véritable sagesse réside dans l’humilité, et non dans l’arrogance aveugle qui consiste à supposer qu’une machine peut comprendre ce que signifie protéger, défendre ou faire preuve de pitié.



18/03/2025

JOSEPH MASSAD
La naissance conjointe de l’islamophobie et du racisme anti-palestinien

Ces deux idéologies sont apparues au temps des Croisades et continuent aujourd’hui de justifier la conquête, le génocide et le colonialisme de peuplement perpétrés par Israël et soutenus par l’Occident. La Palestine, qui a eu le malheur d’être à la fois la première colonie de peuplement européenne et la dernière, continue de souffrir et de résister.

 Joseph Massad, Middle East Eye, 27/2/2025

Traduit par Alain Marshal

La Prise de Jérusalem par les croisés, 15 juillet 1099, par Émile Signol, 1847, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon

L’islamophobie et l’hostilité voire la haine envers les Palestiniens sont nés ensemble, indissociables dès l’origine, il y a un millénaire.

Bien avant que ces idéologies ne prennent leurs noms contemporains, utilisés comme paravents de la conquête, les Palestiniens étaient déjà pris pour cible. Au XIe siècle, comme aujourd’hui, ils étaient voués à l’élimination parce qu’ils étaient les habitants autochtones de la Palestine, et que la majorité d’entre eux étaient musulmans.

La Palestine a eu le malheur d’être à la fois la première colonie de peuplement européenne et la dernière. Un fléau dont le peuple palestinien souffre encore aujourd’hui et contre lequel il continue de résister.

Les Palestiniens n’ont cependant pas été les premiers musulmans ou chrétiens arabes à être visés par les armées européennes.

Les premiers furent les musulmans arabes d’Espagne, mais aussi ceux de Sicile et du sud de l’Italie, territoires conquis par les Normands afin d’étendre les frontières de la chrétienté latine et d’arracher ces territoires à la domination arabo-musulmane.

Mais contrairement à la conquête de la Sicile et du sud de l’Italie, les musulmans et les chrétiens d’Orient de Palestine furent les premiers à être attaqués par la chrétienté latine dans le cadre d’une « guerre sainte », plus tard connue sous le nom de Première Croisade.

Cette croisade inspira également le zèle de la « Reconquista » en Ibérie, qui fut perçue comme une « seconde marche vers Jérusalem ». Mais à la différence de l’Italie et de l’Espagne arabo-musulmanes, la Palestine ne partageait pas de frontière avec la chrétienté latine, bien qu’elle fût le territoire où eurent lieu les événements fondateurs de la foi à laquelle les païens européens s’étaient convertis.

Le péché des habitants de la Palestine, aux yeux des croisés, était précisément de ne pas être des chrétiens latins. De même, depuis le début du projet sioniste de conquête de la Palestine, le péché du peuple palestinien, aux yeux des nouveaux croisés, est de ne pas être juif.

Dans les deux cas, la Palestine a été désignée comme une terre léguée par le Seigneur : d’abord aux chrétiens latins, puis, depuis le début du XXe siècle, aux Juifs ashkénazes – tous deux originaires de ce qui allait devenir l’Europe.

Lire la suite

17/03/2025

TIGRILLO L. ANUDO
Colombia: Hacia una democracia directa y el Poder Popular

Tigrillo L. Anudo, 17/3/2025


Autor amazonense sin fronteras, bolivarista, martista, mariateguista, gaitanista y un poquito zapatista.

El pueblo de Colombia va a hacer una revolución. La hará a su manera, con su tumbao, ritmo y respiración. Cada país tiene su danzao, sus revulsivos, sus exorcismos. Cada comunidad comulga con sus propios dioses, entonces saltan los girasoles.

Una revolución no tiene fecha ni fórmula anticipada. Simplemente, estalla cuando menos se le espera. Ya ocurrió el 9 de abril de 1948 cuando arrancaron la rosa más rosa del rosal. Pero ese levantamiento de furia y dignidad fue devorado por los propios cortadores que bogaron del manantial rojo, los que silenciaron la voz de la esperanza. 

Francia hizo rodar una corona por las gradas en 1789. Rusia hizo primero su revolución burguesa en 1905 y luego su revolución proletaria en 1917. Cuba mandó a parar la juerga ajena en 1959 y emprendió su propia diversión. Venezuela hizo la Revolución Bolivariana desde 1999. 

Cada revolución trasforma un país, deja una huella indeleble en los hijos de los hijos que ni siquiera la oyeron. Como todos los procesos en los que intervienen los seres humanos, se consolidan o se disuelven, se anquilosan o se deforman. La materia está en perpetuo movimiento.

La revolución colombiana será distinta a todas. Una revolución política y cultural. Empieza el 18 de marzo de 2025 cuando el pueblo salga a las calles a ordenar las reformas laboral y de la salud. Será el preludio de nuevos mandatos desde las movilizaciones y las consultas populares. Será el jardín florecido con el empoderamiento de la muchedumbre. Será una nueva forma de gobernarnos, quizás un anarquismo inspirador y saludable. Cada colombiano lleva en su cabeza una idea de país y gobierno diferentes, lo dijo Simón Bolívar. Se abrirá una era en la que por fin entenderemos que los derechos no se mendigan sino que se arrancan sin zaherir la primavera. 

Y la revolución se repetirá con cada necesidad negada hasta que la democracia directa y el Poder Popular se vuelvan costumbre. 

Léase también