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19/09/2021

ANSHEL PFEFFER
Le nouveau gouvernement israélien veut « rétrécir » l'occupation : rencontrez Micah Goodman, l'homme derrière cette idée

Anshel Pfeffer, Haaretz, 5/9/2021
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala 

Micah Goodman, dont le livre "Catch-67" a fait des vagues en anglais et en hébreu, explique à Haaretz qu'il n'a "aucun contrôle ni pouvoir" sur ce que fait Naftali Bennett. Mais il a une certaine influence

 

Dans l'Israël de Naftali Bennett et Yair Lapid, Goodman est sans doute l'intellectuel public le plus influent du pays. Photo : Ohad Zwigenberg

 
Il y a six ans, Micah Goodman venait de vivre l'un des moments dont il était le plus fier. Son premier livre - sur Maïmonide, déjà un best-seller en hébreu - était enfin sorti en anglais. Il était à New York pour une conférence sur le livre, après quoi les personnes présentes dans le public se sont rassemblées autour de lui pour l'acheter.

« Les USAméricains s'attendent à ce que vous ne signiez pas seulement le livre mais que vous écriviez des dédicaces spécifiques », dit Goodman. «  Je transpire et je deviens rouge -   c'est difficile pour moi. Et puis j'entends une femme qui s'éloigne en disant 'quelle affreuse écriture' ! Et c'est comme ça à chaque fois. C'est une telle leçon d'humilité ».


Au moment où nous nous sommes rencontrés pour cet entretien, Goodman, 47 ans, avait un autre nouveau livre publié en hébreu. Cet ouvrage, qui se traduit par "Attention brisée : comment guérir un monde fracturé par la technologie, est son sixième livre en 11 ans, une production enviable, en particulier pour un auteur qui est également très demandé en tant que conférencier et fondateur d'un réseau de collèges offrant une gamme de programmes d'études pour les jeunes Israéliens après leur service militaire.


Dans ce nouveau livre, qui explore la relation dysfonctionnelle que nous entretenons tous avec nos appareils numériques, Goodman explique dans l'introduction comment la technologie l'a sauvé. À l'âge de 10 ans, on lui a diagnostiqué une dysgraphie sévère, un trouble de l'apprentissage qui altère les capacités d'écriture manuscrite. Pendant la majeure partie de son enfance, cela l'a fortement gêné à l'école, jusqu'à la fin de ses années de lycée, où les PC et les logiciels de traitement de texte lui ont permis de faire une percée.


Ce livre sur notre dépendance excessive à l'égard de nos écrans a été écrit du point de vue de quelqu'un qui n'aurait jamais pu devenir philosophe, éducateur et auteur sans cette technologie.

« J'ai eu l'impression d'être un imposteur pendant des années », se souvient-il. « Lorsque j'ai terminé l'école d'officiers en tant qu'élève exceptionnel, je pensais avoir réussi à tromper tout le monde. Il en a été de même lorsque j'ai rédigé mon doctorat en philosophie de l'histoire sur les écrits de Maïmonide et de Nachmanide en un an et demi, et lorsque mon premier livre a été publié. J'avais peur de ce que les gens allaient penser de moi lorsqu'ils découvriraient que je ne savais pas épeler ».

Je peux témoigner que tout ce que Goodman raconte ici est la vérité. Il a un an de moins que moi et, adolescents, nous vivions dans la même maison pour deux familles à Jérusalem. En grandissant, il était tout sauf doué pour les études. Quand nous étions adolescents, je ne l'ai jamais vu avec un livre.


Mais six ou sept ans après avoir quitté la maison, j'ai été étonné de le voir parler en public ; j'ai dû y regarder à deux fois pour m'assurer qu'il s'agissait bien du même enfant sans prétention que je connaissais. Quelque chose d'extraordinaire s'était déclenché en lui après qu'il eut mis la main sur un clavier.

Vingt-cinq ans plus tard, nous sommes toujours amis et je suis toujours surpris (et un peu jaloux) de sa capacité à écrire un best-seller tous les deux ans, sans parler de son statut soudain d'intellectuel public sans doute le plus influent d'Israël.

La rumeur veut que Goodman soit un conseiller discret de Naftali Bennett et d'autres ministres importants du nouveau gouvernement, et qu'il soit à l'origine de certaines de ses politiques et de ses thèmes généraux. De manière inhabituelle, il le confirme, mais ne s'étend pas sur ses discussions privées avec les politiciens.

 

Goodman à son domicile dans une colonie de Cisjordanie située à l'extérieur de Jérusalem. Photo : Ohad Zwigenberg

 « Je travaille depuis des années sur le consensus israélien caché, qui n'avait pas été articulé [pauvres lecteurs, qui avez cru que ce consensus n’avait rien de caché et s’appelait le sionisme, NdT] », dit-il. « J'ai essayé de conceptualiser ce consensus. Et voilà qu'arrive ce gouvernement auquel je me préparais ».

Les trois premiers livres de Goodman, sur Maïmonide, Juda Halevi et Moïse, sont ses interprétations des textes juifs canoniques. Ils ont été populaires parce qu'ils répondent à un besoin de nombreux Israéliens de différents horizons d'avoir accès à ces classiques sans s'engager à respecter les règles de l'orthodoxie.

Les deux suivants - "Catch-67" (2018 en anglais) et "The Wondering Jew" (2020 en anglais) [Le juif qui se pose des questions, jeu de mots avec Wandering Jew, Juif Errant, NdT] - écrits après qu'il se fut déjà imposé comme un écrivain populaire - étaient des ouvrages de philosophie politique à la recherche d'un terrain d'entente sur les deux questions les plus épineuses auxquelles Israël est confronté : l'occupation des Palestiniens et la question de l'identité juive d'Israël. Ces livres ont anticipé l'actuelle coalition de contradictions Naftali Bennett-Yair Lapid avant même que quiconque ait pu la concevoir.

Ce nouveau gouvernement de droite- centrie-gauche, un cabinet dirigé par le premier Premier ministre israélien ouvertement religieux, est considéré comme une victoire de l'Israël laïque sur Benjamin Netanyahou et ses alliés ultra-orthodoxes. C'est exactement ce que Goodman envisageait dans ses deux derniers livres.

« Les intellectuels publics ont deux rôles », dit Goodman. »"Ils remettent généralement en question les idées reçues de gauche ou de droite. Ils disent des choses qui dérangent les gens. Personnellement, ça ne m'amuse pas. J'ai l'épiderme trop fin. Mais ils ont aussi pour rôle d'exprimer les impulsions communes de la société, et c'est ce que j'ai essayé de faire. Et je pense que le temps de mes idées est venu grâce à la personnalité unique de ce nouveau gouvernement ».

Je m'attendais à ce que Goodman se rebiffe, voire repousse ma suggestion qu'il est devenu l'un des penseurs les plus influents d'Israël, mais il m'a surpris en l'acceptant. « Je n'ai ni contrôle ni pouvoir, mais j'ai de l'influence », dit-il.

Briser les habitudes

Ce moment dans la politique israélienne est un sous-produit bizarre de la bataille pour la survie politique de Netanyahou qui a consumé le discours israélien pendant trop longtemps. Goodman reconnaît que « politiquement, cela ressemble à un accident - à cause de Bibi, de toutes les manœuvres politiques et des divisions entre les sionistes religieux et les Israéliens arabes.

« Mais est-ce vraiment un accident ou la politique israélienne reflète-t-elle enfin la société israélienne et ce que la plupart des Israéliens croient réellement ? Je pense que les membres de ce gouvernement l'ont compris, qu'il y a une opportunité de profiter de ce moment, d'utiliser ce consensus dont personne ne nous a parlé et de briser les habitudes de pensée qui dictaient la polarisation.

« Les deux leaders de ce gouvernement pensent que la plupart des Israéliens sont d'accord sur les questions essentielles. Bennett dit que c'est 70 %. Yair [Lapid] dit 80. Ce gouvernement peut réussir parce que pendant si longtemps, nos politiques ont caché le fait qu'Israël n'est pas réellement polarisé ».

Après la publication en hébreu de son "Dernier discours de Moïse", un traité sur le leadership basé sur le Deutéronome, en 2014, trois hauts responsables politiques l'ont sollicité. L'un d'eux était le premier ministre. « Netanyahou a lu le livre et a été très élogieux, mais nous n'avons jamais vraiment eu de conversation en tête-à-tête, même si j'aurais aimé le faire », dit Goodman. 

Bennett avec le Premier ministre de l'époque, Benjamin Netanyahou, lors d'une réunion des partis de droite à la Knesset l'année dernière. Photo : Emil Salman

Netanyahou lui a demandé de diriger certaines des réunions du "cercle biblique de la résidence du premier ministre", un forum qui existait lorsque David Ben-Gourion et Menachem Begin étaient premiers ministres et qui a été brièvement ressuscité par Netanyahou.

« Je n'avais pas l'impression que vous pouviez influencer Netanyahou, et il semblait que le cercle était organisé à des fins politiques », dit Goodman. « Il venait très concentré. Il ne parlait pas au téléphone pendant la leçon. Mais il n'y avait rien au -delà de cela. Netanyahou a toujours voulu gouverner à droite, donc mes idées ne sont pas pertinentes pour lui ».

Un autre homme politique qui avait lu le livre était le nouveau leader du parti Habayit Hayehudi et le ministre de l'Économie récemment nommé, Naftali Bennett. « Nous nous sommes rencontrés au ministère et j'ai trouvé qu'il était curieux, ce qui pour moi est un signe d'humilité. Non pas qu'il ne reconnaisse pas sa propre valeur, mais il admet qu'il ne sait pas tout. Il n'essaie pas d'être quelqu'un qu'il n'est pas. Il est curieux », dit Goodman.

« Netanyahou est doué pour parler. Bennett est très à l'écoute, et nous avons des parcours similaires en tant qu'Israéliens américains qui se sentent à l'aise dans les milieux religieux et laïques. Comme moi, il a une biographie qui est à l'aise avec les contradictions internes ».

Goodman ne dévoilera aucun détail de leurs conversations, sauf pour dire de manière énigmatique que "nous parlons de la Bible et du taoïsme, et du contexte talmudique de sa politique hybride". Mais il admet que Bennett, en tant que fervent défenseur de la droite, était à l'origine moins intéressé par son prochain livre, "Catch-67", sur le conflit avec les Palestiniens.

Mais après "The Wondering Jew", qui remet en question le paradigme religieux-laïque, Bennett a téléphoné et a dit à Goodman qu'il avait l'impression d'avoir articulé ses sentiments également. À l'époque, à la mi-2019, la carrière politique de Bennett semblait terminée, car son parti Nouvelle Droite n'avait pas réussi à franchir le seuil électoral et il avait perdu son siège à la Knesset. Deux ans et trois élections plus tard, Bennett est Premier ministre, à la tête du type de gouvernement qui comble ce fossé entre religion et laïcité.

« Bennett n'est pas un libéral », dit Goodman. « Mais il est post-sectaire. Il n'appartient pas à une tribu israélienne particulière. Son patriotisme consiste à être ouvert à tous les Israéliens - contrairement à Bibi, dont le patriotisme consiste à rejeter les autres ».

J'essaie de contester l'image ensoleillée que Goodman se fait de Bennett avec certaines de ses citations les plus flagrantes contre les gauchistes et les Arabes. Il me repousse. « Je n'essaie pas de défendre ce qu'il a dit, mais je ne pense pas que cela reflète qui il est vraiment. C'est un politicien et les politiciens ne sont pas toujours cohérents ».

Aimer Lapid

 

Poste de contrôle des FDI à l'extérieur de Naplouse. « La plupart des Israéliens ne veulent pas gouverner les Palestiniens », selon Goodman. Photo : JAAFAR ASHTIYEH / AFP

Goodman ne dira pas pour quel parti il a voté, mais l'homme politique avec lequel il semble le plus à l'aise est le troisième avec lequel il a commencé à parler après la parution du livre sur Moïse, un autre nouveau venu en politique à l'époque, Lapid, aujourd'hui ministre des Affaires étrangères et dans deux ans, si ce gouvernement survit, premier ministre. Contrairement à de nombreux intellectuels et experts israéliens qui, jusqu'à récemment, considéraient Lapid comme un dilettante superficiel, Goodman a été captivé par lui.

« Il a trois qualités. Il est constamment en train de lire et d'apprendre. Il travaille incroyablement dur, se levant tôt chaque matin et traversant le pays. Et il est charitable. C'est vraiment un intellectuel qui aime échanger et peaufiner des idées », dit MGoodman.

« Il fait de nombreux actes de bonté pour les autres dont personne n'est au courant, par empathie pour la douleur des gens. Il n'est pas parfait, c'est un opportuniste et un cynique aussi. Mais il a cette combinaison de curiosité, d'empathie et de travail acharné. De plus, il a le sens de l'humour, ce qui manque à Netanyahou ».

Lapid appelle Goodman "l'idéologue de notre parti, bien qu'il n'en soit pas membre". Par le passé, j'étais très sceptique quant à l'engouement de Goodman pour Lapid, qu'il appelle toujours "Yair". Maintenant, je pense qu'il a peut-être raison. Lapid a déconcerté la plupart de ses détracteurs, moi y compris, par la manière dont il a formé ce gouvernement impossible : il a concédé les deux premières années de Premier ministre à Bennett alors qu'il dirigeait le plus grand parti de la coalition.

J'avais l'habitude de penser que Goodman était politiquement naïf à propos de Lapid, mais maintenant je suis d'accord avec lui quand il dit que Lapid « nous a donné à tous une leçon de politique en tant qu'architecte de ce gouvernement. Il a prouvé qu'en renonçant au pouvoir, on peut l'accumuler. C'est quelque chose que Netanyahou n'a jamais pu comprendre ».

Goodman est un colon. Après avoir grandi à Jérusalem-Ouest, il a vécu près de la moitié de sa vie à Kfar Adumim, une colonie huppée du désert de Judée. Le siège de son réseau de collèges Beit Prat se trouve dans la colonie voisine d'Alon. Il ne semble pas penser que tout cela soit très pertinent pour son analyse du conflit israélo-palestinien, ce qui me semble révélateur.

En 2017, lorsqu'il a publié la version hébraïque de "Catch 67" - dont le titre en hébreu se lit "Catch-67 : Les idéologies derrière les désaccords qui déchirent Israël" - l'ancien Premier ministre Ehud Barak a écrit un long essai dans le supplément littéraire de Haaretz, offrant une brillante critique corrosive des théories sous-jacentes du livre. Il a écrit que « la thèse globale de Goodman, bien qu'abondante en analyses multiformes et respectueuse de tous les courants, est imprégnée d'un programme de droite ». Barak a ajouté que « le lecteur, sans s'en rendre compte, absorbe des idées de plus en plus orientées vers la droite concernant la sécurité, la démographie, les positions de l'adversaire et la marge de manœuvre possible d'Israël. Goodman sert - inconsciemment, je l'espère - l'approche politique de la droite messianique et du gouvernement partisan d’un État unique."

« Lorsque j'ai lu pour la première fois l'essai de Barak, j'ai en fait eu peur », se souvient Goodman. « Je pensais qu'il avait détruit le livre. Il m'a fallu quelques jours pour réaliser qu'il avait fait le livre ».  En s'attaquant à Goodman de manière aussi complète, Barak a fait pour Goodman plus que toute campagne de relations publiques aurait pu le faire.

Personnellement, je pense que Barak a efficacement démantelé bon nombre des arguments clés de "Catch-67", mais ce que Barak ou moi pensons n'a pas d'importance pour le moment. Parce qu'à l'heure actuelle, le "tsunami diplomatique" dont Barak avait averti qu'il s'abattrait sur Israël s'il ne se retirait pas de la Cisjordanie et ne permettait pas la création d'un État palestinien ne s'est pas matérialisé.

 

Yair Lapid et Bennett lors de la première réunion du cabinet de la nouvelle coalition au début de cette année. Photo : Ohad Zwigenberg

 

Rétrécir le conflit

Au lieu de cela, il y a un gouvernement israélien qui comprend des partis de gauche et des partis arabes, qui a pour politique de ne pas avoir de politique de résolution du conflit, et lorsque Bennett a rencontré le président Joe Biden à la Maison Blanche, il n'y a eu aucune mention de la solution à deux États - ni d'ailleurs d'une quelconque solution au conflit. Pour l'instant du moins, la question palestinienne a été marginalisée, et le "Catch-67" de Goodman, ou comme son message a été résumé, le "rétrécissement du conflit", est la nouvelle normalité.

Goodman y voit le résultat inévitable de la contradiction inhérente au conflit. « La plupart des Israéliens, y compris ceux de droite, ne veulent pas dominer les Palestiniens. Ils sont profondément mal à l'aise à l'idée d'imposer une occupation militaire à une population civile. Et la plupart des Israéliens sont très inquiets d'un retrait qui permettrait aux [Palestiniens] de nous menacer », dit-il.

« Face à la nécessité de concilier ces deux sentiments, les Israéliens sont devenus paralysés et indifférents, ce qui explique que depuis une décennie, on ne voit plus les grandes manifestations pour la paix ou pour la construction de nouvelles colonies, qui rassemblaient autrefois des dizaines de milliers de personnes. Au lieu de cela, nous avons eu de grandes manifestations pour la justice sociale, pour le prix du fromage blanc et pour des logements abordables. Non pas parce que nous avons résolu le conflit, mais parce que nous y sommes devenus indifférents ».

Au lieu d'essayer de résoudre cette contradiction, Goodman pense que nous devons l'embrasser. « Vingt pour cent des Israéliens sont aux extrêmes, pour le retrait des territoires ou leur annexion », dit-il. « Les 80 % restants, qui ne veulent ni dominer les territoires ni les céder, n'ont aucun moyen de parler du conflit, alors ils n'y pensent tout simplement pas. Ce qui est la tragédie du centre israélien ».

Rétrécir le conflit, plutôt que le résoudre, c'est ce que Goodman appelle "remplacer l'indifférence par le pragmatisme", et cela ressemble beaucoup à ce dont les ministres et les hauts conseillers du gouvernement Bennett-Lapid parlent déjà en privé. Goodman lui-même, lors de réunions avec des diplomates étrangers, fait du lobbying en faveur du plan qui est essentiellement une combinaison d'incitations économiques pour les enclaves palestiniennes de la zone A en Cisjordanie et de divers mécanismes conçus pour renforcer "l'autonomie".

Il s'agit par exemple de créer des couloirs entre les enclaves et un passage frontalier vers la Jordanie "jusqu'au niveau où les Palestiniens ont le sentiment de se gouverner eux-mêmes, sans avoir la capacité de menacer Israël", explique Goodman. "Mais ils n'obtiennent rien comme le droit au retour, un État ou Jérusalem".

Cela semble bien sûr très acceptable pour les Israéliens, et peut-être acceptable pour certains gouvernements occidentaux, mais pourquoi les Palestiniens devraient-ils accepter que l'on continue à leur refuser le statut d'État ?

L'ancien Premier ministre Ehud Barak a critiqué Goodman. Photo : Olivier Fitoussi

Goodman affirme avoir parlé de ses idées avec des Palestiniens, mais il ne les nomme pas.

« Les Israéliens ont leur propre paralysie pour leurs propres raisons. Et les Palestiniens aussi. Toutes les solutions proposées jusqu'à présent impliquent un certain sacrifice de leur part, tant sur le plan national, où Israël contrôle une partie du territoire qu'ils considèrent comme leur terre, sans droit de retour total partout, que sur le plan religieux, où les Juifs ont la souveraineté sur Dar al-Islam », explique Goodman, en référence à ce que les musulmans considèrent comme une terre musulmane.

« Les Israéliens ne devraient pas être surpris qu'ils aient refusé jusqu'à présent d'accepter un tel sacrifice. Nous ne devrions pas nous attendre à ce qu'ils le fassent, c'est pourquoi ce que je propose n'est pas une solution permanente », déclare Goodman. « Je suis clair, il s'agit d'un arrangement provisoire, mais c'est toujours dans l'intérêt des Palestiniens, car il ne s'agit pas d'une normalisation du statu quo, mais d'un processus dynamique d'autonomie croissante, et cela ouvre de nouvelles options à l'avenir, comme une confédération avec la Jordanie » [une autre vieille rengaine, NdT]

Cela ne semble toujours pas être quelque chose qu'un représentant palestinien pourrait accepter, mais Goodman insiste sur le fait que c'est la seule alternative viable au statu quo ou au « récit de l'industrie du processus de paix. Les deux parties ont gelé le statu quo parce qu'elles insistent sur leurs propres mythes, pas seulement celui des colons, mais aussi celui de la paix. Nous n'avons donc pas à nous mettre d'accord sur le mythe que nous préférons ; ce gouvernement ne peut pas s'entendre sur une finalité de toute façon, mais nous pouvons nous mettre d'accord sur le jeu que nous jouons en attendant. Nous n'avons pas besoin d'être d'accord sur le récit pour faire ce qui est juste ».

En quoi cela est-il si différent de la politique de concession zéro de Netanyahou si les Palestiniens ne sont pas en mesure, dans un avenir prévisible, de réaliser leurs objectifs ?   Goodman s'efforce de souligner que sa proposition est également difficile pour la droite dure israélienne.

« Netanyahu est un alarmiste. Il ne voit que le scénario où les Palestiniens nous menacent, pas l'autre mauvais scénario où nous perpétuons l'occupation », dit Goodman. « C'est une personne qui ne voit qu'une seule catastrophe. C'est exactement comme la façon dont il a géré la pandémie, alors qu'il ne pouvait pas voir les dommages que les lockdowns causaient. La plupart des Israéliens sont capables de voir les deux scénarios ».

En fin de compte, Goodman ne se concentre pas sur la paix avec les Palestiniens mais sur la paix entre les Israéliens, qui ne sont plus aussi préoccupés par le conflit. « Jusqu'en 1967, les Israéliens étaient divisés sur la question de savoir si nous devions être un système collectiviste-socialiste », dit-il.

« Ensuite, l'accent a été mis sur la paix ou l’occupation des territoires, et les Israéliens ont tout oublié de l'argument précédent - un homme de droite n'avait alors même pas besoin d'être capitaliste. Maintenant, nous ne nous battons même plus à propos de l'occupation. Au lieu de cela, Netanyahu en a fait une question d'identité ».

L'antidote à cela, selon Goodman, est la composition unique du nouveau gouvernement. Comme il le dit, « si nous devions le traduire en termes de politique usaméricaine, c'est comme si Ted Cruz [sénateur républicain du Texas, d’origine cubaine, NdT]  et Liz Warren [congressiste démocrate du Massachussetts, NdT] siégeaient dans le même gouvernement et faisaient avancer les choses ensemble. Ce qui fait de ce gouvernement une lumière pour les nations à une époque où le monde entier souffre de la polarisation politique. C'est peut-être un accident politique, mais cela représente fidèlement ce que ressentent la plupart des Israéliens ».

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