18/07/2025

GILAD ATZMON
Le génocide de Gaza est le véritable retour à la maison des Juifs

Gilad Atzmon, 6/7/2025

Traduit par Ayman El Hakim, Tlaxcala

Avez-vous remarqué que les « bonnes âmes » hypocrites parmi nous ont enfin cessé de répandre l’absurdité selon laquelle « le judaïsme n’est pas le sionisme » ? Avec 97 % des juifs orthodoxes en Israël soutenant les crimes israéliens à Gaza, il est difficile de convaincre quiconque que le judaïsme est synonyme de paix et d’harmonie. Avec un État qui se qualifie lui-même d’« État juif » et qui se transforme en État judaïque menant une guerre d’extermination digne de l’Ancien Testament contre le peuple indigène de cette terre, il est pratiquement impossible de continuer à jouer la carte de l’innocence juive.


Mr. Fish

C’est probablement très douloureux à admettre pour certains, mais le génocide dont nous sommes tous témoins à Gaza, ce culte de la mort qui unit l’ensemble des Israéliens (à l’exception d’une poignée de véritables dissidents), est le véritable retour au bercail des enfants préférés de Dieu.

Ces crimes catastrophiques contre l’humanité perpétrés par une armée nationale avec le soutien sans faille de toute la nation, de ses rabbins et de son establishment politique sont la seule chose que les Juifs ne pouvaient pas faire en diaspora. En tant que tel, l’État juif a mis en lumière quelque chose que les Juifs ont essayé de réprimer et même de nier tout au long de leur histoire.

Pourtant, rien de tout cela n’est nouveau pour les Juifs. Voici quelques faits fascinants en rapport avec ce qui précède. L’orthodoxie juive et les premiers sionistes étaient pleinement conscients des lacunes du judaïsme en matière de valeurs éthiques fondamentales et universelles.

C’est la familiarité des premiers sionistes avec la conception juive de la moralité qui a poussé la première génération d’agitateurs à promouvoir une révolution hébraïque. Comme je l’ai mentionné à plusieurs reprises sur cette page, dans le judaïsme, l’éthique est remplacée par le litige (les lois - les mitzvot). Le juif rabbinique n’agit pas de manière éthique, il suit plutôt les mitzvot qui imitent l’acte éthique. Le sionisme des débuts, mouvement révolutionnaire, était animé par la conviction qu’une fois installés sur « leur terre », les Juifs se transformeraient en une nation normale et en un peuple ordinaire. Pour les sionistes, c’était le détachement de « leur propre terre » qui était responsable de la morbidité éthique de la diaspora. Les sionistes travaillistes croyaient que le retour au pays et le rapprochement avec la vie prolétarienne et agricole donneraient naissance à un nouveau Juif hébraïque éthique.

Le fantasme recyclé selon lequel « l’armée israélienne est l’armée la plus morale au monde » fait écho à cette aspiration sioniste primitive. Les premiers sionistes souhaitaient vraiment devenir moraux et éthiques, mais leur échec est bien plus grand que leur désir initial.

Les juifs orthodoxes ont également compris que le mélange avec les goyim est un manuel pour un désastre inimaginable. Le ghetto juif, en tant que tel, est une condition que les Juifs se sont imposée en acceptant leur propre détachement de la tendance éthique humaine universelle. Le judaïsme orthodoxe a toujours eu, et a toujours, une perception isolationniste. Il vise à minimiser les interactions avec le monde extérieur en acceptant que la barrière métaphysique et éthique entre les Juifs pratiquants et les goyim est infranchissable. Le ghetto juif, en tant que tel, existe pour sauver les Juifs, mais aussi pour protéger les goyim.

Il est fascinant de constater que les juifs orthodoxes et les premiers sionistes considéraient l’émancipation comme un événement désastreux dans l’histoire juive. Les orthodoxes voyaient que l’assimilation entraînerait une catastrophe pour les Juifs. Hitler leur a donné raison, mais les sionistes ont également identifié un danger similaire et ont promis d’emmener les Juifs loin de là.

Au cours des dernières années du XIXe siècle, Max Nordau, agitateur sioniste de la première heure, affirmait que l’émancipation des Juifs était une initiative des goyim pour se donner bonne conscience*. Ceux-ci (les goyim) n’accueillaient pas les Juifs parce qu’ils les aimaient vraiment, mais parce qu’ils aimaient se montrer tolérants. Nordau prédisait que les goyim regretteraient leur enthousiasme libéral. Moins d’un demi-siècle plus tard, l’Holocauste lui donna raison. Pourtant, le sionisme, qui a donné naissance à l’État juif, a échoué dans sa mission première. Il promettait de résoudre le problème juif, mais dans la pratique, il l’a déplacé vers un nouvel endroit et en a fait un désastre mondial. Le sionisme promettait de régler le problème des Juifs. Dans la pratique, il a créé un monstre, il a dévoilé et amplifié ce que les Juifs s’étaient efforcés de cacher tout au long de leur histoire, même à eux-mêmes.

Le génocide à Gaza est, tragiquement, le véritable sens du retour à la maison des Juifs. C’est la barbarie de l’Ancien Testament qui prend vie à travers un peuple qui se considère comme la descendance d’Abraham, de Moïse et du roi David. L’enthousiasme des Israéliens à décapiter les dirigeants politiques, culturels, scientifiques et spirituels de leurs voisins, ce qu’ils font régulièrement et avec beaucoup d’enthousiasme, est à nouveau l’esprit même du retour des Israélites bibliques. C’est précisément ce que les Israélites bibliques ont fait tout au long de l’Ancien Testament. Peut-être, juste peut-être, est-il temps pour l’humanité, et en particulier pour le christianisme, de comprendre ce que représente l’Ancien Testament et de se tenir à l’écart de ce texte primitif et catastrophique.

NdT

*Voir son discours au Premier congrès sioniste de Bâle, pp.16-26

18 juillet 2025 : “Mein Kampf” a 100 ans


Le 18 juillet 1925 paraissait à Munich le premier tome du livre d’Adolf Hitler intitulé « Mein Kampf » (Mon combat) et sous-titré « eine Abrechnung » (un règlement de comptes). Cette première édition, tirée à 10 000 exemplaires, sera suivie d’une deuxième édition en décembre 1925, elle aussi à 10 000 exemplaires. Le deuxième tome de l’œuvre du futur Führer paraîtra en décembre 1926. Les éditions du parti nazi en vendirent 287 000 exemplaires jusqu’en janvier 1933. Cette année-là, après la prise de pouvoir nazie, il s’en vendit plus d’un million d’exemplaires. Jusqu’en 1944, il y eut 22 éditions du livre, vendues à 12,5 millions d’exemplaires. Mein Kampf remplaça la Bible comme cadeau offert à tout couple de jeunes mariés par les mairies. Combien de followers Hitler aurait-il eu s’il avait pu utiliser des « réseaux sociaux » ? Sans doute au moins autant que Donald Trump ou Elon Musk, deux de ses plus célèbres émules.

Olivier Mannoni a consacré une dizaine d’années à réaliser une nouvelle traduction de Mein Kampf, éditée par Fayard en 2021 sous le titre Historiciser le mal. Traduction, annotation critique et analyse de Mein Kampf d'Adolf Hitler*. Il a ensuite publié deux livres, Traduire Hitler (2022) et Coulée brune. Comment le fascisme inonde notre langage (2024). On les trouvera ci-dessous, ainsi que deux interviews de Mannoni. Les personnes pressées peuvent écouter un résumé audio de ce dossier.-FG, Tlaxcala


 



*On ne peut que regretter que le livre soit vendu pour 100€ [les bénéfices allant à la Fondation Auschwitz-Birkenau,] et non mis en accès libre, comme l'avaient proposé 4 historiens en 2015 : "Publier une édition critique en ligne, gratuitement, nous semble être la meilleure solution, adaptée qui plus est aux modalités nouvelles du travail de recherche et d’enseignement.[...] À nos yeux, les éditions Fayard s’honoreraient d’un tel choix" [lire ici]

 

17/07/2025

AMOS BARSHAD
La manipulation d’une minorité : l’intervention d’Israël dans l’identité druze

Amos Barshad est un journaliste indépendant israélo-usaméricain vivant à New York, auteur d’un livre sur Raspoutine


Illustration : Joe Gough

HADIYAH KAYOOF avait 12 ans lorsque ses parents l’ont retirée de l’école publique locale du petit village israélien d’Isifiya pour l’inscrire dans une école arabe privée de la ville voisine de Haïfa. Son père tenait un petit magasin d’accessoires informatiques et sa mère était enseignante en maternelle. C’était une famille patriarcale. « Je pense que ma mère était plus patriarcale que mon père », raconte Kayoof, aujourd’hui âgée de 27 ans, en riant au téléphone depuis Israël, où elle travaille comme avocate d’affaires. Le foyer était traditionnel, discrètement religieux et apolitique. Ses parents n’ont pas cherché à provoquer un réveil en la transférant dans une nouvelle école. Ils voulaient simplement que leur fille reçoive la meilleure éducation possible.
EN JUILLET 2018, la Knesset israélienne a adopté une loi communément appelée « loi sur l’État-nation ». Celle-ci stipule que « la réalisation du droit à l’autodétermination nationale dans l’État d’Israël est propre au peuple juif », consacrant ainsi dans la loi la supériorité pratique des Juifs sur toutes les autres communautés du pays. (Son nom officiel est « Loi fondamentale : Israël, État-nation du peuple juif »). Naturellement, dans la période controversée qui a précédé l’adoption du projet de loi, tous les regards étaient tournés vers les 1,6 million de citoyens arabes d’Israël. D’une manière ou d’une autre, les décideurs à l’origine du projet de loi n’ont pas envisagé la possibilité que les 140 000 Druzes d’Israël, ces frères de sang réputés pour leur loyauté, aient eux aussi leur mot à dire.

La famille de Kayoof est druze, une communauté et une religion qui compte un peu plus d’un million de personnes réparties principalement au Liban, en Syrie et en Israël. Le village natal de Kayoof est majoritairement druze et, à ce titre, son éducation primaire a été dispensée selon les directives du programme scolaire officiel du gouvernement israélien destiné aux Druzes. « Ils nous ont enseigné le lien du sang qui unit les Juifs et les Druzes », se souvient Kayoof. « Ils nous ont appris que dans les années 50, les [dirigeants] druzes se sont rendus en Israël pour demander que le service militaire soit imposé à la communauté. Ma langue maternelle est l’arabe, comme pour la plupart des Druzes, mais on m’a appris que je n’étais pas arabe, mais druze israélienne. » Petite, Kayoof était emmenée aux célébrations de la fête de l’indépendance d’Israël. Elle a autant appris sur les fêtes juives que sur les fêtes druzes.

Haïfa est une ville réputée pour son brassage démographique. Sa minorité arabe, qui représente environ 11 % des 280 000 habitants de la ville, serait mieux intégrée et politiquement plus forte que partout ailleurs en Israël. À l’école, Kayoof a rencontré pour la première fois des camarades qui s’identifiaient comme Arabes israéliens, Palestiniens musulmans et chrétiens arabes. Elle a alors réalisé qu’il existait davantage d’options pour s’identifier qu’elle ne l’avait jamais imaginé auparavant. Elle a commencé à se poser la question suivante : qui était-elle exactement ?

Kayoof a commencé à lire des ouvrages sur l’histoire du conflit israélo-palestinien et sur sa propre communauté. Ses parents n’étaient pas enclins à remettre en cause le discours national, mais leur bibliothèque familiale contenait justement une multitude de textes historiques druzes qui ne correspondaient pas au programme scolaire officiel. Certains étaient des ouvrages universitaires du professeur Kais Firro, historien à l’université de Haïfa et, comme elle l’a découvert par la suite, originaire d’Isifiya.

« ça a été tout un processus », explique Kayoof à propos de sa rééducation. « Et après environ six ans, j’ai eu cette grande révélation : je suis palestinienne. J’ai conclu que mon identité avait été manipulée. Et ça m’a mise très en colère. »

La réponse ne s’est pas fait attendre. Amal As’ad, brigadier général à la retraite de l’armée israélienne dont le propre frère est mort au combat à Gaza, a déclaré qu’Israël s’orientait vers un « État d’apartheid » et s’en est ensuite pris au Premier ministre Benjamin Netanyahou, lors d’une réunion tendue dont Netanyahou est sorti en soufflant. Deux soldats druzes actifs dans les Forces de défense israéliennes ont exprimé leur mécontentement sur Facebook et ont menacé de quitter l’armée. « De ce pays que j’ai servi avec dévouement, détermination et amour pour ma patrie, avec mes deux frères et mon père, qu’est-ce que nous obtenons en fin de compte ? », a écrit l’un des soldats, le capitaine Amir Jmall, dans un message adressé directement à Netanyahou. « Nous sommes des citoyens de seconde zone. » Cette protestation animée et dispersée en réponse au projet de loi sur l’État-nation a atteint son paroxysme un samedi soir à Tel-Aviv, lorsque des dizaines de milliers de personnes – des politiciens juifs de gauche, des chefs religieux druzes et d’autres personnes obstinément optimistes – se sont rassemblées sur la place Rabin pour une manifestation en faveur des Druzes.


Manifestation en faveur des Druzes contre le projet de loi sur l’État-nation sur la place Rabin à Tel-Aviv, août 2018. Photo : Oren Ziv via ActiveStills

La droite a exprimé sa confusion et a fait marche arrière en douceur, répétant des platitudes sur « nos frères druzes ». Il a été question de modifier la loi d’une manière ou d’une autre pour assurer la protection des Druzes. Mais l’objectif fondamental et illibéral de la loi n’a pas été remis en cause par la droite, et finalement, même ces vagues ouvertures envers les Druzes semblaient timides et hypocrites. Comme Natan Eshel, ancien chef du cabinet du Premier ministre, l’a déclaré à une chaîne d’information nationale, « Ceux qui n’aiment pas ça – il y a une importante communauté druze en Syrie, ils sont les bienvenus pour y établir l’État de “Druzia” ».

Mais Kayoof n’exprime ni angoisse, ni amertume, ni peur. Elle considère plutôt l’adoption de cette loi comme un tournant. À l’adolescence, elle avait déjà accepté une autre réalité concernant les Druzes. Aujourd’hui, grâce à la loi sur l’État-nation, elle espère que l’ensemble de sa communauté commencera à voir les choses comme elle, à prendre conscience qu’elle a également été manipulée.

« J’étais heureuse qu’Israël ait adopté cette loi », dit-elle. « Elle énonçait une évidence pour moi. Ma réaction ? Une grande joie. »


DEMANDEZ À UN JUIF ISRAÉLIEN ce qu’il pense des Druzes, et il vous parlera très certainement de la puissance des combattants druzes. Contrairement aux autres citoyens arabes d’Israël et aux juifs ultra-orthodoxes, les hommes druzes sont tenus de servir dans l’armée israélienne. Au fil des décennies et des guerres qu’a connues Israël, ils se sont forgé une réputation de soldats dévoués, et on estime à environ 400 le nombre de soldats druzes morts au combat pour Israël. Comme l’explique Nadia Hamdan, militante druze, à +972 Magazine cette année : « Nous avons grandi avec des uniformes militaires suspendus à nos cordes à linge. »

Mais ce récit de l’unité entre les Druzes et les Juifs, forgée au combat, a toujours présenté des failles. Dans son livre publié en 1980, Conversations With Palestinian Women, Ronit Lentin cite Lily Feidy (aujourd’hui universitaire palestinienne) à propos de son mariage imminent avec un Druze :

Bien que ses parents aient soutenu son choix, d’autres membres de sa famille s’y sont opposés en raison de « la perception qu’ont les Arabes des Druzes, qu’ils considèrent comme des collaborateurs des Israéliens ». Feidy m’a confié que son futur mari n’avait pas servi dans l’armée israélienne et avait passé un an en prison : « Beaucoup de jeunes Druzes qui refusent de servir passent du temps en prison. Aujourd’hui, environ 300 Druzes sont incarcérés dans les prisons israéliennes pour avoir refusé de servir... Personne n’est au courant, car toutes ces informations sont censurées et rien n’est publié. »

Même pour les Druzes qui s’engagent et tentent de s’intégrer, il existe des points de friction. En 2015, YNet a signalé  un incident qui s’est produit lors d’une « soirée des soldats » dans un bar du nord d’Israël. Un groupe de clients juifs s’est mis en colère lorsqu’ils ont entendu un soldat druze parler en arabe à son cousin. Lors de l’altercation qui a suivi, ils ont jeté une pierre à travers la vitre de sa voiture et lui ont cassé la mâchoire. Et pas plus tard qu’en 2015, un bataillon druze séparé appelé Herev, ou « Épée », était actif. Comme un officier supérieur de l’armée israélienne l’ expliqué à l’époque, il n’a été démantelé qu’après que de jeunes soldats druzes eurent « clairement et sans équivoque indiqué [...] qu’ils souhaitaient être intégrés dans l’armée israélienne et ne pas faire partie d’un bataillon distinct ».

En 2014, Hadiyah Kayoof a cofondé Urfod, une organisation qui soutient les hommes druzes qui refusent de servir dans l’armée israélienne (contrairement aux femmes juives israéliennes, les femmes druzes ne sont pas légalement tenues de servir). Urfod signifie « Refuse », abréviation de « Refuse et ton peuple te protégera ». Le groupe fait partie d’une petite avant-garde au sein de la communauté druze. Si leur point de vue était initialement marginal, les choses ont rapidement évolué. « Beaucoup de gens commencent à s’interroger sur leur identité », explique-t-elle. « Beaucoup se demandent pourquoi ils devraient s’engager dans l’armée alors qu’Israël les prive de leurs droits. »

Kayoof et Urfod citent des universitaires tels que Kais Firro et Rabah Halabi, qui ont découvert des communiqués officiels du gouvernement israélien datant des années 1940 et 1950 décrivant un plan visant à séparer la communauté druze du reste de la population arabe.

« Les derniers à avoir des raisons de se plaindre de l’État d’Israël devraient être les Druzes. Non seulement ils n’ont pas été opprimés, mais ils ont bénéficié de droits extraordinaires », écrivait Yehoshua Felmann, du Bureau des relations arabes, en 1950. « Cela n’a pas été fait au hasard, mais avec un plan et une intention, qui étaient d’approfondir et d’élargir la distance entre eux et les Arabes parmi lesquels ils vivent. » Ou, comme le concluait en 1949 un comité interministériel sur l’intégration des Arabes, « la meilleure façon de traiter les minorités était de les diviser et de les subdiviser ».

En 1948, pendant la guerre qui a donné naissance à l’État d’Israël, les recruteurs de l’armée ont créé une unité pour les minorités. Ils ont recruté des hommes druzes, leur accordant un accès immédiat à leurs récoltes (occupées par les Israéliens) en échange de la promesse d’un futur service militaire. Ya’acov Shim’oni, un fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères, expliquait à l’époque que l’unité des minorités n’avait guère d’importance tactique sur le champ de bataille, mais qu’elle était utile comme « la lame acérée d’un couteau pour poignarder dans le dos l’unité arabe ». En 1956, Israël a instauré la conscription obligatoire pour les hommes druzes. C’est la loi du pays depuis lors.

L’État a également contribué à définir les limites des possibilités d’emploi pour les Druzes, en les orientant vers l’armée. Comme l’écrit Firro, « l’effondrement progressif de l’agriculture dans les villages druzes » est « en grande partie le résultat de l’intensification, après 1949, de la politique israélienne de confiscation des terres. En 1962, les Druzes avaient perdu plus des deux tiers de leurs terres, et l’eau allouée à l’agriculture dans leurs villages représentait moins de 0,05 % de l’approvisionnement total en eau d’Israël ». Privés d’agriculture, les hommes druzes ont trouvé de plus en plus d’emplois dans les forces armées israéliennes. « Ce qui est requis [pour ce secteur], écrit Firro, c’est la discipline, l’adhésion aux politiques officielles, la loyauté [...] [et] une dépendance presque totale à l’égard des autorités israéliennes ».

Au début des années 70, une organisation appelée Comité d’initiative druze a été créée par le Parti communiste israélien pour lutter contre les tentatives incessantes du gouvernement israélien visant à séparer les Druzes des Arabes. En partie en réponse à cela, le ministère israélien de l’Éducation a introduit en 1975 un programme scolaire distinct pour les Druzes, qui existe encore aujourd’hui. (C’est le programme scolaire dans lequel Kayoof a été éduquée.) Une commission nationale de l’éducation a déclaré que l’objectif de ce programme était « d’éduquer et d’inculquer aux jeunes Druzes une conscience israélo-druze ».

La perception de la religion druze elle-même est un autre sujet délicat : cette religion est considérée par les Israéliens juifs comme vaguement mystérieuse. Formée vers l’an 1000 après J.-C. comme une branche de l’islam, elle est unique à bien des égards. Le Pew Center écrit : « Il n’y a pas de jours saints fixes, de liturgie régulière ou d’obligations de pèlerinage, car les Druzes sont censés être connectés à Dieu à tout moment. [...] La tradition druze honore également plusieurs « mentors » et « prophètes », dont Jéthro de Madian (beau-père de Moïse), Moïse, Jésus, Jean-Baptiste et le prophète Mohamed », et tient « en haute estime » des personnages tels que « Socrate, Platon, Aristote et Alexandre le Grand ». Il est également vrai que la foi druze est largement hermétique : les Druzes interdisent les mariages mixtes. Mais certains Druzes affirment que les universitaires juifs ont trop insisté sur la nature ésotérique de la religion, créant implicitement un autre moyen de distinguer les Druzes des Arabes d’Israël, qu’ils soient chrétiens ou musulmans.

Toutes ces multiples façons de séparer les Druzes des Arabes ont clairement porté leurs fruits. Dans une interview accordée à un chercheur de l’université Cornell en 2017, un professeur d’histoire d’un lycée du grand village druze de Yarka se souvient : « Mes élèves m’ont un jour demandé comment je me définissais. J’ai répondu que j’étais arabe et druze. Ils m’ont alors demandé : “Pourquoi dites-vous arabe si vous êtes druze ?” »

KHALED FARRAG, 37 ans, est un autre cofondateur d’Urfod. Il est également directeur à plein temps de Grassroots Jerusalem, un réseau communautaire actif dans les quartiers arabes de Jérusalem-Est. Il a grandi dans un petit village à majorité arabe chrétienne de Haute Galilée appelé Rama, où il a suivi le programme scolaire arabe et non druze. « Ce n’est pas aussi... manipulateur », dit-il.

Dès son plus jeune âge, il savait qu’il refuserait de servir dans l’armée israélienne. Puis il a été accepté au lycée United World College, dans l’ouest de la Norvège, et cette attitude s’est renforcée. « J’ai rencontré des Palestiniens de Gaza, de Hébron, de Bethléem », raconte Farrag à propos de son séjour dans la ville glaciale de Fleke. « J’ai pris mes distances avec cette atmosphère [du Moyen-Orient], avec cette tension, et j’ai pu observer la situation de loin. »

Après avoir obtenu son diplôme, il est rentré chez lui. Il avait 18 ans. À son arrivée à l’aéroport Ben Gourion de Tel Aviv, un mandat l’appelant à servir dans l’armée israélienne l’attendait.

Comme tous ceux qui refusent de servir à 18 ans, Farrag était déjà officiellement considéré comme un soldat de l’armée israélienne. Lorsqu’il a déclaré son refus, il a donc été soumis à la procédure judiciaire de l’armée. Il a d’abord été condamné à deux mois de prison militaire, « pour me faire changer d’avis », explique-t-il. Il a ensuite été emmené dans une base de l’armée où, pendant plusieurs mois, il a été présenté devant des commissions chargées d’évaluer son aptitude générale et sa santé mentale. « Le plus dur, c’est que j’ai dû me débrouiller tout seul », raconte-t-il. Nous étions en 1999, et il n’existait aucune organisation comme Urfod. « Ma famille me soutenait, mais il n’y avait pas de structure, pas de mouvement. »

Farrag a finalement obtenu son exemption en affirmant qu’il n’était pas apte mentalement à servir. Au total, la procédure a duré près de sept mois. On ignore combien d’autres hommes druzes ont subi le même sort. Méfiante à l’égard des statistiques internes de l’armée israélienne sur la question, l’Urfod n’a pas demandé de chiffres à l’armée, mais l’organisation prévoit de soumettre prochainement une demande de décompte précis à la Knesset. Au moment de la publication de cet article, l’Urfod accompagnait activement huit jeunes qui refusaient de servir, dont certains avaient déjà purgé une peine de prison.

« Je peux imaginer que, quand on est enfant, voir son voisin ou son cousin rentrer à la maison avec un uniforme brillant et un gros fusil rutilant, il y a quelque chose d’attrayant dans cette force », explique Farrag. « Mais pour moi, la politique a toujours été présente dans notre foyer. La première fois qu’on entend dire que « les Druzes ne sont pas arabes », ça n’a aucun sens. Votre culture, votre langue, votre histoire : tout est arabe. »

Techniquement, la mission d’Urfod est d’ordre pratique : ils sont là pour aider les Druzes à s’opposer au service militaire dans l’armée israélienne. Mais derrière cela se cache une volonté de mettre au jour l’histoire radicale enfouie de leur peuple. Kayoof décrit ainsi son organisation : « Une grande partie de notre activisme consiste à sensibiliser le public à l’existence de mensonges et de mythes. Mais notre vision est beaucoup plus large. Nous considérons que nous défendons une idéologie de libération. »

Les universitaires juifs qui ont écrit sur les Druzes ont véhiculé l’idée qu’ils étaient un peuple historiquement enclin à se soumettre à tout pouvoir en place. Farrag propose un récit différent : « Les Druzes ne s’allient pas au pouvoir en place pour se protéger, comme Israël vous l’enseigne, non ! Ils combattent le colonialisme. La révolte contre les colonialistes français en Syrie [dans les années 1920] a commencé avec la communauté druze. Les Druzes sont des Arabes et font partie intégrante de la lutte arabe pour la libération.

Quand il s’adresse aujourd’hui aux jeunes Druzes, il se montre patient : « Je ne vous dis pas de devenir Palestiniens dès maintenant. Je ne vous dis pas de ne pas vous engager dans l’armée. Je vous dis d’apprendre votre véritable histoire, puis de vous faire votre propre opinion. »

Mais malgré l’enthousiasme de Farrag, une question importante plane sur la solidarité théorique entre les Druzes et les Arabes. L’identité nationale palestinienne s’est en grande partie formée et consolidée au cours des 70 dernières années en réponse à l’oppression israélienne. Les Druzes peuvent-ils donc « devenir » palestiniens sans avoir vécu la même expérience ?

Le Dr Saree Makdisi, professeur d’anglais palestino-USaméricain à l’UCLA et auteur de Palestine Inside Out: An Everyday Occupation, pense que la réponse est oui. « Les Palestiniens druzes sont aussi palestiniens que n’importe quel autre Palestinien », affirme-t-il. « La confusion résulte d’une volonté délibérée d’Israël de brouiller l’identité palestinienne. »

Makdisi poursuit : « Il n’est pas facile de renoncer même aux avantages illusoires qu’un État racial vous accorde. » Mais avec l’adoption du projet de loi sur l’État-nation, lui aussi entrevoit un changement potentiel. « Cette chute du voile du « libéralisme » israélien permettra-t-elle enfin aux Druzes palestiniens de prendre conscience qu’ils ont été manipulés pour servir et rester loyaux à un État qui, en fin de compte, les méprise en tant que Palestiniens ? On ne peut qu’espérer. »


IL EST CERTAINEMENT trop réducteur d’imaginer qu’il existe aujourd’hui un schisme net au sein de la communauté druze entre ceux qui aspirent toujours au statu quo et ceux qui sont impatients de continuer à dénoncer les fables qui le sous-tendent. Mais il convient de rappeler que certains se sentent stimulés par ces développements, tandis que d’autres s’en trouvent affaiblis. Les jeunes Druzes comme Farrag et Kayoof, représentatifs d’une frange plus radicale de la communauté, saluent la loi sur l’État-nation comme un réveil. Salim Brake, 53 ans, qui incarne à tous égards l’image d’un druze bien intégré, trouve cela déchirant.

Brake, politologue enseignant à l’Université ouverte d’Israël, est originaire de Majdal Shams, dans le Golan, territoire conquis par Israël à la Syrie en 1967. Traditionnellement, les quelque 25 000 Druzes du Golan se considèrent comme des Druzes syriens et ne servent pas dans l’armée. Sous la rubrique « nationalité », les cartes d’identité israéliennes des Druzes syriens indiquent « indéfinie » [laom lo mugdar en hébreu, NdT], ce qui est devenu une sorte de blague interne à une communauté obscure. Il y a même un bar à Majdal Shams qui s’appelle Indéfini [ouvert en 2010, il a ensuite changé de nom, devenant le “Pourquoi ?”, NdT].

Mais Brake vit désormais avec sa famille à Carmiel, une ville majoritairement juive située à une heure et demie au sud-ouest de Majdal Shams. « Je suis fier d’être citoyen israélien. Je veux que cela fasse partie de ma vie », déclare-t-il.

Le fils de Brake a 15 ans ; sa langue maternelle est l’hébreu et tous ses amis sont juifs. Mais la fille de Brake, âgée de 9 ans, a récemment commencé à lui demander si elle serait considérée comme différente par ses camarades juifs. « Je ne m’attendais pas à être confronté à ces questions », confie Brake. « J’aime beaucoup le peuple juif. C’est un phénomène très particulier. Et je suis très influencé par Freud. Mais le comportement du gouvernement israélien au cours des 20 dernières années... » Il s’interrompt, puis poursuit, l’émotion montant : « Je ne monte pas les Druzes contre les Juifs. Je dis : “OK, nous traversons une mauvaise période. Vous allez vous coucher le soir, vous vous réveillez le matin, vous espérez que les choses changeront” ». Il marque une pause. « Je ne suis pas sûr que ce que je dis à mes enfants soit vraiment la vérité. »

Depuis des années, certains amis druzes et arabes de Brake l’accusent de se mentir à lui-même quant à son sentiment d’acceptation par les Israéliens. Il a toujours rejeté cette accusation. Mais « au fond de moi, je pensais qu’ils avaient raison ». Ces voix dissidentes semblent plus fortes depuis l’adoption de la loi sur l’État-nation.

Avant de conclure notre conversation, nous abordons le sujet du service militaire de son fils dans l’armée israélienne. Lorsqu’on lui demande s’il pense que son fils s’engagera lorsqu’il sera appelé à 18 ans, Brake répond sans hésiter oui.

JOSEPH MASSAD
L’agression israélienne contre la Syrie fait avancer un plan vieux d’un siècle visant à embrigader les Druzes

L’article ci-dessous du chercheur palestino-usaméricain Joseph Massad, datant du mois de mai dernier, met en lumière la logique historique derrière la nouvelle attaque israélienne contre la Syrie

Joseph Massad, Midle East Eye, 6/5/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala 

De la Palestine de l’époque du mandat britannique à la Syrie post-Assad d’aujourd’hui, les dirigeants sionistes ont ciblé les communautés druzes pour fragmenter la société arabe et enraciner un ordre colonial de peuplement.


Des soldats israéliens empêchent une famille druze syrienne de s’approcher de la frontière près de Majdal Shams, sur le plateau du Golan occupé par Israël, le 3 mai 2025 (Jalaa Marey/AFP)

La semaine dernière (fin avril 2025), l’ armée israélienne a pris du temps sur son programme chargé d’extermination des Palestiniens de Gaza , de bombardement et de tirs sur les Palestiniens à travers la Cisjordanie, de bombardement du Liban et de lancement d’une série de bombardements sur le territoire syrien - dont la capitale Damas - pour lancer une série de bombardements très spéciaux .

Le dernier raid aérien visait ce qu’Israël a présenté comme « un groupe extrémiste » qui avait attaqué des membres de la communauté druze syrienne, qu’Israël avait « promis » de défendre en Syrie même.

Après la chute du régime de l’ancien président Bachar al-Assad provoquée en décembre dernier par Hay’at Tahrir al-Cham (HTS), ancienne branche d’Al-Qaïda, des violences sectaires liées à l’État ont éclaté contre  les Alaouites et les Druzes syriens . Les minorités religieuses se sentent assiégées et craignent de plus en plus l’avenir.

Malgré les assurances du président syrien  autoproclamé par intérim  et ancien commandant d’Al-Qaïda , Ahmed al-Charaa, selon lesquelles les minorités religieuses seraient protégées, le régime a déjà commencé à imposer des restrictions « islamistes sunnites » sur de nombreux aspects de la société, y compris  les programmes scolaires  et la ségrégation des sexes dans  les transports publics .

Pendant ce temps, la violence sectaire perpétrée par des groupes liés à l’État et des milices non étatiques persiste . 

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C’est dans le contexte de cette violence sectaire qu’Israël a vu une opportunité de poursuivre un programme que le mouvement sioniste poursuivait depuis les années 1920 : créer de nouveaux schismes, ou exploiter les schismes existants, entre les groupes religieux en Palestine et dans les pays arabes environnants, dans une stratégie classique de diviser pour mieux régner.

Cette politique israélienne continue vise à donner une plus grande légitimité à la prétendue raison d’être d’Israël – non pas en tant que colonie sioniste européenne servant les intérêts impériaux européens et usaméricains, mais en tant qu’État sectaire religieux dont le modèle devrait être reproduit dans tout le Moyen-Orient, en divisant les groupes religieux autochtones en petits États distincts pour « protéger » les minorités.

Plan sectaire

Israël estime que la normalisation des relations dans la région ne peut se faire que si de tels États sectaires sont créés, notamment au Liban et en Syrie.

Dès les années 1930, les dirigeants israéliens s’allièrent aux sectaires maronites libanais et, en 1946, ils signèrent un accord politique avec l’Église maronite sectaire.

Leur soutien ultérieur à des groupes chrétiens fascistes libanais, comme les Phalangistes – qui cherchaient à établir un État maronite au Liban – s’inscrivait dans les plans sionistes pour la communauté druze palestinienne. Cette stratégie a débuté dans les années 1920, lorsque les colons sionistes ont commencé à cibler la population druze palestinienne.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale et suite au soutien britannique au colonialisme de peuplement sioniste en Palestine, les dirigeants sionistes ont lancé des efforts pour créer des divisions sectaires entre chrétiens et musulmans palestiniens.

Les Palestiniens, cependant, étaient unis dans leur opposition au sionisme et à l’occupation britannique à travers les « Associations musulmanes-chrétiennes », établies en 1918 comme instruments institutionnels d’unité nationale et de résistance au régime colonial.

Un projet sioniste connexe visait à isoler la petite communauté religieuse druze palestinienne afin de la cultiver comme un allié potentiel.

Au début du mandat britannique en 1922, les Druzes palestiniens étaient au nombre de 7 000 , vivant dans 18 villages à travers la Palestine et représentant moins d’un pour cent des 750 000 habitants du pays.

Mythologie coloniale

Les puissances coloniales s’appuyaient souvent sur des mythologies raciales pour diviser les populations autochtones. Alors que les Français affirmaient que les Berbères algériens descendaient des Gaulois pour les distinguer de leurs compatriotes arabes, les Britanniques présentaient les Druzes comme des descendants des Croisés, les décrivant comme une « race blanche plus ancienne » non arabe et « une race beaucoup plus propre et plus belle » que les autres Palestiniens, en raison de la prédominance de la peau claire et des yeux bleus parmi eux.

Bien que les Druzes aient été initialement considérés comme trop marginaux pour être embrigadés, à la fin des années 1920 et au début des années 1930, les dirigeants sionistes ont mené une campagne concertée pour les intégrer.

Tout comme ils avaient exploité les rivalités entre les familles palestiniennes importantes de Jérusalem – les Husayni et les Nashashibi – les sionistes ont cherché à faire de même avec les Druzes, en encourageant le factionnalisme entre les Tarifet les Khayr , et en promouvant une identité sectaire particulariste.

Dans les années 1920, les autorités d’occupation britanniques ont instauré un système sectaire en Palestine pour servir la colonisation juive européenne – un système qui séparait la communauté druze palestinienne du reste du peuple palestinien. 

Aux côtés des sionistes, les Britanniques ont encouragé le factionnalisme et le communautarisme religieux – des efforts qui ont abouti à la fondation de la Druze Union Society sectaire en 1932, aux côtés de nouvelles sociétés musulmanes et chrétiennes orthodoxes formées à la même période dans le sillage de la politique britannique.

La même année, les efforts sionistes pour coopter les dirigeants druzes s’intensifient, se concentrant sur une faction en particulier et encourageant son sectarisme.

Cela provoqua des affrontements entre les différentes factions druzes en 1933, mais la famille nationaliste Tarif conserva son leadership et vainquit la faction collaborant avec les sionistes. Ces derniers espéraient que la cooptation des Druzes palestiniens ouvrirait la voie à des alliances avec les populations druzes plus importantes de Syrie et du Liban.

Tactiques anti-révolte

Dans la seconde moitié des années 1930, pendant la Grande Révolte palestinienne contre l’occupation britannique et la colonisation sioniste européenne (1936-1939), les sionistes et les Britanniques ont intensifié leur campagne sectaire pour empêcher les Palestiniens druzes de rejoindre le soulèvement anticolonial.

À cette fin, ils enrôlèrent Cheikh Hassan Abou Rukun , chef de faction druze du village palestinien d’Isfiya, à une époque où des Druzes de Palestine, de Syrie et du Liban avaient rejoint la révolte . En novembre 1938, Abou Rukun fut tué par les révolutionnaires palestiniens en tant que collaborateur, et son village fut attaqué pour expulser d’autres collaborateurs.

Les sionistes ont exploité son assassinat dans leur campagne sectaire visant à embrigader la communauté druze, affirmant qu’il était ciblé parce qu’il était druze plutôt que parce qu’il était un collaborateur.

En fait, pendant la révolte palestinienne, les révolutionnaires ont tué environ 1 000 collaborateurs palestiniens – la plupart d’entre eux étaient des musulmans sunnites, dont beaucoup étaient issus de familles importantes.

Alors même que les sionistes travaillaient assidûment à répandre le sectarisme parmi les communautés druzes de Palestine, de Syrie et du Liban, à la fin de 1937, ils prévoyaient simultanément d’expulser toute la population druze - alors au nombre de 10 000 personnes - de l’État juif projeté par la Commission Peel britannique , puisque tous les villages druzes se trouvaient à l’intérieur des frontières que celle-ci recommandait.

Pendant ce temps, les autorités d’occupation britanniques ont fait avancer leur projet sectaire en payant certains dirigeants druzes pour qu’ils s’abstiennent de participer à la révolte.

Schémas de transfert

En 1938, les sionistes établirent des relations avec le chef anticolonial druze syrien Sultan al-Attrache , dont la révolte de 1925-1927 contre le régime français avait été réprimée dix ans plus tôt. Ils proposèrent à al-Attrache le « plan de transfert » – l’expulsion de la communauté druze palestinienne, présentée comme un moyen de la protéger des attaques des révolutionnaires palestiniens.

Al-Attrache n’acceptait que la migration volontaire de ceux qui cherchaient refuge, mais refusait tout accord d’amitié avec les sionistes.

Pour atteindre al-Attrache, les sionistes ont fait appel à l’un de leurs contacts, Yusuf al-’Aysami , un ancien assistant druze syrien qui avait été en exil en Transjordanie dans les années 1930. Pendant son exil, il a rendu visite aux Druzes palestiniens et a établi des liens avec les sionistes.

En 1939, Haïm Weizmann, chef de l’Organisation sioniste, était favorable à l’idée d’expulser les Druzes. L’émigration « volontaire » de 10 000 Palestiniens – qui, selon lui, « seraient sans doute suivis dautres » – offrait une précieuse opportunité de faire progresser la colonisation européenne juive en Galilée, région du nord de la Palestine.

Le financement de l’achat de terres druzes ne se matérialisa cependant jamais. En 1940, la réconciliation entre certaines familles druzes et les révolutionnaires palestiniens allégea la pression sur les dirigeants druzes et ébranla le pari initial des sionistes sur la communauté.

En 1944, l’organisation de renseignement sioniste (alors connue sous le nom de « Shai ») et le syrien al-’Aysami ont élaboré un plan visant à transférer les Druzes en Transjordanie et à financer l’établissement de villages là-bas en échange de toutes les terres druzes en Palestine.

Les sionistes envoyèrent même une expédition d’exploration à l’est de Mafraq, en Transjordanie, pour mettre en œuvre le projet. Cependant, face à l’opposition des Druzes et des Britanniques, le projet échoua fin 1945. Néanmoins, en 1946, les sionistes réussirent à acquérir des terres appartenant aux Druzes en Palestine par l’intermédiaire de collaborateurs locaux.

Embrigadement

En décembre 1947, davantage de Druzes palestiniens rejoignirent la résistance, alors même que les sionistes et les collaborateurs druzes s’efforçaient de maintenir la neutralité de la communauté ou de la recruter du côté sioniste.

En fait, les Druzes de Syrie et du Liban ont rejoint la résistance palestinienne à la conquête sioniste en 1948.

En avril 1948, les combattants de la résistance druze palestinienne ont riposté contre la colonie juive de Ramat Yohanan en réponse à l’attaque d’un colon contre une patrouille druze et ont subi de lourdes pertes .

Cependant, malgré les victoires sionistes, la désertion et le désespoir parmi les combattants druzes ont donné aux agents de renseignement sionistes – parmi lesquels le leader sioniste ukrainien Moshe Dayan - et aux collaborateurs druzes l’occasion de recruter des transfuges druzes .

Lorsque la colonie israélienne fut établie en 1948, l’un de ses premiers actes fut d’institutionnaliser les divisions au sein du peuple palestinien en inventant des identités ethniques fictives, dessinées selon des lignes religieuses et sectaires.

À ce stade, l’État israélien a reconnu les Druzes palestiniens – alors au nombre de 15 000 – comme une secte religieuse « distincte » des autres musulmans et a établi des tribunaux religieux distincts pour eux.

Peu après, Israël a commencé à qualifier la population druze de « Druze » plutôt que d’« Arabe », tant sur le plan ethnique que national. Pourtant, à l’époque comme aujourd’hui, celle-ci a continué à subir la même discrimination raciale et l’oppression de type suprémaciste juif que tous les Palestiniens d’Israël, y compris l’ appropriation de leurs terres.

À ce moment-là, avec le soutien de l’État israélien, les collaborateurs druzes avaient pris le dessus au sein de la communauté. Certains de leurs dirigeants ont même appelé le gouvernement à enrôler des Druzes dans l’armée israélienne – une offre qu’Israël a dûment acceptée, même si les soldats druzes restent interdits de rejoindre les unités « sensibles ».

Résistance druze

Malgré la cooptation par l’État israélien de nombreux membres de la communauté druze, la résistance à la colonisation s’est poursuivie à un rythme soutenu.

Le poète druze palestinien Samih al-Qasim (1939-2014) demeure l’une des trois figures les plus célèbres du panthéon palestinien des poètes connus pour leur résistance au sionisme (les deux autres étant Tawfiq Zayyad et Mahmoud Darwish). Son œuvre est non seulement largement récitée dans la société palestinienne, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Palestine, mais nombre de ses poèmes ont été mis en musique par des chanteuses telles que Kamilya Jubran et Rim al-Banna .

Parmi les autres figures littéraires et universitaires druzes palestiniennes de premier plan à l’avant-garde de la résistance au sionisme et au colonialisme israélien figurent le romancier Salman Natour (1949-2016) ; le poète contemporain Sami Muhanna, qu’Israël a emprisonné à plusieurs reprises pour ses opinions politiques ; le regretté érudit Sulayman Bashir (1947-1991) qui a écrit sur l’histoire des relations de l’URSS avec le nationalisme palestinien et les « communistes » juifs sionistes ; et l’historien Kais Firro (1944-2019), connu pour ses histoires de la communauté druze.

La tentative actuelle d’Israël de coopter les dirigeants druzes syriens vise à reproduire ce qu’il a déjà réussi avec les collaborateurs druzes palestiniens.

Cependant, les dirigeants druzes syriens résistent à cette offensive israélienne en affirmant faire partie intégrante du peuple syrien, tout en condamnant la politique du nouveau régime « islamiste » et sectaire. 

Pourtant, la volonté d’Israël de détruire l’unité arabe reste intacte.

16/07/2025

GIDEON LEVY
Israël a autrefois sauvé des enfants des décombres. Aujourd’hui, il tue ceux qui tentent de les sauver

Gideon LevyHaaretz, 17/7/2025
Traduit par Fausto GiudiceTlaxcala  

Hala Arafat est morte dans d’atroces souffrances, avec son mari et ses quatre enfants. Quatorze membres de leur famille, dont sept enfants, ont été tués dans le bombardement de leur maison. Quiconque tentait de s’approcher d’eux était attaqué par des drones.


Hossam Azzam porte le corps de son fils Ameer, un enfant palestinien tué lors d’une frappe israélienne nocturne sur une maison, selon les médecins, à l’hôpital Al-Shifa de Gaza, mardi. Photo Mahmoud Issa/Reuters

Un œil est fermé, l’autre ouvert. Une main agrippe le mur qui s’est effondré sur elle. Elle est coincée dans les décombres, la tête et le corps immobilisés. Elle est dans cette position depuis toute la nuit. Une ampoule est jetée près d’elle, elle tente de l’attraper, peut-être que cela la sauvera. Elle la lâche.

Puis elle lève la main, signe qu’elle est en vie. Elle lutte pour prononcer ces mots : « Sauvez-moi, je suis fatiguée. Je ne peux pas [continuer]. » Avec ses dernières forces, elle dit : « S’il vous plaît, s’il vous plaît, sauvez-moi. » Ce sont ses derniers mots. « Parle, Hala, parle », tente son beau-frère, Anas, mais en vain. Ses yeux se ferment.


On ne sait pas exactement combien de temps elle a survécu après cette photo. Mardi, Nir Hasson a écrit sur X : « Cette femme s’appelle Hala Arafat. Elle a 35 ans. Depuis 2 heures du matin, elle et 14 autres membres de sa famille, principalement des enfants, se trouvent sous les décombres de leur maison de la rue Zarqa, dans le quartier d’Al-Tuffah. J’ai parlé avec son beau-frère, qui m’a dit que toute personne qui tentait de s’approcher d’elle était attaquée par des drones. Si quelqu’un a une idée pour aider, c’est le moment. »

Le bureau du porte-parole de l’armée israélienne n’a pas pris la peine de répondre à Hasson pendant 12 heures. Pourquoi tant de précipitation ? Plus tard, le porte-parole a marmonné quelque chose à propos d’un « manque de coordonnées ».

Hala est morte dans d’atroces souffrances avec son mari et ses quatre enfants. Quatorze membres de leur famille, dont sept enfants, ont été tués dans le bombardement de leur maison.

Ils ne sont pas la seule famille qui a été massacrée mardi. La famille Azzam – Amir, Rateb, Karim et quatre bébés – a également été anéantie. Les images des quatre nourrissons morts, allongés sur le dos dans des linceuls blancs, le visage découvert, sont parmi les plus difficiles à supporter. Le visage de l’un des nourrissons est lacéré.

Certains comptes sur les réseaux sociaux sont devenus des journaux intimes d’un abattoir. Tous les Israéliens doivent désormais les regarder en face. Que les sentiments soient blessés, que les âmes sensibles soient choquées ; aucune image de la bande de Gaza ne doit être censurée. Ce n’est pas un film snuff, c’est la réalité qui doit être vue.

Les derniers mots de Hala et l’impuissance à la sauver sont impardonnables. Une femme piégée dans les décombres de sa maison devrait susciter un fort désir de la sauver. Mais la situation a incité l’armée israélienne à lancer des drones tueurs pour liquider les sauveteurs, comme cela s’est produit mercredi dans la rue Zarqa à Gaza.

Selon les informations disponibles, l’armée israélienne a tiré sur toute personne qui s’approchait. Des femmes soldats audacieuses étaient aux commandes, ou s’agissait-il de soldats jouant à un jeu mortel contre quiconque tentait de porter secours ?

Ce sont les mêmes soldats de l’armée israélienne qu’Israël continue d’embrasser comme s’ils étaient les victimes de cette guerre et ses héros. Ils ne sont ni des victimes ni des héros lorsqu’ils tirent avec des drones sur des personnes sans défense. Ils sont comme les tireurs qui ont attaqué les centres d’aide humanitaire. Mercredi, vingt personnes ont été écrasées à mort après avoir été aspergées de gaz par des soldats.

C’est cette même IDF qui, en 1999, avait sauvé une fillette turque, Shiran Franco, des décombres. Elle avait neuf ans lorsque le tremblement de terre a frappé son pays, et les soldats des FDI l’ont non seulement sauvée, mais aussi emmenée en Israël pour y être soignée. Sa photo, prise par un colonel israélien, est devenue emblématique. Comme nous étions gentils.

L’armée israélienne ne sauve plus personne. Aujourd’hui, elle tire sur quiconque tente de secourir une femme coincée entre les murs de sa maison. Y a-t-il quelque chose de plus monstrueux ?

Une fois de plus, les mots me manquent. Lors du prochain tremblement de terre, en Turquie ou dans n’importe quel autre pays du monde, il faut espérer que les unités de secours de l’armée israélienne qui oseront se montrer pour faire semblant de sauver des vies seront expulsées dans la honte.

Cette armée a perdu le droit d’être hypocrite. Une armée qui tire sur les sauveteurs et les affamés a perdu le droit moral d’offrir son aide.

Non merci, dira le monde. Nous n’accepterons pas l’aide de vos mains trempées du sang des innocents.